Le marxisme et l’immigration des prolétaires

(«le prolétaire»; N° 466;  Mars-Avril-Mai 2003)

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Le phénomène de l’immigration des prolétaires n’a rien de nouveau et les marxistes ont abondamment traité ce thème, à commencer par Engels lui-même dès 1845 dans son livre sur «La situation de la classe laborieuse en Angleterre». Marx en parle dans Le Capital, entre autres dans le passage suivant:

«Le progrès industriel, qui suit la marche de l’accumulation, non seulement réduit de plus en plus le nombre d’ouvriers nécessaires pour mettre en œuvre une masse croissante de moyens de production, il augmente en même temps la quantité de travail que l’ouvrier individuel doit fournir. A mesure qu’il développe les pouvoirs productifs du travail et fait donc tirer plus de produits de moins de travail, le système capitaliste développe aussi les moyens de tirer plus de travail du salarié, soit en prolongeant sa journée, soit en rendant son labeur plus intense, ou encore d’augmenter en apparence le nombre des travailleurs employés en remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l’homme par la femme, l’adulte par l’adolescent et l’enfant, un yankee par trois Chinois. Voilà autant de méthodes pour diminuer la demande de travail et en rendre l’offre surabondante, en un mot, pour fabriquer des surnuméraires.

L’excès de travail imposé à la fraction de la classe salariée qui se trouve en service actif grossit les rangs de la réserve et en augmentant la pression que la concurrence de la dernière exerce sur la première, force celle-ci à subir plus docilement les ordres du capital» (1). En résumé, la bourgeoisie utilise l’importation de travailleurs étrangers afin de grossir l’armée industrielle de réserve et augmenter la concurrence, cette «guerre de tous contre tous », entre prolétaires.

Marx détaille ce phénomène de la concurrence entre ouvriers «nationaux» et immigrés pour ce qui est des ouvriers irlandais en Angleterre et ses remarques sont extrêmement riches d’enseignement: «A cause de la concentration croissante de la propriété de la terre, l’Irlande envoie son surplus de population vers le marché du travail anglais, et fait baisser ainsi les salaires, et dégrade la condition morale et matérielle de la classe ouvrière anglaise.

Et le plus important de tout! Chaque centre industriel et commercial en Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles, les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais.

L’ouvrier anglais moyen hait l’ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie. Par rapport au travailleur irlandais, il se sent un membre de la nation dominante, et ainsi se constitue en un instrument des aristocrates et des capitalistes de son pays contre l’Irlande, renforçant ainsi leur domination sur lui-même. Il nourrit des préjugés religieux, sociaux et nationaux contre le travailleur irlandais. Son attitude envers lui est très semblable à celle des «pauvres blancs» envers les «nègres» des anciens Etats esclavagistes des USA. L’Irlandais lui rend d’ailleurs la pareille, et avec intérêts. Il voit dans l’ouvrier anglais à la fois le complice et l’instrument stupide de la domination anglaise en Irlande.

Cet antagonisme est artificiellement maintenu et intensifié par la presse, les orateurs, les caricatures, bref, par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de son organisation. C’est le secret grâce auquel la classe capitaliste maintient son pouvoir. Et cette classe en est parfaitement consciente » (2).

De même aujourd’hui la classe capitaliste est parfaitement consciente que la division entre prolétaires immigrés et français est un facteur clé de la paralysie de la classe ouvrière et elle entretient par tous les moyens cette division, cette hostilité, ce racisme, ce sentiment de supériorité nationale; cela se traduit dans les syndicats et jusque dans beaucoup d’organisations qui se disent «ouvrières» ou «révolutionnaires» par une indifférence foncière envers le sort de cette fraction importante du prolétariat.

 

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Un autre point, le rôle potentiellement très important pour la lutte prolétarienne et son internationalisation que joue l’immigration est souligné par Lénine:

 « Le capitalisme a créé une sorte particulière de transmigration des peuples. Les pays dont l’industrie se développe rapidement, utilisant davantage de machines et évinçant les pays arriérés du marché mondial, relèvent chez eux les salaires au-dessus de la moyenne et attirent les ouvriers salariés des pays arriérés.

Des centaines de milliers d’ouvriers sont ainsi transplantés à des centaines et des milliers de verstes. Le capitalisme avancé les fait entrer de force dans son tourbillon, les arrache à leurs contrées retardataires, les fait participer à un mouvement historique mondial et les met face à face avec la classe internationale puissante et unie des industriels.

Nul doute que seule une extrême misère force les gens à quitter leur patrie, que les capitalistes exploitent de la façon la plus éhontée les ouvriers émigrés. Mais seuls les réactionnaires peuvent se boucher les yeux devant la signification progressive de cette moderne migration des peuples. Il n’y a pas et il ne peut y avoir de délivrance du joug du capital sans développement continu du capitalisme, sans lutte des classes sur son terrain. Or, c’est précisément à cette lutte que le capitalisme amène les masses laborieuses du monde entier, en brisant la routine rancie de l’existence locale, en détruisant les barrières et les préjugés nationaux, en rassemblant des ouvriers de tous les pays dans les plus grandes fabriques et mines d’Amérique, d’Allemagne, etc… » (...).

Et il ajoute: « La bourgeoisie cherche à diviser en excitant les ouvriers d’une nation contre ceux d’une autre. Les ouvriers conscients, comprenant qu’il est inévitable et progressif que le capitalisme brise toutes les cloisons nationales, s’efforcent d’aider à éclairer et à organiser leurs camarades des pays arriérés».

Voilà quelle devrait être l’attitude constante des prolétaires et de leurs organisations de classe, voilà quelle est notre perspective! 

 


 

(1) «Le Capital», Livre 1, 7,25

(2) Lettre à S. Meyer et A. Vogt, 9/4/70.

(3) «Le capitalisme et l’immigration des ouvriers», Lénine, Oeuvres, Tome 19.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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