Le communisme révolutionnaire et l’attitude par rapport aux élections

(«le prolétaire»; N° 502; Février - Avril 2012)

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La faillite retentissante de la Deuxième Internationale au moment de l’éclatement de la première guerre mondiale, lorsque les partis qui en étaient membres s’alignèrent sur leur propre bourgeoisie en reniant tous les enseignements du marxisme et du mouvement ouvrier, imposa que la nouvelle Internationale (constituée en 1919) et les nouveaux partis communistes se fondent sur des bases programmatiques sans équivoque. Les Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat adoptées à son premier Congrès rappelaient que les socialistes avaient toujours «exprimé cette idée, formulée de la manière la plus scientifique par Marx et Engels, à savoir que la république bourgeoise la plus démocratique n’est rien d’autre qu’un appareil permettant à la bourgeoisie de réprimer la classe ouvrière, permettant à une poignée de capitalistes d’écraser les masses laborieuses». Evoquant la Commune de Paris elles ajoutaient: «C’est justement Marx qui a apprécié mieux que quiconque la portée historique de la Commune et a montré dans son analyse le caractère exploiteur de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme bourgeois, lorsque les masses opprimées se voyaient le droit, une fois en quelques années, de choisir le représentant des classes possédantes qui “représentera et opprimera” le peuple au Parlement». Cependant la tactique à suivre par rapport aux élections ne fut discutée que lors du Congrès suivant, en 1920. Les bolcheviks y défendirent la tactique dite du «parlementarisme révolutionnaire» qui préconisait la participation électorale non seulement pour utiliser la «tribune» constituée par le Parlement, mai aussi pour détruire celui-ci «de l’intérieur». Le courant dont nous nous revendiquons, la Gauche communiste d’Italie, soutint au contraire que la lutte contre les illusions démocratiques et électorales, particulièrement puissantes et nocives dans les pays capitalistes développés, demandaient de suivre une tactique abstentionniste. La thèse des bolcheviks l’emporta alors, mais l’histoire ultérieure a démontré que c’était la Gauche communiste qui avait raison; les illusions démocratiques et électoralistes dominent toujours les prolétaires et elles demandent  à être combattues avec encore plus d’énergie et de ténacité qu’hier.

Renvoyant à notre brochure «La question parlementaire dans l’Internationale Communiste» (brochure Le Prolétaire n° 19) pour une documentation détaillée, nous publions ci-dessous un extrait des Thèses adoptées par l’Internationale, suivies par les Thèses présentées par notre courant. Le lecteur pourra constater qu’en dépit des divergences tactiques, il existait un accord de principe contre l’électoralisme - à mille lieues des positions de la prétendue «extrême gauche» d’aujourd’hui.

  

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COMMUNISME, LUTTE POUR LA DICTATURE DU PROLETARIAT ET «POUR L’UTILISATION» DES PARLEMENTS BOURGEOIS

 

1. Le gouvernement parlementaire est devenu la forme «démocratique» de la domination de la bourgeoisie qui, à un certain degré de son développement, a besoin de la fiction d’une représentation populaire. Apparaissant extérieurement comme l’organisation d’une «volonté du peuple» au-dessus des classes, elle n’est en fait qu’un instrument de coercition et d’oppression aux mains du Capital.

2. Le parlementarisme est une forme déterminée de l’Etat. Aussi ne convient-il en aucun cas à la société communiste qui ne connaît ni classes, ni lutte de classe, ni pouvoir gouvernemental d’aucune sorte.

3. Le parlementarisme ne peut pas être non plus la forme du gouverne ment «prolétarien» dans la période de transition de la dictature de la bourgeoisie à la dictature du prolétariat. Au moment le plus grave de la lutte de classe, lorsque celle-ci se transforme en guerre civile, le prolétariat doit inévitablement bâtir sa propre organisation gouvernementale comme une organisation de combat dans laquelle les représentants des anciennes classes dominantes ne seront pas admis; dans cette phase, toute fiction de volonté populaire est nuisible au prolétariat; celui-ci n’a nul besoin de la séparation parlementaire des pouvoirs, qui ne pourrait que lui être néfaste. La République des Soviets est la forme de la dictature du prolétariat.

4. Les Parlements bourgeois, qui constituent un des principaux engrenages de la machine d’Etat de la bourgeoisie, ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l’Etat bourgeois en général La tâche du prolétariat est de faire sauter la machine d’Etat de la bourgeoisie, de la détruire, y compris les institutions parlementaires, que ce soit celles des républiques ou celles des monarchies constitutionnelles.

5. Il en est de même des institutions municipales de la bourgeoisie, qu’il est théoriquement faux d’opposer aux organes de l’Etat. En réalité, elles font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie et doivent donc être détruites et remplacées par des Soviets locaux de députés ouvriers.

6. Le communisme se refuse donc à voir dans le parlementarisme une des formes de la société future; il se refuse à y voir la forme de la dictature de classe du prolétariat; il nie la possibilité de la conquête durable des Parlements; il se donne pour but l’abolition du parlementarisme. Il ne peut dès lors être question de l’utilisation des institutions de l’Etat bourgeois qu’en vue de leur destruction. C’est dans ce sens et uniquement dans ce sens que la question peut être posée.

 

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7. Toute lutte de classe est une lutte politique, car elle est, en fin de compte, une lutte pour le pouvoir. Toute grève qui s’étend à un pays entier devient une menace pour l’Etat bourgeois et acquiert par là même un caractère politique. S’efforcer de renverser la bourgeoisie et de détruire l’Etat bourgeois, c’est soutenir une lutte politique. Créer un appareil prolétarien, de classe, quel qu’il soit, en vue de gouverner et de réprimer la résistance de la bourgeoisie, c’est conquérir le pouvoir politique.

8. La lutte politique ne se réduit donc nullement à une question d’attitude à l’égard du parlementarisme. Elle embrasse toute la lutte de classe du prolétariat, pour autant que cette lutte cesse d’être locale et partielle et tende au renversement du régime capitaliste en général.

9. La méthode fondamentale de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, c’est-à-dire contre son pouvoir d’Etat, est avant tout celle des actions de masse. Ces dernières sont organisées et dirigées par les organisations de masse du prolétariat (syndicats, partis, soviets), sous la conduite générale du Parti communiste, solidement uni, discipliné et centralisé. La guerre civile est une guerre. Dans cette guerre, le prolétariat doit avoir un bon corps politique d’officiers et un état-major politique efficace qui dirige toutes les opérations dans tous les domaines de l’action.

10. La lutte des masses constitue tout un système d’actions en développement continuel qui prennent des formes toujours plus dures et conduisent logiquement à l’insurrection contre l’Etat capitaliste. Dans cette lutte de masse appelée à se transformer en guerre civile, le parti dirigeant du prolétariat doit, en règle générale, fortifier toutes ses positions légales, en faire des points d’appui secondaires de son action révolutionnaire et les subordonner au plan de la campagne principale, c’est-à-dire à la lutte des masses.

11. La tribune du Parlement bourgeois est un de ces points d’appui secondaires. On ne peut en aucun cas invoquer contre l’action parlementaire le fait que le Parlement est une institution de l’Etat bourgeois. En effet, le Parti communiste n’y entre pas pour se livrer à une activité organique, mais pour aider les masses, de l’intérieur du Parlement, à détruire par leur action propre la machine d’Etat de la bourgeoisie et le parlement lui-même. (Exemples: l’action de Liebknecht en Allemagne, celle des bolcheviks à la Douma tsariste, à la «Conférence démocratique» et au «Préparlement» de Kerenski, à l’Assemblée Constituante, dans les municipalités; enfin, l’action des communistes bulgares).

12. Cette action parlementaire, qui consiste essentiellement à utiliser la tribune parlementaire à des fins d’agitation révolutionnaire, à dénoncer les manoeuvres de l’adversaire, à grouper autour de certaines idées les masses emprisonnées dans les illusions démocratiques et qui, surtout dans les pays arriérés, tournent encore leurs regards vers la tribune parlementaire, cette action doit être totalement subordonnée aux buts et aux tâches de la lutte extraparlementaire des masses.

La participation aux campagnes électorales et la propagande révolutionnaire du haut de la tribune parlementaire ont une importance particulière pour la conquête politique des milieux de la classe ouvrière qui, comme les masses laborieuses rurales, sont restés jusqu’ici à l’écart de la vie politique.

13. Les communistes, s’ils obtiennent la majorité dans les municipalités, doivent: a) conduire une opposition révolutionnaire contre le pouvoir bourgeois central; b) s’efforcer d’aider par tous les moyens la partie la plus pauvre de la population (mesures économiques, création ou tentative de création d’une milice ouvrière armée, etc...); c) révéler en toute occasion les obstacles dressés par l’Etat bourgeois à toute réforme radicale; d) développer sur cette base une propagande révolutionnaire énergique sans craindre le conflit avec le pouvoir bourgeois; e) dans certaines circonstances, remplacer les municipalités par des soviets de députés ouvriers. Toute l’action des communistes dans les municipalités doit donc s’intégrer à leur activité générale pour le renversement de l’Etat capitaliste.

14. La campagne électorale ne doit jamais être une chasse au plus grand nombre possible de sièges parlementaires, mais une mobilisation révolutionnaire des masses sur les mots d’ordre de la révolution prolétarienne. La lutte électorale ne doit pas être le fait des seuls dirigeants du Parti, l’ensemble de ses membres doit y prendre part. Tout mouvement des masses doit être utilisé (grèves, manifestations, effervescence dans l’armée et la flotte, etc.); on établira avec ce mouvement un contact étroit. Toutes les organisations prolétariennes de masse doivent être mobilisées pour un travail actif.

15. Lorsque ces conditions, ainsi que celles qui sont contenues dans des instructions particulières, sont observées, l’activité parlementaire se trouve en complète opposition avec l’écoeurante politicaillerie des partis social-démocrates de tous les pays, dont les députés vont au Parlement pour soutenir cette «institution démocratique» ou, dans le meilleur des cas, pour la «conquérir». Le Parti communiste ne peut admettre que l’utilisation exclusivement révolutionnaire du parlementarisme, à la manière de Karl Liebknecht, de Hoeglund et des Bolcheviks.

( Point II des Thèses de l’Internationale sur «Le Parti Communiste et le parlementarisme». Souligné dans le texte.)

 

Thèses sur le Parlementarisme de la Fraction Communiste Abstentionniste

 

1. Le Parlement est la forme de représentation politique propre au régime capitaliste. La critique de principe que font ont les communistes marxistes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise en général démontre que le droit de vote ne peut empêcher que tout l’appareil gouvernemental de l’Etat ne constitue le comité de défense des intérêts de la classe capitaliste dominante. En outre, bien que ce droit soit accordé à tous les citoyens de toutes les classes sociales dans les élections aux organes représentatifs de l’Etat, ce dernier ne s’en organise pas moins en instrument historique de la lutte bourgeoise contre la révolution prolétarienne.

2. Les communistes nient carrément que la classe ouvrière puisse conquérir le pouvoir en obtenant la majorité parlementaire. Seule la lutte révolutionnaire armée lui permettra d’atteindre ses objectifs. La conquête du pouvoir par le prolétariat, point de départ de l’oeuvre de construction économique communiste, implique la suppression violente et immédiate des organes démocratiques qui seront remplacés par les organes du pouvoir prolétarien: les Conseils ouvriers. La classe des exploiteurs étant ainsi privée de tout droit politique, le système de gouvernement et de représentation de classe, la dictature du prolétariat, pourra se réaliser. La suppression du parlementarisme est donc un but historique du mouvement communiste. Nous disons plus: la première forme de la société bourgeoise qui doit être renversée, avant la propriété capitaliste et avant la machine bureaucratique et gouvernementale elle-même, c’est précisément la démocratie représentative.

3. Ceci vaut également pour les institutions municipales et communales de la bourgeoisie qu’il est faux au point de vue théorique d’opposer aux organes de gouvernement, leur appareil étant en fait identique au mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie. Le prolétariat révolutionnaire doit également les détruire et les remplacer par les Soviets locaux de députes ouvriers.

4. Alors que l’appareil exécutif militaire et politique de l’Etat bourgeois organise l’action directe contre la révolution prolétarienne, la démocratie constitue un moyen de défense indirecte en répandant dans les masses l’illusion qu’elles peuvent réaliser leur émancipation par un processus pacifique et que l’Etat prolétarien peut lui aussi prendre la forme parlementaire, avec droit de représentation pour la minorité bourgeoise. Le résultat de cette influence démocratique sur les masses prolétariennes a été la corruption du mouvement socialiste de la Deuxième Internationale dans le domaine de la théorie comme dans celui de l’action.

5. Actuellement, la tâche des communistes dans leur oeuvre de préparation idéologique et matérielle de la révolution est avant tout de libérer le prolétariat de ces illusions et de ces préjugés répandus dans ses rangs avec la complicité des vieux leaders social - démocrates qui le détournent de sa voie historique. Dans les pays où le régime démocratique existe déjà depuis longtemps et s’est profondément ancré dans les habitudes des masses et dans leur mentalité tout comme dans celle des partis social-démocrates traditionnels, cette tâche revêt une importance particulière et vient au premier rang des problèmes de la préparation révolutionnaire.

6. Dans la période où la conquête du pouvoir ne se présentait pas comme une possibilité proche pour le mouvement international du prolétariat et où ne se posait pas non plus le problème de sa préparation directe à la dictature, la participation aux élections et l’activité parlementaire pouvait encore offrir des possibilités de propagande, d’agitation, de critique. D’autre part, dans les pays où la révolution bourgeoise est encore en cours et crée des institutions nouvelles, l’intervention des communistes dans les organes représentatifs en formation peut offrir la possibilité d’influer sur le développement des événements pour que la révolution aille jusqu’à la victoire du prolétariat.

7. Dans la période historique actuelle (ouverte par la fin de la guerre mondiale avec ses conséquences sur l’organisation sociale bourgeoise; par la révolution russe, première réalisation de la conquête du pouvoir par le prolétariat, et par la constitution de la nouvelle Internationale en opposition au social-démocratisme des traîtres) et dans les pays où le régime démocratique a depuis longtemps achevé sa formation, il n’existe plus, au contraire, aucune possibilité d’utiliser la tribune parlementaire pour l’oeuvre révolutionnaire des communistes, et la clarté de la propagande non moins que la préparation efficace de la lutte finale pour la dictature exigent que les communistes mènent une agitation pour le boycottage des élections par les ouvriers.

8. Dans ces conditions historiques, le problème central étant devenu la conquête révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat, toute l’activité politique du parti de classe doit être consacrée à ce but direct. Il est nécessaire de briser le mensonge bourgeois qui veut que tout heurt entre les partis politiques adverses, toute lutte pour le pouvoir se déroule dans le cadre du mécanisme démocratique, à travers les élections et les débats parlementaires. On ne pourra y parvenir sans rompre avec la méthode traditionnelle qui consiste à appeler les ouvriers à voter - côte à côte avec les membres de la classe adverse -, sans mettre fin au spectacle de délégués du prolétariat travaillant sur le même terrain parlementaire que ses exploiteurs.

9. La dangereuse conception qui réduit toute action politique à des luttes électorales et à l’activité parlementaire n’a été que trop répandue par la pratique ultraparlementaire des partis socialistes traditionnels. D’autre part, le dégoût du prolétariat pour cette pratique de trahison a préparé un terrain favorable aux erreurs des syndicalistes et des anarchistes qui dénient toute valeur à l’action politique et aux fonctions du parti. C’est pourquoi les partis communistes n’obtiendront jamais un large succès dans la propagande pour la méthode révolutionnaire marxiste s’ils n’appuient pas leur travail direct pour la dictature du prolétariat et pour es Conseils ouvriers sur l’abandon de tout contact avec l’engrenage de la démocratie bourgeoise.

10. La très grande importance attribuée en pratique à la campagne électorale et à ses résultats, le fait que pour une période fort longue le parti lui consacre toutes ses forces et toutes ses ressources (hommes, presse, moyens économiques) concourt, d’un côté, malgré tous les discours publics et toutes les déclarations théoriques, à renforcer la sensation que c’est bien là l’action centrale pour les buts communistes et, de l’autre, provoque l’abandon presque complet du travail d’organisation et de préparation révolutionnaire, donnant à l’organisation du parti un caractère technique tout à fait contraire aux exigences du travail révolutionnaire légal ou illégal.

11. Pour les partis qui, par décision de la majorité, sont passés à la IIIe Internationale, le fait de continuer l’action électorale interdit la sélection nécessaire; or, sans l’élimination des éléments social-démocrates, la IIIe Internationale manquera à sa tâche historique et ne sera pas l’armée disciplinée et homogène de la révolution mondiale.

12. La nature même des débats au parlement et autres organes démocratiques exclut toute possibilité de passer à la critique de la politique des partis adverses, à une propagande contre le principe même du parlementarisme, à une action qui dépasse les limites du règlement parlementaire. De la même manière il est impossible d’obtenir le mandat qui donne le droit à la parole si l’on refuse de se soumettre à toutes les formalités établies par la procédure électorale. Le succès de l’escrime parlementaire ne sera que fonction de l’habileté à manoeuvrer l’arme commune des principes sur lesquels se fonde l’institution elle-même et des astuces du règlement; de même, le succès de la campagne électorale se jugera toujours et uniquement sur le nombre de voix ou de mandats obtenus. Tous les efforts des partis communistes pour donner un caractère tout à fait différent à la pratique du parlementarisme ne pourront pas ne pas conduire à l’échec les énergies dépensées dans ce travail de Sisyphe.

La cause de la révolution communiste exige instamment qu’elles se dépensent au contraire sur le terrain de l’attaque directe du régime de l’exploitation capitaliste.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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