A propos de la grève générale à Mayotte

Un confusionnisme interclassiste

(«le prolétaire»; N° 519; Mars-Avril-Mai 2016)

Retour sommaires

 

 

Nous avions déjà pointé le caractère réformiste de la Tendance Claire du NPA – qui forme avec d’autres courants de gauche la plate-forme A de ce parti trotskyste – sur la question des institutions bourgeoises. Il n’est pas sans intérêt de revenir encore une fois sur ce courant qui est d’autant plus pernicieux qu’il masque derrière des déclarations révolutionnaires tonitruantes, un aplatissement sur les positions interclassistes tout aussi complet que sa maison-mère. La grève générale à Mayotte l’a montré.

Peuplée d’environ 400 000 habitants, cette île est officiellement un département français, mais un département bien particulier.

Elle connaît un taux de chômage supérieur à 36%, et la pauvreté y frappe une bonne partie de la population, vivant dans des bidonvilles; selon l’INSEE en 2011 la proportion des habitants ayant un revenu inférieur à 960 euros par mois était de 84% contre 16% en métropole (alors que les prix à la consommation y sont plus élevés de 7%), et les inégalité de revenu y étaient plus de trois fois plus grandes.

Les autorités, dont les opinions sont repris par les médias nationaux, accusent l’immigration clandestine d’être responsable de cette situation et elles pratiquent strictement une politique de traque des sans-papiers: 20 000 environ ont été expulsés l’an dernier, souvent après avoir été internés dans un «centre de rétention» dénoncé par les associations de soutien; mais rares sont les voix qui dénoncent la responsabilité des bourgeois locaux et de l’administration dans la situation de Mayotte!

Pourtant, selon un auteur local qui n’a rien d’un subversif, «A Mayotte le cercle de l’Entre-Soi s’inscrit dans un triangle formé par l’Etat local, les grands groupes (notamment du BTP et de la grande distribution) et d’élus ayant fait vœu de docilité face à l’Etat et de servilité face aux grands groupes».

 «Or (leurs) intérêts sont la plupart du temps contraires au développement de Mayotte et au bien-être de sa population» (...). «Le statut de «collectivité unique appelée département s’avère être un leurre avec un département sous-doté et une région qui ressemble à un mirage, bercé par des fonds structurels européens que le programme opérationnel, confié à l’Etat, a rendu fictifs» (...) «Quant aux préfets, à quelques exceptions près, ils se comportent véritablement en gouverneurs de colonie, tout en maintenant un système socio-économique proche de la Françafrique. On a l’impression qu’ils organisent le sous-développement et le chaos...» (1). C’est tout un mécanisme de domination et d’exploitation néo-coloniales qui est décrit là...

En avril, l’intersyndicale a appelé à la grève générale. Les revendications concernent avant tout l’amélioration des conditions de travail et de vie des salariés et notamment l’application des mesures et prestations sociales existant dans la métropole (conventions collectives, code du travail, allocations familiales, etc.) – «l’égalité réelle» avec les salariés français. La détermination et la colère des travailleurs et des couches les plus déshéritées contre leur situation, s’est traduite par une forte participation au conflit marqué par l’érection de barrages sur les axes routiers ainsi que des émeutes urbaines à Mamoudzou, chef-lieu du département.

 Le gouvernement français a répondu par l’envoi de renforts des gendarmerie; les prolétaires de métropole doivent dénoncer cette répression et soutenir la lutte des prolétaires de Mayotte!

 

*     *     *

 

Avec justesse, la TC dénonce, dans un article publié en ligne (2), le caractère colonial de la situation de Mayotte, son intérêt stratégique dans l’Océan indien pour l’impérialisme français et l’exploitation des prolétaires et des petits paysans et pêcheurs qui règne sur l’île.

La tâche essentielle que donne la TC aux prolétaires est la lutte pour «le droit à l’autodétermination et (…) un développement économique indépendant de la puissance coloniale française». Elle critique par conséquent le fait que les revendications mises en avant par les organisations syndicales «expriment principalement les préoccupations des salarié-e-s. Par conséquent, le mouvement est constitué principalement de salarié-e-s, et, dans une moindre mesure, de jeunes sans emploi».

En bref, les orientations de l’intersyndicale seraient trop classistes! C’est l’inverse que nous lui reprochons et en particulier de placer le mouvement sous le signe de la négociation et du «dialogue social constructif» (3).

La TC affirme aux grévistes que pour gagner ils doivent se tourner vers les paysans et leur proposer de former un «front révolutionnaire anticolonial» dont les principaux axes du programme seraient: «redistribution des grandes propriétés foncières, collectivisation des entreprises coloniales sous le contrôle du prolétariat et de la paysannerie, modernisation de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche sous le contrôle du prolétariat et de la paysannerie, suppression du visa Balladur, liberté de circulation et d’installation, tenue d’un référendum sur l’indépendance de Maoré/Mayotte».

Dans ce programme – référendum d’autodétermination, développement économique indépendant, contrôle ouvrier et paysan – et cette stratégie – front anticolonial, non seulement il n’y a rien de révolutionnaire, mais surtout les revendications spécifiquement prolétariennes ont disparu!

Pour le prolétariat métropolitain, la revendication du droit à l’indépendance immédiate et sans conditions des dernières colonies françaises, est liée au besoin de l’union internationale de la classe ouvrière et de la lutte du prolétariat contre l’impérialisme français, pas à une tactique pour appâter les paysans. Cette revendication ne dépend pas du fait de savoir si l’indépendance est possible ou non avant la révolution qui renversera l’État impérialiste français. La revendication de l’indépendance n’est pas un but en soi, mais un levier pour unir les prolétaires, pour en finir avec l’oppression nationale qui entrave le développement de la lutte prolétarienne, un levier pour la destruction de l’État impérialiste oppresseur, et plus généralement pour la révolution communiste mondiale.

Assurer le «développement économique indépendant» est un objectif purement bourgeois et d’ailleurs illusoire: quel développement économique indépendant est possible aujourd’hui à l’heure de la mondialisation? Quant au «contrôle ouvrier et paysan», slogan marqué du sceau de l’interclassisme, il s’agit du vieux et fantastique mot d’ordre trotskiste de grignotage économique des prérogatives sociales de la bourgeoisie: pas besoin d’attaquer et de détruire l’appareil d’État bourgeois, le prolétariat pourrait «contrôler», on ne sait comment, la bourgeoisie et son Etat! C’est une voie de garage! Les bourgeois l’ont compris depuis longtemps: ils ont multiplié les instances de «dialogue social» qui offrent un os à ronger aux réformistes qui se rêvent en gestionnaires.

 

Les trotskystes de la TC, héritiers du stalinisme

 

Ce Front anticolonial qui est le véritable clou du programme de la TC, n’est qu’une nouvelle mouture du front anti-impérialiste de stalinienne mémoire, c’est-à-dire un bloc avec des forces bourgeoises. Cette orientation que Trotsky combattit avec raison de toutes ses forces a historiquement conduit aux massacres des prolétaires en Chine et de manière générale à l’enchaînement du prolétariat aux intérêts bourgeois lors des luttes anticoloniales du siècle dernier. En 2009, la TC avait déjà défendu ce type de combinaison antiprolétarienne en Guadeloupe avec le LKP (4). Elle le ressort aujourd’hui en arguant de la faiblesse du prolétariat à Mayotte où il n’y a «que 29% de salariés». Mais ce n’est pas parce que la prolétariat est faible et peu nombreux qu’il doit se fondre dans une alliance interclassiste! Contre cette fausse politique de l’Internationale Communiste, Trotsky en 1928 citait Lénine: «La force du prolétariat dans n’importe quel pays capitaliste est infiniment plus grande que la proportion du prolétariat dans la population totale. Cela, parce que le prolétariat commande économiquement le centre et les nerfs de tout le système de l’économie capitaliste, et aussi parce que (...) il exprime sous la domination capitaliste les intérêts réels de l’énorme majorité des travailleurs» (5)

Pour les communistes, la lutte anticoloniale ne doit pas masquer le caractère inconciliable des intérêts de la bourgeoisie, de la petite-bourgeoisie et du prolétariat. Il est impossible de s’allier dans un même parti ou un «front» avec des nationalistes bourgeois ou petits-bourgeois sans sacrifier les intérêts de classe du prolétariat. Les prolétaires doivent maintenir contre vents et marées leur indépendance politique totale vis-à-vis des autres classes et des autres forces, en particulier vis-à-vis des mouvements nationalistes, qui se retourneront inévitablement contre eux.

 Il est possible pour le prolétariat d’entraîner des couches petites-bourgeoises dans la lutte anticapitaliste, mais à la condition de ne pas abandonner ses positions de classe pour se placer sur leur terrain. «Si l’avant-garde du prolétariat russe ne s’était pas opposée à la paysannerie, écrit Trotsky, si elle n’avait pas mené une lutte impitoyable contra la confusion petite-bourgeoise et enlisante de cette paysannerie, elle se serait inévitablement dissoute elle-même dans les éléments petits-bourgeois». «On ne peut arriver à une alliance révolutionnaire avec la paysannerie, poursuit-il, (...) qu’en éduquant le parti prolétarien dans un esprit d’intransigeance bien trempé» (6). Et il parlait d’une époque ou de situations où la paysannerie était encore une classe révolutionnaire (la révolution démocratique et nationale bourgeoise n’ayant pas encore eu lieu), ce qui n’est plus le cas de nos jours!

Rien ne sert d’énoncer quelques considérations justes sur les intérêts stratégiques de l’impérialisme français, et d’un appel, qui sonne inévitablement creux, à la «révolution permanente», si on abandonne au passage l’essentiel: l’indépendance de classe du prolétariat. Ce que démontre la TC, c’est son incapacité à se placer sur des positions révolutionnaires prolétariennes, car, en dépit de tous les discours «marxistes», est, comme tous les courants trotskystes, elle est incapable de rompre avec les forces de la collaboration des classes, ces agents d’influence de la bourgeoisie.

 

 


 

(1) Mahamoud Azilhary, dans un ouvrage cité par l’hebdomadaire Marianne, 12/4/2016

(2) Grève générale à Maoré/Mayotte: à bas le colonialisme, vive la révolution permanente!, http:// tendanceclaire. org/ article. php? id=935

(3) http://www.linfokwezi.fr/wp-content/uploads/2016/04/courrier-1er-min.pdf

(4) Grève générale en Guadeloupe et en Martinique – Contribution de la Tendance Claire du NPA», 2 mars 2009

(5) cf «L’internationale Communiste après Lénine», PUF 1969, tome 2, p. 341.

(6) Ibidem, p. 357.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top