Solidarité avec la lutte des prolétaires du Liban !

Contre les pièges de l’interclassisme et de « l’union populaire » !

(«le prolétaire»; N° 535; Décembre 2019 / Janvier 2020 )

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Depuis une dizaine de jours le Liban est secoué par des manifestations, des grèves et des barrages de routes dans toutes les régions  du pays.

Tout a été déclenché par la colère qui a éclaté spontanément contre les mesures d’austérité annoncées par le gouvernement le 17/10 : nouvelles taxes sur l’essence, le tabac, augmentation de la TVA, etc.  et aussi taxe sur la messagerie gratuite WhatsApp, très largement utilisée et pas seulement par les jeunes. Mais cette dernière taxe n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : les médias ont rapporté les déclarations de manifestants à Beyrouth affirmant : «nous ne sommes pas là pour WhatsApp, mais pour tout : pour l’essence, le pain, la nourriture, tout. Nous manifestons pour avoir de l’électricité, de l’eau, des emplois, de l’éducation, etc.». Les manifestants, pour la plupart des jeunes, se sont rassemblés par milliers dès le jeudi 17 octobre sur la Place des Martyrs de la capitale en scandant « le peuple veut renverser le régime », « nous voulons la révolution » ; des magasins ont été attaqués, les principales artères de la ville bloquées par des barrages et des incendies de pneus et d’ordures.

Les jours suivants les troubles se sont étendus à tout le pays : à Tripoli, à Tyr, à Nabatieh,  dans la plaine de la Bekaa, du sud au nord, des manifestations de masse et des coupures de route ont eu lieu comme à  Beyrouth. On estime à plus d’un million le nombre de manifestants le 20 octobre –  pour un pays qui n’a guère plus de 6 millions d’habitants ! Pour la première fois depuis bien longtemps dans ce pays divisé par les rivalités confessionnelles, les manifestations ont rassemblé des participants appartenant à toutes les communautés avec des slogans demandant le départ de toute la classe politique : «tous, ça veut dire tous !» «nous sommes le peuple, uni contre l’Etat !».

A la différence du grand mouvement de protestation de 2015 lors la « crise des ordures », qui était solidement dirigé par des courants petits bourgeois, les forces vives du mouvement spontané actuel se trouvent chez les prolétaires, les chômeurs et les travailleurs précaires – ce qui explique la radicalité des formes de protestation, rompant ouvertement avec la légalité.

Les autorités ont d’abord fait appel à la répression de la police, de l’armée et de milices, qui a fait officiellement 6 morts, à la dénonciation classique des troubles comme étant causés par des éléments infiltrés payés par des puissances étrangères ; puis elles ont essayé de calmer la situation par la voix du premier ministre Harriri en revenant sur les taxes qui avaient été annoncées et en multipliant les promesses démagogiques comme la réduction du salaire et des privilèges des ministres et des hauts fonctionnaires : venant d’un très riche milliardaire cela ne pouvait que susciter la colère des manifestants (1) !

Le chef du puissant mouvement religieux Hezbollah, qui jouit habituellement d’une influence déterminante sur les habitants chiites des quartiers populaires de Beyrouth et dans le sud, et dont la milice s’est affrontée vendredi 25 à Beyrouth aux manifestants, a appelé le même jour, comme la plupart des partis politiques, à la fin du mouvement ;  il a agité en outre le spectre d’une nouvelle guerre civile et le risque du «chaos» qui suivrait le départ du gouvernement. Mais il est remarquable que le Hezbollah a été abandonné par une partie au  moins de ses partisans dans les milieux prolétariens : le besoin de réagir pour se défendre contre l’attaque bourgeoise a été cette fois, au moins momentanément,  plus fort que les liens religieux et communautaires qui les paralysent en les attachant à ce parti réactionnaire.

Le gouvernement actuel, formé au début de l’année après de longues tractations, est en effet un gouvernement de coalition de tous les grands partis libanais : tous portent donc la responsabilité des mesures d’austérité anti-prolétariennes. La situation économique du Liban est catastrophique avec un lourd endettement (le troisième au monde après la Grèce et le Japon), un déficit de la balance des paiements de 30% (le pire après le Mozambique), un déficit du budget de près de 10%. En avril de l’année dernière une conférence internationale dite «CEDRE» parrainée par Paris, réunissant des dizaines de pays en plus des organisations internationales comme le FMI, a promis de débourser 10 milliards de dollars en 4 ans pour restaurer les finances du pays, en contre partie de mesures d’austérité. Pour les impérialistes comme pour la bourgeoisie libanaise de toute confession, ce sont les prolétaires qui doivent payer le rétablissement de la santé du capitalisme libanais !

Ces derniers savent pourtant déjà ce que signifie la reprise économique et la reconstruction après la guerre civile, où des milliards de dollars ont été investis, pour la plus grande prospérité des bourgeois. Le Liban est un des pays dans le monde où les inégalités sont les plus fortes (au niveau environ de l’Afrique du Sud et du Brésil). Pendant cette période, les pauvres se sont appauvris tandis que les riches se sont enrichis. Pour ne pas multiplier les chiffres il suffit de dire que selon le magazine américain Forbes, les milliardaires libanais captent 20% du revenu national contre « seulement » 10% aux Etats Unis ou 5% en France.

Par contre les masses prolétariennes souffrent des coupures d’électricité récurrentes (les bourgeois ont leurs propres groupes électrogènes domestiques), du manque de transports collectifs et de la déficience de la plupart des services publics qui servent de moyen d’enrichissement aux diverses mafias politiques ( comme le ramassage des ordures, la distribution de l’eau potable, l’école, etc. ), des bas salaires, d’un chômage élevé (il n’ya pas de statistiques fiables, mais le président de la République l’avait estimé à 46%, alors que le chiffre officiel est de 25%), une inflation qui a été évaluée à plus de 6% pour 2018 (bien plus pour ce qui est du logement)…

En outre le Liban héberge, dans des conditions souvent épouvantables, plus d’un million de réfugiés Syriens, qui pour survivre sont obligés d’accepter n’importe quel travail  au noir à n’importe quel salaire, tout en étant en butte au racisme alimenté par les autorités, parfois à de véritables pogroms.

Révolution d’octobre ?

Il n’est donc pas difficile de trouver les raisons de l’explosion actuelle, et de comprendre que les prolétaires ne sont pas les seuls touchés : toute une partie des couches moyennes inférieures est menacée de prolétarisation ; cela explique qu’elles participent au mouvement en cours ; mais elles y apportent les illusions et les préjugés qui correspondent  leur nature de classe : illusions démocratiques se concrétisant dans la revendication d’élections anticipées, rêve d’un départ de toute la classe politique qui laisserait intacte la structure économico-sociale capitaliste, nationalisme qui peut à  tout moment se tourner contre les bouc-émissaires habituels: les réfugiés syriens ou palestiniens, etc.

Contre les diversions inévitablement alimentées par la masse petite bourgeoise, le prolétariat du Liban ne peut compter sur son organisation propre : les partis et les syndicats qui prétendent le représenter n’ont qu’une perspective étroitement réformiste et démocratique. Si la FENASOL (Union nationale des syndicats de travailleurs) a appelé à une grève générale pour le 20 octobre « contre le plan économique du pouvoir»,  les revendications mises en avant sont des plus vagues. En fait Le PC libanais comme les syndicats appellent à  la démission du gouvernement et à des élections anticipées, à la révision de la Constitution en vue de la «déconfessionalisation» des institutions publiques, bref à un replâtrage du capitalisme.

En dehors d’une perspective de classe, les slogans répétés sur une « révolution d’octobre » ne peuvent avoir aucun sens ;  ils ne peuvent qu’être générateurs de confusion. Pour combattre et vaincre le capitalisme et pas seulement dégager une couche corrompue, le prolétariat devra s’engager à fond dans une lutte révolutionnaire de classe  dont l’objectif est la destruction de l’Etat bourgeois et l’instauration sur ses ruines de son propre pouvoir dictatorial. Cela nécessite au préalable son organisation en parti en liaison étroite avec les prolétaires des autres pays : les prolétaires du Liban n’ont pas face à eux leurs seuls bourgeois mais aussi les Etats impérialistes et les Etats bourgeois de la région qui depuis toujours s’ingèrent en permanence dans les « affaires intérieures » du Liban : la révolution au Liban ne peut s’envisager que dans le cadre de la révolution prolétarienne internationale.

Si cette perspective ne peut pas être immédiate, la puissante lutte actuelle des prolétaires et des masses exploitées libanaises  peut contribuer à la rapprocher en servant d’exemple pour les prolétaires d’ailleurs. En attendant, les prolétaires du Liban ont besoin de la solidarité des prolétaires des autres pays, à commencer de ceux des pays impérialistes qui sont les parrains des bourgeois locaux.

 

Solidarité avec la lutte des prolétaires du Liban !

Pour la reconstitution du parti  de classe international !

Pour la révolution prolétarienne internationale !

 


 

(1) Harriri a été au centre d’un scandale il y a quelques mois lorsqu’on a appris qu’il avait fait un cadeau de plus de 10 millions de dollars à une de ses maîtresses…

 

 27/10/2019

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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