Cuba

Il y a des lustres, «passait un joyeux charretier...»

(«le prolétaire»; N° 504; Août - Octobre 2012)

Retour sommaires

 

 

Avec ce titre nous évoquons la musique cubaine (1), mais surtout l’image de l’île du sucre, du tabac et du café qui à l’époque du Comecon (organisation économique associant les pays du bloc soviétique) était moins soumise qu’aujourd’hui aux pressions du marché mondial. Réveillée du rêve (ou du cauchemar) du «socialisme dans un seul pays», l’île de la musique et du soleil, de la promenade au bord de mer, des palmiers et des plages de sable blanc, se rend compte que son enviable exubérance tropicale ne faisait que cacher une faiblesse et une précarité matérielles que le «socialisme cubain» n’avait jamais fait disparaître; et si la situation actuelle ne garantit ni le maintien de la paix sociale ni la stabilité économique, il est grand temps que le prolétariat sorte de son sommeil et commence à prendre le chemin de la lutte...

Avant la crise de la Russie et de ses satellites, le travailleur cubain pouvait accéder, avec le système du «livret» (rationnement) et des produits subventionnés, à une consommation minimum. Le Monde (2) rapportait l’opinion d’un ouvrier cubain sur ces subventions: «au moins grâce à elles, nous évitons que nos jeunes se transforment en torches vivantes», en faisant allusion aux immolations qui ont été à l’origine du «printemps arabe».

Mais depuis la chute du mur de Berlin, l’implosion de l’URSS et du Comecon (qui représentait 80% de la balance commerciale cubaine), ces subventions n’ont cessé de se réduire et elles sont en voie de disparition. Il en va de même pour les produits inscrits dans le «livret». En 1993, avec la disparition de 5 milliards de dollars d’aides diverses jusque là fournies par l’URSS, la crise s’exacerba, les rationnements s’aggravèrent en même temps que se répandaient les pénuries: l’île se trouvait à genoux. Les conséquences ne se firent pas attendre: un an après éclate un violent affrontement social, rapidement et efficacement étouffé, mais qui provoqua un fort mouvement d’émigration vers les Etats-Unis sur des embarcations de fortune.

Devant cette situation de disparition du chiche «Etat-providence» soviétique, les autorités cubaines décidèrent de réaliser une série d’ouvertures aux marchés occidentaux traditionnels. Ce fut l’époque de la dite «Période spéciale» dont le résultat essentiel fut la création d’une masse énorme de force de travail susceptible d’être exploitée et de permettre ainsi la croissance économique dont Cuba a un besoin urgent: c’est sur le force de travail vivante que croît la plant du Capital! Progressivement, malgré divers retours en arrière et suspensions des mesures prises, les autorités en sont arrivées au plan actuel dont la mesures essentielle est la réduction drastique du nombre de fonctionnaires. Cependant cette mesure (500 000 emplois à éliminer sur un total de 4 - 5 millions) annoncée par Raul Castro en 2010, a été adoucie et le nombre d’emplois à supprimer a été réduit, évidemment par crainte des conséquences connues après l’effondrement soviétique (3). Il faut ajouter qu’une bonne partie des fonctionnaires restants, à cause de leur salaire de misère sont conduits à essayer de trouver d’autres emplois (étant donné que «comme l’Etat fait semblant de nous payer, nous faisons semblant de travailler»). La mesure de réduction du nombre des fonctionnaires a déjà concerné plus de 300 000 personnes (dont 130 000 en 2011, et 112 000 en 2012) qui ont été incitées à devenir des «travailleurs indépendants», statut leur permettant d’acheter de la force de travail. Le gouvernement fournit des permis et autres patentes pour exercer «librement» près de 200 «petites métiers» qui vont de la prestation de divers services domestiques, restauration, location de chambres à la vente de glaces dans la rue.

Il ne fait aucun doute qu’une bonne partie des «travailleurs indépendants» sont destinés à être absorbés par le secteur touristique qui constitue l’une des plus importantes sources de revenu de Cuba. Pour les autorités, ceci n’est pas en contradiction avec les principes communistes qu’ils prétendent suivre: «ils ne croient pas qu’il y ait [à Cuba] l’exploitation de l’homme par l’homme», selon un membre de la Présidence de la Commission de Travail Politique et Idéologique qui «a nié qu’on soit en train de violer l’article de la Constitution qui interdit l’exploitation de l’homme par l’homme dans le cas des travailleurs qui fournissent contre un salaire leur force de travail à une autre personne jouissant du statut de travailleur indépendant» (4). Etant donné que le salaire est la base de l’exploitation capitaliste, nous ne savons pas au nom de quels principes parlent les autorités cubaines!

 

Un appareil productif limité

 

Selon une déclaration officielle du VIe Congrès du PC Cubain (avril 2011): « La crise économique qui a commencé en 2008 a été une cause des réformes modestes vers le marché introduites ces dernières années (...). Cuba affronte une crise sévère, quoique pas aussi grave que celle de 1993-94 liée à l’effondrement de l’URSS. En 2010 l’économie a progressé de 2%, le tiers de la moyenne régionale (...). La formation de capital brut a diminué pour la deuxième année consécutive de 10% (...). La liquidité monétaire a augmenté de 42%, deux fois plus qu’en 1989. Bien que la balance des paiements se soit un peu améliorée, les termes de l’échange se sont détériorés pour la troisième année consécutive (en raison de l’augmentation des prix du pétrole et des produits alimentaires, la dette extérieure s’est élevée à 14,3 milliards de dollars, trois fois plus qu’en 1989) et la dépendance de Cuba vis-à-vis du Venezuela a augmenté. La construction de logements a diminué jusqu’à la moitié du taux pour mille habitants atteint en 1989. Le chômage ouvert s’est maintenu à 1,6% mais en réalité il était de 11,6% en raison de l’excédent de main d’oeuvre étatique» (5). Seules les statistiques à Cuba sont en rouge...

Il faut préciser que l’amélioration de la balance des paiements est due surtout à l’exportation de services et de personnes vers d’autres pays; il y a des dizaines de milliers de cubains qui travaillent en dehors du pays comme médecins, entraîneurs sportifs ou techniciens agricoles, que ce soit en Amérique Latine ou dans certains pays africains. Cela ne peut masquer le profond déséquilibre commercial qui marque les échanges extérieurs du pays, entre les produits vendus et ceux achetés.

Toutes ces données s’expliquent en grande partie par la débilité de l’appareil productif et en général des ressources de l’économie cubaine: «Nickel, Services médicaux (70 000 médecins cubains travaillent au Venezuela et en Angola), biotechnologie, tourisme, et enfin les envois d’argent par les 2 millions de cubains immigrés» (6). Sur cette base il est plus facile de faire des plans de coupures que des plans sociaux!

La production agricole n’est pas moins calamiteuse. Elle n’avait jamais été remarquable à l’époque du Comecon et l’Etat russe n’a jamais eu pour priorité de sortie Cuba de la mono-production, de la dépendance et de l’arriération industrielle. En outre il faut savoir que 80% de la population cubaine vit dans les villes, à la suite de l’exode rural du à l’échec de la réforme agraire. Tout cela a précipité le déclin de la production des denrées de première nécessité, déprimé les rares industries existantes comme celle du sucre (avec des récoltes toujours plus faibles) et du bétail (dont le vol aurait atteint l’année dernière des chiffres record), obligeant le gouvernement à attribuer 1,4 millions d’hectares à 150 000 paysans transformés en petits fermiers. A part un appel métaphysique au «devoir révolutionnaire» quel autre stimulus d’une production qui n’arrive pas à décoller, pourrait inventer l’Etat?

Le VIe Congrès, qui cette fois «ne s’est pas focalisé sur les dommages causés par le blocus [américain - NDLR] mais sur les causes internes qui empêchent la croissance» (7) a essentiellement souligné la nécessité d’accélérer les réformes permettant une accumulation plus conséquente de capital; d’où «l’autorisation de l’achat et de la vente, ainsi que le droit de les échanger, des maisons et les appartements», qui fait partie d’une ouverture plus grande à l’expansion de la propriété privée capitaliste, d’un processus plus rapide d’expropriation et de dépouillement pour faire du travailleur cubain un prolétaire pur comme en Occident. Quel autre motif pourrait se trouver derrière ces réformes?

 

Le capitalisme n’est jamais parti de Cuba

 

Ce n’est pas parce que les capitalistes individuels se sont enfuis que le capitalisme a disparu de Cuba; ce qui s’est passé, c’est que l’Etat a agi comme capitaliste collectif ou public, sans avoir besoin de recourir au capital privé. C’est pourquoi nous nions catégoriquement qu’il y ait eu à Cuba une modification ou une interruption du mécanisme d’expropriation et d’exploitation qui caractérise le système capitaliste.

L’appauvrissement et l’exploitation supplémentaires qui se manifestent aujourd’hui par la disparition progressive du «livret», par le rejet à la rue de centaines de milliers d’employés qui jouissaient d’un emploi garanti, l’achat-vente entre particuliers de logements ou d’automobiles, les encouragements aux commerces de tout type, le contrôle fiscal, tout cela conduit à l’apparition de réalités indésirables et inévitables comme la soumission toujours plus profonde du travailleur cubain aux lois de la valeur et du salariat; tout cela prépare le terrain pour que Cuba se jette dans l’économie capitaliste privée. Marx expliquait: «Au fond du système capitaliste il y a donc la séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production. Cette séparation se reproduit sur une échelle progressive dès que le système capitaliste s’est une fois établi; mais comme elle-là forme la base de celui-ci, il ne saurait s’établir sans elle» (8).

Ce n’est pas parce que ce phénomène se rencontre aux origines du capitalisme qu’il a cessé d’exister par la suite. Au contraire, sa fonction s’est renforcée et c’est aujourd’hui un de ses piliers; l’Etat, le plus gros employeur, concentrant une masse énorme de force de travail, qui dans une situation de crise économique comme celle que traverse l’île, est contraint de s’en séparer d’une partie: au nom du capitalisme et de ses crises il faut séparer radicalement les travailleurs des moyens qui les empêchait de devenir des purs prolétaires, il faut les jeter à la rue!

 

Qu’est venu faire le pape à Cuba? Bénir les futures victimes de l’exploitation capitaliste internationale!

 

Par l’habileté avec laquelle les autorités cubaines ont pu jusqu’ici éviter les traumatismes que ces réforme pouvaient provoquer dans la population, et qui signifient un abandon solennel des prétentions à l’existence du socialisme (9), Cuba s’est assuré le satisfecit de la dite «communauté internationale». Le pape est venu porter ce message; autrement dit, Monsieur Rastinger est venu sur l’île pour bénir le virage économique du gouvernement cubain. Comme toujours la visite papale a eu une signification éminemment politique dans le cadre de la politique impérialiste mondiale. Il s’est agi d’un soutien ouvert à la politique du gouvernement, qui, en remerciement, a promis de faciliter la pratique religieuse: l’ «opium du peuple» accompagne toujours l’exploitation...

Peu importent les affirmations des autorités selon lesquelles les réformes ne se transformeront pas en politique, étant donné que ces réformes sont annoncées comme «stratégiques» et «irréversibles»: les déclarations de Marion Murillo, vice-président du Conseil des ministres, à propos de la visite du pape, sont en effet très claires. Selon lui, le gouvernement ne fait qu’ «actualiser le modèle économique cubain pour rendre le socialisme viable (!). Il n’y aura pas de réformes politiques à Cuba», ajoutant que «cette fois les changements sont stratégiques» et qu’il n’y aura pas de retour en arrière (10). Et dire que les marxistes croyaient que la politique est un concentré de l’économie! Le président colombien Juan Manuel Santos, la voix des Etats-Unis en Amérique Latine a, lui aussi, manifesté son appui à la position actuelle du gouvernement cubain, qui n’a rien de politique, évidemment!

Dans la même vague d’enthousiasme, le desserrement actuel de l’embargo américain, a la même signification. Un capitaliste cubain exilé aux Etats-Unis, qui anime un lobby catholique, est devenu un partisan inconditionnel du gouvernement de Cuba depuis que ce dernier a entreprises ses mesures d’ouverture économique saluées par le capitalisme mondial (10).

 

Blocus économique, mythe et réalité

 

Comment La Havane pouvait penser qu’il suffisait de le décréter pour que la loi de la valeur internationale, le dollar et l’or, se plient à la productivité effective du travail cubain? Ou alors est-ce que les Etats-Unis étaient obligés de vendre à Cuba, pour soutenir son «socialisme» auto-proclamé, en dehors des lois du marché? Le Comecon n’était-il pas là pour combler l’absence des Etats-Unis? Cuba a en fait contourné l’embargo américain en commerçant hier avec les pays du bloc soviétique et aujourd’hui avec les pays européens, la Chine, la Russie, l’Iran ou le Venezuela qui depuis les années 70 n’a cessé d’avoir des relations économiques avec l’île. En dépit de tout ce qui a été dit sur ce blocus, les relations économiques avec Washington n’ont jamais en réalité été complètement coupées, et elles se sont accrues avec vigueur après la chute de l’URSS. En pleine guerre froide les sociétés nord-américaines évitaient le blocus en commerçant avec Cuba par l’intermédiaire de leurs filiales au Canada! Inutile de dire que les sanctions économiques, les escarmouches et les rétorsions commerciales entre pays et régions, ont toujours existé et pas uniquement contre Cuba. Quel temps perdu, s’il n’y avait pas d’autre solution pour «vaincre le blocus» que de recourir au capitalisme privé!

Jusqu’à aujourd’hui le stalinisme à la sauce castriste a réussi à intoxiquer et à prostrer le prolétariat cubain en donnant une valeur révolutionnaire au cadre économique et social actuel: la révolution exige des sacrifices! Mais la réalité commence à miner cet état de fait en remettant en cause le «contrat social» minimum mis en place après le renversement de la dictature de Baptista.

Ce n’est qu’une question de temps pour que les infâmes drapeaux du national-communisme soient déchirées et que se lève à nouveau à Cuba le drapeau de la lutte de classe anticapitaliste.

 

[Extrait du supplément Venezuela au n°49 de El Programa Comunista]

 


 

(1) Il s’agit d’une chanson cubaine très célèbre de Guillermo Portabales qui date des années quarante. cf www.youtube.com/watch?v=G0vUqMi3vj8

(2) cf Le Monde, Cahier Géo et Politique, 18-19/03/2012

(3) Ibidem.

(4) cf Rogelio Diaz Moreno, laclase.info.

(5) cf El Pais, 26/5/11

(6) cf Le Monde, op. cit.

(7) Ibid.

(8) cf «Le Capital», Livre Premier, ch. XXVI. Ed Sociales 1976, p. 518.

(9) Il n’a jamais existé à Cuba de socialisme, c’est-à-dire de société sans argent, sans salariés, sans marché ni entreprises, mais un capitalisme d’Etat à la manière stalinienne alimenté et développé par l’exportation des matières premières, principalement le sucre. Cuba est ainsi devenu un capitalisme de seconde zone, comme le Venezuela, essentiellement monoproducteur. Enfin Cuba servait de «pion» sur le jeu d’échec de la géopolitique russe. Avec l’effondrement de l’URSS et la chute des prix de sucre, le capitalisme cubain a perdu sa capacité à entretenir des centaines de milliers de fonctionnaires; il lui faut donc développer le capitalisme privé d’un côté et de l’autre attirer les capitaux des capitalistes étrangers en leur faisant miroiter la possibilité d’exploiter une main d’oeuvre à bas coût «libérée» d’un emploi fixe. Enfin en même temps que l’URSS, c’est toute la série de mystifications et de caricatures avec lesquelles le marxisme a été travesti pendant 70 ans, qui ont reçu un coup mortel.

(10) cf Le Monde, op. cit.

(11) Il s’agit de Carlos Saladrigas qui a annoncé que, suivant les mesures prises, le capital cubain de l’étranger, à l’instar du capital étranger pourra «affluer à Cuba en grande quantité à la recherche d’un rendement compétitif» (cf Univision.com, 31/5/11). Selon lui «la grande question n’est pas de savoir s’il y aura un retour en arrière, mais à quelle vitesse va se faire la marche en avant» des réformes cf www. havanatimes. org/sp/?p=62424

 

 

Cuba en chiffres

 

Population: 11,2 millions d’habitants

Taux de croissance du PIB (Produit Intérieur Brut): 2,7% en 2011, 2,1% en 2010, 1,4% en 2009

Croissance démographique: -0,1%

PIB par habitant: 5854 dollars (contre 5200 dans la République Dominicaine)

Taux d’alphabétisation: 99,8%

Espérance de vie: 77,9 ans

Population active, par secteurs:

Agriculture: 20%; Industrie: 19,4%; Services: 60,6%

Commerce extérieur:

Exportation, principaux clients:

Chine 25,5%, Canada, 23,3% Venezuela 10%, Espagne 5,6%

Importations, principaux fournisseurs:

Venezuela 35,2%, Chine 11,7%, Espagne 8,5%, Brésil 4,6%, Canada 4,2%, USA 4,1%

Principaux produits exportés: sucre, nickel, tabac, poissons.

Principaux produits importés: pétrole, produits alimentaires, machines, produits chimiques.

Balance commerciale: déficit de plus de 3 milliards de dollars, soit environ 10% du PIB

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top