Guerre en Ukraine: le répugnant opportunisme de « Mouvement communiste - Kolektivně proti Kapitălu»

(«le prolétaire»; N° 544; Mars - Juin 2022)

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« Mouvement Communiste-Kolektivně proti Kapitălu », est un groupe présent en Belgique en France et en Tchéquie, issu de la fusion entre des éléments venant du CCI et un groupe se référant à l’ « opéraïsme » italien des années 70 ; il jouit d’une petite aura de radicalisme politique et théorique auprès de ceux qui se laissent prendre à ses discours.

Dans sa présentation, vague et confuse, que l’on peut lire sur son site, on lit qu’il entend défendre les « concepts marxistes » ; selon lui la théorie est « toujours plongée dans une crise profonde » en raison de sa « dénaturation  (collaboration de classe ; nationalisme ; parlementarisme ; pacifisme ; syndicalisme) opérée avant tout, au fil des décennies, par les courants sociaux-démocrates, staliniens, maoïstes et trotskystes ». Il résume « son ambition et son espoir » dans la formule : « maximum d’intransigeance vis-à-vis des classes représentées par le régime actuel et maximum de liberté et d’auto-organisation au sein de celles qui engageront le combat pour un avenir collectif et individuel qui vaut la peine d’être vécu ».

Nous avons déjà eu l’occasion de démontrer que ses prétentions de rigueur théorico-programmatique et d’intransigeance ne sont que le cache-sexe de son opportunisme pratique. La guerre en Ukraine en fournit une nouvelle illustration particulièrement répugnante avec la publication d’un texte  à ce sujet : « UKRAINE : L’expédition coloniale russe accélère la course à la guerre mondiale » (27/2/22) (1).

Dans une analyse un peu fouillée des rapports inter-impérialistes décrivant les positions des divers Etats, il écrit que « les capitales européennes sont en ordre dispersé » ; pourtant malgré leurs divergences, elles ont présenté un front uni et adopté des mesures (sanctions économiques, aide militaire à l’Ukraine) qui ont sans aucun doute surpris l’impérialisme russe par leur ampleur. Il s’agit là d’une erreur d’analyse récurrente sur les impérialismes européens dont MC-KP tend toujours à minorer les forces (et donc la dangerosité pour le prolétariat international) par rapport à leurs concurrents sur la scène mondiale. Mais nous ne développerons pas ce point ici.

Dans la suite de son texte MC-KP multiplie les professions de foi orthodoxes qui tranchent avec l’aplatissement de la plupart des courants dits d’ « extrême gauche » sur la propagande pro-impérialiste officielles : 

« Nos positions sont connues. Les ouvriers n’ont pas de patrie ; ils ne défendent pas les frontières quelles qu’elles soient ; ils combattent en premier chef leur propre bourgeoisie et toutes politiques impérialistes et colonialistes d’annexion. Les ouvriers ouvrent pour la fraternisation entre prolétaires en uniforme des camps qui s’affrontent en vue de la transformation des guerres impérialistes en guerres de classe ».

Cependant il ajoute peu après que « la consigne de la fraternisation entre prolétaires en uniforme des deux fronts est impossible dans les conditions du conflit en Ukraine », les soldats russes étant, selon ce qu’il nous assure, des corps professionnels « les plus fidèles au régime » (russe). Certes au moment où il écrit MC-KP n’était pas au courant des  multiples témoignages sur le manque de « moral » et de combativité de  nombre de ces soldats souvent très jeunes qui auraient parfois abandonné leurs matériels, voire refusé de combattre, etc (2). Mais les 200 000 soldats massés à la frontière ne pouvaient pas être dans leur majorité des soldats professionnels ou des « mercenaires » imperméables à toute idée de fraternisation…

Evoquant les appels à se sacrifier pour la patrie lancés par le gouvernement ukrainien et les milices néo-nazies MC-KP assure : « Il est évident que le prolétariat en Ukraine n’a rien à partager avec ce combat patriotique dont les tenants sont du même acabit que ceux de Poutine ».

Mais il ajoute aussitôt : « En revanche, il n’est pas complètement à exclure que des secteurs de la classe exploitée et des héritiers du mouvement démocratique de la place Maïdan de 2013, tentent d’organiser une résistance, armée ou pas, à l’invasion en rupture avec l’État ukrainien et avec ses milices nazies ».

Le « mouvement démocratique » de 2013-2014, encensé par l’opportunisme d’ « extrême gauche »,  était un grand mouvement de protestation de nature petite bourgeoise contre la victoire électorale contestée du candidat pro-russe, et en faveur de l’adhésion à l’Union Européenne. Les groupes nationalistes d’extrême droite financés par des oligarques liés à l’occident étaient les éléments moteurs de ce mouvement…

MC-KP continue en affirmant que cette perspective porterait « un coup terrible à l’Etat ukrainien », renforcerait l’opposition à la guerre en Russie, permettrait « l’essor de luttes ouvrières indépendantes » et donnerait un signal clair « d’autonomie politique de classe aux millions de travailleurs ukrainiens émigrés en Europe et en Russie ainsi que, plus largement, au prolétariat mondial ». « Mais pour ce faire, conclue-t-il, les prolétaires doivent manier les armes légales et illégales » ( ?).

Ce qui est en fait proposé là, en complète contradiction avec les affirmations marxistes orthodoxes énoncées plus haut, et en dépit de citations de Lénine dont le texte est saupoudré, c’est une réédition de la politique des « partisans » lors de la IIe guerre mondiale : la participation soi-disant autonome des prolétaires à la guerre impérialiste. Disparus la rupture des fronts de guerre et le défaitisme révolutionnaire défendus avec acharnement par Lénine et les bolcheviks comme la condition pour donner le coup d’envoi à la lutte de classe révolutionnaire ; selon MC-KP la participation à la guerre peut au contraire déboucher sur l’ « autonomie politique de classe » (quoique veuille dire ce concept fumeux), et cette « autonomie » pourrait être l’œuvre des héritiers d’un mouvement démocratique, c’est-à-dire politiquement bourgeois ! Difficile de renier plus ouvertement les positions révolutionnaires communistes…

Dans une réponse sur son site tchèque à un internaute demandant des clarifications, MC-KP écrit  : « La résistance à l’agression militaire colonialiste peut-elle être banalisée comme ‘c’est combattre (et mourir) pour l’Etat’ ? Certainement pas. Je pense que c’est défendre la vie de sa ‘stalinisation’, d’un retour à l’ère soviétique avec la censure et la suppression des libertés individuelles et collectives c’est ce que les gens en Ukraine craignent et contre quoi ils résistent.

D’où la ‘définition ’ de la lutte ukrainienne comme lutte démocratique armée.

Si elle reste ‘juste’ ça, elle risque d’avoir les conséquences que risque d’avoir tout mouvement démocratique : le renforcement de l’Etat.

(…) une autre conséquence est possible (…) si les travailleurs placent leur lutte sur une base de classe (…) ».

La boucle est bouclée : pour MC-KP, comme pour la propagande bourgeoise la plus crasse, on est en présence en Ukraine d’une résistance d’un peuple luttant pour sa liberté, et non d’une guerre entre deux Etats bourgeois ! Baptiser la guerre du côté ukrainien, avec la transformation, par la mobilisation générale, de la population masculine en chair à canon, comme « lutte démocratique armée », n’est rien d’autre qu’une pitoyable justification d’un alignement complet sur un front de guerre, malgré toutes les phrases pseudo classistes.

Invariance de l’opportunisme : même si les conséquences pour le prolétariat en sont infiniment moins importantes, c’est la même trahison des principes cardinaux de l’indépendance de classe que celle commise en 1914 par la plupart des partis de la IIe Internationale, dénoncés par les bolcheviks comme vendus à la bourgeoisie et vis-à-vis desquels il était vital de rompre pour constituer des partis et une Internationale révolutionnaires.

Engels expliquait qu’à la base de toute erreur politique il y a une erreur théorique. Sa vacuité théorique, qu’il reconnaît implicitement en parlant de crise profonde de la théorie, laisse MC-KP désarmé face à la pression idéologique de la classe dominante, le conduisant de fait à se ranger dans le camp bourgeois.

En réalité la théorie marxiste n’est pas en crise : ce qui est « en crise » ce sont les forces qui ont rompu avec cette théorie, avec ce programme. La rupture avec ces forces, petites ou grandes, le retour à cette théorie et à ce programme et la reconstitution du parti de classe sur cette base, telle est, n’en déplaise à MC-KP, la seule voie de salut pour les prolétaires d’Ukraine et de Russie appelés à verser leur sang ou à accepter les sacrifices pour la défense de « leur » capitalisme, et pour les prolétaires du monde entier, tôt ou tard confrontés à la même perspective.

 


 

(1) http://mouvement-communiste.com/documents/MC/Leaflets/BLT2202FRvG.pdf

(2) Selon le chef du renseignement britannique, des soldats russes auraient refusé d’obéir aux ordres, d’autres saboté leurs matériels (Financial Times, 7/4/22). Nous prenons pas pour argent comptant ce genre d’informations, mais une autre information témoigne du mécontentement présent même parmi les corps décrits comme les plus proches du régime russe : un avocat de Krasnodar (sud de la Russie) qui a pris en charge la défense d’une dizaine de membres de Rosgvardia (Gardes Nationaux, considérés comme des soutiens indéfectibles du régime) qui ont refusé d’être envoyés en Ukraine, a déclaré qu’il avait été contacté par près de mille personnes dans le même cas. (Financial Times 2/4/22)

(3) https://bit.ly/3Iyjbu6

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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