«Demo blitz» à Détroit (USA): les damnés du plomb

(«le prolétaire»; N° 527; Janv.-Févr.-Mars 2018)

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Détroit, ancienne capitale de l’automobile dominée par le Big Three (General Motors, Ford, Chrysler), est une ville durement frappée par la guerre menée par le capital contre les prolétaires étasuniens.

 

Une ville fantôme

 

La ville a été ravagée par la crise et par les délocalisations qui l’ont accentuée. Entre 1950 et aujourd’hui, la population a presque été divisée par trois (passant de 1,9 million à 670 000) et 35 % de son territoire a été déserté par les habitants. Celui lui a valu le surnom de «Shrinking City», la ville qui rétrécit.

La crise des subprimes et celle qui a touché le secteur automobile ont fait des ravages dans la ville : un tiers des maisons ont été saisies ou abandonnées par leurs propriétaires incapables de continuer à rembourser le crédit. Selon un recensement, 70 000 bâtiments sont abandonnés dont 40 000 sont au bord de l’effondrement.

Un article de 2010 décrivait son paysage: «Dans certains blocs ne restent que deux ou trois demeures habitées. La ville prend alors des allures de cité engloutie : les carcasses carbonisées, les parkings abandonnés, les usines désaffectées l’ont transformée en une vaste friche. A l’horizon désert, herbes et arbres arasent les maisons désolées. L’urbain se décompose. Les densités se font rurales. Le paysage s’ensauvage lorsque s’y mêle le chant du coq ou les stridulations incessantes des sauterelles» (1).

Le taux de chômage a explosé. Officiellement, il a doublé pour dépasser les 25 %, en réalité, il s’approche sans doute du double. Les pauvres souffrent de la faim et du froid à cause des coupures de courant qui les frappent faute de pouvoir payer leurs factures. Dans cette ville où 85 % de la population est afro-américaine, les indicateurs de santé de la population sont ceux des pays dominés. Le taux de mortalité infantile est le triple de celui du reste des Etats-Unis et est donc au niveau du Sri Lanka.

Le pays du capitalisme triomphant est un enfer pour les prolétaires!

 

Démolition de masse

 

Les bourgeois ont décidé de résoudre le problème en s’attaquant aux prolétaires. Un vaste plan de «rénovation» urbaine a été décidé et mis en œuvre à partir de 2013. Il consiste à réduire le périmètre de la ville en détruisant 40 000 maisons et en faisant déménager des habitants des quartiers dépeuplés vers des secteurs plus densément peuplés. Ce projet dit de «Demo Blitz», c’est-à-dire de démolition massive, s’habille de «développement durable» avec sa volonté de densifier l’habitat et réduire l’étalement urbain. En réalité, ses moteurs principaux sont de faire des économies en réduisant les dépenses d’équipement (distribution d’eau et d’électricité, assainissement, voirie…) par la diminution de la surface de la ville, de faire engranger le maximum de profit aux patrons du BTP et de faire repartir à la hausse les prix de l’immobilier.

Ce plan de démolition a une nature fondamentalement anti-prolétarienne: les travailleurs se voient privés du logement pour lequel ils se sont saignés pendant des années et doivent attendre un relogement. Il n’y a aucun doute que leur situation ne pourra qu’empirer.

La situation de Détroit est celle de toutes les villes «réhabilitées» ou «rénovées» par les capitalistes. Il y a près d’un siècle et demi, Engels en faisait déjà le constat:

«En réalité, la bourgeoisie n’a qu’une méthode pour résoudre la question du logement à sa manière – ce qui veut dire : la résoudre de telle façon que la solution engendre toujours à nouveau la question. Cette méthode porte un nom, celui de “Haussmann”. Par là j’entends ici non pas seulement la manière spécifiquement bonapartiste du Haussmann parisien de percer de longues artères droites et larges à travers les quartiers ouvriers aux rues étroites, et de les border de chaque côté de grandes et luxueuses constructions; le but poursuivi – outre leur utilité stratégique, les combats de barricades étant rendus plus difficiles -, était la constitution d’un prolétariat du bâtiment, spécifiquement bonapartiste, dépendant du gouvernement, et la transformation de la ville en une cité de luxe.

J’entends ici par “Haussmann” la pratique qui s’est généralisée d’ouvrir des brèches dans les arrondissements ouvriers, surtout dans ceux situés au centre de nos grandes villes, que ceci réponde à un souci de la santé publique, à un désir d’embellissement, à une demande de grands locaux commerciaux dans le centre, ou aux exigences de la circulation – pose d’installations ferroviaires, rues, etc.

Quel qu’en soit le motif, le résultat est partout le même: les ruelles et les impasses les plus scandaleuses disparaissent et la bourgeoisie se glorifie hautement de cet immense succès – mais ruelles et impasses resurgissent aussitôt ailleurs et souvent dans le voisinage immédiat» (2).

Ce programme est aujourd’hui bien avancé: 13 000 maisons ont été détruites dans la ville. Ces coups de bulldozers se font au mépris complet de la santé des prolétaires qui travaillent sur les chantiers mais aussi de celle des prolétaires qui résident à Détroit.

 

Empoisonnement au plomb

 

De récentes études ont révélé que Détroit détient le plus fort taux d’enfants empoisonnés au plomb (8,8 % et 22 % dans certains quartiers). Elle devance largement sa voisine Flint (moins de 3,6 % d’enfants intoxiqués) qui a été l’objet d’un vaste scandale sanitaire lié à l’empoisonnement de l’eau potable pour cause d’austérité budgétaire.

Les démolitions sont les principales responsables de cette crise sanitaire. Les peintures au plomb sont présentes dans beaucoup de maisons car elles n’ont été interdites qu’en 1978. On savait depuis très longtemps que le plomb dans la peinture était toxique. Au début du XXe siècle, le mouvement syndical avait dénoncé une des formes de l’utilisation du plomb, la césure. En 1906, une grève des peintres contre son utilisation avait mobilisé 5 000 à 10 000 prolétaires. Si la césure est abandonnée en grande partie lors du premier entre-deux-guerres, la peinture au plomb continuera d’être utilisée pendant de longues années.

Lors des démolitions, la peinture au plomb est réduite en poussière et se diffuse dans l’air. Habiter à moins de huit maisons d’une démolition augmente de 20 % le risque de contamination selon une étude du Département de la santé sur 50 000 enfants. Depuis 2013, autour de 2 000 enfants par an sont testés positifs à des niveaux élevés de plomb. Pour faire baisser les statistiques, les autorités ont décidé de… diminuer le nombre d’enfants testés (25 395 en 2016 contre 28 700 en 2012).

Les conséquences de ces intoxications sont multiples : troubles du comportement, difficultés d’apprentissage, problèmes de développement, maux de tête, anémie…

A cette intoxication au plomb s’ajoute d’autres risques pour la santé publique. C’est par exemple le cas avec l’amiante: les pouvoirs publics contrôlent peu ou pas les entreprises de démolition qui ne se gênent pas pour se débarrasser de l’amiante sans se soucier de la population.

Le principal coupable n’est pas la malveillance de certains mais le capitalisme lui-même. Comme le disait Rosa Luxemburg, il y a plus d’un siècle, à propos du sort des prolétaires sans-abris intoxiqués: «Le véritable bacille […] c’est l’ordre social capitaliste à l’état pur» (3).

 

Au Blitz bourgeois, répondre par un Blitz prolétarien

 

La situation des prolétaires de Détroit est bien sombre: chômage, misère, faim, froid et maladie!

La solution n’est pas à attendre des pleureuses humanitaires ou des spécialistes de l’urbanisme bourgeois toujours prêts à nous raconter comment améliorer la ville. Non! La seule réponse est la destruction du capitalisme par une guerre générale, totale et directe. Cette guerre nécessite un état-major, le Parti mondial de la Révolution communiste.

Cette tâche peut sembler lointaine mais c’est la seule réaliste pour arracher les masses prolétariennes à la misère et les jeunes prolétaires à l’empoisonnement par le plomb ou l’amiante.

Ces victimes prolétariennes d’empoisonnement devront être vengées. Nous ne pouvons que souscrire à la conclusion de Rosa Luxemburg dans l’article cité plus haut :

«A bas l’infâme régime social qui engendre de pareilles horreurs!»

 


 

(1) cf Le Monde Diplomatique, janvier 2010

(2) cf «La question du logement», 1872

(3) cf «Dans l’asile de nuit», 1er janvier 1912

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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