Thèses de Lyon

(«le prolétaire»; N° 539; Nov.-Déc. 2020  / Janvier 2021)

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Nous publions ci-dessous quelques extraits du projet de thèses présenté par la Gauche au IIIe Congrès du PC d’Italie, tenu à Lyon à cause de la victoire du fascisme en Italie. Dans ces thèses notre courant tirait les enseignements non nationaux de la période écoulée et de la crise du mouvement communiste; 1926 fut la dernière année ou la Gauche put s’exprimer dans des assises de l’Internationale communiste en voie de stalinisation complète. En Italie ce fut le courant gramsciste qui se fit le fourrier de la victoire de la contre-révolution après avoir mené une lutte fractionnelle contre la Gauche, présentant un programme purement national, transformant le parti en Parti communiste italien. En France la même évolution eut lieu, mais contre une résistance beaucoup plus faible d’une opposition confuse dont les meilleurs éléments ne purent dépasser le syndicalisme révolutionnaire dont ils venaient, et qui n’avait pas surmonté les ambiguïtés du Congrès de Tours.

Le texte complet des Thèses se trouve dans le recueil «Défense de la continuité...», Textes du PCInt n°7

 

 

1. Principes du Communisme

 

Les principes doctrinaux du parti communiste sont ceux du marxisme que la lutte contre les déviations opportunistes a permis de restaurer et de mettre à la base de la IIIe Internationale: le matérialisme dialectique comme conception du monde et de l’histoire humaine; les doctrines économiques fondamentales du «Capital» de Marx comme méthode d’interprétation de l’économie capitaliste actuelle; les formulations programmatiques du «Manifeste Communiste» comme schéma historique et politique de l’émancipation de la classe ouvrière mondiale. La grandiose expérience victorieuse de la révolution russe et l’œuvre de son chef Lénine, maître du communisme international, constituent la confirmation, la restauration et le développement conséquent de ce système de principes et de méthodes. Celui qui en rejette même une seule partie n’est pas communiste et ne peut donc militer dans les rangs de l’Internationale.

En conséquence, le parti repousse et condamne les doctrines de la classe dominante, les théories spiritualistes et religieuses - idéalistes en philosophie et réactionnaires en politique - comme les théories positivistes des libres penseurs de type voltairien - maçonniques, anticléricales et démocratiques dans le domaine politique.

Il condamne de même les écoles politiques ayant une certaine audience dans la classe ouvrière: le réformisme social- démocratique, qui envisage une évolution pacifique, sans lutte armée, du pouvoir capitaliste au pouvoir ouvrier et préconise la collaboration des classes; le syndicalisme, qui déprécie l’action politique de la classe ouvrière et rejette la nécessité du parti comme organe révolutionnaire suprême; l’anarchisme, qui nie la nécessité historique de l’État et de la dictature prolétarienne pour transformer l’organisation sociale et supprimer la division de la société en classes.

Le parti communiste combat également les multiples manifestations de ce révolutionnarisme bâtard que l’on désigne par le terme désormais bien connu de «centrisme», et qui tendent à faire survivre ces positions erronées en les combinant à des thèses apparemment communistes.

 

2. Nature du parti

 

Le processus historique d’émancipation du prolétariat et d’établissement d’un nouvel ordre social découle de l’existence de la lutte des classes. Toute lutte de classe est une lutte politique, c’est-à-dire qu’elle tend à se transformer en une lutte pour la conquête du pouvoir politique et pour la direction d’un nouvel organisme étatique. Par conséquence, l’organe qui conduit la lutte de classe à sa victoire finale est le parti politique de classe, seul instrument possible d’insurrection révolutionnaire d’abord, et de gouvernement ensuite. Ces affirmations élémentaires et géniales de Marx, que Lénine a pleinement remises en lumière, conduisent à définir le parti comme une organisation de tous ceux qui adhèrent au système d’opinions résumant la tâche historique de la classe révolutionnaire et qui sont décidés à agir pour la victoire de celle-ci.

Grâce au parti, la classe ouvrière parvient à la connaissance de la voie qu’elle doit parcourir et à la volonté de le faire; historiquement, le parti représente donc la classe dans les phases successives de la lutte, tout en n’en regroupant qu’une partie plus ou moins grande. Tel est le sens de la définition que Lénine a donnée du parti au IIe Congrès mondial.

Cette conception de Marx et de Lénine s’oppose à la conception typiquement opportuniste du parti travailliste ou ouvriériste dont tous les individus de condition prolétarienne sont membres de droit.

Un tel parti paraît plus fort numériquement, mais il est évident que les influences contre-révolutionnaires de la classe dominante peuvent et doivent même y prévaloir dans certaines situations, cette classe y étant représentée par la dictature d’organisateurs et de chefs qui peuvent provenir individuellement aussi bien du prolétariat que d’autres classes.

C’est pourquoi Marx et Lénine ont combattu cette fatale erreur théorique, et n’ont pas hésité en pratique à rompre la fausse unité prolétarienne afin que, même pendant les éclipses de l’activité sociale du prolétariat, et même au moyen de petits groupes politiques adhérant au programme révolutionnaire, la continuité de la fonction politique du parti, qui est de préparer le prolétariat à ses tâches successives, soit assurée. Telle est la seule voie possible pour réaliser dans l’avenir la concentration de la plus grande partie possible des travailleurs sous la direction et la bannière d’un parti communiste capable de se battre et de vaincre.

Une organisation immédiate de tous ceux qui, économiquement parlant, sont des ouvriers, ne peut assumer des tâches politiques, et donc révolutionnaires, car les différents groupes professionnels ou locaux ne sont poussés à l’action que d’une manière limitée, pour satisfaire des exigences partielles déterminées par les conséquences directes de l’exploitation capitaliste. Seule l’intervention à la tête de la classe ouvrière d’un parti politique, défini par l’adhésion politique de ses membres, peut réaliser progressivement la synthèse de ces impulsions particulières en une vision et une action communes qui permettent aux individus et aux groupes de dépasser tout particularisme en acceptant des difficultés et des sacrifices pour le triomphe général et final de la cause de la classe ouvrière. La définition du parti comme parti de la classe ouvrière n’a pas, chez Marx et Lénine, un sens grossièrement statistique ou constitutionnel; elle est liée au contraire aux fins historiques du prolétariat.

Toute conception des problèmes d’organisation interne retombant dans l’erreur de la vision travailliste du parti révèle une grave déviation théorique en ce sens qu’elle substitue un point de vue démocratique au point de vue révolutionnaire, et donne plus d’importance à des projets utopiques d’organisation qu’à la réalité dialectique du conflit des deux classes opposées. Elle comporte le danger d’une rechute dans l’opportunisme.

Quant aux dangers de dégénérescence du mouvement révolutionnaire, ils ne peuvent être éliminés par aucune formule d’organisation, parce qu’il n’en existe pas qui puisse assurer la continuité nécessaire à l’orientation politique des chefs et des simples militants. La formule selon laquelle seul le travailleur authentique peut être communiste permet d’autant moins de les supprimer qu’elle est infirmée par l’immense majorité des exemples relatifs aux individus et aux partis que notre expérience nous a fournis. La garantie contre la dégénérescence doit être cherchée ailleurs, si l’on ne veut pas contredire ce postulat marxiste fondamental qui résume toute la conquête réalisée par le socialisme scientifique par rapport aux premiers balbutiements du socialisme utopique: la révolution n’est pas une question de forme d’organisation.

C’est en partant de cette conception de la nature du parti de classe que nous résoudrons les questions actuelles d’organisation interne de l’Internationale et du parti.

 

3. Action et tactique du parti

 

(...) En définissant la tactique générale du parti conformément à sa nature, le marxisme se distingue à la fois des élucubrations abstraites des doctrinaire qui fuient la réalité de la lutte de classe et négligent l’activité concrète; de l’esthétisme sentimental qui voudrait créer de nouvelles situations et de nouveaux mouvements historiques grâce aux gestes bruyants ou héroïques de minorités exiguës; de l’opportunisme qui oublie le lien avec les principes, c’est-à-dire avec les objectifs généraux du mouvement, et qui, visant seulement au succès immédiat et apparent, ne s’agite jamais que pour des revendications limitées et isolées sans se préoccuper de savoir si elles n’entrent pas en contradiction avec les nécessités de la préparation de la classe ouvrière à ses conquêtes suprêmes.

La politique anarchiste combine la stérilité doctrinale incapable de comprendre les étapes dialectiques de l’évolution historique réelle avec l’illusion volontariste qui s’imagine pouvoir hâter les processus sociaux par la vertu de l’exemple et du sacrifice d’un ou de plusieurs individus.

La politique social-démocratique, elle, juxtapose une fausse interprétation fataliste du marxisme à un pragmatisme volontariste. On déclare d’un côté que la révolution mûrira lentement, d’elle-même, sans que l’intervention volontaire d’une insurrection prolétarienne soit nécessaire; de l’autre, faute de savoir renoncer aux effets immédiats des efforts quotidiens, on se contente de lutter pour des revendications intéressant en apparence seulement certains groupes de la classe ouvrière, mais qui, une fois satisfaites, font le jeu de la conservation sociale au lieu d’aider à la préparation de la victoire prolétarienne: réformes, concessions, avantages partiels, économiques et politiques, obtenus du patronat et de l’État bourgeois.

L’introduction artificielle dans le mouvement de classe des postulats théoriques de la philosophie volontariste et pragmatiste «moderne» (Bergson, Gentile, Croce), à base idéaliste, ne fait que préparer l’affirmation opportuniste de nouvelles phases réformistes, et ne saurait en tout cas passer pour une réaction contre le réformisme sous prétexte que celui-ci manifeste certaines sympathies extérieures pour le positivisme bourgeois.

L’activité du parti ne peut ni ne doit se limiter à maintenir la pureté des principes théoriques et de l’organisation, non plus qu’à obtenir à tout prix des succès immédiats ou une grande popularité. Toujours et dans toutes les situations, elle doit se développer simultanément dans ces trois directions:

a) Défendre et préciser en fonction des faits nouveaux qui se produisent les postulats fondamentaux du programme, c’est-à-dire la conscience théorique du mouvement de la classe ouvrière;

b) Assurer la continuité de l’organisation du parti et son efficacité, et la protéger des influences extérieures contraires à l’intérêt révolutionnaire du prolétariat;

c) Participer activement à toutes les luttes de la classe ouvrière, même suscitées par des intérêts partiels et limités, pour encourager leur développement, mais en les reliant constamment aux buts finaux révolutionnaires, en présentant les conquêtes de la lutte de classe comme des voies d’accès aux luttes futures indispensables, en dénonçant le danger de se replier sur des réalisations partielles comme si elles étaient des fins en elles-mêmes, et de leur sacrifier ces conditions de l’activité et de la combativité de classe du prolétariat que sont l’autonomie et l’indépendance de son idéologie et de ses organisations, au premier rang desquelles se trouve le parti.

Le but suprême de cette activité complexe du parti est de réaliser les conditions subjectives de la préparation du prolétariat: il s’agit de le mettre en mesure de profiter des possibilités révolutionnaires objectives que fournira l’histoire, dès qu’elles apparaîtront, de manière à vaincre au lieu d’être vaincu.

C’est de tout cela qu’il faut partir pour résoudre les problèmes posés par les rapports entre le parti et les masses prolétariennes, entre le parti et les autres partis politiques, entre le prolétariat et les autres classes sociales.

On doit tenir pour fausse la formulation tactique suivante: tout véritable parti communiste doit savoir être un parti de masses dans n’importe quelle situation, c’est-à-dire posséder toujours une organisation très nombreuse et une très large influence sur le prolétariat, et pour le moins assez nombreuse et assez large pour dépasser celles des autres partis soi-disant ouvriers.

Cette formulation est une caricature de la thèse de Lénine qui, en 1921, lançait ce mot d’ordre pratique et contingent tout à fait juste: pour conquérir le pouvoir il ne suffit pas d’avoir formé de «véritables» partis communistes et de les lancer dans une offensive insurrectionnelle, il faut encore avoir des partis numériquement puissants et ayant acquis une influence prédominante sur le prolétariat. Cela revient à dire que dans la phase qui précède la conquête du pouvoir, le parti doit avoir les masses avec lui, qu’il doit avant tout conquérir les masses.

 Dans une telle formulation, seule est dangereuse en un certain sens l’expression de majorité des masses, car elle expose et a exposé les «léninistes de la lettre» au danger d’interprétations théoriques et tactiques social-démocrates: faute de préciser en effet si cette majorité doit être mesurée dans les partis, dans les syndicats ou dans d’autres organisations, on ouvre la voie - tout en exprimant une idée parfaitement juste, propre à éviter le déclenchement d’actions «désespérées» avec des forces insuffisantes dans des périodes défavorables - à la temporisation dans des périodes où l’action est possible et nécessaire, et où il faut faire preuve d’une résolution et d’une initiative vraiment «léninistes».

Mais cette formule selon laquelle le parti doit avoir les masses avec lui à la veille de la lutte pour le pouvoir est devenue, dans la grossière interprétation des pseudo-léninistes d’aujourd’hui quand ils affirment que le parti doit être un parti de masse «dans n’importe quelle situation», une formule typiquement opportuniste. Il y a des situations objectives dans lesquelles les rapports des forces sont défavorables à la révolution, bien qu’elles puissent en être moins éloignées dans le temps que d’autres, puisque l’histoire évolue à des vitesses très différentes, comme l’enseigne le marxisme.

Dans de telles situations, vouloir à tout prix être des partis de masse, des partis majoritaires, vouloir à toute force exercer une influence politique prédominante, ne peut que conduire à renoncer aux principes et aux méthodes communistes en faisant une politique social-démocratique et petite-bourgeoise.

On doit dire ouvertement que dans certaines situations passées, présentes et à venir, le prolétariat a été, est et sera nécessairement en majorité sur une position non révolutionnaire - position d’inertie ou de collaboration avec l’ennemi selon les cas -, mais que malgré tout, le prolétariat reste partout et toujours la classe potentiellement révolutionnaire et dépositaire des possibilités d’insurrection, dans la mesure où existe en son sein le parti communiste et où, sans jamais renoncer à aucune possibilité de s’affirmer et de se manifester de façon cohérente, ce parti sait éviter les voies qui semblent plus faciles pour conquérir une popularité immédiate, mais qui le détourneraient de sa tâche, enlevant au prolétariat le point d’appui indispensable à sa reprise révolutionnaire.

C’est sur ce terrain marxiste et dialectique, jamais sur le terrain esthétique et sentimental, que doit être repoussée la stupide formule opportuniste disant qu’un parti communiste est libre d’adopter tous les moyens et toutes les méthodes. En assurant que c’est précisément parce qu’il est communiste, c’est-à-dire sain dans ses principes et son organisation, que le parti peut se permettre les manœuvres politiques les plus acrobatiques, on oublie que pour nous le parti est en même temps un facteur et un produit du développement historique, et que face aux forces de ce dernier le prolétariat se comporte comme un matériau encore plus plastique.

Ce ne sont pas les justifications tortueuses que les chefs du parti avanceront pour expliquer certaines «manœuvres» qui l’influenceront, mais bien des effets réels, qu’il faut savoir prévoir en utilisant surtout l’expérience des erreurs passées.

C’est uniquement par une action correcte dans le domaine tactique et en s’interdisant les chemins de traverse grâce à des normes d’action précises et respectées que le parti se préservera des dégénérescences, et jamais simplement par des credo théoriques et par des sanctions organisatives.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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