Gilberto Brizuela

«La matière ne meurt jamais»

(«le prolétaire»; N° 522; Novembre-Décembre 2016 / Janvier 2017)

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C’était l’époque des années de crise des fronts guérrilleristes qui étaient encore en partie actifs au Venezuela... Dans cette ambiance un groupe de jeunes proches du parti armé Bandeja Roja de tendance néo-stalinienne, et d’autres organisations du même style, commencèrent à organiser des cercles d’étude; le but était d’arriver à une clarification après les diverses crises politiques, qui étaient aussi des crises idéologiques que connaissaient ces groupes dans le va-et-vient de la dite guerre froide; ils se demandaient par exemple quel sens il y avait  à partir le fusil à l’épaule en pleine montagne, loin de tout, avec comme objectif la même démocratie bourgeoise, camouflée derrière une prétendue «démocratie populaire» ou «libération nationale», qui les pourchassait et les assassinait; ou pourquoi  on devait continuer à voir Cuba et l’URSS comme des Etats socialistes; ou encore, en constatant que l’Etat russe n’était pas celui «du peuple tout entier», quelle était la nature politique et économie de l’URSS.

Face aux incohérences et aux absurdités que tous ces groupes défendaient, commença à mûrir dans ces cercles d’étude un intérêt vers d’autres positions peu connues au Venezuela, comme celles de la Gauche communiste et d’un de ses dirigeants en particulier: l’ «innommable» Amadeo Bordiga et le Parti Communiste International dont il fut l’un des promoteurs.

 Au cours de ce processus d’étude et au milieu des premières difficultés sociales et économiques du pays pétrolier, une poignée de militants, dont Gilberto Brizuela, décidèrent de prendre contact et d’adhérer aux thèses du parti; et ils fondèrent bientôt  la première section du Parti Communiste International au Venezuela.

Malheureusement, avec la crise du parti en 1982, la jeune section à peine constituée et souffrant d’inévitables limites théoriques, historiques, de langue et y compris d’isolement géographique, fut déstabilisée et Gilberto entra en contact puis se perdit dans d’autres groupes se réclamant aussi de la Gauche Communiste (1).

Le «poète» comme on l’appelait dans son quartier, n’était pas poète; il écrivait comme Marx quand celui-ci faisait des vers pour sa mère: très mal, et en plus ses vers ne sortirent jamais de chez lui. Mais il était par contre un grand déclamateur et réciteur de poésie de premier ordre (d’où le malentendu), un interprète capable de faire lever n’importe quel auditeur de sa chaise! Il possédait une force dramatique qui, le verbe fait homme, appelait à participer dans la rue et dans l’action au militantisme. C’est ainsi, s’appliquant à lui-même ce qu’il proclamait, qu’il devint un militant sensible aux problèmes politiques et théoriques de la révolution prolétarienne; et dès lors qu’il eût empoigné pour la première fois, en 1980, les textes vraiment marxistes, contre vents et marées, il ne les abandonna jamais jusqu’à sa mort survenue le 27 avril 2016. Et il faut savoir qu’au Venezuela face à tant de chiens staliniens qui mordent encore, la pression psychologique et physique est énorme, semblable à celle à laquelle est soumis un objet statique face à un cyclone, et qu’elle réclame parfois une force de résistance quasi-surhumaine.

Le titre que nous avons donné à cette nécrologie renvoie à une anecdote, triste et comique à la fois: un beau jour, dans un de ces cercles d’étude dont nous avons parlé, en pleine lecture d’Engels et du matérialisme marxiste, une participante arriva en retard à la réunion en expliquant que son oncle était décédé. Le jeune Gilberto n’hésita pas à lancer sa phrase favorite, empruntée au chimiste français Lavoisier: «la matière ne meurt jamais»... et la jeune fille fondit en larmes!

Mais quand cette matière faite de sang, de cartilages et d’os s’appelle Gilberto Brizuela, dont nous connaissons son histoire militante et communiste, même si sa transformation irréversible suscite tristesse et mélancolie, elle continue cependant à vivre dans notre mémoire, nous stimulant pour continuer notre tâche difficile de maintenir en vie, au delà de la mort de l’individu, la flamme du communisme révolutionnaire.

La classe ouvrière mondiale peut se sentir fière de toi, Gilberto.

 


 

(1) Les détails de la crise explosive du parti en 1982-83, et les caractéristiques de ces divers groupes ont été amplement traités dans notre presse; d’autre part ce n’est pas ici le lieu d’en parler.

(2) Pendant des années, avant de militer dans le parti, le «Poète» fut cyniquement et vulgairement utilisé jusqu’à la corde pour animer les manifestations politiques des diverses organisations opportunistes gauchistes; mais après le coup d’Etat manqué contre Chavez, ces mêmes forces cherchèrent à le lyncher; elles organisèrent même un rassemblement autour de chez lui en l’accusant carrément de soutenir les putschistes – pour le simple fait d’avoir critiqué le pseudo-socialisme de Chavez!

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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