Trotsky

Crise et révolution

(«le prolétaire»; N° 494; Sept.-Oct.-Nov. 2009)

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Nous publions ici des extraits du «Rapport sur la crise économique mondiale et les tâches de l’Internationale Communiste», discours prononcé par Trotsky lors du IIIe Congrès de l’IC. Il va de soi que les différences par rapport à la situation actuelle sont énormes. Non seulement le capitalisme venait à peine de sortir d’une guerre mondiale, mais il en sortait avec face à lui un prolétariat qui avait pris le pouvoir en Russie et qui dans les pays capitalistes développés d’Europe reconstituait son parti de classe révolutionnaire, internationaliste et international. Ce seul fait posait déjà un obstacle objectif à l’expansion économique en mettant une limite à l’exploitation capitaliste. Un autre obstacle était, comme le souligne Trotsky, que le capitalisme n’avait pas réussi à élargir les bases de son expansion. Il faudra attendre le second conflit mondial pour qu’après le massacre des ouvriers européens et autres, après la disparition de toute trace du parti, après l’extension géographique du capitalisme au monde entier, celui connaisse des décennies de développement. Il est cependant intéressant de rappeler comment les communistes analysaient alors les rapports entre crise et révolution: il n’y a pas de lien automatique entre les deux, sans lutte de classe victorieuse, le capitalisme arrivera toujours à se rétablir, au prix de guerres et de massacres.

 

Du développement économique à la crise

 

Les économistes bourgeois et les réformistes qui ont intérêt à présenter la situation du capitalisme sous un aspect favorable, disent: «La crise actuelle ne prouve encore rien par elle-même. Au contraire, c’est un phénomène normal. Nous avons assisté après la guerre, à un développement industriel, en ce moment nous subissons une crise; par conséquent, le capitalisme vit et se développe».

En effet, le capitalisme vit de crises et de reprises, tout comme vit l’homme aspirant et en expirant tour à tour. D’abord nous assistons à un développement de l’industrie, ensuite nous avons un temps d’arrêt, une crise, après un temps d’arrêt dans la crise elle-même, une amélioration, une nouvelle période de développement, encore un temps d’arrêt, etc.

L’alternance des crises et des périodes de développement, avec tous leurs stades intermédiaires, forme un cycle ou un grand cercle du développement industriel. Chaque cycle embrasse une période de 8, 9, 10, 11 ans. Si nous étudions les 138 dernières années, nous nous apercevrons qu’à cette période correspondent 16 cycles. A chaque cycle correspond par conséquent un peu moins de 9 ans: 8,5. Par suite de ses contradictions intérieures, le capitalisme ne se développe pas en suivant une ligne droite, mais en zigzaguant: tantôt il se relève, tantôt il baisse. C’est précisément ce phénomène qui permet de dire aux apologistes du capitalisme: «Puisque nous assistons, après la guerre, aux reprises et aux crises qui alternent, il s’ensuit que tout va pour le mieux dans le monde capitaliste». Cependant, la réalité est tout autre. Le fait que le capitalisme continue à subir les mêmes fluctuations prouve tout simplement qu’il n’est pas encore mort et que nous n’avons pas encore affaire à un cadavre. Tant que le capitalisme n’aura pas été brisé par la révolution prolétarienne, il vivra les mêmes périodes de hausse et de baisse, il connaîtra les mêmes cycles. Les crises et les améliorations sont propres au capitalisme dès le jour de sa naissance; elles l’accompagneront jusqu’à sa tombe. Mais pour définir l’âge du capitalisme et son état général, pour pouvoir se rendre compte s’il se développe, s’il a atteint son âge mûr ou bien s’il touche à sa fin, il faut d’abord analyser le caractère des cycles en question, tout comme on juge de l’état de l’organisme humain d’après la façon dont il respire; tranquillement ou en haletant, profondément ou à peine, etc.

Le fond même de ce problème, camarades, peut être représenté de la façon suivante; prenons le développement du capitalisme (le progrès dans l’extraction du charbon, la fabrication des tissus, la production du fer et de la fonte, le commerce extérieur, etc.) pour les 138 dernières années et représentons-nous-le par une courbe. Si nous exprimons par les courbures de cette ligne la marche réelle du développement économique, nous nous apercevrons que cette courbe se relève non pas tout entière, mais en zigzags avec des hauts et des bas qui correspondent aux périodes de développement et de crises.

 Par conséquent, la courbe du développement économique met en évidence deux espèces de mouvements: l’un fondamental, qui exprime le relèvement général, l’autre de deuxième ordre, qui correspond aux fluctuations périodiques constantes, relatives aux 16 cycles d’une période de 138 ans. Pendant tout ce temps, le capitalisme a vécu en aspirant et expirant d’une façon différente, suivant les époques.

Au point de vue du mouvement de base, c’est-à-dire au point de vue du développement et du déclin du capitalisme, toute cette époque de 138 ans peut être divisée en 5 périodes: de 1783 à 1851, le capitalisme se développant très lentement, la courbe se relève très péniblement. Après la révolution de 1848, qui a élargi les cadres du marché européen, nous assistons à un tournant très brusque. Entre 1851 et 1873, la courbe monte tout d’un coup. En 1873, les forces productrices développées se heurtent aux limites du marché. Un krach se produit. Ensuite commence une période de dépression qui se prolonge jusqu’à 1894. Des fluctuations cycliques ont lieu aussi pendant cette période, mais la courbe de base reste approximativement au même niveau. A partir de 1894 commence une nouvelle époque de prospérité capitaliste, et presque jusqu’à la guerre la courbe remonte avec une rapidité vertigineuse. Enfin la débâcle de l’économie capitaliste au cours de la cinquième période commence à partir de l’année 1914.

De quelle façon le mouvement fondamental sur la trajectoire correspond-il aux fluctuations cycliques? On voit clairement que pendant les périodes de développement rapide du capitalisme, les crises sont courtes et ont un caractère superficiel ; quant aux époques de relèvement, elles sont prolongées. Pendant les périodes de déclin, les crises durent longtemps et les relèvements sont momentanés, superficiels et basés sur la spéculation. Aux heures de stagnation, les oscillations se produisent autour d’un même niveau.

Voilà comment il faut déterminer l’état général de l’organisme capitaliste, d’après le caractère particulier de sa respiration et de son pouls.

 

La crise, la reprise et la révolution

 

Les rapports entre la reprise économique, la crise et le développement de la révolution présentent pour nous un intérêt non seulement théorique, mais avant tout pratique. Un grand nombre parmi vous se rappellent que Marx et Engels, en 1851, lorsqu’une reprise se laissait constater dans toute sa puissance, ont écrit qu’il fallait considérer désormais la révolution de 1848 comme terminée ou, du moins comme interrompue jusqu’à une nouvelle crise. Engels a dit que la crise de 1847 était la mère de la révolution et que la reprise de 1849-1851 avait favorisé la marche victorieuse de la contre-révolution.

Toutefois, il serait faux et inexact d’expliquer ce jugement dans ce sens que les crises provoquent toujours une action révolutionnaire et que le relèvement a, au contraire, le don de calmer la classe ouvrière. La révolution de 1848 n’est pas née de la crise; cette dernière ne lui avait donné qu’une dernière impulsion. En réalité, la révolution a été provoquée par une contradiction entre les nécessités du développement capitaliste et les chaînes que l’Etat politique et social demi-féodal lui avait imposées. La révolution de 1848, partielle et indécise, a cependant effacé les dernières traces du régime, a cependant effacé les dernières traces du régime de servage et de corporations et a élargi ainsi le cadre du développement capitaliste.

C’est uniquement dans ces conditions que la reprise de 1851 peut être considéré comme le début d’une période de développement capitaliste, qui s’est prolongée jusqu’à l’année 1873.

Peut-on attendre le même résultat de la reprise de 1919-1920 ? Nullement. Aucun élargissement du cadre du développement capitaliste n’y est entré en ligne de compte. Cela veut-il dire que, dans un avenir plus ou moins prochain, toute  nouvelle reprise commerciale et industrielle est exclue?

 En aucune façon! J’ai déjà dit que le capitalisme aspirait et expirait aussi longtemps qu’il était en vie. Mais pendant la période dans laquelle nous sommes entrés, période de règlement des comptes relatifs aux destructions et aux ruines de la guerre, période de retour à l’état économique ancien, tout relèvement ne peut être que superficiel, d’autant plus qu’il est provoqué surtout par la spéculation, tandis que les crises vont devenir plus longues et plus profondes.

Dans ce cas, le rétablissement de l’équilibre capitaliste sur des bases nouvelles est-il possible?

Si nous admettons, pour un moment, que la classe ouvrière ne se lèvera pas pour une lutte révolutionnaire, mais permettra à la bourgeoisie, pendant de longues années, disons pendant 20 ou 30 ans, de diriger les destinées du monde, il n’est pas douteux qu’un certain équilibre nouveau pourrait être établi.

Cependant l’Europe subirait un grand recul. Des millions d’ouvriers européens seraient morts de chômage et de faim. Les Etats-Unis seraient obligés de chercher une orientation nouvelle sur le marché du monde, de regrouper leur industrie, de recruter pendant de longues années. Après l’établissement d’une nouvelle division du travail dans le monde, par cette voie douloureuse en 15, 20, 25 ans, une nouvelle époque du relèvement capitaliste pourrait, peut-être, commencer.

Mais tout ce raisonnement est abstrait et n’envisage qu’un aspect de la question. Nous présentons ici le problème comme si le prolétariat avait cessé de lutter.

Cependant il ne peut en être question, pour cette simple raison que l’opposition des classes a atteint, en ces dernières années, une intensité extraordinaire.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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