Vague de grève dans l’éducation aux Etats-Unis. C’est sur le terrain de classe que les travailleurs peuvent arracher la victoire!

(«le prolétaire»; N° 529; Juin - Juillet - Août 2018 )

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Depuis le début de l’année 2018, les Etats-Unis sont touchés par des grèves massives des travailleurs de l’éducation. L’élément déclencheur a été la lutte menée en Virginie occidentale.

De fin février à mi-mars, 20 000 enseignants et plus de 10 000 conducteurs de bus scolaires, agents de restauration et autres employés se sont mis massivement en grève pour une augmentation de salaire et une meilleure prise en charge des dépenses médicales. Cette grève a été en partie victorieuse: les travailleurs ont gagné 5 % d’augmentation pour eux mais aussi pour tous les travailleurs du secteur public. Cette victoire est partielle car rien n’a été obtenu pour la santé; or la hausse des coûts des soins médicaux, seulement «gelée» provisoirement pendant 17 mois, risque d’annuler de fait l’augmentation de salaire.

 

Malgré cela, cette grève est exemplaire car elle a été menée, en partie, sur le terrain de classe

 

Les travailleurs se sont battus sur leurs revendications propres – augmentation de salaire et accès moins coûteux à la santé – et pas sur une perspective de réformer le système éducatif pour le rendre plus «démocratique» ou plus «émancipateur». La question salariale est essentielle: beaucoup gagnent un salaire réel de moins de 15$ l’heure, les familles de certains enseignants doivent bénéficier du programme alimentaire gouvernemental, de nombreux enseignants sont contraints de cumuler deux emplois… La situation du personnel non enseignant est aussi dramatique.

Ils se sont battus avec une arme de classe: la grève sans limitation préalable de durée. Les travailleurs ont cessé le travail pendant neuf jours sans s’épuiser dans la stratégie de multiplier des débrayages qui – par leur caractère ponctuel – ne s’attaquent pas à l’employeur mais quémandent seulement d’être «écoutés». La stratégie des «journées d’action» ou des grèves perlées défendue par le collaborationnisme sert uniquement à affaiblir la riposte et épuiser les grévistes.

Au contraire, en Virginie, pendant neuf jours, toutes les écoles publiques (757 au total) dans les 55 comtés de l’État ont été fermées. Cette période de grève a été menée alors que les syndicats ne souhaitaient appeler qu’à une grève tournante, puis une grève limitée de deux jours.

Le combat a été mené dans l’unité. Les travailleurs ont mené le combat coude à coude, au-delà des divisions catégorielles : enseignants, chauffeurs de bus, employés de restauration ou d’entretien, personnel administratif… Le combat a réuni les travailleurs affiliés aux syndicats représentants les différentes catégories de personnels: la West Virginia Education Association (WVEA), la Fédération américaine des enseignants de Virginie-Occidentale (AFT-WV) et l’Association du personnel de service scolaire de Virginie-Occidentale (WVSSPA) et les non syndiqués. De plus, les grévistes se sont battus pour l’augmentation du salaire de tous les travailleurs de l’État, soit 200 000 personnes (plus de 10 % de la population de la Virginie Occidentale).

Cette grève a été menée malgré et contre la légalité bourgeoise. Le droit de grève est limité dans cet Etat et, en 2016, une loi dite du «droit au travail» est entrée en vigueur pour paralyser au maximum l’activité syndicale. Peu avant le début de la grève, le procureur général de l’État a déclaré que celle-ci serait illégale et a menacé les travailleurs d’«agir» (c’est-à-dire de réprimer) car «l’arrêt de travail imminent est illégal». En Virginie-Occidentale, les syndicats des enseignants et des autres agents publics n’ont jamais eu de reconnaissance légale, ils sont considérés comme des «associations bénévoles».

Les travailleurs se sont auto-organisés. La grève a été déclenchée par des discussions dans les écoles, ainsi que sur les médias sociaux, par des enseignants dans les comtés houillers du sud. Le très bourgeois New York Times notait que les enseignants de Virginie occidentale avaient «trouvé des moyens de s’organiser et d’agir en dehors du syndicalisme traditionnel. Les enseignants et les travailleurs des services publics à travers l’État ont exprimé leurs frustrations dans un énorme groupe Facebook, et leur débrayage a fini par inclure des membres de trois syndicats différents et de nombreuses personnes non syndiquées» (1). Les syndicats ont été contraints de travailler ensemble mais aussi avec les non-syndiqués à l’échelle de chaque comté (2).

Les grévistes ont ainsi réussi à contrecarrer les manœuvres des bonzes collaborationnistes. Non seulement, les grévistes ont refusé de se laisser enfermer dans une grève limitée dans le temps mais ils n’ont pas accepté de reprendre le travail après une première annonce d’accord entre le gouverneur et les syndicats. Les grévistes, jugeant à juste titre les garanties insuffisantes (cet accord prévoyait en outre que l’augmentation des salaires serait payée par une diminution des dépenses sociales), ont voté comté par comté. A l’issue du vote, la décision était nette: poursuivre la grève, garder les écoles fermées.

Les salariés de l’enseignement ont cherché la solidarité de classe. Ils n’ont pas lancé des appels aux usagers ou à la défense d’un supposé «intérêt général». Ils se sont tournés vers la nombreuses classes ouvrières de cet Etat minier. Ils ont témoigné d’une réalité solidarité classiste envers les familles prolétaires. Dans un État où la pauvreté est élevée, où les deux-tiers des élèves dépendent du petit-déjeuner et du déjeuner gratuits, les grévistes et leurs soutiens ont recueilli et distribué de la nourriture pour leurs enfants tout au long de la grève.

Ils se sont souvenus des luttes des mineurs des années 70 avec des piquets de grève interdisant le travail. Ils ont fièrement porté des foulards rouges, en référence à la grande grève des mineurs des années 1920, les Guerres du charbon. Pendant ces conflits, des milliers de mineurs se sont armés pour faire face aux troupes, aux flics et aux briseurs de grève. Ce fut l’un des plus grands soulèvements prolétariens de l’histoire des États-Unis; de nombreux mineurs furent assassinés et environ un millier passèrent en jugement sous les accusations de meurtre, conspiration et trahison.

 

Même si la victoire des grévistes est partielle, leur lutte est exemplaire à plus d’un titre

 

La grève des enseignants de Virginie Occidentale a été largement commentée par les groupes qui s’affirment révolutionnaires. Si certains ont voulu y voir plus que ce qu’elle signifiait réellement – un premier pas prometteur – d’autres, l’ont dénigrée en raison de ses limites. C’est en particulier le cas des trotskystes du Comité international de la Quatrième Internationale (leurs sections nationales portent le nom de Parti de l’Egalité Socialiste et ils animent le site wsws.org) qui présentent son résultat comme une défaite et une trahison: «Contrairement aux proclamations des syndicats, cependant, l’accord conclu pour mettre fin à la grève n’est pas une victoire pour les enseignants (…). De plus, la hausse unique des salaires de 5 % pour les travailleurs du secteur public sera financée par d’importantes coupes dans les programmes sociaux (…). Au lieu de taxer les riches et les sociétés énergétiques qui dominent l’État et contrôlent les démocrates et les républicains, tout financement supplémentaire pour de maigres augmentations de salaire viendra de l’annulation d’un programme gratuit de scolarité des collèges communautaires, une réduction de 10 millions de dollars dans le programme des soins de santé de Medicaid pour les résidents à faible revenu, l’élimination du nouveau financement pour les cliniques de soins de santé gratuits, et d’autres réductions» (3).

Primo, arrêter une grève, même sur un compromis, surtout lorsque ce sont les travailleurs qui le décident eux-mêmes et non les bureaucraties syndicales à leur place, n’est pas forcément un échec et encore moins une trahison. Le rapport des forces peut être trop défavorable pour continuer la lutte avec des chances de succès; il vaut mieux alors arrêter le conflit pour le reprendre plus tard avec plus de chances de succès, plutôt que risquer une défaite écrasante qui démoraliserait pour longtemps les travailleurs et les désorganiserait.

Comme le disaient Marx et Engels dans le Manifeste communiste: «Le résultat immédiat des luttes est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs». Il ne faut pas juger une lutte sur la seule base de ses résultats contingents immédiats. Voilà pourquoi il faut savoir apprécier les possibilités réelles de succès selon le rapport des forces à un moment donné et se donner des objectifs immédiats sur la base de ce rapport des forces, sans perdre de vue l’objectif à plus long terme du maintien et du renforcement de la solidarité et de l’organisation de classe. Il est clair que les travailleurs de Virginie n’avaient pas la capacité et l’organisation d’imposer un rapport des forces plus favorable pour aller plus loin (certains grévistes avaient proposé d’occuper le Capitole).

Secondo, au réformisme («taxer les riches») s’ajoute un procédé honteux: diviser les rangs des travailleurs en accusant les grévistes qui ont obtenu une augmentation d’être responsables des mesures d’austérité qui frappent les prolétaires (qui de toutes façons été prévues!) C’est digne des politiciens et des médias bourgeois qui aiment présenter certaines catégories de travailleurs comme des privilégiés. N’en déplaise au CIQI/WSWS, les prolétaires ne peuvent, tant que subsistent l’État bourgeois et le capitalisme, prétendre être victorieux en tout temps et en tout lieu, même en utilisant le moyen de la grève, même avec des méthodes classistes. Mais ce dont ils doivent être convaincus par contre, c’est qu’il n’existe pas de moyen plus efficace pour obtenir satisfaction.

Les travailleurs de l’éducation de Virginie ont ébranlé le maudit statu quo social en utilisant l’unique arme pour résister aux attaques capitalistes: la grève. Cette grève a été massive, unifiante et a suscité la solidarité de classe. Elle sert aujourd’hui d’exemple à des luttes de grande ampleur dans l’éducation en Arizona, au Kentucky, en Caroline du Nord, au Colorado, Oklahoma…

En Oklahoma, les coupes budgétaires ont été très importantes (-30 % en dix ans), les enseignants doivent payer une partie du matériel scolaire et les écoles doivent fermer un jour de plus en semaine pour limiter les dépenses de fonctionnement.

En Arizona, la situation est aussi dramatique: «les classes sont surchargées, les bureaux cassés et non remplacés, les plafonds menacent de s’effondrer. Il manque des chaises mais pas de rongeurs qui envahissent les écoles, le matériel est hors d’âge et les bus scolaires ne sont pas équipés en air conditionné. Une des cartes affichées dans une classe indique encore l’Union Soviétique, des manuels parlent toujours du président George W. Bush» (4).

Là encore, les travailleurs se sont organisés de manière autonome en prenant conseil auprès des grévistes de Virginie.

Ils ont préparé minutieusement la grève pendant deux mois avant de la déclencher. Cela a permis de rassembler plus de 100 000 personnes – travailleurs de l’éducation mais aussi des familles – dans un millier de manifestations le 11 avril, qui furent aussi des moments de discussion pour décider des formes de lutte à mettre en œuvre. Dès le 12 avril, le gouverneur a ravalé sa proposition de 1 % d’augmentation et a annoncé une augmentation de 20 % du salaire des enseignants d’ici 2020 mais aussi une hausse du budget. Ce premier recul n’était pas suffisant pour les travailleurs car ils défendaient une augmentation pour tous les personnels et pas seulement les professeurs. Lors d’un vote, près de 80 % des 57 000 travailleurs participants se sont prononcés pour la grève. Celle-ci s’est déroulée du 26 avril au 3 mai, et elle a obtenu satisfaction: une augmentation immédiate des salaires de tous les travailleurs de 10%, à laquelle s’ajouteront 5% en 2019 et 5% en 2020.

 

Les travailleurs de l’éducation ont montré que pour les exploités «notre arme, c’est la grève!»

 

Plus que jamais, face aux manœuvres du collaborationnisme qui met en avant ses «journées d’action», ses «grèves perlées» ou ses «grèves tournantes» lorsque tous les autres moyens légaux, juridiques et parlementaires ont été épuisés, les prolétaires doivent savoir que seule la grève sans préavis et sans limitation préalable de durée permet de construire le rapport de force le plus favorable pour l’obtention des revendications et permet d’unifier les luttes pour demain lancer une contre-offensive prolétarienne face aux attaques de la bourgeoisie

 


 

(1) «West Virginia Walkouts a Lesson in the Power of a Crowd-Sourced Strike», https://www.  nytimes. com/2018/03/08/us/west-virginia-teachers-strike.html

(2) Des grévistes auraient dit aux responsables syndicaux: «Ou vous nous suivez, ou nous allons vous écraser»! Cf. http://www. internationalist. org/westvirginiateachersrevolt 1803. html

(3) «Les leçons de la grève des enseignants de Virginie-Occidentale», http://www.wsws.org/fr/articles/2018/03/09/pers-m09.html. C’est aussi la position de la Tendance Communiste Internationaliste (Battaglia Comunista) dont l’antisyndicalisme de principe lui fait s’opposer même aux organisations de travailleurs à la base (rank and files organizations): cf http://www. leftcom. org/en/articles/2018-06-01/usa-the-role-of-the-union-in-the-teachers-strikes

(4) «La révolte des enseignants aux États-Unis», npa2009.org

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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