Italie : Soumaila Sacko, ouvrier agricole malien tué à coups de fusil dans la plaine de Gioia Tauro

(«le prolétaire»; N° 529; Juin - Juillet - Août 2018 )

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Le 2 juin dernier, jour où la classe dominante italienne fête sa République «fondée sur le travail» comme le dit la Constitution, c’est-à-dire fondée sur l’exploitation de la force de travail salariée, quelques travailleurs immigrés fouillaient un édifice en ruine dans la plaine de Gioia Tauro (près de la petite ville de Rosarno, en Calabre) pour y trouver des planches afin de construire un abri pour se reposer, quand ils ont été attaqués à coups de fusil. Soumaila Sacko, 29 ans, touché à la tête, mourût lors des son transfert à l’hôpital tandis qu’un autre travailleur était blessé.

Ce n’est pas la première victime tombée dans cette plaine. En 2010 après une attaque à coups de fusil, les travailleurs agricoles africains manifestèrent à Rosarno, s’affrontant pendant deux jours à la police et à des groupes d’habitants (1). Deux ans auparavant deux ouvriers agricoles africains avaient déjà été blessés par des jeunes italiens qui les avaient attaqués à coups de revolver. En janvier de cette année une femme a été brûlée vive dans un incendie criminel dans un bidonville proche de Rosarno où s’entassent les travailleurs immigrés venus pour la cueillette des olives et des oranges, Selon des estimations non officielles mais jugées fiables, il y aurait dans la plaine de Gioia Tauro près de 5000 travailleurs immigrés, pour la majorité sans-papiers et vivant dans des conditions épouvantables (2).

La surexploitation à laquelle sont soumis des milliers de travailleurs immigrés souvent arrivés en Italie après avoir connu d’innombrables exactions, après avoir bravé les conditions les plus dures, en particulier en Libye, et les dangers de la traversée, est connue depuis longtemps; mais aucun organisme d’Etat n’est jamais intervenu pour y mettre fin; les seules interventions qui ont eu lieu l’ont été pour arrêter et expulser les sans-papiers – tout en laissant bien sûr une main d’oeuvre taillable et corvéable à merci suffisante pour les entreprises agricoles locales, grandes ou petites.

 Travailler 10 à 2 heures par jour dans les champs à récolter à la main des fruits et des légumes pour un salaire qui ne dépasse pas les 25 euros par jour (dont 10 sont retenus par les contremaîtres), vivre dans des logements précaires et être en butte aux violences racistes, tel est le sort de ces travailleurs immigrés.

Tant que le nombre de migrants était limité, la bourgeoisie italienne discutait de règles pour l’accueil des étrangers et les demandeurs d’asile; mais quand le flux a atteint des proportions considérables, des lois ont élaborées pour s’opposer au phénomène de l’immigration «clandestine», établissant en outre une distinction entre immigrés «économiques» et réfugiés politiques. Depuis la dernière crise économique en particulier, avec ses conséquences désastreuses sur les pays du Moyen-Orient, les forces politiques bourgeoises, de droite comme de gauche, y ont répondu en construisant des centres de rétention, en faisant la chasse aux sans-papiers et en tentant de réduire au maximum le débarquement de migrants sur les côtes italiennes. Les accords européens de répartition de ces migrants dans les divers pays de l’UE n’ont pas été suivis d’effet; mais selon ces accords, l’Italie, pays d’entrée des migrants, a l’obligation de les identifier et d’expulser ceux qui ne correspondant pas aux critères établis. Cela a aggravé les difficultés de la bureaucratie italienne dont l’efficacité laisse en général à désirer, plongeant en conséquence beaucoup de migrants dans une existence précaire, les contraignant à vagabonder d’une ville à l’autre, à chercher des abris de fortune loin des yeux des habitants. Cela a amené de l’eau au moulin des politiciens de droite, et de la Lega en particulier, déjà défenseurs de l’italianité contre tout ce qui est étranger, ils se sont déchaînés contre les immigrés en général et contre ceux qui leur viennent en aide: «ils nous envahissent», «ils prennent le travail des italiens», «ils violent les femmes», «ils volent», «ils tuent»; Il faut donc les chasser et empêcher d’autres d’arriver. Au maximum, ceux qui font profession de charité chrétienne, soutiennent qu’«il faut les aider chez eux»...

Il ne s’agit pas là simplement de propagande électorale. Dans les périodes comme l’actuelle où les masses prolétariennes subissent plus violemment les effets de l’exploitation capitaliste et donc risquent de se révolter contre leur situation, les bourgeois ont tout intérêt à ce qu’elles dirigent leur colère non contre leur ennemi de classe – les capitalistes, leurs institutions et leur Etat – mais contre des couches sociales plus faibles, plus marginales et facilement identifiables. L’étranger, l’immigré, le noir, le gitan, l’homosexuel, etc., jouent alors le même rôle de bouc-émissaire qu’hier le juif.

C’est dans une telle période, où le prolétariat n’a pas encore la force d’entrer en lutte sur des bases de classe et de constituer ses organisations de défense classiste, que les membres de la petite bourgeoisie, les petits commerçants, les petits entrepreneurs, les petits propriétaires, sentent qu’ils doivent prendre en main, si possible en main armée, la défense de leur petite richesse contre «l’invasion étrangère» que l’Etat n’arrive pas à arrêter. Alors les petits bourgeois font pression pour que celui qui tue un voleur en fuite ne soit pas condamné; alors les petits bourgeois qui surexploitent les travailleurs immigrés se sentent le droit de tirer sur ceux qui sortent de leur bidonville pour aller récupérer des matériaux de rebut.

Au delà de ce qu’établira l’enquête judiciaire, il est incontestable que de tels crimes sont un résultat quasiment inévitable du climat de haine envers les prolétaires étrangers engendré par la campagne anti-immigrés des forces politiques qui sont maintenant au gouvernement.

Mais il y a un autre aspect important à prendre en compte: Soumaila Sacko était un militant de l’Union Syndicale de Base, une des rares organisations active parmi les prolétaires marginalisés comme les travailleurs agricoles ou de la logistique, et qui sont en grande partie des travailleurs immigrés. On ne saura peut-être jamais si le jeune malien a été tué parce qu’il était entré dans une propriété privée, même à l’abandon, ou parce qu’il représentait une menace pour les exploiteurs.

Malgré toutes les difficultés certains migrants ont pu s’organiser pour se défendre sur le plan syndical, montrant dans un certain sens une énergie classiste qui fait largement défaut chez les prolétaires autochtones. La même énergie s’est manifestée dans le secteur de la logistique, où immigrés et autochtones se sont solidarisés en faisant grève en diverses occasions, comme à la GIS, à la TNT ou à l’Ikea de Piacenza.

Pour avoir des résultats positifs, pour qu’elle ne reste pas un épisode isolé et qu’il soit possible d’en tirer des enseignements, la lutte de défense des intérêts ouvriers doit conduire à l’organisation de classe. Il est impossible de dire si des syndicats comme l’USB, le Sin-COBAS et autres pourront devenir l’embryon du futur syndicat de classe dont a besoin le prolétariat. La route sera longue et difficile pour que les prolétaires immigrés et autochtones puissent reconstituer un grand réseau organisationnel sur le terrain de la défense immédiate, en dehors des orientations collaborationnistes et des illusions démocratiques et pacifistes. Il n’y a pas de doute que l’apport des prolétaires immigrés sera non seulement important mais même décisif, étant donné que les patrons s’appuient sur la concurrence entre prolétaires nationaux et étrangers pour affaiblir toute la classe ouvrière. Oeuvrer à la solidarité avec les travailleurs immigrés est donc une nécessité pour arriver demain à l’unification des luttes prolétariennes en une grande lutte anti capitaliste. C’est l’objectif que se donnent dès aujourd’hui les communistes révolutionnaires.

 


 

(1) Voir «La révolte des travailleurs immigrés de Rosarno», Le Prolétaire n°2009 (janvier-février mars 2010).

(2) cf La Repubblica, 26/4/2018

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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