La nationalité de l’ouvrier n’est pas française, ni anglaise, ni allemande, c’est le travail, l’esclavage libre, le marchandage de soi-même.

Son gouvernement, n’est pas français, ni anglais, ni allemand, c’est le Capital. Son atmosphère natale n’est pas française, ni anglaise, ni allemande, c’est l’atmosphère de l’usine. Le sol qui lui appartient en propre n’est pas un sol français, ni anglais, ni allemand; il se trouve quelques pieds sous terre.

(Karl Marx, «Critique de l’Économie nationale» 1845)

(«le prolétaire»; N° 495; Déc. 2009 - Janv. - Févr. - Mars 2010)

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La campagne organisée pendant plusieurs mois par le gouvernement sur le thème de l’ «identité nationale» doit être bien comprise: au-delà des calculs politiciens immédiats, elle s’inscrit dans une situation où, à l’échelle européenne et mondiale, les gouvernements accentuent leurs efforts pour renforcer l’intoxication chauvine et les réflexes d’union nationale parmi les prolétaires.

Pour résister à une crise économique profonde et éviter qu’elle se transforme en crise sociale, il est vital pour les bourgeois de convaincre les travailleurs d’accepter des sacrifices en faveur d’un supposé «intérêt national» censé être commun à tous et au dessus de tous les «égoïsmes» de classe. L’hostilité envers les travailleurs étrangers est un des objectifs essentiels de toute campagne nationaliste. Faisant miroiter aux travailleurs autochtones une situation supérieure à celle des travailleurs immigrés, elle dresse ces deux catégories de prolétaires l’une contre l’autre, paralysant ainsi toute action de classe unie contre les capitalistes. Marx faisait déjà remarquer à son époque que l’hostilité entre ouvriers anglais et irlandais était un des secrets du maintien de la domination de la classe bourgeoise dans ce pays (1). Depuis, dans tous les Etats capitalistes les bourgeois ont appris à susciter mille rivalités au sein du prolétariat pour l’affaiblir, la rivalité suivant la nationalité étant l’une des plus efficaces et des plus difficiles à surmonter. Les campagnes anti-islamiques récurrentes font partie intégrante de cet effort constant pour diviser les prolétaires entre eux, les travailleurs immigrés étant majoritairement adeptes de cette religion; ces campagnes alimentant et s’appuyant sur le sentiment dont parlait Lénine de «supériorité nationale» chez travailleurs autochtones par rapport aux travailleurs immigrés perçus comme incultes, barbares, arriérés. Le travailleur français qui croit dur comme fer aux illusions démocratiques, aux superstitions nationales et à la bonté supérieure de l’Etat, sera disposé à se serrer la ceinture pour sauver l’économie capitaliste; mais il n’aura que mépris pour son camarade de travail qui jeûne au moment du Ramadan! Ce que veut la classe dominante, c’est que l’un et l’autre acceptent les diktats du capital, que ce soit au nom de la démocratie nationale ou au nom d’Allah, et qu’ils ne s’unissent pas pour leur résister...

L’opposition aux divisions nationales, aux campagnes sur l’identité nationale et aux discriminations envers les prolétaires étrangers, intéresse au premier chef les prolétaires car c’est l’unité du prolétariat et donc sa capacité à reprendre la voie de la lutte de classe qui est en jeu. La position de classe sur cette question n’a par conséquent rien à voir avec les positions démocratiques, humanitaires ou charitables qui sont aujourd’hui majoritaires. Les travailleurs immigrés sont les frères de classe des prolétaires français et la solidarité de classe envers eux est un besoin impérieux pour la lutte prolétarienne; ce ne sont des combattants de classe qu’il ne faut pas laisser entre les griffes de l’adversaire capitaliste, et non des malheureux dont il faut avoir pitié au nom des principes de la morale, de la Démocratie ou de la Justice immanentes...

 

Une «journée sans immigrés» et sans... lutte

 

La «journée sans immigrés» prévue pour le premier mars a donné l’exemple parfait de ce que signifie l’absence de toute position de classe. Cette initiative n’a eu qu’un pâle succès d’estime; selon la presse, quelques centaines de personnes se sont rassemblées dans quelques villes. Elle avait pourtant non seulement reçu le soutien du PS, de la CFDT, FSU, SUD, Syndicat de la Magistrature, etc. ainsi que du NPA de Besancenot, mais elle avait également bénéficié d’un éclairage médiatique important et tout à fait inhabituel: première page du quotidien Le Monde et articles dans pratiquement toute la presse.

Cette sollicitude apparemment inattendue s’explique par la nature même de l’initiative: une initiative petite bourgeoise, qui pouvait être bien utile comme contre-feu ou dérivatif aux tensions sociales qui se manifestent dans ce secteur particulièrement exploité de la classe ouvrière.

Présentant leur action comme une initiative «citoyenne», c’est-à-dire individuelle, démocratique et pacifiste («contre les tensions entre les citoyens de notre pays»), les initiateurs invoquaient dans leurs déclarations les «valeurs de la république» et le «rayonnement de la France» (2). Comptant sur la mobilisation virtuelle des réseaux sociaux (Facebook et autres Twitter) et à l’inverse de ce qui s’est passé en Italie (3), ils ne voulaient pas parler de grève (préférant mettre l’accent sur... le refus de la consommation), et ils ont refusé d’organiser des manifestations pour «éviter les débordements».

Les débordements qu’ils redoutaient évidemment, c’étaient ceux qui auraient été causés par la présence des prolétaires immigrés en grève et en lutte! S’ils critiquaient la campagne sur l’identité nationale qui stigmatise de fait les immigrés et leurs descendance, les organisateurs ont en effet soigneusement évité de mentionner tout ce qui pouvait évoquer, non seulement les luttes en cours, mais plus simplement tout ce qui a trait aux problèmes et à la condition prolétariennes des travailleurs immigrés, avec ou sans-papiers.

 

Sans-papiers: intérêts communs entre la CGT et le patronat

 

Pendant ce temps, ignorés des organisateurs de la «journée sans immigrés» des milliers de travailleurs immigrés sans papiers continuaient leurs grèves en région parisienne. Le mouvement, commencé en octobre, est chapeauté par la CGT, épaulée par une série d’autres syndicats et organisations (CNT, SUD, Réseau Education Sans Frontières, NPA, etc.). Comme nous l’écrivions dans le n° précédent du Prolétaire, la CGT avait clairement défini comme objectif, non la régularisation de tous les sans-papiers, mais l’obtention... d’une circulaire définissant de façon précise et homogène les conditions de la régularisation! Et pour ce faire elle a longuement négocié avec le ministère. Une telle orientation stérilisait complètement le mouvement et faisait le jeu du gouvernement, comme on a pu le constater lorsque la fameuse circulaire a été publiée fin novembre: elle est encore plus restrictive. Alors que la CGT n’a organisé aucune action de solidarité auprès des travailleurs français, la répression patronale et étatique a eu raison de la plupart des piquets de grève. Si les grévistes ont ouvertement rejeté la revendication d’une nouvelle circulaire pour demander la régularisation de tous (ce qui était en réalité leur revendication de départ), le gouvernement joue le pourrissement de la lutte, bien conscient qu’il n’a rien à redouter de la CGT. Nouvelle démonstration: la manifestation du 13 février avait été organisée par la CGT en direction du siège du MEDEF. Pour quelle raison? Pour chercher le soutien du patronat à la régularisation des travailleurs sans-papiers, selon ce qu’affirme en toute lettre la CGT elle-même! F. Blanche, dirigeante confédérale chargée de cette question a même déclaré à propos des patrons: «Nos intérêts se rejoignent, arrêtons l’idéologie et traitons cette question économique» (4)! Finalement une déclartion commune a été signée par la CGT et certaines organisations patronales.

Les bonzes syndicaux défendent une communauté d’intérêts avec les patrons; mais les intérêts des prolétaires, avec ou sans-papiers, sont absolument antagoniques à ceux des patrons. L’orientation de collaboration des classes de la CGT et de ses flanc-gardes qui voudrait faire croire à un mythique intérêt commun entre exploiteurs et exploités, ne peut entraîner que la défaite des luttes ouvrières, car c’est toujours l’intérêt prolétarien qui est en fin de compte sacrifié. C’est seulement en se mobilisant pour la défense exclusive de leurs intérêts de classe que les prolétaires peuvent trouver la force nécessaire pour lutter contre les patrons et leur Etat; c’est sur cette base qu’ils peuvent trouver et étendre la solidarité de classe des autres travailleurs, la seule réelle et efficace. Le soutien humanitaire des intellectuels et les mouvements petit-bourgeois qui veulent éliminer les tensions entre citoyens (c’est-à-dire la lutte entre les classes) ne vaut rien face à la détermination des bourgeois qui, eux, savent parfaitement défendre leurs intérêts de classe.

 Bourgeois contre prolétaires, classe contre classe: voilà la seule orientation qui doit guider les prolétaires dans les luttes quotidiennes contre l’exploitation et la répression capitalistes.

Elle signifie la rupture avec la collaboration des classes, c’est-à-dire avec les idéologies et les pratiques démocratiques, légalistes, pacifistes et nationales, avec la concurrence entre prolétaires de diverses nationalités, religions, sexes, âges, avec les divisions corporatives et d’entreprise, entre chômeurs et occupés, entre travailleurs précaires et fixes. Et par conséquent la rupture avec toutes les organisations qui défendent la collaboration des classes dans les rangs ouvriers, à plus forte raison si elles se prétendent défenseurs des travailleurs, anticapitalistes ou révolutionnaires.

 

·Pour la régularisation immédiate de tous les sans-papiers, la fin de toutes les discriminations, la libération des sans-papiers emprisonnés, l’arrêt des expulsions!

·Pour l’unité des prolétaires de toutes nationalités!

·Pour la reprise de la lutte de classe anticapitaliste!

·Pour la reconstitution du parti de classe, internationaliste et international!

·Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!

 


 

(1) L’Irlande était alors une colonie de la Grande-Bretagne et les ouvriers anglais étaient largement contaminés par les préjugés colonialistes vis-à-vis des ouvriers irlandais: ceux-ci les voyaient comme des partisans de leur oppression. Marx conclura que la lutte pour l’indépendance de l’Irlande était la condition pour rendre possible l’unité entre ouvriers des deux nationalités.

(2) Citation tirées du «Manifeste pour la journée sans immigrés».

(3) En Italie, après les événements de Rosarno dont nous parlons dans d’autres articles ainsi que d’autres affrontements qui ont eu lieu à Milan, divers syndicats et partis se sont associés à la journée de grèves et de manifestations - évidemment dans le but de la contrôler: pour faire retomber la tension, une initiative virtuelle inoffensive ne suffisait pas.

(4) Voir sur le site de la CGT: www.cgt.fr/spip.php?article36913

(5) Ibidem

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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