Algérie

Le parti des ennemis des travailleurs

(«le prolétaire»; N° 517; Sept. - Oct. - Nov. 2015)

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A la mi-septembre un communiqué de la présidence annonçait la mise à la retraite du général-major Medienne, dit «Toufik» le chef de la DRS («Département du Renseignement et de la Sécurité», l’ancienne redoutable «Sécurité Militaire»). Le limogeage de celui qui passait pour être un des hommes forts du régime est évidemment la conséquence des affrontements entre clans au sein des milieux dirigeants algériens, affrontements probablement aiguisés par la détérioration de la position économique du pays provoquée par la chute des prix du pétrole.

 Selon la note de conjoncture de la Banque d’Algérie (septembre) sur l’activité économique du premier semestre 2015, l’économie a subi un «choc externe de grande ampleur». La valeur des exportations des produits pétroliers (qui représente presque 96% des exportations totales) a baissé de 43% par rapport à l’année précédente; les importations ont également baissé en valeur, mais dans une moindre mesure, de 10%, principalement en raison des mesures gouvernementales pour contenir le déséquilibre de la balance des paiements, devenue déficitaire cette année.

La valeur du dinar a baissé de plus de 20% par rapport au dollar (monnaie dans laquelle se fait le commerce pétrolier), quoiqu’elle soit restée à peu près stable par rapport à l’euro (la plus grosse partie des importations vient de la zone euro); l’inflation a inévitablement augmenté pour atteindre les 5% en rythme annuel en septembre, selon les chiffres officiels. Mais ces mêmes chiffres indiquent que la hausse des prix est plus forte pour les produits agricoles frais (plus de 9% en moyenne), notamment les légumes (14,68%), le prix des pommes de terre s’envolant de près de 59%! Autant dire que l’inflation impacte surtout les prolétaires et les couches les plus pauvres de la population.

Cela va poser inévitablement des problèmes de maintien de l’ordre au pouvoir, en plus du fait que le gâteau que se partagent les cercles capitalistes dirigeants tendant à se réduire, il va devenir de plus en plus difficile d’acheter la paix sociale en accordant quelques miettes aux prolétaires. L’augmentation du salaire minimum décidée en juin dernier relevait ainsi largement de la poudre aux yeux, surtout quand l’on sait que selon les statistiques officielles de l’ONS, plus de 15% des salariés touchaient déjà moins que le salaire minimum avant cette revalorisation; mais c’est désormais l’austérité qui est ouvertement à l’ordre du jour.

Le «Parti des Travailleurs» – organisation trotskyste «lambertiste» (1) – n’a pas hésité lors de son «université d’été», à en conclure par la bouche de Louisa Hanoune: «nous sommes dans une situation prérévolutionnaire». Selon le quotidien qui rapporte ses propos (2), la dirigeante du PT «qui avait depuis longtemps mis en garde contre les risques d’une insurrection, estime que le pays n’est plus à l’abri d’une explosion révolutionnaire». Au lieu de se féliciter de cette perspective, le PT voit dans la révolution un «risque» dont il faudrait être «à l’abri»!

D’après Louisa Hanoune «le front intérieur est fragile politiquement, socialement et économiquement»; si l’Etat ne tire pas les leçons de ce qui se passe dans le monde arabe, en Syrie notamment, «le pays connaîtra des catastrophes». Le PT appelle à la formation de «comités populaires» pour «défendre les acquis sociaux et l’Algérie parce qu’elle risque de disparaître en tant que nation».

 Mélanger la défense des intérêts des travailleurs avec la défense de la «nation» revient à soumettre ces intérêts aux intérêts bourgeois. La nation est composée de classes différentes, aux intérêts différents et opposés: la classe dominante possède toutes les richesses de la nation, la classe dominée ne possède rien, sinon sa force de travail qu’elle est obligée de vendre pour vivre Y a-t-il un intérêt commun entre un chômeur ou un ouvrier et un patron d’une grande entreprise ou d’un affairiste de haut vol? Il n’y en a pas; les uns sont des exploités et les autres des exploiteurs. Pour les prolétaires toutes les patries sont des bagnes où on les exploite, et les appels à «l’union nationale» entre les classes ne sont qu’une triste farce dont le but est de les empêcher de lutter contre leurs exploiteurs. Il faut refuser cette union nationale et briser le «front intérieur» pour aller vers l’union de classe de tous les prolétaires, qui est internationale par nature.

Les trotskystes du PT, eux, viennent de faire une fois de plus la démonstration que la défense de la nation n’est pas autre chose que la défense des capitalistes: ils ont pris publiquement la défense d’Isaad Rebrab, le patron du groupe Cevital, le premier groupe capitaliste privé algérien, dans le différend qui l’oppose au ministre de l’industrie (3). Présent dans de nombreux secteurs en Algérie, de l’industrie à la distribution en passant par la presse (quotidien Liberté), Cevital a racheté en France le fabricant d’électroménager Brandt, des aciéries en Italie et il a également des investissements en Espagne, etc. Alors qu’il est connu pour ses pratiques anti-syndicales dans ses usines, Rebrab a affirmé qu’une manifestation «spontanée» en sa faveur de ses plus de 3000 ouvriers était en préparation à Bejaia...

Un authentique parti des travailleurs ne soutiendrait pas un patron, grand ou petit – sans non plus prendre parti pour le gouvernement; même si les bourgeois se querellent entre eux, pour des questions d’argent ou des questions politiques, ils s’unissent toujours contre les travailleurs: la réconciliation entre le patron de Cevital et le gouvernement a finalement eu lieu...

Mais le PT ne s’est pas contenté de soutenir un grand capitaliste, il a aussi volé au secours du sinistre général Toufik et d’autres militaires comme le général Hassan (ancien chef des services de renseignement, réputé être l’homme de confiance de Toufik) et du général à la retraite Benhadid (auteur de violentes accusations contre des responsables du clan présidentiel), qui ont été arrêtés.

Dans diverses déclarations, Louisa Hanoune a affirmé que ces faits portent «atteinte au moral des troupes»: «on fragilise l’armée et la structure de lutte contre le terrorisme. Et c’est une source de démoralisation des soldats» (4); «l’Algérie n’a pas besoin de ces décisions à ce moment», car «l’Etat est la condition sine qua non pour l’existence de la nation» (5).

Pour le marxisme, d’après l’expression d’Engels, l’Etat, c’est «l’organisation de la classe exploiteuse pour maintenir ses conditions de production extérieures, donc surtout pour maintenir par la force la classe exploitée dans les conditions d’oppression»; et en définitive il se fonde donc sur «des détachements d’hommes armés» (6).

Le PT paraît avoir choisi de quitter le camp présidentiel pour rejoindre l’opposition, mais il n’a pas abandonné le camp bourgeois.

Adorateur fanatique de la nation, il est logique qu’il veuille défendre les capitalistes, l’Etat bourgeois et les militaires: il est bien le parti des ennemis des travailleurs!

 


 

(1) Les «Lambertistes» (du nom de leur ancien chef Pierre Lambert) sont un courant du trotskysme représenté en France par le «Parti Ouvrier Indépendant».

(2) cf El Watan, 25/8/15.

(3) Rebrab a été accusé de diverses magouilles par le ministre, tandis qu’il accuse le gouvernement de bloquer le développement de son groupe.

(4) http:// www. tsa-algerie. com/ 2015 0916 /louiza- hanoune- met- en-garde-contre-les- consequences- du- limogeage- du- general- coufique/

(5) cf El Watan, 17/9/15

(6) Engels, «L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat», cité par Lénine dans «L’Etat et la révolution», ch. 1.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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