De quelques réactions à la guerre en Ukraine

(«le prolétaire»; N° 544; Mars - Juin 2022)

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L’invasion de l’Ukraine a suscité dans les pays occidentaux une campagne de propagande de grande ampleur pour mobiliser « l’opinion publique » en « soutien à l’héroïque résistance du peuple ukrainien ». Ce thème a été mis en avant pour justifier les livraisons d’armes à l’armée de Kiev et instaurer des sanctions économiques dévastatrices à la  Russie : selon une déclaration le 18 mai du ministre russe de l’économie, celle-ci devrait connaître une chute de son PIB de 7,8 à 8,8% cette année, tandis que les estimations de la Banque centrale russe publiées le 29 avril étaient de 8 à 10 % de baisse (1) avec une inflation de 20%. A titre de comparaison rappelons que la Russie a enregistré une baisse du PIB d’un peu plus de 3% en 2020, de 7,9% lors de la crise de 2009, et de 12% en 1994 au moment de la terrible crise du début des années 90.

 En fait de soutien au peuple ukrainien, il s’agit en réalité d’une campagne de soutien à l’Etat bourgeois ukrainien et de guerre économique à la Russie.

Nous consacrons un article particulier au groupe « Mouvement Communiste » parce qu’il se présente plus ou moins comme appartenant à la gauche communiste ; mais nous n’allons pas passer en revue les partis politiques dits d’ « extrême gauche ». La plupart se sont en fait alignés sur la campagne bourgeoise  et les rares qui ne l’ont pas fait ont été incapables de revendiquer les positions classiques du communisme révolutionnaire : défaitisme révolutionnaire, transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, organisation indépendante de classe du prolétariat.

Lutte Ouvrière est dans ce cas. 

Le 10/3 elle se déclare haut et fort « contre Poutine et contre les fauteurs de guerre impérialistes » (2)  – il faut savoir que pour LO la Russie n’est pas impérialiste et « le capitalisme n’ [y] est pas encore vraiment rétabli » (3), seule la « bureaucratie » étant responsable de l’invasion de l’Ukraine. Dans le même numéro de son journal, après avoir posé la question « Que faire pour aider la population ukrainienne  à résister ? », et questionné à qui les pays occidentaux livrent des armes ainsi que la « façon » dont le régime Zelenski « envisage la défense de la population (…) en fonction de ses intérêts politiques »,  elle répond : « Alors oui, la population et les travailleurs d’Ukraine ont besoin d’être armés ». Et si elle rajoute « mais d’abord armés d’une politique tant contre leur propre régime que contre celui de Poutine », ce ne sont là que des mots vides qui ne servent qu’à camoufler un ralliement honteux à la campagne bourgeoise:;  seuls en effet les impérialismes occidentaux sont en capacité d’armer, non la population et les travailleurs en général, mais la population et les travailleurs enrégimentés dans des formations militaires, que ce soit l’armée régulière ou les nombreux détachements paramilitaires. LO a eu beau affirmer par la suite que les travailleurs ne devaient se ranger ni du côté de l’OTAN ni de celui de Poutine, elle n’est pas revenue sur sa réaction initiale.

Les autres groupes trotskystes voguent avec beaucoup plus d’entrain sur le courant dominant.

Les trotskystes de l’IVe Internationale à laquelle est lié le NPA en donnent un exemple instructif. Le « Bureau exécutif de la IVe Internationale » dans une déclaration du premier mars (4) appelait ainsi au soutien à « la résistance de la nation ukrainienne opprimée » : « Pour arrêter cette guerre il faut sanctionner le régime de Vladimir Poutine et aider l’Ukraine à faire face à l’agression (…). Solidarité et soutien à la résistance armée et non armée du peuple ukrainien. Livraison d’armes à la demande du peuple ukrainien (…). Soutien aux sanctions contre la Russie réclamée par la résistance ukrainienne ». Cet appel ne peut s’adresser qu’aux impérialismes occidentaux et à l’OTAN (qui n’ont pas attendu nos trotskystes pour mettre en place les mesures qu’ils réclament !) dont la IVe « exige » sans rougir la « dissolution » ; et c’est un soutien sans fard à l’Etat bourgeois ukrainien et à son armée appelée pour la circonstance « la résistance du peuple ukrainien ». Une fois de plus ces trotskystes se rangent derrière « leur » impérialisme…

Cette position est déclinée par les ténors du mouvement. Daniel Tanuro ; le spécialiste de la IVe pour les questions écologiques, s’en prend à ceux qui se réfèrent au pacifisme du réformiste Jean Jaurès (5). Selon lui le pacifisme d’un Jaurès ne peut s’appliquer car « il y a clairement un agresseur et un agressé »  et « la résistance du peuple ukrainien est comparable à celles du peuple vietnamien ou du peuple algérien face à l’impérialisme, ou à lutte de la Révolution espagnole contre le fascisme ». Et il attaque un discours où Mélenchon s’opposait à l’envoi d’armes à l’Ukraine : « Il n’a pas soutenu le droit du peuple ukrainien à l’autodéfense et n’a pas salué sa résistance héroïque. JLM ignore-t-il que la charte de l’Onu reconnait le droit de l’agressé a l’autodéfense ? ». Fort de la charte de l’ONU, Tanuro peut alors proclamer : « le peuple ukrainien a le droit de se défendre, de défendre son indépendance, de décider lui-même son avenir, de résoudre lui-même, démocratiquement, les questions de la coopération entre ses différentes composantes, russes et non-russes. Il faut lui en donner les moyens, en lui fournissant l’armement défensif dont il a besoin ». Bien évidemment notre « écolo-marxiste » ignore (ou feint d’ignorer) que le marxisme dès l’origine a démontré que les mensonges sur le peuple et la démocratie ne servaient qu’à dissimuler la réalité de la lutte des classes ; aujourd’hui ils servent aussi à dissimuler que nous sommes en présence d’une guerre entre deux Etats bourgeois et non d’ une guerre de libération anti coloniale ou d’une guerre déclenchée pour écraser une révolution (6) ce qui rend plus facile la demande (à qui d’autres sinon aux impérialismes occidentaux ?) de fourniture d’armes à l’Ukraine…

Dans un « mémorandum » (7), Gilbert Achcar, le spécialiste de la IVe pour le Moyen Orient, après avoir parlé de la « résistance héroïque du peuple ukrainien » (en fait la résistance de l’armée ukrainienne armée et entraînée par les Etats-Unis), écrit que l’effet d’une victoire de la Russie serait « un glissement majeur de la situation mondiale vers la loi de la jungle sans retenue, enhardissant l’impérialisme des Etats-Unis lui-même et ses alliés à poursuivre leur propre comportement agressif». La situation mondiale actuelle ne serait donc pas celle de la loi de la jungle malgré ses guerres perpétuelles, qui il est vrai ne se situent pas en Europe ! Il faut donc livrer des armes « à l’Etat Ukrainien sans conditions » (G.A. abandonne la fiction de la lutte du peuple), car il mène une « guerre juste »…

Les marxistes ne sont pas des pacifistes ; pour eux il existe effectivement des guerres justes : ce sont des guerres menées par des prolétaires ou des opprimés contre des Etats bourgeois oppresseurs ; mais cela n’a rien à voir avec la question de savoir qui est l’agresseur et qui est l’agressé dans des conflits entre Etats bourgeois ; « tous ces Etats ne faisant qu’un contre le prolétariat » (comme le disait Marx à propos de la France et de l’Allemagne après la Commune), celui-ci doit se préparer à les combattre tous, et non à en soutenir l’un contre l’autre.

La IVe a pris ouvertement fait et cause pour un camp bourgeois contre un autre : elle démontre ainsi une fois de plus qu’elle se situe en fait contre le prolétariat et sa lutte indépendante de classe.

 Mais ceux qui l’ont fait implicitement, comme par exemple les libertaires de l’UCL affirmant le 7 avril leur « solidarité avec la résistance du peuple ukrainien » et approuvant les sanctions contre la Russie décidées par les impérialismes occidentaux comme étant « un outil légitime » (8), ou LO sont dans le même cas, à la remorque de la bourgeoisie.

 


 

 

(1) Ces estimations sont en ligne avec celles du FMI, à ceci près qu’elles promettent un rebond économique en 2023, alors que selon le Fonds la récession continuerait en Russie l’année prochaine.

(2) cf. Lutte Ouvrière n°2797 ;

(3) cf. « La société russe et la guerre fratricide de Poutine », Lutte de classe n°223, avril 2022

(4) https:// nouveaupartianticapitaliste.org/ actualite/ nternational/ non-linvasion-de-lukraine- par-poutine-soutien-la-resistance-ukrainienne

(5) https://www.pressegauche.org/Du-bon-usage-du-pacifisme-de-Jean-Jaures-51737. L’opposition à la guerre de Jaurés n’était pas marxiste ; elle ne sortait pas du cadre démocratique avec ses perspectives d’arbitrage international et du droit international, c’est pourquoi elle était condamnée au mieux à l’impuissance ou au pire au ralliement à la défense de la « patrie attaquée ».

(6) Nous ne discuterons pas ici de la position marxiste dans ces situations, sinon pour rappeler  qu’elle a toujours pour base l’indépendance de classe du prolétariat – concept absolument étranger à Tanuro et ses collègues.

(7) « Un mémorandum sur la position anti-impérialiste radicale concernant la guerre en Ukraine »

https://lanticapitaliste.org/opinions/international/un-memorandum-sur-la-position-anti-imperialiste-radicale-concernant-la

(8) https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Ukraine-Retrait-immediat-des-troupes-d-occupation

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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