En Espagne, une grève exemplaire

Grève des travailleurs de Movistar: Il est possible de lutter contre les conditions d’exploitation imposées par la bourgeoisie! Il est possible de vaincre si on utilise les moyens et les méthodes classistes!

(«le prolétaire»; N° 516; Juin - Juillet - Août 2015)

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Depuis 55 jours (1) les travailleurs sous contrats, des sous-traitants ou les faux «autonomes» (travailleurs dépendants mais obligés d’avoir un contrat commercial et non salarial avec l’entreprise) de Movistar mènent une grève dure contre l’une des plus grandes entreprises du capitalisme espagnol. Leurs revendications sont les suivantes:

 

- Abrogation du contrat «boucle» qui implique un système de points pour percevoir le salaire et selon lequel les travailleurs doivent payer de leur poche les frais occasionnés par leur travail, et qui en outre prévoit de fortes pénalités qui réduisent encore le salaire perçu.

-  Egalité de traitement des travailleurs sous contrats et des sous-traitants avec ceux des employés fixes de l’entreprise avec même salaire et contrat à durée indéterminée.

-  40 heures de travail par semaine avec 2 jours de repos, alors que dans la situation actuelle ils travaillent jusqu’à 12 heures par jour tous les jours.

- Un mois de vacances par an.

- Sécurité au travail et équipements et outils nécessaires fournis par l’entreprise, de même que les équipements de protection individuelle, véhicules, carburant, etc.

- Possibilité pour tous les autonomes qui le veulent de devenir personnel fixe de l’entreprise dont ils dépendent.

- Garantie qu’il n’y ait pas de représailles pour fait de grève.

 

Telefónica, la marque principale de Movistar est la principale entreprise espagnole du secteur des télécommunications et l’une des plus importantes au niveau mondial; elle est présente dans tous les pays d’Europe (principalement au Royaume Uni et en Allemagne où elle travaille sous le nom de 02), au Brésil (où elle est la principale entreprise de téléphonie sous la marque Vivo), en Argentine ainsi que d’autres pays d’Amérique Latine où elle a une moindre importance. Il s’agit en outre de l’entreprise espagnole ayant la plus grande capitalisation boursière, avec un bénéfice pour l’année 2012 de 4,4 milliards d’euros. De fait Telefónica a été longtemps considérée comme le «joyau de la couronne» du capitalisme espagnol, au même niveau que les plus grandes sociétés financières et au dessus de toute autre entreprise de la dite «économie réelle». Depuis que, dans les années 1995 à 1999, sous les gouvernements successifs de «gauche» et de droite de González (Parti Socialiste) et Aznar (Parti Populaire), elle ait été privatisée au moyen d’offres publiques d’actions, elle a représenté l’emblème de la vigueur du capitalisme espagnol, capable de s’étendre à pratiquement tous les marchés développés de la planète (à l’exception de la Chine) et de concurrencer victorieusement les entreprises capitalistes nationales et étrangères. Capable aussi de développer des systèmes sophistiqués de gestion de la main d’oeuvre qui lui ont permis d’accroître de façon vertigineuse ses bénéfices en réduisant ses coûts du travail: en Espagne, Telefónica a éliminé une grande partie de son personnel: il est passé de 80 000 avant la privatisation, à 28 000 aujourd’hui, grâce aux plans successifs de «Régulation de l’Emploi» qu’elle a pu réaliser sous les gouvernements de droite et de gauche au cours des dernières années.

Telefónica est un modèle pour tout le capitalisme espagnol aussi parce qu’elle a été capable de se restructurer avec la création de milliers d’entreprises dépendantes d’elle mais ayant une entité juridique propre, qui assument tous les travaux d’installation, d’entretien, de réparation, de relation avec la clientèle, etc. Il s’agit d’une structure extrêmement flexible qui permet à l’entreprise de réduire au maximum les risques en minorant la charge de capital constant et de capital variable qui dépendent directement d’elle. De cette façon, dans les périodes économiques favorables comme ce fut le cas lors du boom des télécommunications qui commença à la fin des années 90, Telefónica augmentait simplement le nombre de contrats à ces entreprises dépendantes, et lors de la récession elle s’en est séparée sans avoir à supporter le coût d’une surcapacité productive et d’un excès de main d’oeuvre.

Pour les prolétaires l’augmentation de la productivité et l’excellence de la gestion capitaliste de Telefónica ont eu un goût plus amer: la fragmentation en milliers d’entreprises avec lesquelles ils ont leur contrat de travail, a permis à ces dernières de fixer des conditions de travail nettement désavantageuses. Imposant à quelques dizaines de travailleurs à peine des négociations où ils sont de loin la partie la plus faible, les entreprises ont obtenu une baisse vertigineuse de leurs salaires, une augmentation du temps de travail à leur discrétion, toujours selon les besoins de la production et sans respecter même les réglementations légales, au point d’en arriver parfois à ce que les travailleurs payent en définitive l’entreprise pour travailler! Tout cela comme conséquence des exigences imposées par Telefónica aux entreprises dépendantes qui, à leur tour, se livrent concurrence entre elles pour maintenir leur lien avec l’entreprise-mère et ne pas disparaître. Si dans la crise capitaliste, les prolétaires payent par le chômage et la surexploitation le crime qu’ils ont commis de ne pas être assez rentables pour le capital, les périodes de prospérité qui ont fait du capitalisme espagnol un exemple pour le monde, ont été payées également par la misère ouvrière. Alors les prolétaires vendaient leur vie à l’entreprise pour survivre, aujourd’hui c’est l’entreprise qui en finit avec eux pour survivre.

Depuis le début, la grève des travailleurs de Telefónica a été marquée par une rupture complète avec la direction collaborationniste des organisations syndicales. Ces dernières, arguant que les travailleurs n’appartenaient pas à l’entreprise mère, ont toujours refusé de les inclure dans leurs revendications, qui concernaient uniquement les employés fixes de celle-ci; d’autre part ces revendications ont toujours été conditionnées par le respect des exigences de l’entreprise.

C’est la raison pour laquelle, dès le premier jour, quand la grève a commencé à Madrid, les travailleurs ont constitué des comités de grève chargés d’organiser et de diriger la lutte. L’exigence de base de cette mobilisation a été en fait que ces comités de grève soient reconnus comme les seuls représentants des travailleurs face à la direction. Au mois d’avril les syndicats C.C.O.O et UGT (2) appelèrent à une grève des seuls travailleurs fixes de l’entreprise mère. Mais quelques jours avant son début, ils annulèrent cette grève en donnant pour acquis que leurs revendications aient été acceptées.

En réalité la direction avait simplement offert que rien ne change, sans prendre en compte aucune des revendications émises par les comités de grève. L’alliance entre direction et syndicats collaborationnistes voulait tout bonnement en finir avec l’organisation indépendante que s’étaient donnés les travailleurs et à travers laquelle ils luttaient pour leurs revendications, en contraste avec la politique de concessions dont les syndicats sont coutumiers.

Tout au long de la grève, les travailleurs des sous-traitants de Telefónica ont eu recours pour vaincre à des méthodes et des moyens correspondant à leurs exigences. Ils ont été ainsi capables pour défendre la grève, d’organiser des piquets chargés de veiller à ce que l’entreprise n’ait pas recours à des briseurs de grèves. Ils ont collaboré avec d’autres travailleurs qui sont en lutte dans leurs entreprises, ils ont étendu la grèves hors des limites de l’entreprise pour dépasser les limites corporatistes; en définitive ils ont lutté pour faire de leur mouvement une lutte de classe et non une simple confrontation étroitement orientée vers le terrain de la négociation permise par l’Etat bourgeois afin d’arriver au plus vite à la domestication des luttes qui se portent sur ce terrain. Cette façon de mener la lutte a conduit qu’à un certain moment l’action combinée des syndicats et de l’entreprise s’est trouvée impuissante à la briser, au point que l’Etat bourgeois lui-même, représentant collectif des intérêts capitalistes, a dû prendre les choses en mains, faisant arrêter au début mai 13 grévistes, accusés de sabotage et d’intimidation envers les briseurs de grève. La dite «opération Muraille» de la police nationale avait comme objectif d’intimider les travailleurs, quelques jours avant que l’UGT et les C.C.O.O appellent à la fin du conflit. Les travailleurs des sous-traitants de Telefónica ont démontré une nouvelle fois que dans la société bourgeoise, loi, ordre et droit signifient uniquement maintenir les prolétaires esclaves du capital.

En définitive les travailleurs des sous-traitants de Telefónica ont rompu avec la tendance habituelle des grèves et des luttes contrôlées par la politique opportuniste qui a comme caractéristique de leur imposer le respect scrupuleux des intérêts patronaux au moment où il faudrait les affronter. En effet cette orientation non seulement prend bien garde non seulement de ne pas mettre en péril la bonne marche de l’entreprise, mais également de ne pas mettre en cause le renom de l’entreprise, son image compétitive et sa position par rapport à ses concurrents, transformant ainsi toute lutte en vaine gesticulation.

L’occupation à deux reprises du siège de Telefónica au World Mobile Congress a infligé un coup sévère à l’image de l’entreprise, en plein centre économique de Barcelone, qui est aussi la capitale du tourisme en Espagne. Ces occupations ont été le point culminant jusqu’ici d’une lutte qui a toujours fait passer les intérêts des travailleurs avant les besoins de l’entreprise, et elles ont provoqué l’intervention de la future mairesse de la ville, Ada Colau: celle-ci a eu recours à toute la force politique de son parti, Guanyem (rassemblement local lié à Podemos), pour obtenir que les travailleurs abandonnent l’occupation du siège de Telefónica devant lequel s’étaient rassemblés des centaines de membres des familles ainsi que des travailleurs d’autres entreprises, pour éviter une intervention policière, et qu’ils abandonnent leur exigence que l’entreprise mère négocie comme partie prenante du conflit.

Les prolétaires des sous-traitants ont démontré que si la bourgeoisie qui est en permanence en lutte contre ses concurrents nationaux et internationaux, mais aussi contre les travailleurs en cherchant à obtenir toujours plus de profit et réorganisant dans ce but le procès productif afin de maximiser l’extraction de plus-value, en isolant les travailleurs et en les mettant en concurrence entre eux, elle peut aussi essuyer des échecs quand les travailleurs s’unissent pour surmonter cette concurrence.

Les prolétaires des sous-traitants de Telefónica ont montré que pour vaincre les travailleurs doivent prendre leur lutte entre leurs mains, défendant leurs seuls intérêts de classe face à tous les appels à les rendre compatibles avec les intérêts économiques de l’entreprise. Ils ont montré que les méthodes et les moyens classistes sont les seuls qui, sans garantir la victoire, peuvent permettre en tout cas de l’obtenir.

 Les prolétaires des sous-traitants se sont trouvés face à la force unie de l’opportunisme syndical et de la police de l’Etat bourgeois; ils ont connu la répression, traînés dans les commissariat et accusés de graves délits. Ils ont ainsi mis en évidence que la bourgeoisie utilisera tous les moyens contre toute tentative de lutte prolétarienne qui cherche à suivre la voie de l’affrontement réel avec les patrons.

Enfin, les prolétaires des sous-traitants de Telefónica ont vu apparaître sur la scène la force de cet opportunisme rénové sous la forme des partis «rénovateurs» du style Podemos ou Guanyem. Appuyant en paroles la lutte ouvrière, ces partis ont agi et agiront comme de véritables agents de la bourgeoisie parmi les prolétaires, défendant en réalité les intérêts de celle-ci qui les utilise comme médiateurs vantant toujours les petits avantages qui peuvent être obtenus au cours d’une lutte pour mieux stériliser cette dernière et dissimuler sa nature de conflit entre prolétaires et bourgeoisie; sous le prétexte des «conquêtes réellement possibles» ils veulent empêcher la grande conquête qui est, selon les paroles du Manifeste du Parti Communiste, «l’union grandissante entre les travailleurs».

 

Pour la reprise de la lutte classiste du prolétariat!

Pour la défense intransigeante des conditions de vie du prolétariat!

 

1/06/2015


 

(1) La grève est maintenant terminée.

(2) Les Commissions Ouvrières (CCOO), traditionnellement mliées au PC, et l’UGT, proche du Parti Socialiste, sont les deux plus grands syndicats espagnols.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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