La leçon des grèves à Airbus

(«le prolétaire»; N° 484-485; Mai-Sept. 2007)

 

Sous le capitalisme le système démocratique bourgeois confère aux élections un but précis: étouffer la combativité prolétarienne en détournant le mécontentement vers les urnes. Aussi faut-il se réjouir de l’échec au moins partiel de cette manoeuvre chez Airbus-EADS, fleuron de l’industrie aéronautique et spatiale en Europe.

Vantée comme le symbole de la collaboration européenne, Airbus se donne l’image d’une entreprise moderne dont les employés, bien payés et assurés de leur emploi, doivent être fiers et pour laquelle ils doivent donner le meilleur d’eux-mêmes dans un climat corporatiste; il n’y a d’ailleurs pas d’ouvriers chez Airbus, mais des... «opérateurs»! Depuis sa création, Airbus n’avait pas connu de grèves.

La multinationale EADS dont Airbus est une filiale, est le fruit de la coopération d’entreprises de 4 Etats: Allemagne, Angleterre Espagne et France; elle livre sur le marché mondial une lutte farouche contre la société américaine Boeing (qui a avalé ses concurrents d’outre atlantique moins puissants comme Douglas). Il aura fallu quelques trente ans pour bâtir cette entreprise (ou plutôt ce conglomérat reposant sur une direction bicéphale franco-allemande où chacune des parties suspecte l’autre) à partir d’entreprises publiques: en France, l’Aérospatiale (entreprise française nationalisée qui regroupait essentiellement Sud-Aviation et Nord-Aviation), en Allemagne, MBB, grâce à de multiples aides publiques.

Outre-Rhin, c’est le gouvernement conservateur du chancelier Kohl qui vend MBB à l’entreprise privée Daimler; en France c’est sous les auspices du gouvernement Jospin et du ministre PCF Gayssot, que l’Aérospatiale est privatisée.

Dans les faits elle est bradée à l’industriel Lagardère, avec une «ristourne» de 4 milliards sur un prix de 13 milliards de francs; Lagardère se voyant en outre accorder la direction de l’entreprise bien qu’il soit minoritaire (1): voilà une confirmation qu’il n’y a absolument rien de «socialiste» ou d’ «anticapitaliste» dans les nationalisations; elles ne servent qu’à sauver ou à renforcer des entreprises capitalistes avant de les restituer aux intérêts privés lorsque ceux-ci sentent qu’il y a du profit à faire.

 Et il est particulièrement instructif que ce soit un gouvernement de gauche qui ait servi ces intérêts privés, alors que les partis qui le composaient (PS, PCF et Verts) ont longtemps présenté aux prolétaires les nationalisations comme le moyen sûr d’éviter les méfaits du capitalisme!

Aujourd’hui les principaux actionnaires d’EADS sont Lagardère et la firme allemande Daimler, avec l’Etat français et des intérêts publics allemands, les actionnaires espagnols (Casa) et britanniques (British Aerospace qui se veut désengager), étant très minoritaires. Airbus emploie environ 56 000 salariés dans ses 17 établissements et fait travailler des dizaines de milliers d’employés de sous-traitants (à Toulouse ils seraient plus de 50 000). Le carnet de commandes ne désemplit pas: à la fin de l’année dernière il y avait 2533 avions en commande, représentant un chiffre d’affaires de 250 milliards d’euros et une charge de travail d’environ 5 ans. Le récent salon du Bourget a été l’occasion pour Airbus d’annoncer de nouvelles centaines de commandes. Le chiffre d’affaires d’Airbus et de ses différentes filiales pour 2006 a augmenté de plus de 17% sur l’année précédente et on a assisté à une véritable explosion de la productivité en 2006.

 Qui dit augmentation de la productivité, dit évidemment augmentation de l’exploitation: les conditions de travail se dégradent, la charge de travail ne cesse d’augmenter, les intérimaires sont renvoyés tandis que les titulaires se voient imposer des heures supplémentaires le samedi. C’est ce que dénonçait un ouvrier de Saint Nazaire dans Ouest France du 3 mai: «On a du boulot par dessus la tête; il y a eu jusqu’à 350 intérimaires avec nous, maintenant il n’en reste qu’une dizaine; on est moins nombreux pour faire toujours plus».

Tout semblait donc aller du mieux du monde pour les capitalistes d’Airbus s’il n’y avait eu les difficultés de réalisation du nouvel avion géant A380 et une concurrence de Boeing plus pressante que prévue, exacerbée par la faiblesse du dollar par rapport à l’euro. Les réformistes ont la coutume de dénoncer la rapacité particulière des actionnaires qui poussent à des profits toujours plus grands ou une logique de profits financiers qui prend le pas sur la production, là où ce sont les lois même du capitalisme qui sont en jeu; dans le capitalisme toute entreprise produit avant tout des profits, les marchandises qu’elle fabrique n’étant que le moyen d’obtenir ces profits; si elle ne produit plus de profits ou plus suffisamment, elle est condamnée, quelle que soit la qualité et l’intérêt de ce qu’elle fabrique! Pour attirer les capitaux nécessaires à la réalisation de son nouveau produit, Airbus doit prouver qu’un investissement dans son entreprise rapportera au moins autant que dans les entreprises les plus performantes: la concurrence a lieu aussi entre les différents opportunités d’investissement. Ce ne sont donc pas les actionnaires, indépendamment des malversations et autres délits d’initiés, qu’il faut accuser, mais le capitalisme lui-même.

Pour rétablir des marges de profit suffisantes un plan de «redressement» intitulé «Power 8» était révélé en mars dernier. Il a pour objectif de réaliser annuellement au moins deux milliards d’euros d’économie, essentiellement en supprimant du personnel et en délocalisant certaines productions vers des pays où la main d’oeuvre est moins coûteuse. Des milliers de licenciements sont donc prévus sur les divers sites européens: 4000 en France, 3700 en Allemagne, 1600 en Angleterre et 400 en Espagne, divers sites sont abandonnés, etc.

Un comble: en même temps que ses mesures étaient annoncées, on apprenait que Noël Forgeard, l’un des présidents d’E.A.D.S. était licencié pour les mauvais résultats du groupe... avec un «parachute en or» de 8,5 millions d’euros d’indemnités. De plus des promesses d’attribuer de scandaleuses largesses à un autre dirigeant ont été révélées. Et comme si cela ne suffisait pas, les salariés d’Airbus apprenaient que 100 millions d’euros allaient être distribués aux actionnaires! Il faut bien que l’entreprise montre aux capitalistes qu’elle est rentable et qu’elle va continuer à l’être grâce aux attaques décidées sans faiblesse contre les travailleurs...

Bien entendu les dirigeants du groupe ne sont pas touchés par le tour de vis qu’ils imposent aux employés: les 11 membres du Conseil d’Administration touchent un fixe de 30 000 euros par ans plus un complément, variable, d’environ 50 000 euros, sans compter les jetons de présence de 5000 euros à chaque réunion du C.A., ni bien sûr leurs paquets d’actions.

Mais la véritable bonne affaire a été faite par Lagardère et les patrons de Daimler qui ont vendu de gros paquets d’actions juste avant que s’écroule leur cours à l’annonce des difficultés du groupe: 890 millions d’euros chacun de bénéfice! En France, c’est Thierry Breton, ami de Lagardère et alors ministre des finances, qui avait ordonné à la Caisse des Dépôts, institution d’Etat, d’acheter les actions de ce dernier (2). Comme par hasard, les médias ont assez peu parlé de cette affaire qui vaut à Lagardère une enquête pour délit d’initiés, à l’évidence parce que ce dernier est l’un des grands magnats de la presse française (3).

Les réactions ont au plan Power 8 ont été somme toutes limitées et surtout bien encadrées par les appareils syndicaux. En France l’Intersyndicale organisa une demi-journée de grève (!) et des manifestations le 6 mars: plusieurs milliers de travailleurs manifestèrent dans les rues de Toulouse, tandis que grève et manifestations avaient lieu aussi à Nantes, Saint Nazaire et Méaultes. Le 16 mars 20000 travailleurs manifestaient à Hambourg et 2000 à Laulheim.

En Espagne, les syndicats UGT et CCOO organisaient une heure (!) de grève et des rassemblements dans les différents sites de CASA-EADS.

En Grande-Bretagne les syndicats s’étaient contentés d’un meeting de protestation réunissant environ 900 travailleurs à Flintshire. Selon la presse locale, la direction avait même envoyé des travailleurs britanniques à Toulouse pour jouer les jaunes en cas de continuation de la grève, sans que s’en émeuve les syndicats!

Mais lorsque les ouvriers apprirent le 23 mars que, contrairement à ce qu’on leur disait, ils n’échapperaient pas aux licenciements et aux restrictions de salaire (suppression de la prime annuelle), les 2000 ouvriers de la première équipe décidaient immédiatement de se mettre en grève, grève suivie par une large majorité des 2000 de la deuxième équipe en dépit de l’opposition des syndicats et des démentis de la direction.

Les travailleurs reprendront le travail le lendemain après un forcing syndical - et la direction en profitera pour licencier un ouvrier accusé d’être un «meneur» de cette grève illégale et en mettre 4 autres à pied. Mais cette grève spontanée laissait prévoir ce qui allait se passer en France quelques semaines plus tard.

Malgré leurs limites ces réactions démontraient la possibilité et les potentialités d’une lutte unie des travailleurs d’Airbus des divers pays et des divers sites: elle aurait sans aucun doute eu la force de faire complètement échec aux attaques patronales, étant donné l’état du carnet des commandes.

 Les syndicats majoritaires, très liés à la direction et qui jouissent d’une forte emprise sur les employés qu’ils intoxiquent depuis des années en répandant la propagande patronale corporatiste d’entreprise, ont fait ce pourquoi ils sont entretenus par les patrons: ils se sont employés partout à empêcher que se réalise toute possibilité de lutte réelle, d’abord en organisant des actions symboliques pour faire baisser la pression; puis en dressant les prolétaires les uns contre les autres, pays contre pays et site contre site, personnel d’Airbus contre sous-traitants, CDI contre CDD; enfin en appelant au secours l’Etat bourgeois et en faisant appel aux politiciens de tout bord; en France, campagne électorale oblige, tous les candidats sont ainsi venus dans les usines d’Airbus affirmer qu’ils allaient sauver les travailleurs avec leur recette miracle particulière, pourvu qu’on vote pour eux et qu’ils soient élus...

 

Malgré l’étouffement, la lutte !

 

Cependant toute cette démagogie corporatiste, chauvine et démocratique n’a pas réussi à étouffer complètement les ferments de lutte comme la suite allait le montrer.

Le 25 avril, le jour même où sont détaillées les suppressions d’emploi en France (4125 en tout: 964 au siège d’Airbus, 2305 à Toulouse, 369 à Saint Nazaire, 295 à Nantes, 192 à Méaultes), la direction informe les travailleurs que leur prime annuelle qui les années précédentes pouvait représenter jusqu’à 2 mois de salaire, s’élèvera, en moyenne, à... 2,88 euros! Ressentie comme une véritable provocation, cette mesure décidée par des patrons accoutumés à ne considérer leurs salariés que comme des esclaves dociles, provoquait une colère générale.

Le 26 avril les travailleurs de la chaîne de l’A320 à Toulouse cessent spontanément le travail; faisant tâche d’huile, la grève s’étend à la chaîne de l’A340, puis à l’usine Saint Eloi. A l’usine Airbus de Gron (Saint Nazaire) un groupe de jeunes ouvriers débrayent et le lendemain font la tournée de tous les ateliers pour les entraîner dans la grève.

Résultat: le vendredi 27 avril les 2 sites de Saint Nazaire (2400 salariés) et celui de Nantes (Bouguenais) (2000 salariés) sont touchés, les ouvriers se mettant très majoritairement en grève (les «cols blancs» resteront en dehors du conflit).

 Le mercredi 2 mai (après le pont du premier mai que certains grévistes ont passé devant l’usine) des assemblées générales à Nantes et St Nazaire votent la grève totale et reconductible contre l’avis de FO (le syndicat majoritaire) qui avait fait venir un responsable national, de la CFTC et de la CGC, et avec l’appui de la CGT et de la CFDT. La production est bloquée par des piquets de grève massifs qui ont pour but de faire débrayer l’équipe de l’après-midi, ce qui est fait dans l’enthousiasme (l’accès aux sites n’est pas bloqué, pour laisser passer les intérimaires).

Le lendemain, en raison de la méfiance des travailleurs contre les syndicats majoritaires, des comités de grève sont élus (une des conditions pour y être élu est de ne pas être délégué syndical!) à Nantes et Saint Nazaire et une coordination est établie entre ces comités de grèves. Les premières propositions de la direction (1,5% d’augmentation des salaires pour les ouvriers, employés et techniciens, un peu plus pour l’encadrement) sont unanimement rejetées. Une liste de revendications est votée; les principales sont le retrait du plan Power 8, le versement d’une prime annuelle égale à celle des années précédentes, une augmentation des salaires de 8,5%, l’embauche des intérimaires, l’arrêt des harcèlements par l’encadrement, etc.

Le 4 mai la direction lâche un peu plus: une prime exceptionnelle de 500 euros, 2,5% d’augmentation des salaires. Face à ces (maigres) concessions, les syndicats majoritaires (FO, CFTC et CGC) appellent à la reprise du travail «pour pouvoir négocier» (tu parles!); les syndicats minoritaires qui soutenaient la grève commencent à tourner casaque: à Saint Nazaire la CFDT déclare vouloir consulter ses adhérents car «ce sont eux qui cotisent» (sic)... la semaine suivante, et la CGT laisse à l’AG le soin de prendre une décision (ce qui fait dire à un gréviste, selon Ouest France: «Aujourd’hui les syndicats disent qu’ils sont derrière nous. Mais ils devraient être devant!»

 Le rôle de véritables syndicats de classe serait en effet d’assumer leurs responsabilités pour organiser et propager la lutte de façon à renforcer les ouvriers les plus déterminés et entraîner les hésitants; mais n’étant pas des syndicats de classe, la CGT et la CFDT abdiquent ce rôle et laissent démocratiquement les ouvriers les plus combatifs courir le risque d’être submergés par la masse. Cependant l’AG de Saint Nazaire vote malgré tout la continuation de la grève jusqu’au 9 mai, de même qu’à Nantes.

Le 9 mai les pressions pour la reprise du travail s’accentuent. La direction clame que la reprise du travail est le préalable à l’ouverture de négociations, la poursuite de la lutte étant préjudiciable à l’entreprise (les chaînes de Hambourg risquant d’être arrêtées si la grève continue).

A Nantes une réunion des adhérents FO conduite par le secrétaire du comité d’entreprise est organisée pour appeler à la fin de la grève (sur 700 adhérents FO, 270 sont présents, essentiellement de la maîtrise, et 243 votent pour la reprise du travail), alors que les adhérents ouvriers de ce syndicat votent à l’AG devant les grilles de l’usine avec les autres travailleurs pour continuer le mouvement, soutenu par la CGT et la CFDT locales. Les grévistes sont alors au nombre de quelques centaines.

A Saint Nazaire, non seulement les responsable syndicaux majoritaires rejoints par la CFDT, reprennent l’appel à l’arrêt de la grève, mais même le porte-parole de la coordination déclare, en accord avec la CGT, que «si on ne suspend pas cette grève, il n’y a pas de négociation possible» (4). L’AG des travailleurs vote cependant la poursuite de la grève, et la coordination ainsi que la CGT et une partie de la CFDT décident de suivre les grévistes. Une partie des grévistes veut durcir le mouvement en bloquant totalement l’accès au site; mais cette proposition n’est votée que par le petit nombre de travailleurs encore présents (une centaine de personnes) et le lendemain seuls des «piquets dissuasifs» pourront être mis en place à 5 heures du matin. La préfecture décidera cependant de faire surveiller l’aéroport par la police, de crainte qu’il ne soit occupé par les grévistes pour empêcher l’arrivée de pièces fabriquées à Hambourg.

En fait l’usure du mouvement se fait sentir, bien plus en raison des manoeuvres collaborationnistes des syndicats et l’absence de l’extension du mouvement aux autres sites en France (la grève à Toulouse n’ayant pu se maintenir) que des pressions et intimidations patronales. Le 10 mai les travailleurs de Saint Nazaire votent à l’appel des syndicats pour l’arrêt de la grève (sa «suspension», suivant l’hypocrite jargon collaborationniste), la direction ayant promis... des négociations. A Nantes l’AG, moins nombreuse que les jours précédents (400 personnes) vote cependant une dernière fois la poursuite de la grève. Finalement le lendemain, 200 travailleurs présents à l’AG votent la reprise du travail.

Une semaine après le président d’Airbus annonçait le résultat des négociations avec l’Intersyndicale (à laquelle avaient été cooptés des représentants de la coordination): prime de 800 euros, 2,8% d’augmentation des salaires et bien sûr maintien du plan Power 8, de la cession du site de Méaultes à l’équipementier Latécoère (qui bénéficiera en outre en cette occasion d’aides publiques: voilà très concrètement qui l’Etat aide!). Et à peine élu Sarkozy venait à Toulouse annoncer son soutien à l’entreprise Airbus (et à son plan Power 8) recevant les «chaleureuses félicitations» des responsables FO...

 

La sale besogne du collaborationnisme syndical

 

Les prolétaires de Nantes et de Saint Nazaire ont fait preuve d’une combativité remarquable. L’échec de leur lutte est à mettre sur la responsabilité du travail de sape des forces d’encadrement de l’ordre capitaliste que sont les appareils syndicaux collaborationnistes. Dès le départ les syndicats majoritaires à Airbus France (FO, CGC et CFTC) comme leurs confrères en Allemagne, Grande Bretagne et Espagne, acceptant, comme ils le font toujours, les mesures anti-ouvrières de la direction ont oeuvré pour qu’elles passent en provoquant le moins de réactions possibles: l’intersyndicale a été le véritable état-major de la défaite ouvrière. Pour les travailleurs de Nantes et Saint Nazaire, FO, quasiment hégémonique sur ces sites, a été clairement perçu comme inféodé à la direction; pendant tout le conflit il n’a cessé de prêcher pour la reprise du travail, y compris comme on l’a vu en faisant venir dans ces 2 usines son représentant national de la branche (insulté et hué il a dû quitter honteusement l’AG).

Mais les syndicats minoritaires sont également collaborationnistes, même si cela a été moins apparent. La CFDT a joué le double jeu de participation au mouvement quand il était en pleine ascension, puis en jouant le rôle de sabotage dès qu’il a commencé à plafonner.

La pseudo-combativité affichée par la CGT a pu illusionner certains travailleurs et pourra lui permettre de marquer des points par rapport à ses concurrents; mais cette combativité de façade qui a consisté à suivre le mouvement né en dehors d’elle a vite montré ses limites: non seulement la CGT a appelé à la reprise du travail quand la direction a affirmé qu’une poursuite du mouvement risquait d’avoir des concessions sérieuses au niveau de la production du groupe dans son ensemble; mais de plus elle n’a jamais rien fait pour briser l’isolement des ouvriers de Loire-Atlantique en essayant d’étendre la lutte aux autre sites où elle est présente, notamment à Toulouse. De plus cette combativité de façade ne peut masquer l’influence modératrice qu’a eue la CGT sur les comités de grève et la coordination. C’est qu’à l’instar de tous ses compères, cette organisation fait dépendre la défense des travailleurs de celle de l’entreprise capitaliste, comme le prouve ce qu’elle écrit dans son hebdomadaire, «La Nouvelle Vie Ouvrière» du 11 mai: «La mobilisation de la CGT en faveur... [de la défense des prolétaires? Vous n’y pensez pas!] du développement de l’industrie aéronautique et spatiale s’amplifie»!

Enfin, la mise sur pied de comités de grève et d’une coordination par les travailleurs les plus combatifs est une initiative très significative; elle répondait au besoin ressenti par les grévistes de se donner une direction de lutte en qui avoir confiance, à la différence des pseudo-organisations ouvrières censées les défendre.

Mais ces comités de grève ont complètement manqué leur but en affirmant dès le début qu’ils se donnaient comme objectif d’être un lien entre les travailleurs et l’Intersyndicale. Avec l’idée sans doute de faire pression sur les syndicats, cela revenait en fait à se mettre à leur remorque alors même que ces syndicats sabotaient la lutte.

 Au lieu d’être une direction de la lutte, il était alors fatal qu’ils finissent pas être à la traîne de celle-ci, gagnant ainsi la récompense bien méritée de quelques strapontins à la table des négociations entre patrons et «social-traîtres»..

 

Le réformisme  d’extrême-gauche

 

Si les appareils syndicaux ont une fois de plus montré leur visage d’agents de la collaboration des classes et de la défense du système capitaliste, les diverses forces politiques ont elles aussi montré leur vraie nature. Le PS après avoir facilement condamné les parachutes dorés de Forgeard et cie - plaidoirie pour un capitalisme propre qui exploiterait les prolétaires sans enrichir à l’excès les capitalistes - s’est bien gardé de faire la moindre promesse d’aide aux travailleurs. Tandis que ses élus à Saint Nazaire attisaient le chauvinisme anti-allemand, sa solution, qu’est venue exposer à Toulouse Ségolène Royal, est restée au niveau de l’aide à l’entreprise Airbus (essentiellement, le participation des régions au financement du capital de celle-ci): parti bourgeois de gouvernement, il ne peut proposer que des recettes bourgeoises compatibles avec les nécessités économiques de l’entreprise.

Son compère de l’ex-Gauche plurielle, le PCF, a, lui, besoin de faire preuve d’un peu plus de démagogie. Son souci affirmé le premier étant la «défense de la filière aéronautique et spatiale française et européenne», le PCF avançait par la bouche de sa candidate la solution de la création d’un «groupe public européen», les Etats rachetant à Lagardère et Daimler leurs actions «hors prix du marché» (?), les Etats et les diverses institutions financières européennes prêtant ensuite à faible taux des capitaux à l’entreprise pour qu’elle se développe et crée des emplois. Conte de fées si absurde que le PCF n’a pas jugé utile d’essayer de lui donner la moindre apparence de crédibilité...

Les organisations trotskystes et d’extrême gauche ont fait de leur côté assaut de démagogie réformiste, plus ou moins habillée suivant les cas de phrases radicales,  mais sur le même air de défense de l’entreprise par sa nationalisation.

Le groupe trotskyste «La Riposte» (qui fait de l’entrisme dans le PCF) se lamente ainsi que «la pérennité industrielle de l’entreprise» soit sacrifiée au profit des intérêts financiers des actionnaires: «ces gens-là n’ont aucunement l’ambition d’assurer le développement de l’industrie aéronautique». Ah! si on écoutait «La Riposte» et qu’Airbus redevienne entreprise publique, on verrait ce que c’est que de développer l’industrie... De son côté, la LCR avançant tout comme LO l’interdiction des licenciements, propose «la nationalisation d’Airbus sous le contrôle des salariés et de leurs organisations syndicales [soyons raisonnables!] dans le cadre d’une entreprise publique aéronautique européenne».

Le Parti des Travailleurs est resté bien silencieux, en dépit - ou plutôt à cause - de son implantation dans FO, tant en Loire Atlantique que dans la branche aéronautique de ce syndicat. La préservation de quelques postes de bureaucrates syndicaux lui impose de ne pas combattre la pratique débridée de collaboration des classes de FO, c’est-à-dire de s’en faire le complice. Refusant de dénoncer le rôle de briseur de grève de FO et des autres appareils syndicaux, le PT préfère donc appeler à la renationalisation et dénoncer les véritables coupables:... les bureaucrates de Bruxelles! «Renationaliser Airbus, c’est permettre à l’Etat d’investir (...). C’est cela le progrès. Ce serait tant mieux pour l’Etat-nation et tant pis pour Bruxelles et les spéculateurs» (Fédération de Loire Atlantique du PT, 22/2/2007).

La même ritournelle est entonnée par des groupes qui se prétendent plus radicaux. Par exemple le Groupe Bolchevik qui dénonce régulièrement l’opportunisme des autres trotskystes, appelait en mars à la grève générale des travailleurs d’Airbus. Mais c’était pour ajouter, à la trotskyste, un «débouché politique» à la lutte: «seul le contrôle des ouvriers, techniciens, employés, ingénieurs [qui a-t-il oublié dans sa liste?] d’Airbus sur l’entreprise, et l’expropriation des capitalistes actionnaires à commencer par Daimler Chrysler et Lagardère, peut garantir durablement l’emploi». En préconisant le contrôle de chaque entreprise par ses employés et non la disparition des entreprises et du marché en même temps que la direction centralisée de l’économie, le GB avoue que son idéal n’est rien d’autre qu’un capitalisme démocratique...

De façon semblable, le «Courant intersyndical lutte de classe», animé par les maoïstes de Voie Prolétarienne (qui publient «Partisan»), appelant lui aussi en mars à la grève générale à Airbus et à EADS, terminait par la revendication de la «nationalisation d’Airbus, sans indemnités ni rachat» avec la vague affirmation du besoin de la construction d’un «rapport de forces» nécessaire pour imposer cela...

 

La leçon des grèves à Airbus: nécessité de la lutte de classe

 

Chacun à leur façon, tous ces groupes dont nous n’avons donné que quelques exemples significatifs diffusent les pires illusions réformistes (voire chauvines dans le cas du PT) sur les nationalisations et donc sur l’Etat bourgeois qui les réaliseraient: l’intervention de cet Etat dans l’économie pourrait se faire au profit des travailleurs et contre les capitalistes, à la condition d’exercer sur lui une pression suffisante par des luttes ou... des bulletins de vote. Comme si l’Etat bourgeois n’était pas l’outil par excellence du capitalisme, le défenseur ultime de l’ordre bourgeois et par conséquent l’ennemi irréductible des prolétaires!

Les prolétaires ne peuvent compter que sur leurs propres forces, pas sur l’Etat bourgeois ni sur les partis, petits ou grands, qui sèment des illusions à son sujet. Ils ne peuvent compter que sur leur propre organisation, sur leur propre détermination, pas sur les organisations collaborationnistes vendues au capitalisme et à leurs valets d’extrême gauche. Ils ne peuvent avoir comme objectif que la défense de leurs propres intérêts, pas les intérêts de l’entreprise, de l’économie régionale ou nationale. Les prolétaires ne peuvent avoir de soutiens et d’alliés dans leur combat que parmi les autres prolétaires, pas parmi des couches «populaires» petites-bourgeoises; ils doivent conduire leur lutte sans se laisser arrêter par des considérations étrangères à la défense de leurs intérêts comme les appels à la trêve électorale.

En bref, il leur faut revenir aux méthodes et aux moyens de la lutte de classe en rompant avec le collaborationnisme syndical et politique.

C’est ce qu’ont tenté instinctivement les travailleurs d’Airbus à Nantes et Saint Nazaire, en dépit d’une situation difficile. Dans l’immédiat cette tentative s’est soldée par un échec; mais cet échec lui-même peut être gros de succès futurs, à condition que les travailleurs aient la force d’en tirer les leçons pour les combats futurs qui ne manqueront pas.

La lutte est morte, vive la lutte!

 


 

(1) cf «Le Monde Diplomatique», juin 2007.

(2) cf «La Tribune», 29/5/2007

(3) Entre autres, Lagardère est devenu, avec Bouygues, actionnaire de «L’Humanité» à un moment où ce quotidien était en proie à une grave crise financière. Selon A. Gerson, administrateur de ce journal, ces deux grands capitalistes l’ont fait pour «des raisons morales, politiques, philosophiques», l’Huma étant un «patrimoine national» (reportage sur TV5, 6/10/2001). Ce qui est sûr, c’est que Lagardère avait eu la preuve sonnante et trébuchante que ce journal et le parti dont il est l’organe, n’étaient pas des adversaires du capitalisme!

On peut rappeler à ce propos qu’à l’origine l’Humanité de Jaurès avait été financée par des capitalistes (dont Rothschild) pour aider sa tendance «opportuniste» contre les «marxistes» de Guesde et Lafargue: invariance du réformisme antiprolétarien...

(4) Dépêche AFP du 9/5, reproduite par divers journaux.

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top