Thèses sur les conditions sous lesquelles il est possible de constituer des Soviets Ouvriers

IIe Congrès de l’Internationale Communiste (août 1920)

(«programme communiste»; N° 101; Août 2011)

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Les Thèses sur la formation des Soviets ont été adoptées au IIe Congrès de l’Internationale Communiste à Moscou le 5 août 1920. Leur présentation fut précédée d’un petit discours de Zinoviev, leur auteur, qui déclara espérer qu’elles seraient adoptées sans vote, étant donné que les discussions préliminaires avec divers délégués avait montré que l’opinion était unanime à ce sujet. Zinoviev expliqua que le but de ces Thèses était d’un côté de corriger les révolutionnaires qui, comme en France et en Suisse (1), appelaient à créer artificiellement des Soviets, alors que ceux-ci ne peuvent naître que dans une période révolutionnaire; et de l’autre de s’opposer aux réformistes qui, dans une situation révolutionnaire où les soviets existaient réellement, voulaient les subordonner aux institutions de l’Etat bourgeois. Ces Thèses sont une condamnation à l’avance de la tactique volontariste et activiste faussement de gauche, de l’Internationale stalinisée lors de la dite «troisième période», au début des années trente, avec son slogan: «les Soviets partout!». Reliées aux Thèses sur le rôle du Parti Communiste, elles sont aussi une claire réfutation de l’orientation dite «conseilliste», qui nie ou dévalue le rôle du parti.

Nous les faisons suivre des Thèses sur la constitution des Conseils Ouvriers de la Fraction Communiste Abstentionniste du Parti Socialiste Italien (déjà publiées dans les années 70 sur cette même revue) (2). Ces thèses furent rédigées en avril 1920 en vue du Congrès de Livourne qui allait voir la scission au sein du vieux parti et la naissance du Parti Communiste d’Italie, dans le but de préciser la question, surtout par rapport aux positions conseillistes défendues à Turin par Gramsci et ses camarades (3). Dans les deux textes, les soviets sont définis comme des «organes d’Etat», c’est-à-dire des organes politiques, de la dictature du prolétariat; dans les deux textes il est précisé que leur fondation n’est possible que dans une période révolutionnaire, quand s’ouvre l’assaut contre le pouvoir bourgeois. Implicitement dans celles de l’Internationale, explicitement dans celles de notre courant, les Thèses indiquent le rôle central du parti pour que les soviets ne deviennent pas d’«informes parlements ouvriers» comme dira Trotsky dans «Terrorisme et Communisme»: les soviets n’ont pas un caractère révolutionnaire en soi: c’est l’intervention et la prédominance en leur sein du parti communiste qui leur permet de jouer ce rôle.

Il nous a paru utile de publier les Thèses de l’Internationale, car, à notre connaissance, elles ne l’ont jamais été en français depuis 1920, où elles parurent sur le «Bulletin Communiste», Organe du Comité de la Troisième Internationale; elles ne figurent pas sur le recueil des IV Premiers Congrès publié dans les années trente et republié à l’identique depuis. La traduction que nous proposons ci-dessous est entièrement nouvelle.

 


 

1. Les Soviets de délégués ouvriers sont apparus pour la première fois en Russie en 1905, au moment où le mouvement révolutionnaire des ouvriers russes était à son apogée. Instinctivement le Soviet des Petrograd des députés ouvriers faisait déjà en 1905 les premiers pas vers la prise du pouvoir. A ce moment le Soviet de Petrograd n’était fort que dans la mesure où il avait une chance de conquérir le pouvoir politique. Dès que la contre-révolution impériale rassembla ses forces et que le mouvement ouvrier recula, le Soviet de Petrograd cessa d’exister, après une brève période de stagnation.

2. Lorsqu’en 1916, au début d’une nouvelle grande vague révolutionnaire, commença à germer en Russie l’idée d’organiser immédiatement des Soviets de députés ouvriers, le Parti Bolchevik mit en garde les travailleurs contre toute formation immédiate, soulignant que la création de Soviets ne serait opportune que lorsque la révolution aurait déjà commencé et que le moment serait venu de la lutte directe pour le pouvoir.

3. Au début de la révolution de Février de 1917, quand les Soviets de députés ouvriers se sont transformés en Soviets de députés d’ouvriers et de soldats, ils ont attiré dans leur sphère d’influence les masses les plus larges, gagnant d’un coup une autorité écrasante, parce que la force réelle était de leur côté, entre leurs mains. Mais quand, surmontant la soudaineté des premiers assauts révolutionnaires, la bourgeoisie libérale prit le pouvoir avec l’aide des sociaux-traîtres, les Socialistes Révolutionnaires et les Mencheviks, l’importance des Soviets commença à décliner. Ce n’est qu’après les journées de juillet et après l’échec de la campagne contre-révolutionnaire de Kornilov, lorsque les masses commencèrent à se mettre en mouvement et que la crise du gouvernement de coalition bourgeois contre-révolutionnaire devint aiguë, que les Soviets reprirent de la vigueur, gagnant rapidement une importance décisive dans le pays.

 

4. L’histoire des révolutions allemande et autrichienne nous montre le même tableau. Quand les masses populaires se révoltèrent et que la vague révolutionnaire devint si puissante qu’elle balaya les forteresses des monarchies des Hohenzollern et des Habsbourg, les Soviets d’ouvriers et de soldats se formèrent en Allemagne et en Autriche avec toute la puissance d’une force de la nature. Au début la force réelle était de leur côté, et les Soviets étaient bien engagés sur la voie de devenir le pouvoir de facto. Mais dès que, à la suite de toute une série de conditions historiques, le pouvoir commença à passer à la bourgeoisie et à la social-démocratie contre-révolutionnaire, les Soviets se mitent à décliner et disparurent. Lors des l’échec de la révolte contre-révolutionnaire de Kapp - Lüttwitz en Allemagne, les Soviets reprirent leur activité; mais quand la lutte se termina par la victoire de la bourgeoisie et des social-traîtres, les Soviets qui avaient tout juste commencé à revivre, moururent à nouveau.

5. Les faits ci-dessus démontrent que certaines conditions bien précises sont nécessaires pour la formation des Soviets. Pour organiser des Soviets de Députés Ouvriers et les transformer en Soviets d’ouvriers et de soldats, les conditions suivantes sont nécessaires:

a) Une forte poussée révolutionnaire parmi les larges masses d’ouvriers et d’ouvrières, de soldats et de travailleurs en général;

b) Une crise politique et économique aiguë, poussée au point où le pouvoir commence à échapper des mains du gouvernement;

c) Ferme résolution parmi les rangs de la masse des travailleurs et, avant tout, parmi les rangs du Parti Communiste, d’entamer la lutte générale et systématique pour le pouvoir.

6. En l’absence de ces conditions, les communistes peuvent et doivent mener une propagande systématique et intense pour l’idée des Soviets, pour la populariser parmi les masses, pour démontrer à la population que les Soviets sont la seul forme efficace de gouvernement pendant la transition au communisme intégral. Mais il est impossible de procéder à l’organisation directe des Soviets tant que ne sont pas réunies les trois conditions ci-dessus.

7. La tentative des sociaux-traîtres en Allemagne d’introduire les Soviets dans le système constitutionnel démocratique bourgeois, est une trahison de la cause ouvrière et une duperie pour les travailleurs. De véritables Soviets ne sont possibles qu’en tant que forme d’organisation d’Etat à la place de la démocratie bourgeoise, brisant celle-ci et la remplaçant par la dictature du prolétariat.

8. La propagande des dirigeants de droite des Indépendants (1) (Hilferding, Kautsky et autres) qui essaye de prouver que le système des Soviets peut être compatible avec l’Assemblée Constituante bourgeoise est ou une incompréhension complète des lois de développement de la révolution prolétarienne, ou une duperie consciente de la classe ouvrière. L’Assemblée Constituante est la dictature de la bourgeoisie. Il est impossible d’unir ou de concilier la dictature de la classe ouvrière avec celle de la bourgeoisie.

9. La propagande de certains représentants de la gauche des Indépendants en Allemagne qui présentent aux travailleurs le plan formel achevé d’un «système des Soviets», sans tenir aucun compte du processus réel de guerre civile, est un passe-temps doctrinaire qui détourne les travailleurs de leurs tâches essentielles dans la lutte réelle pour le pouvoir.

10. Les tentatives de divers groupes communistes en France, Italie, Amérique et Angleterre pour former des Soviets qui n’embrassent pas les larges masses et qui sont, par conséquent, incapables de se lancer dans la lutte directe pour le pouvoir, ne peuvent que nuire à la préparation réelle d’une révolution soviétique. Des «Soviets» construits aussi artificiellement, au mieux se transforment vite en petites organisations de propagande de l’idée soviétique, et, au pire, ne peuvent que discréditer cette idée aux yeux des larges masses de la population.

11. A l’heure actuelle il existe une situation particulière en Autriche, où la classe ouvrière a réussi à préserver ses Soviets qui rassemblent de vastes masses de travailleurs. Là, la situation ressemble à celle qui a existé en Russie entre février et octobre 1917. Les Soviets en Autriche représentent une force considérable et ils apparaissent comme des embryons d’un nouveau pouvoir.

Il va de soi que dans cette situation les Communistes doivent participer à ces Soviets, qu’ils doivent les aider à pénétrer tous les secteurs de la vie sociale, économique et politique du pays; qu’ils doivent y créer des fractions communistes et soutenir par tous les moyens leur développement.

12. Sans révolution les Soviets sont impossibles; sans la révolution prolétarienne, ils se transforment inévitablement en parodie. Les véritables Soviets des masses sont la forme historiquement élaborée de la dictature du prolétariat. Tous les partisans sincères et sérieux du pouvoir des Soviets doivent traiter avec précaution l’idée des Soviets; et, tout en menant une propagande infatigable à leur sujet parmi les masses, ils ne doivent s’engager dans leur constitution effective que sous les conditions mentionnées ci-dessus.

 


 

(1) Cf Programme Communiste n°60 (septembre - octobre 1973)

(2) Il s’agit du Parti Socialiste Indépendant, une scission du vieux Parti Social-Démocrate trop compromis par sa politique d’ «union sacrée» avec les partis bourgeois en soutien à la guerre. Le «renégat» (dixit Lénine) Kautsky était l’ancien gardien de la théorie marxiste au sein de l’Internationale Socialiste.

(3) Pour la lutte politique contre les thèses conseillistes de Gramsci et cie, voir la série: «Gramsci, l’Ordine Nuovo et Il Soviet», Programme Communiste n° 71, 73 et 74.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

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