A Mayotte une crise sociale que seul le prolétariat peut réellement combattre

(«le prolétaire»; N° 529; Juin - Juillet - Août 2018 )

Retour sommaires

 

 

Pendant plusieurs semaines et même mois, Mayotte a été secouée par un mouvement de protestation de grande ampleur: manifestations, grèves, barrages routiers. Commencé en janvier le mouvement ne s’est terminé qu’en avril. Sa cause est la situation sociale désastreuse de la majorité de la population: selon les chiffres officiels eux-mêmes 84% de la population se trouverait sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage serait de 36%. Les infrastructures sont défaillantes que ce soit le logement, l’accès à l’eau potable, les voies de communication, les écoles, les équipements hospitaliers, etc. Des dizaines de milliers d’habitants vivent dans des bidonvilles insalubres et dangereux; cela cause parfois des drames comme le 10 janvier où une femme et ses 4 enfants sont morts lorsque leur case sur les hauteurs de Koungou a été emportée par une coulée de boue, mais cette insalubrité explique aussi par exemple la prévalence de la tuberculose à Mayotte. L’Etat français n’a investi que le strict minimum pour assurer la pérennité de sa présence, sans aucun rapport avec les besoins d’une population en développement rapide: elle a été multipliée par 11 en soixante ans, dépassant maintenant les 250 000 habitants. En outre la misère engendre une délinquance grandissante.

Bref l’île de Mayotte n’est plus ce petit paradis néo-colonial convoité par les fonctionnaires métropolitains aspirant à passer quelques années bien payées sur les rivages du lagon...

Mayotte, composé d’une île principale entourée de plusieurs petites, fait partie de l’archipel des Comores, protectorat français depuis 1886: c’est sa place stratégique dans la zone maritime entre Madagascar et le Mozambique, qui avait attiré l’intérêt de l’impérialisme tricolore. En 1974 la France organisa un référendum d’autodétermination des Comores dans la perspective d’accorder une indépendance négociée; le «oui» à l’indépendance l’emporta à 90%, sauf à Mayotte où c’est le non qui fut majoritaire. Le gouvernement français argua de ce résultat pour décider que Mayotte resterait française, les résultats du référendum devant être comptabilisés île par île contrairement à ce qui était prévu initialement (1).

Les projets de création d’une base navale importante à Mayotte pour la flotte française dans l’Océan Indien ne se concrétiseront pas; l’impérialisme français se contenta d’y maintenir quelques centaines de militaires puis d’y installer en 2000 une station d’écoute satellitaire faisant partie de son réseau d’espionnage des communications. Cependant il ne se désintéressait pas du reste des Comores, où des mercenaires du tristement célèbre Bob Denard intervinrent à plusieurs reprises à son instigation pour renverser ou consolider les autorités locales. Mais Denard, qui se faisait appeler le «corsaire de la République» commit l’erreur de jouer un rôle indépendant: en septembre 1995, il tenta de renverser le président du moment avec quelques dizaines de mercenaires, mais il dût se rendre aux 600 soldats français dépêchées rapidement sur place pour faire échec à son entreprise.

En 2011 Mayotte passa du statut de DOM à celui de département français. Si les habitants s’attendaient à bénéficier d’une hausse de leur niveau de vie, ils durent rapidement déchanter et dès l’automne de la même année l’île connut une vague d’agitation et de manifestations culminant dans une grève générale contre la hausse des prix et plus généralement contre la détérioration de leurs conditions de vie. Des magasins furent pillés et un manifestant tué par la police. Après 44 jours de grève le mouvement sera suspendu et un accord est passé entre l’intersyndicale et le patronat pour la baisse des prix de 11 produits de première nécessité.

En 2016 le département connut une autre vague de luttes et de grèves, mais l’intersyndicale réussit à la faire retomber en s’appuyant sur les «avancées» qui auraient été obtenues du gouvernement Hollande en avril: mais comme en Guyane, pour l’essentiel il ne s’agissait de rien d’autre que des promesses...

Le mouvement de 2018 a démarré sur la question de l’insécurité, après un caillassage et des bagarres entre bandes de jeunes dans un lycée. Dirigé par l’intersyndicale et le «Collectif des citoyens» qui semble être le facteur le plus important, il recevra le soutien des élus et du patronat (commerçants). Le Collectif des citoyens mettra particulièrement l’accent sur l’immigration clandestine, dénoncée comme cause première de la délinquance; des milices de citoyens furent organisées dans le nord de l’île pour «ratisser» les immigrés clandestins et les remettre à la police.

Il existe en effet ne forte immigration, en provenance essentiellement des Comores; l’immigration clandestine sur des bateaux de fortune, les «kwassas-kwassas», se solde par de nombreux morts en mer: il y en s ce qui supprimerait l’applicalation du «droit du sol» (cela coûterait moins cher que de donner à la maternité les moyens nécessaires son fonctionnement!); mais le personnel soignant, qui revendique l’amélioration de ses conditions de travail a averti qu’il combattrait ce changement qui aurait inévitablement pour lui des conséquences négatives sur son propre statut.

Selon un rapport sénatorial datant de quelques années (4), «le travail clandestin est généralisé dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche, du BTP, des taxis, et des emplois à domicile, où il implique fréquemment des fonctionnaires de l’Etat ou des élus»; les entreprises du bâtiment et des Travaux Publics compteraient 80% de travailleurs clandestins, etc...

Ce recours généralisé aux travailleurs sans-papiers explique pourquoi «la lutte contre l’immigration clandestine» ne sert qu’à contenir cette immigration dans des limites gérables tout en accroissant la pression sur cette catégorie de travailleurs si utiles à l’économie locale. Les arrestations et les expulsions de Comoriens sans papiers se multiplient depuis le mouvement actuel; mais en 2016 4300 mineurs Comoriens avaient déjà été jetés en prison en attente d’être expulsés au mépris de la loi sur la protection des enfants.

Après plusieurs semaines de manifestations et de blocages de routes, la venue de la ministre d’outre-mer en mars a semblé marquer la fin du conflit, alors que les commerçants commençaient à protester contre les entraves à la circulation. Le secrétaire de l’UD CGT et les délégués à la négociation appelèrent à la levée des barrages en déclarant qu’un accord de principe avait été obtenu avec la ministre; celle-ci annonçait la signature d’un accord sur des «mesures de sécurité d’urgence» (envoi de trois escadrons de gendarmerie supplémentaire, «renforcement de la présence de l’Etat», durcissement du contrôle de l’immigration, etc.).

Mais à l’issue d’une réunion entre l’intersyndicale, le Collectif des citoyens et les représentants de chaque barrage, les négociateurs étaient désavoués et la poursuite du conflit et le maintien des barrages décidés, les participants jurant même sur le Coran de ne pas trahir (l’islam est la religion dominante de la population). Il est vrai que les habitants ont appris à se méfier de l’intersyndicale... La lutte devait continuer tant que ne serait pas obtenu satisfaction sur «la sécurité, la lutte contre l’immigration clandestine et le développement du territoire».

Tandis que les barrages routiers devenaient «étanches», le port de Longoni par lequel arrivent 95% des importations de l’île, était bloqué le 20 mars par les manifestants. De son côté le patronat annonçait la suspension du paiement des salaires et la fermeture temporaire des entreprises impactées par les barrages.

Finalement le 3 avril le Comité des citoyens et l’intersyndicale appelaient à la levée immédiate des barrages, à la suite des négociations avec le nouveau préfet pour «faciliter un travail serein» avec les autorités en vue de l’élaboration d’un «plan de développement de Mayotte» et après avoir reçu des assurances sur «le maintien du statut de département de Mayotte».

Mais cette décision ne rencontrait pas l’assentiment de tous et de nouveaux barrages étaient mis en place dès le lendemain; ce n’est que le 6 avril, après une intervention policière, que le barrage du port était levé et il faudra attendre le 9 avril pour que tous les barrages soient évacués.

Le 15 mai le gouvernement annonçait un plan d’1,5 milliards d’euros pour Mayotte. S’il comprenait des mesures sociales comme la gratuité du ticket modérateur, le recrutement de personnels dans la santé, etc. en bonne place se trouvaient des mesures d’aide aux entreprises, l’allégement du coût du travail, etc. Et bien entendu le volet sécurité et lutte contre l’immigration étaient au centre....

Mais le gouvernement Comorien ayant décidé de ne plus accueillir ses ressortissants expulsés de Mayotte; des négociations diplomatiques furent alors engagées. A Mayotte le Collectif des citoyens, dénonçant «l’opacité» de ces négociations et redoutant que la France abandonne sa souveraineté sur l’ïle dans le cadre d’une «Communauté d’Archipel des Comores» négociée avec le gouvernement comorien, appelait à la mi-mai une manifestation, soutenue par l’Intersyndicale, en défense du «peuple mahorais» (les habitants de Mayotte) et du caractère français de l’île, de son statut de département et de l’égalité de traitement avec les autres départements...

 

*    *    *

 

Le plan gouvernemental ne pourra apporter qu’un maigre palliatif aux problèmes sociaux de la population; il ne représentera pas une solution aux problèmes les plus criants dont souffrent les habitants les plus pauvres; il ne résoudra pas la crise aigüe du logement et ne résorbera pas les bidonvilles (il prévoit la mise en construction de... 400 logements sociaux); il ne résoudra pas les problèmes du chômage, de l’accès aux soins; et la situation restera «explosive» à Mayotte...

Les prolétaires et les habitants déshérités de l’île ont fait preuve une nouvelle fois de combativité; mais s’exprimant dans un cadre interclassiste, cette combativité ne pouvait qu’être orientée vers des objectifs bourgeois et réactionnaires, prenant pour cible d’autres prolétaires encore plus mal lotis, les immigrés sans papiers.

 Ce ne sont pas les immigrés comoriens qui sont responsables de la misère et du chômage, mais l’impérialisme français et le mode de production capitaliste. Ce sont eux que les prolétaires devront combattre en s’unissant par-delà les frontières dans une lutte exclusivement de classe.

Le rôle du prolétariat français sera particulièrement important à cet égard, surtout en tenant compte de l’importance de l’immigration prolétarienne comorienne en France: Marseille serait la plus grande ville comorienne avec plus de 80 000 ressortissants de l’archipel où ils sont régulièrement victimes d’exactions racistes; en 2011. Claude Guéant, le ministre de l’intérieur de Sarkozy, avait même accusé les Comoriens d’être responsables de la criminalité dans la ville, accusations que l’on retrouve aujourd’hui à Mayotte! Les prolétaires français, comoriens et mahoris ont le même ennemi, ils devront s’unir dans un combat commun contre lui!

 


 

(1) En 1958, lors d’un précédent référendum d’autodétermination, les résultats avaient inverses: le «non» à l’indépendance l’avait emporté dans l’archipel, sauf à Mayotte. Mais pas question alors de comptabiliser les résultats île par île!

(2) Cf Insee Flash Mayotte n°54, 31/8/2017

(3) C’est ce qui donne tout sens à la «fine» plaisanterie de Macron, qui, lors d’une visite le 3/ 6 à un centre de secours en mer au Morbihan, déclara que les kwassa-kwassa servait à «amener du Comorien à Mayotte».

(4) cf «Contre rapport réalisé par le Collectif Migrants Mayotte» présenté le 4/9/2008 à la délégation sénatoriale présente à Mayotte, en écho au rapport Torre sur l’immigration clandestine à Mayotte.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top