Saint-Nazaire : Front unique des pompiers sociaux pour «sauver la Navale»

(«le prolétaire»; N° 506; Janv. - Févr. - Mars 2013)

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La Basse-Loire – qui s’étend de Saint-Nazaire à Nantes – est la seule véritable région industrielle de l’Ouest atlantique. Elle regroupe un terminal gazier, une raffinerie et un grand port pétrolier, une centrale électrique, des usines aéronautiques (Airbus), une usine sidérurgique (Arcelor, à Basse-Indre) un arsenal, des industries agroalimentaires  (conserverie de poissons et de légumes, biscuiterie) et les derniers chantiers navals de France.

Après une période faste – pour les exploiteurs ! – au début des années 2000, les chantiers navals de Saint-Nazaire voyaient leurs carnets de commandes désespérément vides et des centaines de prolétaires des entreprises sous-traitantes ont été licenciés pendant que ceux des chantiers STX subissaient de longues périodes de chômage partiel.

Fin décembre, grâce à l’intervention du gouvernement, les chantiers STX ont décroché un important contrat pour la construction d’un super-paquebot de 360m de long par 656 de large, pour 2700 cabines, capable d’accueillir 8460 passagers.

Avant cette annonce, l’entreprise était au bord de la faillite et des milliers de salariés étaient sous la menace du chômage à plus ou moins court terme. Pendant toute cette période, les pompiers sociaux – CGT en tête – et leurs suivistes d’ « extrême » gauche ont tout fait pour qu’aucune riposte sur des bases de classe puisse naître.

 

Le collaborationnisme pour une « réelle politique industrielle »

 

La CGT, majoritaire aux Chantiers, ne demandait pas la nationalisation mais n’a cessé de pleurnicher pour que les patrons (le groupe coréen STX et l’État) mettent en place « une réelle politique industrielle, ambitieuse, porteuse de commandes et d’emplois» et de «vraies décisions politiques qui permettent de pérenniser notre activité». (Ouest-France, 11 décembre). La CGT a offert ses conseils aux patrons : travail avec la SNCM, qui doit renouveler ses car-ferries, et avec GDF-Suez, qui doit acquérir de nouveaux méthaniers.

Au niveau intersyndical, même son de cloche. FO et la CGT demandaient à l’Etat de devenir « l’actionnaire majoritaire » pour maintenir tous les emplois mais surtout pour «le développement de la filière construction navale» et «la diversification du Chantier Naval», «la création d’une banque publique d’Etat pour le financement de l’industrie et de l’exportation», «une véritable politique industrielle débouchant rapidement sur des commandes de navires». (Tract FO-CGT du 28 novembre). Dans le cadre de cette politique de pression sur le gouvernement, les syndicats se sont contentés d’appeler à quelques débrayages d’une ou deux heures.

Une pétition politico-syndicale, à l’initiative de la CGT et du PCF, également été lancée «Appel pour la navale – La construction navale a de l’avenir! Nous nous mobilisions pour la défendre!». Elle est signée par les responsables locaux et départementaux du PCF, du PS, de la CGT, de la FSU, de Solidaires et de l’UNSA. Cette pétition appelle à la mobilisation «en premier lieu des pouvoirs publics et des actionnaires pour gagner les solutions de nature à sortir de la situation de crise actuelle, renforcer et développer la filière navale dans son ensemble et le chantier STX en particulier » avec «une intervention forte et déterminée de la direction de STX France, de l’Etat actionnaire et des collectivités locales pour renforcer la place de la France dans le capital, et gagner dans l’urgence des commandes de navires sans exclusives».

Cet appel se conclue avec, comme dernière revendication, «la défense de tous les emplois dans la navale, chez STX, les sous traitants, dans les entreprises intérimaires»: c’est symboliquement la démonstration que la défense des intérêts des travailleurs vient en dernière place pour toute cette bande, bien après la défense de l’entreprise et de l’économie locale; et qu’elle n’est même évoquée que pour mobiliser les prolétaires en faveur de ces dernières, en faveur d’intérêts strictement capitalistes.

En fait la CGT et toute la gauche politico-syndicale demandent à F. Hollande de poursuivre la politique initiée par Sarkozy en 2008: ce dernier avait nationalisé «partiellement» les chantiers en achetant le tiers des actions de l’entreprise, ce qui donne à l’Etat un droit de veto sur les grandes décisions. Est-ce que c’était le sort des travailleurs des chantiers qui avait motivé cette semi-nationalisation? Evidemment pas! C’était le sort des capitalistes du secteur qui expliquait cette décision, ainsi et surtout que le caractère stratégique d’une entreprise à qui à l’époque il était question de confier la construction d’un second porte-avions (dans le cadre d’une collaboration avec la Grande-Bretagne). Les travailleurs ne peuvent ni ne doivent accorder aucune confiance à l’Etat bourgeois: qu’il soit dirigé par des politiciens de gauche ou de droite il tranchera toujours contre leurs intérêts de classe, en faveur des intérêts bourgeois.

A Saint-Nazaire comme ailleurs, le collaborationnisme prétend donner des conseils aux patrons pour mieux gérer le capitalisme. Ainsi, il ne fait que désarmer les prolétaires en les orientant dans la voie de l’inaction – avec la litanie des pétitions et des (in)actions ponctuelles et inoffensives (débrayages de quelques heures) – et de la défaite en fixant des objectifs qui concrètement ne peuvent que renforcer l’exploitation.

Comme toujours, les suivistes pseudo-révolutionnaires ont emboîté le pas du collaborationnisme.

 

Le POI veut « sauver la Navale et la développer »

 

Le Parti Ouvrier Indépendant – dirigeant l’Union départementale FO depuis des décennies avec Alexandre Hébert puis... son fils – appelle également à la nationalisation.

Pour concurrencer le PCF, le POI a lancé une pétition et «s’adresse à tous les élus, à tous les partis se réclamant de la défense des travailleurs pour réaliser l’unité et mobiliser la population sur ces exigences» («Pour sauver le Chantier Naval, 385 citoyens dont 198 travailleurs du Chantier disent: Nationalisation maintenant!», 4/12/12). Elle donne à l’étatisation des objectifs strictement bourgeois de bonne gestion de l’entreprise: elle permettrait de «garantir l’avenir de la Navale et les milliers d’emplois directs et indirects, imposer une véritable politique industrielle et les commandes de navires, sortir de l’instabilité permanente des actionnaires et de leurs choix».

Dans un communiqué commun avec le Front de gauche, le POI verse – une fois de plus! – dans le chauvinisme. Il dénonce «la volonté des actionnaires majoritaires actuels, le groupe coréen STX, […] de s’accaparer la technologie du chantier nazairien pour faire construire les navires sur ses sites à l’étranger, là où la main d’œuvre est sous-payée» et «l’U.E. et ses traités basées sur «la concurrence libre et non faussée [!]» [qui] constituent un obstacle à la nécessaire nationalisation… alors même que la Constitution de la République autorise la nationalisation!» (Communiqué FG Sud-Estuaire / POI, 18 décembre)

Indignation épistolaire, appel à l’Etat bourgeois, nationalisme et interclassisme sont les mamelles du trotskisme lambertiste, auxquelles se rajoute maintenant l’idéalisation de la libre concurrence!

A propos de concurrence, il doit faire face sur ce terrain bourgeois à celle de ses frères ennemis en trotskysme du NPA.

 

Le NPA, conseiller en stratégie industrielle

 

Les «anticapitalistes» dénoncent STX comme «un groupe international qui pompe les subventions publiques et pille les savoir-faire avant de détruire le tissu social et industriel» et le «gouvernement qui – fidèle à sa ligne désormais habituelle – refuse l’affrontement avec le capital» («D’ArcelorMittal à STX Saint-Nazaire, la position du NPA», 3/12/12). Encore le refrain contre les méchantes multinationales étrangères qui détruisent «notre» industrie nationale et l’idée que les politiques bourgeoises ne sont qu’une question de «choix» et de «volonté» – comme si les lois du capitalisme ne s’imposaient pas.

Ils critiquent «les perspectives mises en avant dans cet appel [des syndicats et des partis de gauche] comme très insuffisantes et au final peu mobilisatrices» et met en avant son opposition aux licenciements et la défense des prolétaires étrangers.

Il rappelle cependant ses prises de position très gestionnaires lors des dernières législatives.

A cette occasion, le NPA expliquait dans une déclaration commune avec le Mouvement des Objecteurs de Croissance que: «L’origine de la situation actuelle est claire: l’absence de diversification des activités de la part du groupe STX, focalisé sur les paquebots de luxe alors que d’autres segments auraient pu être explorés, et l’absence d’une politique industrielle favorisant le transport maritime et fluvial de la part de l’Etat, actionnaire à 33% de l’entreprise. Pourtant, les besoins existent: on sait par exemple que le renouvellement de 6 à 8 ferries pour le trafic Corse-Continent est nécessaire à l’horizon 2015-2018. On sait que GDF a besoin d’une cinquantaine de méthaniers et qu’un navire de pose d’éoliennes doit être construit pour mettre en oeuvre le programme du parc éolien offshore. Pourtant les perspectives de développement existent, car la construction maritime et fluviale a de l’avenir pour peu que les pouvoirs publics s‘inscrivent dans une démarche favorisant les transports moins polluants et moins consommateurs en énergie, par rapport aux transports commerciaux aériens et routiers. La défense de l’emploi industriel dans la navale est une impérieuse nécessité dans la mesure où elle concerne toute la Basse-Loire et parce que cette activité répond à de réels besoins sociaux et écologiques».

Où l’on voit que si les petits-bourgeois «décroissantistes» se découvrent partisans de la croissance industrielle, les «anticapitalistes», eux, font passer la solidarité avec les travailleurs pour la défense des intérêts économiques de la région (dans une sauce sociale et écologique pour paraître modernes et «de gauche»...)!    

Nos deux associés réclamaient donc dans cette déclaration électorale la «Re-nationalisation des chantiers navals de Saint-Nazaire, appuyée sur la création d’un service public bancaire, la participation directe et le contrôle des salarié-es sur les grands choix de l’entreprise, les process de production et l’organisation du travail. La diversification des activités des chantiers...», etc. («Tou-tes solidaires de tous les salari-ées de la Navale et de leurs familles», 23 mai 2012)

Quelle totale dégénérescence de ces pseudo-révolutionnaires qui se prennent pour experts en stratégie industrielle et se croient meilleurs gestionnaires que les patrons!

 

Les chantres de la nationalisation « sous le contrôle des travailleurs »

 

Les multiples groupes d’ «extrême» gauche abordent la situation des chantiers au détour d’un article sur Florange, sujet plus médiatisé. Ils se contentent de copier la rengaine de la nationalisation en essayant de la «gauchir».

Les trotskistes réclament pêle-mêle la nationalisation « sans indemnité ni rachat avec le maintien de tous les emplois » (Lutte Ouvrière, communiqué du 26/11), «sous le contrôle des travailleurs» par «un gouvernement bien plus à gauche, bien plus prêt à s’affronter avec les grands capitalistes » (Gauche Révolutionnaire, «Nationalisation d’Arcelor Mittal Florange : gouvernement de menteurs!», 1er décembre), «sous le contrôle démocratique des salariés […] de tous les fleurons de l’industrie victimes de l’avarice capitaliste» (La Riposte, «ArcelorMittal, PSA, Petroplus… : nationalisation!», 13 décembre), «sous leur contrôle [des travailleurs], par l’ouverture des livres de comptes et la levée du secret bancaire » (Groupe Socialiste Internationaliste, «Trahison!», L’Internationaliste, décembre) ou « sans indemnité ni rachat (les actionnaires se sont suffisamment gavés), sous le contrôle des travailleurs. Eux savent comment produire. Eux-seuls ont intérêt au maintien de la production, de sa reconversion éventuelle, au profit des besoins de la population» (Courant Communiste Révolutionnaire du NPA– une tendance de «gauche» de ce rassemblement hétéroclite, «Florange comme ailleurs, expropriation, nationalisation, contrôle ouvrier!», Révolution permanente, décembre 2012).

Pour leur part, les «marxistes-léninistes» demandent eux la «réquisition des usines sans indemnité afin que la production ne soit plus seulement au bénéfice d’une minorité mais serve les besoins de la société toute entière» (Parti Communiste Maoïste de France, «Occupons les usines avant qu’ils nous licencient!», 27 juin), le PCM ignorant que la société est divisée en classes aux intérêts et besoins antagoniques; ou une nationalisation pour «soustraire des secteurs stratégiques aux appétits voraces des monopoles privés, comment elle peut permettre de développer une production dans de bonnes conditions de travail pour les salariés, une production répondant à des critères d’économie d’énergie et de respect de l’environnement» (Parti Communiste des Ouvriers de France, «Solidarité avec les sidérurgistes d’ArcelorMittal», 2 décembre 2012): il est bien connu que les monopoles publics bourgeois développent une production capitaliste bonne pour les salariés, l’environnement et, en plus, économisant l’énergie!

L’Union des Révolutionnaires Communistes de France, groupe national-stalinien vivant en marge du PCF, défend la «nationalisation démocratique et populaire sans indemnisations du propriétaire et avec contrôle ouvrier» («Les communistes révolutionnaires et la question de la nationalisation», 30 novembre) qu’elle habille d’un langage pseudo-communiste en affirmant que les entreprises d’État ne seront pas «des “îlots de socialisme” et relèveront du capitalisme d’État». Les entreprises étatisées «pourront servir d’exemple pour conscientiser l’ensemble du monde du travail […] à l’exigence de socialisation de l’ensemble de l’économie, liquidant ainsi le capitalisme. » et ouvriront « une période historique où les travailleurs imposeront des reculs au Capital, gagneront et exerceront de nouveaux droits, contrôleront et dénonceront la gestion capitaliste». Quel programme: faire des prolétaires les gestionnaires d’une entreprise capitaliste et leurs propres exploiteurs! Aucune chance que cela fasse progresser une quelconque conscience de classe!

 

Plus d’État ?

A bas l’État bourgeois !

 

Au final, ce front unique des pompiers sociaux diffuse le même blabla pour une étatisation – au nom de l’«intérêt général» – de certains secteurs de l’économie et des entreprises qui licencient. Les «révolutionnaires» l’agrémentent du célèbre «contrôle ouvrier» – même s’ils évitent de prononcer ce dernier mot qui pourrait choquer les chastes oreilles «citoyennes» – dans le cadre du mode de production capitaliste.

Comme si le prolétariat avait la moindre chose à gagner à exercer la gestion des entreprises! Comme si une gestion différente – et plus honnête grâce à l’ouverture des livres de compte – permettrait de changer les conditions d’existence des prolétaires! Comme s’il pouvait exister un «pouvoir ouvrier» dans l’usine sans avoir détruit l’État bourgeois et instauré la dictature du prolétariat!

Ceux qui colportent le remède miracle de la nationalisation aux prolétaires sont des bonimenteurs et des charlatans.

Ils mentent sur la nature de l’État qui est, comme le disait Engels, «l’organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre des empiétements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés. L’État moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste: l’État des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble». (Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1880).

Ils mentent en faisant croire que, dans le cadre du capitalisme, des entreprises peuvent échapper aux règles de ce mode de production. Leur camelote a depuis longtemps été rejeté par les communistes. En 1919, les jeunes dirigeants bolcheviks Nikolaï Boukharine et Evgueni Préobrajensky, dans L’ABC du communisme, dénonçaient les prétentions du socialisme petit-bourgeois au « développement des coopératives, des associations de petits producteurs, etc… Sous le régime capitaliste, les coopératives dégénèrent souvent en vulgaires organisations capitalistes, et les coopérateurs eux-mêmes ne se distinguent presque en rien des purs bourgeois.

Le collaborationnisme et ses mouches de coche d’«extrême» gauche ne sont des colporteurs de l’idéologie bourgeoise et des défenseurs de l’exploitation capitaliste. Ce sont des obstacles à la reprise de la lutte révolutionnaire classe contre classe.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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