Zigzags opportunistes sur la Révolution russe

Lutte Ouvrière avec les mencheviks contre les bolcheviks

(«le prolétaire»; N° 530; Octobre - Novembre 2018)

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Lutte Ouvrière a commémoré le centième anniversaire de l’Octobre prolétarien en multipliant les articles dans sa presse et en critiquant ses concurrents du PCF et du NPA. Elle aime se donner des brevets d’orthodoxie – et donner aux autres des leçons – mais il ne faut pas gratter longtemps pour découvrir sous le vernis bolchevik un menchevisme honteux (1)

 

LO contre la dictature du prolétariat

 

Lors d’une réunion publique («Cercle Léon Trotsky») consacrée à la révolution russe, LO n’a pas hésité à «assumer» la politique suivie par les bolcheviks en Russie à la suite de l’insurrection armée et durant la guerre civile:

« Ils réduisirent la vie démocratique à sa plus simple expression, assumant, pour sauver la révolution, une dictature sur le plan politique, et le communisme de guerre sur le plan économique car, pendant trois ans, l’essentiel des forces furent consacrées à l’Armée rouge pour défendre le pouvoir soviétique. Nous assumons l’ensemble de cette politique» (2).

Mais un peu plus loin dans l’exposé, LO tombe le masque. Si elle est obligée de parler de la dictature du prolétariat  – «expression inventée par Marx», écrit-elle comme pour en rabaisser le sens (3), elle préfère de beaucoup l’expression «démocratie ouvrière» ou «populaire». Et lorsque elle explique ce qu’est ou devrait être selon elle cette dictature du prolétariat, elle ne la définit, de façon totalement libérale, que par ces quelques mots:

«Sous la dictature du prolétariat, les libertés ne sont pas limitées, bafouées, voire complètement déniées par le pouvoir de l’argent. La seule liberté qui est supprimée est celle d’exploiter, mais cette limitation-là, oui, nous les communistes, nous la revendiquons» (4).

 Cela signifie que LO revendique  un pouvoir prolétarien qui laisse libre d’agir les contre-révolutionnaires et qui refuse d’employer les indispensables mesures dictatoriales. Elle cherche d’ailleurs à excuser les bolcheviks d’y avoir eu recours; les circonstances, voyez-vous, étaient exceptionnelles: «c’est dans ce contexte de tentatives contre-révolutionnaires, de pénurie matérielle et de guerre civile, que les bolcheviks durent prendre une série de mesures d’exception, la censure, une police politique, l’interdiction de certains partis qui recouraient à la violence contre le pouvoir».

Lénine, lui, donnait cette définition lapidaire et sans équivoque: «La dictature révolutionnaire du prolétariat est un pouvoir conquis et maintenu par la violence, que le prolétariat exerce sur la bourgeoisie, pouvoir qui n’est lié par aucune loi»; et il précisait, non pas pour la Russie de l’époque, mais de façon générale, que «l’indice nécessaire, la condition expresse de la dictature, c’est la répression violente des exploiteurs comme classe et par suite la violation de la “démocratie pure”» (5).

A propos de la violence, justement, LO est particulièrement embarrassée et elle ne peut glisser rapidement que «c’est le droit et le devoir des opprimés d’opposer la violence révolutionnaire» à la violence des oppresseurs pour conclure platement: «La violence fait partie des révolutions» (6). Comme un mal inévitable?

Voyons ce que disait Lénine à ce sujet: «La nécessité d’inculquer systématiquement aux masses cette idée – et précisément celle-là – de la révolution violente est à la base de toute la doctrine de Marx et d’Engels. La trahison de leur doctrine par les tendances social-chauvines et kautskistes, aujour-d’hui prédominantes, s’exprime avec un relief singulier dans l’oubli par les partisans des unes comme des autres de cette propagande, de cette agitation. Sans révolution violente, il est impossible de substituer l’Etat prolétarien à l’Etat bourgeois» (7).

LO a beau affirmer être à contre-courant, elle sert à ses partisans une version complètement affadie des grandioses événements révolutionnaires de Russie en 1917; une version qui n’est pas à contre-courant mais au contraire faite pour être compatible avec les préjugés démocratiques et pacifistes répandus continuellement par la bourgeoisie et ses valets.

Pour ce qui est des perspectives futures, elle ne parle pas de révolution violente, ni à peine de révolution, et encore moins de s’attaquer à l’Etat bourgeois, mais plutôt d’«ébranlement révolutionnaire» ou d’«explosion sociale» dont on ne sait d’où elle viendra ni comment, à la façon des tremblements de terre ou autres phénomènes de la nature qui arrivent de façon imprévisible.

Comme les sociaux démocrates d’autrefois, ce sont des thèmes qu’elle juge préférable de laisser sagement dans l’obscurité, pour ne pas risquer de se démasquer...       

 

Les conseils de LO aux bolcheviks

 

La maison d’éditions de LO, Les bons caractères, diffuse un petit livre intitulé L’Opposition communiste en URSS, Les trotskystes 1923-1938.

Doctement, l’ouvrage explique que «le parti communiste (…) aurait dû (…) combattre la bureaucratisation, y compris en passant dans l’opposition au gouvernement».

LO ne nous explique pas à qui les bolcheviks auraient du laisser le pouvoir d’État. Aux mencheviks, aux généraux blancs, aux impérialistes étrangers? En tout cas à des contre-révolutionnaires qui avaient comme priorité la destruction de la dictature de classe du prolétariat et la restauration du pouvoir bourgeois.

La tâche des révolutionnaires est toute autre: conserver le plus longtemps possible ce pouvoir dont la conquête a coûté tant de sang et de sacrifices, et qui constitue le point d’appui le plus puissant à l’extension de la révolution internationale. C’est ce qu’ont fait les bolcheviks dans les pires difficultés de la guerre civile; c’est ce qu’ont fait plus tard les meilleurs d’entre eux qui ont été exterminés par la contre-révolution plutôt que de «capituler».

L’issue proposée par LO, l’abandon volontaire du pouvoir, qui fleure bon les pratiques parlementaires, aurait signifié une honteuse reddition de la part des bolcheviks qui aurait eu des conséquences catastrophiques non seulement en Russie mais dans le monde entier avec la liquidation de l’Internationale Communiste et l’abandon des positions marxistes contre la démocratie.

 

LO contre Lénine et Trotsky

 

Dans ce même livre, LO dénonce la politique menée par les bolcheviks dans le Caucase pendant la guerre civile: «Commissaire du peuple aux Nationalités, et ayant milité pendant des années dans son Caucase natal, Staline joua un rôle majeur dans la mise en œuvre de la politique caucasienne du gouvernement soviétique. En fait, il l’interpréta et la mena à sa façon, qui n’avait pas grand-chose de communiste. En février 1921, sous ses ordres et suite à un simulacre de soulèvement ouvrier dont il était l’instigateur, l’Armée rouge pénétra en Géorgie, dont Moscou avait reconnu jusque-là l’indépendance, et y imposa de l’extérieur un gouvernement “soviétique”».

LO reprend ainsi tous les poncifs anticommunistes comme les accusations de coups d’État. Cette question de la Géorgie a été à l’époque un argument supplémentaire utilisé continuellement par les sociaux démocrates  pour accuser l’Internationale et les partis communistes d’imposer leur pouvoir aux populations en renversant des gouvernements démocratiques qui auraient été, eux, l’expression véritable de la souveraineté populaires, comme celui des mencheviks à Tbilissi.

La réalité est très différente. Successivement, en 1920 et 1921, des insurrections communistes éclatent en Azerbaïdjan, en Arménie et en Géorgie. A Bakou, un comité révolutionnaire prend le pouvoir et appelle à l’aide les bolcheviks russes et l’Armée rouge. Ensuite, un comité révolutionnaire arménien formé dans le pays voisin entre en Arménie appuyé par des troupes rouges. Une République socialiste soviétique d’Arménie voit le jour en novembre 1920.

En Géorgie, une insurrection démarre le 11 février 1921; l’Armée Rouge se tient alors prête à intervenir depuis l’Arménie. Le 15 février, l’intervention des soldats rouges commence à la suite d’un appel des révolutionnaires géorgiens. Elle est justifiée par les arrestations de bolcheviks en Géorgie, par le soutien apporté aux rebelles dans le Caucase, au Daghestan, par les Géorgiens, enfin par un blocus économique imposé à l’Arménie soviétique.

Cette intervention a été souhaitée par les bolcheviks géorgiens – dont Staline et Grigory Ordjonikidze – mais elle a été justifiée par Lénine et Trotsky.

Le 28 février, Lénine, sous les applaudissements du Soviet des députés ouvriers et paysans de Moscou, annonçait que «le pouvoir des Soviets a été instauré à Tiflis» – et il n’utilisait pas de guillemets.

Pour sa part, Trotsky a publié une brochure sur la question: «Entre l’impérialisme et la Révolution. Les Questions fondamentales de la Révolution à la lumière de l’Expérience géorgienne», qu’il dédia «aux militants prolétariens massacrés par la démocratie géorgienne dirigée par les mencheviks».

Dans son texte, il justifie complètement l’intervention soviétique en Géorgie à la suite d’un appel du prolétariat insurgé du pays. Il dénonce «le régime terroriste mencheviste, qui était un pastiche des méthodes employées par les bolcheviks, [qui] avait pour but de protéger les piliers de la propriété privée et l’alliance avec l’impérialisme».

 

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Sur une chose au moins Lutte Ouvrière n’a pas tort.

Dans son article sur la révolution d’Octobre publié dans son mensuel théorique Lutte de classe en novembre 2017, elle rappelle que «Notre courant s’est toujours refusé de rechercher de nouveaux programmes, un nouveau langage, ou un “nouveau logiciel” comme on l’entend aujourd’hui». C’est totalement vrai: LO ne fait que reprendre tous les poncifs anticommunistes du menchevisme et du kautskysme!

 


 

(1) Nous laissons de côté le passage où LO cite Trotsky écrivant, en parlant des résultats des plans quinquennaux staliniens que «le socialisme a démontré son droit à la victoire  [dans le langage] du fer du ciment et de l’électricté». En réalité ces progrès de la production industrielle démontraient seulement la vitalité du capitalisme d’Etat et sa capacité à faire trimer les prolétaires russes. 80 ans plus tard, LO ne s’est toujours pas aperçu de l’erreur de Trotsky: elle estime (sans le dire trop fort) que la Russie de Poutine est toujours «Etat ouvrier dégénéré»...

(2) «1917-2017: la révolution russe. Pour changer le monde, les travailleurs au pouvoir», Cercle Léon Trotsky du 20 octobre 2017., p.30.

(3) Ibidem, p.36. Kautsky, le théoricien de la IIe Internationale, écrivait plus justement en 1909, avant de devenir un renégat et de combattre la révolution: «Marx et Engels on forgé la notion de dictature du prolétariat, opiniâtrement défendue par Engels en 1891, peu de temps avant sa mort». cf «Le chemin du pouvoir», Anthropos 1970, ch. 1.

(4) Ibidem.

(5) cf  Lénine, «La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky» https:// www. marxists.org/ francais/ lenin/ works/1918/11/vl19181110b.htm

(6) «1917-2017...», op. cit., p. 32

(7) cf Lénine, «L’Etat et la révolution», https:// www.marxists.org/ francais/ lenin/ works/ 1917/08/ er1.htm#c1.4. Ce n’est évidemment pas ce passage de l’ouvrage que cite LO!

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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