8 mai 1945:

Dès la fin de la guerre mondiale, l’impérialisme français déclenchait une bestiale répression coloniale en Algérie

(«le prolétaire»; N° 476; Avril - Mai 2005)

 

 

Le 8 mai 1945, jour de l’armistice qui marquait la fin de la deuxième guerre mondiale, des manifestations officielles étaient prévues dans toute la France pour fêter la «Libération». Il en allait de même en Algérie. Mais le mécontentement grandissant de la population là-bas, attisé par une grave disette (la ration allouée aux Algériens, quand ils pouvaient la toucher, était de 150 grammes de grains, tandis que les Français avaient droit à 300 grammes de pain), ne manquait pas d’alarmer les autorités coloniales. Poussé par cette effervescence, le PPA (Parti du Peuple Algérien, alors la principale organisation indépendantiste) avait lancé le mot d’ordre: «le jour de la victoire, manifestons pour exiger, après le sacrifice et la conduite héroïque des Algériens dans l’armée française, un peu de démocratie et de justice». En dépit du fait qu’il était en butte à la répression, que son leader Messali Hadj avait été arrêté et déporté, que lors des manifestations du premier mai la répression policière contre les manifestants algériens avaient fait des morts dans plusieurs villes, le PPA ne se préparait pas à des affrontements sanglants et n’entendait encore moins déclencher une insurrection. Les slogans demandaient la libération de Messali Hadj, la démocratie, l’indépendance de l’Algérie, en même temps qu’ils saluaient la victoire alliée.

Averties des projets de manifestation, les autorités transmirent la consigne de ne pas tolérer l’apparition de drapeaux algériens ni de banderoles et pancartes anticoloniales.

Les incidents les plus graves eurent lieu à Guelma et à Sétif où la police ouvrit le feu sur la foule pacifique des manifestants algériens, faisant de nombreuses victimes. Cette répression mit le feu aux poudres: dès que les nouvelles sont connues dans la région, des groupes de paysans se forment, attaquent les colons, s’emparent quand ils le peuvent d’armes, attaquent des mairies, etc. Tandis que la révolte spontanée fait tache d’huile dans la région, les militants du PPA pressent leur direction d’appeler à l’insurrection dans tout le pays, ne serait-ce que pour soulager les insurgés du Constantinois face à la répression, mais celle-ci tergiverse longuement. Elle se décidera enfin à fixer au 23 mai le déclenchement de l’insurrection générale, mais elle annulera aussitôt cette directive qui était devenue complètement irréaliste.

Répression au quotidien en Algérie

En effet la police et surtout l’armée, bien préparée, n’avaient pas attendu pour réagir. Leur répression sera bestiale: l’aviation et la marine bombardèrent des villages, l’armée ratissa, brûla, pilla au moins jusqu’au 20 juin. Des exécutions en masse, des «disparitions», des arrestations (avec déjà les tortures à l’électricité) parfois commises par des colons organisés en milices se poursuivirent pendant des semaines: bref, une «répression féroce, impitoyable, en vérité inhumaine par son manque de discernement» selon les mots d’un témoin, pourtant partisan du colonialisme. Paradoxalement, c’est le quotidien socialiste «Le Populaire» qui rendit compte de cette répression; il publia fin 28 juin une série d’articles de l’historien Charles-André Julien; s’il mettait faussement la responsabilité des exactions sur le compte d’ «éléments vichystes» et affirmait faire confiance au ministre (socialiste) de l’Intérieur, Julien avait au moins le mérite de lever un peu le voile sur la répression:

«Il faut le proclamer hautement. La répression a été disproportionnée (sic!) et atroce. L’autorité a lâché autour de Sétif des Sénégalais (re-sic!) et des légionnaires qui ont violé en toute liberté. On suivait leur trace aux incendies qui jalonnaient le plateau. Dans la région de Djidelli, où il n’y avait pas eu de victimes et où la population musulmane assurait l’ordre, d’autres Sénégalais purent tuer et brûler à loisir. Cependant le Dugay-Trouin bombardait les environs de Kherrata et les avions inondaient les douars de bombes. La panique rendit féroce la population civile (européenne). A Sétif, on abat sommairement tout musulman qui ne porte pas un brassard. A Guelma, on fusille plusieurs centaines de jeunes gens. A Djidelli, c’est sous l’oeil approbateur du préfet de Constantine que des miliciens armés et des soldats pillent le quartier musulman. Grâce aux armes distribuées, la vieille haine raciste peut s’épancher dans le sang». (Les «Sénégalais» sont les troupes coloniales dites «Tirailleurs sénégalais», qui ne comprenaient pas que des soldats originaires de ce pays et qui étaient de toute façon commandées par des Français; mais c’est une façon d’atténuer les responsabilités de ces derniers).

 Si le nombre des morts français est connu avec précision (102, dont 14 militaires), celui des victimes algériennes ne l’est pas. Le ministre de l’Intérieur donnera le chiffre de 1500, tandis qu’un peu plus tard des sources militaires officieuses parleront de 6 à 8000 morts (selon Julien), puis de 15000; aux Etats-Unis le chiffre de 50.000 morts sera avancé. L’immense majorité des victimes restera à jamais anonyme: leur vie ne comptant pour rien dans le régime colonial, celui n’avait que faire d’enregistrer leur mort.

 

Le PCF, agent de l’impérialisme français

 

Le 27 janvier dernier l’ambassadeur de France en Algérie a qualifié ces événements de «tragédie inexcusable» dans un discours très remarqué prononcé à Sétif même. Au point que le 5 mars, l’«Humanité» écrivait:

«C’est la première fois, en tout cas à notre connaissance, qu’un représentant officiel des autorités françaises reconnaît le massacre de Sétif et emploie le qualificatif d’inexcusable qui désigne sans ambiguïté la France.

(...) L’entêtement des gouvernements français, notamment celui de Guy Mollet qui, en 1956, s’était fait élire pour faire la paix, à s’enfoncer dans la guerre aura été vraiment meurtrier.

La question posée est maintenant de savoir jusqu’où ira la reconnaissance du crime de Sétif et, forcément, des crimes qui suivirent, à commencer par celui de la torture sur lequel les autorités ont été interpellées, par l’Appel des Douze, en octobre 2000.

(...) L’amitié franco-algérienne répond au voeu de beaucoup d’Algériens, qui n’ont jamais entretenu de haine pour un pays qui, pourtant, leur a fait tant de mal, celui de l’extrême violence qui a présidé à la naissance de leur nation et qu’ils auront payée cher, comme de beaucoup de Français, qui ont souffert d’avoir été mêlés, et leur pays avec eux, à cette sale guerre qui n’osait même pas dire son nom. L’amitié ne peut se sceller durablement que dans la vérité dite sur les épreuves qui l’ont entravée. Cela ne viendra pas tout seul».

Le quotidien du PCF a bien raison de dire que la vérité ne viendra pas toute seule, mais nous ajouterons qu’à coup sûr elle ne viendra pas de lui. S’il admet - implicitement! - qu’aucun représentant officiel des autorités françaises n’a reconnu le crime de Sétif pendant les nombreuses années où la gauche était au gouvernement, il «oublie» en effet de rappeler à ses lecteurs que le PCF était au gouvernement (présidé par de Gaulle) avec son compère socialiste lorsque le crime a été commis et qu’il n’a alors ni quitté ce gouvernement ni protesté contre ce crime! Tout au contraire, il approuvait la répression.

Relatant les événements de Sétif, «L’Humanité» écrivait ainsi le 11 mai 1945, sous le titre «A Sétif attentat fasciste le jour de la victoire»: «Des éléments troubles d’inspiration hitlérienne se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne. La police aidée de l’armée, maintient l’ordre». Le même jour le conseil des ministres approuvait sans discussion les instructions du ministre de l’Intérieur sur le maintien de l’ordre en Algérie.

Le 12 mai le Comité central du PCF votait une résolution sur la révolte du Constantinois qui exigeait: «Il faut tout de suite châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute». Le 13 mai «L’Humanité» affirmait qu’il y avait «parmi les musulmans, des hitlériens». Le 19 mai elle écrivait: «Ce qu’il faut, c’est punir comme ils le méritent les tueurs hitlériens ayant participé aux événements du 8 mai et les chefs pseudo-nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes, faisant ainsi le jeu des seigneurs dans leur tentative de rupture entre les populations algériennes [sic!: les Algériens n’ont pas droit au qualificatif de peuple, réservés aux Français] et le peuple de France». Le 31 mai, «L’Humanité» se félicitait de l’arrestation de dirigeants nationalistes algériens aussi modérés que Ferhat Abbas (dirigeant des «Amis du Manifeste» un groupe de notables bourgeois, hostile en réalité à l’indépendance, mais que les colons ne supportaient pas): «Il est bien que des mesures soient prises contre les dirigeants de cette association pseudo-nationaliste dont les membres ont participé aux tragiques incidents de Sétif». Le 11 juillet le député Etienne Fajon parlant au nom du PCF, déclarait à l’Assemblée nationale: «Les tueries de Guelma et de Sétif sont la manifestation d’un complot fasciste qui a trouvé des agents dans les milieux nationalistes».

La CGT, dont la direction était majoritairement entre les mains du PCF (avec aussi des dirigeants socialistes) se félicitait le 9 juin que les organisations syndicales d’Algérie aient pu «empêcher que le mouvement ne s’étende à d’autres régions» et elle accusait le PPA, «appendice du PPF de Doriot» (organisation fasciste), et «les pseudo-nationalistes des Amis du Manifeste et leurs émeutiers et tueurs professionnels» d’avoir mis en oeuvre «un complot longuement préparé contre la France et les populations algériennes».

En Algérie même, le Parti Communiste Algérien n’avait pas hésité une seconde: pour lui, «il n’y a pas de révolte arabe, mais un complot fasciste». Son quotidien «Alger Républicain» relatait le 12 mai qu’une délégation du PCF et du PCA avait été reçue par le chef de cabinet du gouverneur général (le représentant suprême de l’Etat en Algérie): elle «s’est entretenue des provocations des agents hitlériens du Parti du peuple algérien et d’autres agents camouflés dans des organisations qui se prétendent démocratiques. Cette coalition criminelle, après avoir vainement tenté de faire éclater des émeutes de la faim, a réussi à faire couler le sang». Elle réclamait donc «le châtiment rapide et impitoyable des provocateurs».

Les militants du PCA s’étaient rangés dans l’union sacrée contre la révolte. Selon «Le Monde» du 8 juillet 45 «Les Français, chaque fois qu’ils le purent se réunirent et firent bloc; à Guelma par exemple, le sous-préfet réussit à grouper et à armer tous les Français, des communistes à la droite, et tous, dans un même élan, n’eurent qu’un but, s’entraider et se défendre en attendant l’armée». Une milice y fut mise sur pied qui comprenait des responsables du PCA et de la CGT. Bien qu’il n’y ait eu aucune attaque commise par les Algériens, cette milice, courageusement après l’arrivée de l’armée, se livra à des tueries: 500 à 700 «musulmans» furent ainsi massacrés dans le même élan par les miliciens et les soldats.

S’il s’agit là sans doute d’un cas extrême, il permet cependant de saisir le sens exact de la déclaration du PCF félicitant le PCA pour «la justesse de sa ligne politique»: «Les provocations ont pu être déjouées partout où le parti communiste algérien possède des organisations puissantes et influentes par mi les masses» («L’Humanité», 18 mai 45).

Le 28 juin le secrétaire général du PCA, «très applaudi» selon «L’Humanité» du 30 juin, expliquait devant le Xe Congrès du PCF «les causes et les méthodes du complot fasciste en Afrique du Nord qui a abouti à la provocation de Sétif». Il concluait «en soulignant que le peuple algérien a les mêmes ennemis que le peuple français et ne veut pas se séparer de la France. Ceux qui réclament l’indépendance de la France, explique-t-il, sont des agents conscients ou inconscients d’un autre impérialisme. ‘Nous ne voulons pas changer un cheval borgne pour un aveugle’, s’écrie-t-il, aux applaudissements du Congrès».

Serviteur fidèle de l’impérialisme dans la boucherie de la guerre mondiale, le PCF ne pouvait qu’être l’agent tout aussi fidèle et conscient de l’impérialisme français dans la défense ou la reconquête de ses possessions coloniales, avec ce que cela impliquait nécessairement de répression et de violence. D’ailleurs en même temps que se déroulaient la révolte et la répression dans le Constantinois, les ministres du PCF approuvaient le bombardement et la tentative de reconquête de Damas, comme quelque temps plus tard ils approuvaient l’envoi de l’armée en Indochine et l’effroyable répression de la révolte à Madagascar qui fit des dizaines de milliers de morts (le PCF ne protesta que contre l’arrestation des députés malgaches, mais sans rompre la solidarité gouvernementale).

S’agissant de l’Algérie, il faut aussi rappeler que revenu dans l’opposition le PCF, tout en abandonnant ses positions les plus caricaturalement colonialistes qui devenaient intenables, se refusa obstinément à reconnaître le droit à l’indépendance de l’Algérie et s’efforça d’empêcher toute action prolétarienne contre la guerre et toute solidarité avec la lutte anticoloniale.

Si, comme y fait allusion «L’Humanité», le gouvernement du socialiste Guy Mollet, formé après la victoire du «Front républicain» (alliance électorale dont faisait partie le PCF en même temps que les socialistes et les radicaux), intensifia la guerre d’Algérie à partir du 15 mars 1956, il ne put le faire que parce que le PCF lui avait voté le 12 «les pouvoirs spéciaux», c’est-à-dire une sorte d’état d’urgence qui permettait de s’affranchir des méthodes parlementaires classiques. Le PCF eut beau dire qu’il condamnait les mesures militaires du gouvernement, il s’abstenait le 5 juin lors du vote de confiance demandé par le gouvernement pour «ne pas se couper de socialistes [en dressant] entre eux et nous la barrière d’un vote hostile» (M. Thorez, Réunion du groupe communiste au Palais Bourbon, juin 1956). Il lui fallut attendre le 29 juillet pour se résoudre à voter contre les crédits de guerre.

Mais son opposition verbale aux «mesures de force» ne l’empêcha pas de se faire dans les faits l’auxiliaire du gouvernement en faisant la police dans les rangs ouvriers (dénonciation par «L’Humanité» du 4 juillet 56 comme «vulgaire provocateur» «de tout individu qui préconiserait des actes allant à l’encontre de la politique de masse du PCF») et en isolant les prolétaires algériens de leurs camarades français.

Il s’employa à étouffer les réactions spontanées et parfois violentes contre le rappel des réservistes et combattit sous des prétextes fallacieux toutes les contestations du service militaire. Par exemple, le 8 octobre 57 lorsque 600 rappelés refusaient de quitter une caserne de Rouen pour aller en Algérie, c’est le maire PCF de Petit Quevilly qui se chargea d’haranguer les soldats et d’obtenir qu’ils acceptent de partir. Et à 2 heures du matin, en dépit d’affrontements entre CRS et ouvriers des usines d’alentour, les camions militaires emportaient les réservistes.

Une autre démonstration pratique de la constante orientation chauvine, social-impérialiste, du PCF peut être trouvée dans son attitude face au massacre de centaines d’Algériens à Paris en octobre 1961: «L’Humanité» ferma ses grilles pour empêcher les manifestants algériens poursuivis par la police de trouver refuge dans son bâtiment...

Même en ce qui concerne la critique des «excès» de la répression et de la torture que «L’Humanité» met en avant dans son article, le PCF les a alors toujours formulées sous la forme la plus platonique de l’humanisme petit-bourgeois. Le 25 septembre 57, lors d’un débat parlementaire sur l’Algérie, Jacques Duclos, au nom du PCF, évoquant le geste du général de Bollardière qui avait démissionné pour protester contre l’usage de la torture, déclarait que celui-ci avait voulu «souligner le danger qu’il y avait à perdre de vue ces valeurs morales qui seules ont fait jusqu’à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre armée» et il préconisait pour remédier à ce «triste état d’âme»... «la publication de l’ensemble des travaux de la Commission parlementaire de sauvegarde des Libertés et des droits individuels»! Sans commentaires...

Le représentant de l’impérialisme français a pu reconnaître, de manière très vague, le massacre de Sétif (alors que «L’Humanité» n’a jamais reconnu son soutien à ce massacre): ce geste qui ne coûtait pas grand chose s’inscrivait dans la perspective de la signature d’accords entre la France et l’Algérie comme l’indique l’article de «L’Humanité» en affirmant que cette «amitié franco-algérienne» répond aux voeux de beaucoup d’Algériens. Cette «amitié» officielle n’est que l’amitié des bourgeois des deux pays pour les affaires; elle ne répond certainement pas aux intérêts réels des prolétaires d’ici et de là-bas, car elle ne peut s’établir que sur leur exploitation forcenée. L’amitié des autorités françaises et algériennes ces dernières années a été scellée dans le sang des masses algériennes.

A cette amitié franco-algérienne officielle qui ne doit donc pas être approuvée mais combattue sans hésitation, les prolétaires répondront demain par leur union dans le combat des deux côtés de la Méditerranée contre les bourgeoisies coalisées pour leur faire enfin payer tous leurs crimes et liquider le capitalisme. Et comme hier, ils trouveront sur leur route cet auxiliaire de la bourgeoisie criminelle qu’est le social-impérialisme en général, et le PCF en particulier.

 


 

Sources: G. Madjarian, «La question coloniale et le PCF 1944-1947», Maspero 1977; «Programme Communiste» n°5 (oct.-nov.-déc. 1958); Y. Benot, «Massacres coloniaux», La Découverte 2001 (à part son indulgence pour le PCF, coupable seulement selon lui de «déficiences théoriques» et qui aurait dit ce qu’il fallait et mené la résistance au colonialisme!!!).

 

Particommuniste international

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