La main tendue de Lutte Ouvrière

(«le prolétaire»; N° 531; Décembre 2018 - Janvier 2019)

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Lutte Ouvrière est un village Potemkine: une façade révolutionnaire orthodoxe en trompe-l’œil qui cache une orientation interclassiste, réformiste et donc anti-prolétarienne. Un article de son hebdomadaire «Artisans commerçants: l’augmentation du SMIC contre les emplois?» (1) témoigne une fois de plus de cette orientation à propos du mouvement des Gilets Jaunes. Nous avons déjà fait remarquer que LO avait été probablement la première organisation de la dite «extrême gauche» à rallier ce mouvement. Les articles de son hebdomadaire illustrent l’orientation interclassiste de cette organisation qui est à la base de son attitude.

 

LO au chevet des ‘’petits» exploiteurs…

 

Face à l’argument gouvernemental selon lequel une augmentation du SMIC, mettrait en difficulté les petites entreprises, LO reconnaît que les «petits» patrons «peuvent avoir des difficultés de trésorerie»; mais voulant cacher que ces artisans et petits patrons sont opposés à la hausse des salaires en général et du salaire minimum en particulier, c’est-à-dire voulant cacher l’antagonisme de classe entre eux et les prolétaires, elle dénonce «ceux qui les étranglent (…) leurs banquiers, leurs fournisseurs, leurs donneurs d’ordre». Elle affirme ensuite que «l’immense majorité des petites et très petites entreprises [est] donc entièrement dépendante de quelques centaines de groupes capitalistes, ceux du CAC 40 et quelques autres» – ce qui n’est pas vrai: beaucoup de ces petites entreprises, par exemple dans le bâtiment, n’étant pas des sous-traitants sont complètement indépendants des géants du CAC. Mais pour LO il faut absolument qu’existe un rapport de dépendance de ces entreprises avec les grands groupes pour pouvoir affirmer qu’elles sont, elles aussi, exploitées par le grand patronat.

Les «petits patrons» se retrouvent ainsi assimilés de fait aux prolétaires qu’ils exploitent: «C’est en exploitant les travailleurs, en augmentant les cadences, en supprimant des emplois, mais aussi en pressurant leurs sous-traitants, que ces groupes accumulent, année après année, des milliards de profits». Dans les titres et les articles et de son journal et dans les discours de ces militants, ce n’est désormais plus que le «grand patronat» qui est accusé: il ne faudrait pas froisser le petit (et moyen) patronat...

Avec LO, exit l’exploitation des prolétaires! Exit la division de la société en classes! On en revient aux vieilles rengaines que l’on a longtemps entendues dans la propagande du PCF contre les «200 familles», les «trusts» et autres «monopoles». Le parti trotskiste les remet au goût du jour dans sa dénonciation le 21 /11 de la «dictature des grands groupes capitalistes et des banques» (2) .

 

… et défend un front uni avec eux

 

La conclusion logique est donc l’exaltation des fronts interclassistes en tous genres.

LO invite les «petits» patrons à «choisir ce camp [des travailleurs]» et à «se retourner» contre les «grands groupes». Dans l’article du 21/11 elle affirme que «les capitalistes réalisent leurs profits en exploitant les travailleurs mais, parallèlement, ils prélèvent aussi leur dîme sur d’autres catégories sociales: sous-traitants, travailleurs indépendants, artisans, paysans, petits patrons sont contraints d’accepter la dictature des grands groupes et de l’État à leur service et en subissent eux aussi les conséquences». Les petits patrons, les sous-traitants, etc. ne seraient ainsi pas des capitalistes, seuls les grands groupes le seraient! LO peut alors écrire que la lutte des prolétaires «aidera d’autres catégories sociales qui subissent toutes le contrecoup de l’appauvrissement des travailleurs».

C’est la vieille rengaine de tous les réformistes qui prétendent qu’il existe des intérêts communs entre les prolétaires et les petits (ou moyens) bourgeois, en se basant sur le fait indéniable que les prolétaires sont aussi des consommateurs, donc des clients des petits commerçants, des paysans, etc.

 Mais ils sont aussi des clients des gros commerçants, des «Auchan, Michelin, Lactalis» et autres grandes entreprises capitalistes (industriels de l’automobile, etc.): cela voudrait-il dire qu’ils sont des intérêts communs avec eux?

Cette «main tendue» – pour reprendre l’expression du secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, en 1936 – aux classes moyennes et à une fraction de la bourgeoisie ne peut qu’enchaîner les exploités à leurs exploiteurs. C’était, c’est et ce sera toujours la politique des ennemis du prolétariat.

On nous rétorquera que dans une «intervention» sur les Gilets Jaunes à son Congrès de début décembre, LO s’est payé le luxe d’afficher une intransigeance classiste, écrivant: «c’est à la partie prolétarienne de ce mouvement que nous voulons d’abord nous adresser et proposer une politique, pas au mouvement dans son ensemble. Nous militons pour que les travailleurs en gilets jaunes aient conscience de leurs intérêts de classe (...). Nous n’appelons pas, comme le NPA, à “fédérer les colères”, nous visons à les séparer. Nous visons à séparer les dynamiques de classe représentées d’un côté par les travailleurs exploités, et de l’autre par les petits patrons.» (3). Le moins qu’on puisse dire c’est que c’est l’inverse qui apparaît à la lecture de leur journal!

Il s’agit là du double langage qui était typique du vieil opportunisme social-démocrate: des discours (ou des interventions) classistes et révolutionnaires de façade lors des congrès ou à la tribune des meetings du dimanche, et une pratique interclassiste et réformiste le reste du temps. LO depuis quelque temps s’est même laissé aller jusqu’à prononcer des – timides – critiques des directions syndicales. Mais en pratique elle a continué à coller aux initiatives syndicales de diversion comme la journée d’inaction pour l’augmentation des salaires.

D’ailleurs après ses vagues déclarations classistes, le texte reconnaît: «Nous discutons d’ailleurs aussi avec des artisans et des petits commerçants, y compris pour leur démontrer qu’augmenter les salaires n’est pas contraire à leurs intérêts, ce que certains sont tout à fait capables d’entendre».

Le Manifeste affirmait que les petits-bourgeois («petits fabricants, détaillants, artisans, paysans») étaient réactionnaires, et que si certains devenaient révolutionnaires, c’est dans la mesure où ils abandonnaient leurs intérêts de classe pour adopter ceux des prolétaires; LO, elle, prétend qu’ils peuvent parfaitement continuer à défendre leurs intérêts parce qu’ils ne seraient pas contradictoires avec ceux des prolétaires!

LO affirme donc vouloir proposer une politique à la partie prolétarienne du mouvement, mais quelle est cette politique, le texte n’en dit rien! La réponse, si on avait des doutes à son sujet, il faut la trouver dans les autres textes de ce Congrès: c’est... la préparation des élections européennes! Et bien sûr dans le cadre électoral toutes les voies sont bonnes à prendre, celles des prolétaires comme celles des petits patrons...

 

Classe contre classe !

 

Face à la mobilisation interclassiste des Gilets Jaunes comme face à tous ceux qui sous un masque «révolutionnaire» se font les vecteurs du réformisme dans les couches prolétariennes qui cherchent à rompre, même timidement, avec le collaborationnisme, face à ceux qui malgré leur étiquette révolutionnaire sont les agents des appareils qui défendent la paix sociale et l’ordre établi, le prolétariat devra retrouver le chemin de la lutte anti-capitaliste et renouer avec les méthodes et les revendications de classe.

Cela ne peut que commencer par se battre au quotidien contre tous les patrons, grands ou petits, et non chercher des alliances avec une partie d’entre eux, avec un principe de base: Salaire contre profit! Classe contre classe! Exploités contre exploiteurs!

 


 

(1) «Artisans commerçants: l’augmentation du SMIC contre les emplois?», Lutte Ouvrière n°2628, 12/12/2018

(2) «Les travailleurs et leurs revendications», Lutte Ouvrière n°2625, 22/11/ 2018/

(3) «Les révolutionnaires et le mouvement des Gilets Jaunes», Lutte de classe n°196, décembre 2018 -janvier 2019.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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