Kazakhstan : les grèves et les émeutes font vaciller le régime

(«le prolétaire»; N° 543; Décembre 2021 / Janvier-Février 2022)

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Le mouvement de protestation et de révolte qui touche le pays depuis une semaine, a été déclenché par la décision soudaine des autorités de doubler le prix du gaz et de l’essence ; dès cette annonce des manifestations de protestation de travailleurs et de chômeurs ont commencé à avoir lieu le dimanche matin 2 janvier dans la ville pétrolière de Janaozen, dans l’ouest du pays (région de Mangystau).

Dans la journée les actions de protestation (rassemblements, sit-in, etc.) gagnaient la grande ville portuaire voisine d’Aktau pour demander le retrait des augmentations –ou le doublage des salaires ! Le lendemain la protestation continuait à s’étendre malgré le déploiement de la police et de plus en plus d’entreprises cessaient le travail ; les réseaux sociaux diffusaient des scènes de fraternisation entre policiers et  manifestants. Le 4 janvier, bien que le préfet (l’« akim ») et le ministre de l’énergie aient annoncé la baisse du prix du gaz et de l’essence pour les habitants, la grève était quasiment générale dans toute la région (oblast) de Mangystau, où sont concentrées une partie des industries extractives du pays.

Toujours le 4 janvier, à l’autre bout du pays, les mineurs de la région de Karaganda se mettaient eux aussi en grève, tandis que les manifestations et les blocages se généralisaient dans pratiquement tout le Kazakhstan. En plusieurs endroits les manifestants s’attaquaient aux symboles du régime : statues de l’ancien autocrate Nazarbayev qui continue à tirer les ficelles en tant que président à vie du « Conseil de sécurité nationale», bâtiments officiels et même postes de police. Le départ de Nazarbayev et de ses créatures (y compris Tokaïev, le président actuel) était au centre des slogans.

Le régime a répondu d’une part en limogeant le gouvernement et Nazarbayev lui-même  et d’autre part en décrétant l’état d’urgence ; il a déchaîné une répression sanglante, notamment dans la capitale économique Almaty dans la nuit de mercredi à jeudi (plus de cent morts selon le ministère de la santé). Face à l’explosion sociale le président  demandait l’aide de la Russie, aide accordée immédiatement : 3000 soldats russes, flanqués d’une poignée de militaires d’autres pays, arrivaient sur place dès  le vendredi  7 janvier. Le même jour  Tokaïev déclarait à la télévision qu’il avait « donné l’ordre de tirer pour tuer sans avertissement ». Le samedi les journalistes présents à Almaty faisaient encore état de tirs dans certains quartiers de la ville, mais le président affirmait que l’ordre constitutionnel était rétabli.

 Il était rétabli dans le sang, aux dires mêmes des autorités : le 9 janvier le bilan officiel de la répression se montait à plus de 160 manifestants tués par balles, à plusieurs milliers le nombre de blessés, et à 6000 arrestations.

Cet « ordre », c’est l’ordre capitaliste, sanctionné par tous les impérialismes ; si la Chine, dans un message de Xi Jinping  a félicité Tokaïev pour les « mesure fortes » prises pour mater la révolte, les impérialismes occidentaux plus hypocrites ont appelé « toutes les parties » à « la retenue», mettant sur le même plan les manifestants et les meurtrières forces de répression ; personne n’a protesté contre l’intervention russe. C’est que le Kazakhstan, riche en pétrole et autres minerais, a enregistré des investissements importants des sociétés occidentales, y compris américaines : redoutant toutes des troubles sociaux qui pourraient mettre leurs capitaux en péril, elles voient dans l’intervention russe une garantie contre ce danger…

Depuis plusieurs années le Kazakhstan, pays géographiquement étendu mais peu densément peuplé (17 millions d’habitants) et qui occupe une position stratégique en Asie centrale, a connu une forte croissance économique, basée sur le pétrole et le gaz (en dépit de certains déboires dans son rêve de devenir le Koweit de l’Asie centrale). Il en avait d’ailleurs profité pour s’émanciper de la domination russe ; il s’était rapproché de la Chine et de l’Occident, signant entre autres un accord militaire avec l’Italie qui est l’un de ses premiers clients puis avec les Etats Unis ; il s’était aussi rapproché de  la Turquie en intégrant l’ « Organisation des Etats Turciques », un embryon  d’alliance des pays turcophones de l’ex-URSS avec Ankara. Le président Turc Erdogan a d’ailleurs téléphoné à Tokaïev le 6 janvier pour l’assurer de son soutient et lui proposer  « son expérience et son expertise technique » ; mais l’expérience et l’expertise du parrain russe sont bien supérieures…

Les prolétaires n’ont guère profité de la prospérité économique ; le régime n’a cessé d’user de la répression contre toute tentative de lutte et d’organisation indépendante des travailleurs ; les brutalités policières et la torture sont courantes. En 2011 il avait réprimé brutalement à Janaozen la grève des travailleurs du pétrole pour l’amélioration de leurs conditions : la police avait tiré sur les manifestants grévistes, faisant au moins 16 morts.

 Certains analystes y compris en Occident, prétendent que les troubles actuels sont au moins en partie causés par des rivalités internes au régime. Il est tout à fait possible qu’il y ait des tentatives de règlements de compte entre cliques bourgeoises à la faveur des événements actuels ; mais il est indéniable que leur cause est la situation de plus en plus intolérable des prolétaires et des couches pauvres, dans une situation de crise économique qui entraîne licenciements (40 000 licenciements dans le champ pétrolier de Tengiz en décembre, d’autres étant prévus) et inflation (officiellement 8% mais en réalité nettement plus). Le caractère prolétarien de la révolte est démontré s’il le fallait par le fait qu’elle est partie d’un mouvement de grève sur des revendications d’amélioration des conditions de vie et de travail et d’augmentation des salaires. Les petits bourgeois démocrates indiquent aux prolétaires l’objectif d’un « Kazakhstan démocratique », débarrassé de la clique au pouvoir ; certains pseudo-socialistes comme les  néostaliniens du « Mouvement socialiste du Kazakhstan », revendiquent le retour à la Constitution de1993, censée être plus démocratique.

 Mais ce n’est pas pour un simple changement de façade du régime que les prolétaires doivent lutter, car, en laissant intact le mode de production capitaliste, un tel changement ne modifierait pas leur sort. La lutte pour les libertés politiques et syndicales est sans doute nécessaire, mais à condition qu’elle s’inscrive dans la lutte contre le capitalisme qui les exploite et les réduit à la misère. Seule la lutte de classe prolétarienne peut avoir la force d’en finir avec le capitalisme, en unissant les prolétaires par-dessus les frontières : c’est ce que redoutent bourgeois et petits bourgeois démocrates…

L’explosion sociale actuelle a fait vaciller le régime, elle a montré la puissance de la classe ouvrière et la gravité des tensions sociales accumulées sous le capitalisme ; demain la lutte révolutionnaire des prolétaires du Kazakhstan, de Russie et de tous les pays, sous la direction de leur parti de classe international, renversera tous les régimes capitalistes assassins, et vengera leurs victimes innombrables. Alors que la crise économique pousse inexorablement les prolétaires à la révolte, c’est la perspective qui doit les guider dans leurs luttes, au Kazakhstan et partout !

 

10/01/2021

 


 

(1) Nous reprenons les informations du site socialismkz.info

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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