Derrière le mythe de l’Europe unie, s’accumulent les antagonismes et les contradictions incurables qui conduiront à une troisième guerre mondiale si la révolution prolétarienne ne renverse pas le capitalisme

(«programme communiste»; N° 102; Février 2014)

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Le premier janvier 2002 l’Euro devint la monnaie commune de l’Union Economique et Monétaire (UEM), le seul moyen de paiement dans les onze pays de l’Union Européenne (UE) (1) qui étaient tombés d’accord sur son introduction. D’autres pays ayant été admis par la suite, ils sont aujourd’hui 17 à utiliser l’Euro. La Suède, le Danemark et le Royaume Uni qui font partie de l’UE, ont conservé leur propre monnaie.

L’argument de la Commission Européenne pour justifier le passage à l’euro, était que les décennies qui avaient suivi l’institution de la Communauté Européenne Charbon-Acier (CECA) en 1951, de la Communauté Economique Européenne (plus connue sous le nom de Marché Commun) et de la Communauté Européenne de l’Energie Atomique (dite aussi Euratom) créée en 1957 par les 6 pays dits «fondateurs» de l’UE (2), avaient fait atteindre à ces pays «un niveau élevé et durable de convergence économique». Le mythe de l’Europe Unie (dans les années vingt du siècle dernier on parlait encore des «Etats Unis d’Europe») semblait avoir enfin trouvé les bases solides pour que puisse se réaliser le projet d’intégration européenne, comme solution pacifique des contrastes entre les intérêts économiques des divers pays impérialistes européens, dépassant à jamais tous les affrontements économiques, politiques et militaires qui avaient débouché sur la deuxième guerre mondiale, la plus terrible de l’histoire.

Aujourd’hui, dans une crise de surproduction capitaliste qui a mis à genoux certains petits pays européens (Grèce, Irlande, Portugal) et plongé dans une crise sérieuse des grands comme surtout l’Espagne et l’Italie, non seulement l’intégration politique se révèle être dans les faits une chimère face à la tendance des pays les plus puissants, à commencer par l’Allemagne, à asservir les plus faibles; mais l’intégration économique elle-même, qui aurait dû déboucher tôt ou tard sur ces Etats-Unis d’Europe, montre qu’elle renforce d’abord l’économie la plus forte – l’Allemagne encore une fois – jouant un rôle de référence y compris au niveau mondial. Ce n’est pas par hasard si à propos de la dette publique, les milieux financiers utilisent, pour mesurer le risque présenté par l’Etat qui émet des titres obligataires (c’est-à-dire qui emprunte), l’écart avec les taux allemands (le «spread») pour une émission comparable; les titres allemands sont pris comme référence parce que «les marchés», c’est-à-dire les investisseurs internationaux qui prêtent leur argent en achetant des titres, estiment que l’économie allemande étant la plus puissante et la plus stable d’Europe, les risques qu’elle fasse «défaut» (non-remboursement) sont les plus faibles. C’est précisément dans les périodes de crise que les rapports de force entre les Etats, même s’ils sont alliés, se manifestent crûment au grand jour, démontrant que ce sont les intérêts impérialistes (économiques, financiers et politiques) dont chaque Etat est le défenseur, qui guident la politique des gouvernements.

 

Comme toutes les alliances entre brigands, les alliances entre les  Impérialismes sont toujours temporaires

 

A la fin de la guerre mondiale le mot d’ordre des classes dominantes européennes était «l’intégration politique» comme solution pour éviter un nouveau conflit. C’est une illusion, fille de l’idéologie libérale et propre aux courants sociaux-démocrates réformistes du dix-neuvième siècle, que Lénine (et notre courant avec lui) a toujours critiqué comme étant un véritable piège politique pour les masses prolétariennes afin de leur faire accepter les sacrifices en temps de paix et les massacres en temps de guerre. Il est absurde de parler d’Etats Unis d’Europe en «oubliant» que le capitalisme répandu sur toute la planète a atteint depuis un siècle le stade impérialiste. «Le capital est devenu international et monopoliste, soutient Lénine en 1915, le monde se trouve partagé entre une poignée de grandes puissances, c’est-à-dire de puissances qui s’enrichissent en pillant et en opprimant les autres nations à grande échelle» (3). Et, affirme-t-il, «du point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c’est-à-dire de l’exportation des capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales “avancées” et “civilisées”, les Etats-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires» (4).

Impossibles ou réactionnaires: la précision n’est pas secondaire. Elle signifie que les rapports de force inter-impérialistes mondiaux, en raison de l’aggravation des oppositions d’intérêts, empêchent une alliance suffisamment étroite des pays européens pour qu’elle débouche sur la nécessité non seulement économique mais politique et militaire de constituer un seul Etat – les Etats-Unis d’Europe; ou alors que ces rapports de force, peut-être à la suite d’une guerre qui verrait l’une des puissances (comme l’Allemagne lors de la dernière guerre mondiale) dominer complètement les autres, se seraient tellement modifiés que, face à la menace d’un mouvement révolutionnaire international, un Etat européen unique deviendrait alors possible – mais sa création ne pourrait être que réactionnaire!

Les courants social-démocrates réformistes et pacifistes du dix-neuvième et du vingtième siècle avançaient cette perspective des Etats-Unis d’Europe sur le modèle des Etats-Unis d’Amérique, comme la solution pour éviter les guerres et résoudre les problèmes nationaux, et pas seulement sur le continent; ils répandaient l’illusion de la possibilité de mettre fin aux guerres sous le capitalisme, et l’illusion d’un progrès économique et social continu grâce au développement capitaliste. Les marxistes révolutionnaires ont toujours combattu ces illusions; ils soutenaient, comme Lénine, que «si une fédération d’Etats européens réussissait à se constituer, elle représenterait l’ennemi central contre lequel le prolétariat aurait à diriger son effort révolutionnaire pour lui arracher le pouvoir» (5) ; «que la révolution socialiste européenne ne pourrait pas vaincre dans une Europe divisée en puissances autonomes tant que le pouvoir de la bourgeoisie n’aurait pas été renversé dans au moins quelques uns des plus grands Etats» et «que le pouvoir révolutionnaire qui se serait établi dans un pays ou dans une partie de l’Europe ne pourrait avoir de rapports et d’alliances qu’avec les partis ouvriers en lutte contre la bourgeoisie dans les autres pays, sans qu’existe une période historique absurde de coexistence» (5).

Lors de la première puis de la deuxième guerre mondiale, le prolétariat a été conduit par l’opportunisme social-démocrate et stalinien à soutenir sa bourgeoisie nationale, en contradiction avec les orientations marxistes défendues par le parti bolchevik de Lénine, des premières années de l’Internationale Communiste et des courants de la gauche révolutionnaire qui avaient lutté contre les reniements des partis socialistes. Ni la défaite de la révolution en Russie et du mouvement communiste international, ni le retour perpétuel des crises économiques et des guerres entre Etats n’ont jamais été un motif pour rejeter la conception marxiste du socialisme et de la fin du capitalisme. En dépit de tous les efforts des classes dominantes pour en retarder leur manifestation catastrophique, les contradictions profondes du mode de production du capitalisme sont en effet destinées à s’aggraver et finalement à exploser, mettant en mouvement la force gigantesque des masses prolétariennes mondiales. Au rendez-vous historique avec la crise révolutionnaire, le prolétariat devra avoir rencontré le parti révolutionnaire de classe, qui est l’organe décisif de la lutte révolutionnaire et de sa victoire, à condition qu’il n’ait jamais été tenté de remplacer le marxisme, ses bases théoriques, son programme et sa stratégie révolutionnaire par l’idéologie bourgeoise, son programme et sa stratégie de conservation sociale.

C’est la raison pour laquelle il est essentiel pour les communistes de toujours se référer à l’expérience historique de la lutte entre les classes, lutte qui ne cessera qu’avec la disparition de la société capitaliste fondée sur la production pour la consommation de la production et son remplacement par une société fondée sur la production pour la consommation: société organisée sur la base de la production pour la satisfaction des besoins de l’espèce humaine, contre société organisée sur la base de la production pour la production, tel est notre drapeau!

On nous dira que 95 ans après la révolution d’Octobre, 85 ans après la défaite du mouvement communiste international, 70 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, les choses ont complètement changé dans le monde; sur le plan du développement économique comme sur celui des conditions de vie dans les pays d’ancien capitalisme comme dans les pays de capitalisme dit «émergent», elle se sont améliorées par rapport à ce qu’elles étaient il y a un siècle. En outre si nous reprenons la citation de Lénine, l’exportation de capitaux vers la plupart des pays de la planètes s’est énormément accrue; la puissance économique et financière n’est plus seulement l’apanage d’une poignée d’Etats impérialistes dominant le reste du monde et il n’y a pratiquement plus de colonies. Les anciennes colonies ou semi-colonies des pays européens (surtout de la France et de la Grande-Bretagne) ont pu s’engager plus largement sur la voie du développement économique; quant aux puissances ouest-européennes, fortement redimensionnées dans l’arc de deux guerres mondiales par la croissance vertigineuse des Etats-Unis mais aussi d’autres pays, comme le Japon, elles se sont orientées vers des rapports économiques intra-européens moins conflictuels: la voie de l’«intégration» européenne, d’abord empruntée pur se relever des ravages de la guerre.

Les colonies n’existent plus?

Les choses ont changé, c’est vrai. Les luttes anticoloniales qui ont marqué le deuxième après-guerre (jusqu’en 1975 où l’Angola et le Mozambique se sont libérés de la domination portugaise) ont effectivement signé la fin du vieux colonialisme européen qui, affaibli en outre par la guerre mondiale a dû peu à peu lâcher prise. Mais ce vieux colonialisme a été remplacé par une nouvelle forme de colonialisme où les troupes coloniales ont été en partie remplacées par les investissements de capitaux. Le dollar est devenu l’arme principale de ce nouveau colonialisme, devant la livre sterling, le franc français, et, beaucoup plus tard, le mark allemand. Le nouveau partage du monde qui a suivi la deuxième guerre mondiale a été tracé selon les lignes de force des puissances impérialistes, et notamment selon l’importance de leurs investissements défendus naturellement par le chantage financier et les interventions militaires.

Les Etats-Unis, nouveaux maîtres du monde, surclassaient de loin l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne réunies; ils s’assuraient la colonisation financière des pays ouest-européens et du Japon qui par ailleurs avaient grand besoin de capitaux pour leur reconstruction après les destructions de la guerre. En une quinzaine d’années ils remplacèrent la France et la Grande-Bretagne dans une bonne partie de leurs anciennes colonies, notamment dans les pays producteurs de pétrole et en Asie. Face aux Etats-Unis et associée avec eux dans une espèce de condominium se trouvait l’URSS qui, du fait de sa faiblesse économique s’appuyait sur sa force militaire (le dit «équilibre de la terreur») qui lui permettait aussi de garantir sa domination sur l’Europe orientale.

L’Europe après la deuxième guerre mondiale n’était pas dans une situation différente de celle que Lénine traçait en 1915 pour le capitalisme en général:

«En régime capitaliste, le développement égal des différentes économies et des différents Etats est impossible. Les seuls moyens en régime capitaliste de rétablir de temps en temps l’équilibre compromis, ce sont les crises dans l’industrie et les guerres en politique» (6).

Cet «équilibre» ne signifie pas une impossible égalité entre les nations, mais l’attribution selon les rapports de force établis par la guerre, de zones sous le contrôle économique et politique des plus puissants. Dans ce rétablissement de l’équilibre, il y a aussi un objectif à ne pas oublier qui est commun aux classes dominantes de tous les pays: le contrôle du prolétariat par tous les moyens à disposition, des illusions démocratiques au terrorisme politique, de la propagande religieuse à l’action capillaire des forces collaborationnistes politiques et syndicales, etc. Le «condominium russo-américain» que notre parti analysa dès ses débuts, na signifiait pas seulement le partage du monde entre les grandes puissances qui avaient le mieux réussi à piller et asservir d’autres nations, pour reprendre les mots de Lénine; il signifiait aussi un partage des rôles pour assurer le contrôle du prolétariat.

Au cours même de la guerre des épisodes comme les grèves en Italie en 1943 où l’insurrection de Varsovie (ou après la guerre l’insurrection de Berlin en 1953) montraient aux capitalistes que le risque de troubles prolétariens, était bien réel. A un peu plus de vingt années de la révolution prolétarienne en Russie et de la poussée révolutionnaire en Europe, le prolétariat européen, même battu par la contre-révolution, représentait toujours une menace potentielle aux yeux des bourgeois: ils n’avaient pas oublié quelle force irrésistible il constitue quand il est organisé sur des bases de classe et guidé par son parti politique révolutionnaire.

Les différences entre les Etats européens ne disparurent pas avec la reconstruction d’après-guerre et la croissance économique qui la suivit. Elles se sont au contraire accentuées, comme il est inévitable sous le capitalisme tant pour les économies nationales que pour les entreprises. La concurrence entre les différentes économies comme entre les différentes entreprises ne cesse pas: elle s’aggrave au contraire tandis que l’anarchie de la production ne disparaît pas et éclate inévitablement en crises de surproduction cycliques. La tendance des capitalismes nationaux et des Etats qui en représentent les intérêts, à conquérir des marchés – à coloniser des territoires économiques – est une tendance objective insurmontable du capitalisme; elle signifie des affrontements économiques, et, quand l’ancien partage ne correspond plus aux nouveaux rapports de force économiques, à des affrontements politiques pour «ouvrir» des marchés «protégés», et à la fin à des affrontements militaires, à des guerres.

«Les guerres n’ont pas leurs causes et leur origine dans des croisades pour des principes généraux et pour des conquêtes sociales – écrivait Bordiga en 1950 (7). Les grandes guerres modernes sont provoquées par les exigences de classe de la bourgeoisie, elles sont le cadre indispensable où se réalise l’accumulation primitive et ultérieure du capital». Et, remontant le fil ininterrompu qui relie la position d’aujourd’hui au textes classiques du marxisme, il synthétisait ainsi le cours historique bourgeois:

«Relisons la dramatique apologie de notre ennemi dans le Manifeste: la bourgeoisie lutte sans cesse; d’abord contre l’aristocratie, puis contre ses propres partis dont les intérêts s’opposent aux progrès de l’industrie; et toujours contre les bourgeoisies étrangères! Relisons la dans le Capital: la découverte des contrées aurifères et argentifères d’Amérique, la décimation et l’esclavage des populations indigènes ensevelies dans le travail des mines, les conquêtes et des les ravages aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une espèce de chasse commerciale aux peaux noires, voilà quels sont les processus idylliques de l’accumulation primitive qui signent l’aurore de l’époque capitaliste. Tout de suite après éclata la guerre mercantile; elle eut pour théâtre le monde entier Commencée avec la révolte de la Hollande contre l’Espagne, elle prit des proportions gigantesques dans la guerre anti-jacobine de l’Angleterre, et se prolonge jusqu’à nos jours par des opérations de piraterie comme les fameuses guerres de l’opium contre la Chine.

Fait suite à cette phrase fondamentale une autre qui se termine par les mots fameux: la violence est l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une société nouvelle. La violence elle-même est une force économique! Les différents moments de l’accumulation primitive se répètent en suivant un ordre plus ou moins chronologique, au Portugal, en Espagne, en Hollande, en France et en Angleterre, jusqu’à ce que celle-ci dans le dernier tiers du XVIIIe siècle les combine tous dans un ensemble systématique qui comprend en même temps le régime colonial, le crédit public, la finance moderne et le système protectionniste. Ces points sont si fondamentaux que l’objectif central de l’assaut révolutionnaire dans la vision mondiale des marxistes a toujours été le colosse britannique, le premier modèle universel de l’esclavage capitaliste (...). Le marxisme n’est pas codifié dans des versets; là où son fondateur écrivait en 1867 Angleterre, nous devons lire en 1949 Etats Unis d’Amérique».

Plus de 60 ans se sont écoulés depuis 1949; si les Etats-Unis n’ont plus l’écrasante domination d’alors, ils restent toujours la première puissance mondiale et ils sont par conséquent toujours l’ennemi numéro 1 de la révolution prolétarienne. Le mot d’ordre d’autrefois: «jamais nous ne pourrons choisir le côté où se trouve l’Angleterre!» est toujours valable, sous la forme: «jamais nous ne pourrons choisi le côté où se trouve les Etats-Unis!», sans jamais oublier ce qui avait déjà été écrit dans le Manifeste: «les partis prolétariens ont une tâche dans le cadre national parce qu’ils tendent d’abord à abattre leur propre bourgeoisie. Non seulement la guerre n’est pas un motif pour concéder à la bourgeoisie une trêve intérieure, et encore moins pour passer à son service contre l’Etat ennemi, mais, comme Lénine le théorisa, elle conduit d’autant plus directement à la révolution qu’elle est plus désastreuse pour la bourgeoisie de notre patrie» (8).

 

L’Europe entre ambitions d’intégration politique et heurts d’intérêts impérialistes

 

On nous dira que jusqu’à la guerre dans les Balkans en 1991-92, il n’y a plus eu de guerre en Europe pour le repartage du continent ou du monde. L’effondrement de l’empire russe dû aux effets de la crise économique et à la pression économique et financière pluridécennale des puissances occidentales (Allemagne au premier plan), a eu en réalité les conséquences équivalentes à celles d’une guerre mercantile (pour reprendre l’expression de Marx), sans avoir eu besoin d’affrontements armés. Dès 1988-90 les pays de l’Est les plus importants (la Pologne, l’Allemagne de l’Est, la Hongrie) s’étaient pratiquement détachés de la suffocante emprise russe. L’Allemagne de l’Est se réunifiait avec l’Allemagne Occidentale en 1990, tandis que la Pologne et la Hongrie, suivies ensuite par les autres ex- «Démocraties Populaires» entamaient une trajectoire qui allaient les mener dans le giron de l’UE et de l’OTAN.

L’entrée dans l’Union Européenne, constituée en 1993 (après la ratification du traité de Maastricht) sous l’initiative principalement de l’Allemagne, de la Belgique, Grande-Bretagne, de la France et de l’Italie, a été et est un objectif pour un nombre croissant d’Etats, ce qui tend à alimenter l’illusion que tôt ou tard elle débouchera sur des Etats-Unis d’Europe. Mais la réalité est plus contrastée, et chaque année naissent des querelles entre les Etats membres sur les questions les plus diverses, la dernière et sans doute la plus grave, étant celle des dettes publiques avec le risque de faillite de certains Etats (Grèce, Portugal Irlande). Les conséquences de la crise économique ont tellement entamé la confiance entre les divers Etats, que pour la première fois depuis la création de l’UE et l’introduction de l’Euro (2002), on a pu évoquer sérieusement le départ de certains pays. Il s’agissait essentiellement de la Grèce, soumise par les pays européens les plus riches (l’Allemagne, mais aussi la France, les Pays-Bas, etc.) à une cure d’austérité drastique, aux conséquences dévastatrices sur son économie et la situation des masses, en contrepartie de prêts pour assurer ses finances: une sortie de la zone Euro, argumentaient certains, serait une solution moins douloureuse.

En dépit de ces difficultés, les européistes prêchent toujours une accélération de l’intégration économique des actuels 25 pays membres; l’union entre les capitalismes nationaux serait possible à condition de le «vouloir» et de se rendre compte qu’elle apporte des avantages «pour tous». Mais contre cette perspective idyllique, se dressent les obstacles nés de l’histoire même du capitalisme et de la formation des Etats bourgeois. L’Europe a été le berceau du capitalisme et des révolutions bourgeoises; mais le développement du capitalisme dans les divers pays n’a jamais été simultané, ni ne s’est déroulé avec la même force. Ce développement inégal du capitalisme s’est reproduit à l’échelle mondiale, démontrant qu’il s’agit là d’une loi inhérente à ce mode de production contre laquelle la bourgeoisie ne peut rien, parce qu’elle n’est en réalité que l’instrument du capitalisme; dans tous les pays elle doit satisfaire aux besoins du développement du capitalisme national et de sa défense contre tous les autres; les rapports entre les économies nationales et les Etats érigés sur leurs bases, ne dépendent pas en dernière analyse de la «volonté» ou de la «détermination» des gouvernements du moment, mais de la puissance et du dynamisme des capitalismes nationaux plongés dans une concurrence permanente entre eux. La bourgeoisie est continuellement en guerre, rappelle l’article de Bordiga que nous avons cité; plus la concurrence est forte et les concurrents nombreux, et plus la guerre est complexe, nécessitant toujours plus de forces. Sur le plan économique, le développement capitaliste conduit à l’apparition de sociétés par actions et des monopoles, donc à la concentration économique et financière dont l’arène dépasse les frontières nationales pour embrasser le monde entier. Sur le plan politique, elle conduit à l’impérialisme, aux alliances et aux blocs politico-militaires pour le contrôle des marchés et des sources de matières premières et pour faire face aux rivalités inter-étatiques.

L’histoire démontre que les accords entre pays capitalistes pour faciliter la circulation des capitaux, des marchandises et des hommes ou pour forger des alliances apparemment indissolubles, peuvent être rompues du jour au lendemain, pour les motifs les plus divers, mais qui sont toujours liés aux intérêts fondamentaux des capitalismes respectifs. Exactement comme les capitalistes individuels, les Etats capitalistes sont en quête d’alliances pour mieux affronter la concurrence sur les marchés; pour les Etats comme pour les trusts dont ils sont les serviteurs, les intérêts à défendre au niveau international sont de plus en plus complexes, parce qu’il ne s’agit plus de faciliter les exportations et le volume des affaires; il s’agit de les imposer, ce qui nécessite en plus de la force économique et financière, une force politique et une force militaire – même quand cette dernière n’est pas utilisée directement, du moins entre grands impérialismes.

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, à l’exception de quelques cas où la tension est montée jusqu’à un niveau élevé (dans les années 50 en Corée, dans les années 60 lors de l’affaire des missiles russes à Cuba, etc;), les contrastes inter-impérialistes ne sont jamais allés jusqu’à menacer de déboucher sur une nouvelle guerre mondiale. Mais il y a eu en permanence des guerres locales ou régionales; si nous prenons le cas de l’impérialisme français, impérialisme de second rang mais pas pour autant moins agressif, il a été en permanence engagé dans des guerres de type colonial, d’intensités sans doute diverses, pendant la quarantaine d’années qui ont suivi sa «libération» en 1945. Par la suite les guerres, dites «interventions militaires», ont été plus épisodiques, mais n’ont cependant jamais cessé, les dernières, au moment où nous écrivons, ayant été celles du Mali et de Libye.

Dans une certaine mesure, les guerres locales qui ont ensanglanté le monde et ravagé une partie de la planète depuis que la «paix» impérialiste a succédé en 1945 à la guerre mondiale, ont représenté des ballons d’oxygène pour le capitalisme mondial. Les capitalistes en sont les premiers conscients. Pour preuve ce qu’on pouvait lire sur le site de la Morgan Stanley, une des plus grandes banques d’investissement des Etats-Unis, en septembre 2001: «Qu’est-ce qui peut réduire drastiquement le déficit de la balance des paiements américaine, et faire disparaître ainsi les risques les plus graves pour l’économie des Etats-Unis et le dollar? La réponse est: un acte de guerre. La dernière fois que les USA ont enregistré un surplus de leur balance des paiements, c’était en 1991, quand la contribution des pays étrangers aux dépenses engagées par l’Amérique dans la guerre du Golfe a contribué à engendrer un surplus de 3,7 millions de dollars» (9).

La date et l’heure où a été publié ce rapport sont intéressantes: le 11 septembre, entre sept heures et demi et huit heures du main, soit une heure avant l’attaque contre le World Trade Center. Cela ne signifie qu’une chose, c’est que pour être considérée comme une «réponse» à envisager sérieusement pour la défense des intérêts américains, la guerre n’avait pas besoin d’un attentat terroriste d’Al Qaida...

La disparition de l’empire soviétique et l’affaiblissement relatif des Etats-Unis laissent le champ libre à l’apparition d’autres puissances impérialistes comme protagonistes de guerres ou d’affrontements armés. C’est déjà le cas de l’Allemagne qui a joué un rôle notable dans la guerre en Yougoslavie; et, potentiellement, de la Chine qui a jugé qu’elle avait des intérêts à défendre en Libye et en Syrie, deux pays où elle a montré (plus ou moins fortement) son opposition aux poussées guerrières des impérialismes anglo-franco-américain. L’Allemagne est redevenue une puissance économique redoutable au niveau mondial, mais elle ne s’est pas encore dotée d’une force militaire qui corresponde à sa force économique et aux ambitions d’un impérialisme qui tend historiquement à la domination en Europe tout en poussant son influence vers la Russie et le Moyen Orient. Un impérialisme aussi puissant que l’Allemagne, ne restera pas éternellement à la fenêtre, se contentant de regarder ses concurrents se préparer à un nouveau partage du monde.

Tôt ou tard elle s’émancipera de la tutelle des vieux alliés de la seconde guerre mondiale (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France) et se dotera d’une puissance militaire capable de défendre ses intérêts partout où ils courent des risques, à commencer par le continent européen. Le foyer de tensions et de crises en Europe ne se trouve pas parmi les pays économiquement les plus faibles, mais parmi les plus forts à commencer par L’Allemagne, redevenu un géant économique, mais qui reste un nain du point de vue militaire.

 

L’expansion capitaliste d’après-guerre a remis en selle les impérialismes vaincus et a permis à des impérialismes émergents d’accéder au festin

 

A la barbe de tous ceux qui ne veulent admettre qu’un processus de décadence du capitalisme, les trente ans qui ont suivi la fin de la deuxième guerre mondiale ont été marquées par sa formidable expansion au niveau mondial, et en même temps à une évolution des rapports de force entre les diverses puissances impérialistes. Sous la cape «protectrice» du condominium russo-américain, les deux puissances qui avaient donné le plus de fil à retordre aux Américains et aux vieilles puissances coloniales, l’Allemagne et le Japon ont connu un puissant développement; le changement des rapports de force économique tendait inévitablement à remettre en cause les équilibres nés de la guerre mondiale. La crise de surproduction de 1973-1975 marqua la fin du long cycle d’expansion capitaliste d’après-guerre; mais d’un côté elle ouvrait aussi un cycle d’expansion économique dans des pays qui seront appelés «émergents» (Chine, Corée du Sud, Inde, Brésil, Mexique, Turquie, Afrique du Sud, etc.), tandis que de l’autre elle donnait un coup d’accélérateur aux facteurs de crise qui allaient déboucher sur l’effondrement de l’empire russe en 1989 - 1991.

Le condominium russo-américain était fondé sur la puissance militaire respective des deux pays; mais il ne fait aucun doute que la puissance économique et financière des Etats-Unis surclassait largement celle de l’Union Soviétique (comme celle de tous les autres pays). La Russie avait pu à partir des années de la contre-révolution stalinienne accélérer formidablement le développement capitaliste sur son sol. Il lui avait cependant été impossible de «rattraper et dépasser» les Etats-Unis en 1980, comme Kroutchev l’avait claironné aux congrès du PCUS dans sa perspective fantasmagorique du triomphe d’un communisme mercantile. En réalité il était vital pour la Russie, tant pour développer son capitalisme national que pour renforcer sa domination sur sa zone d’influence, d’obtenir des investissements massifs de capitaux des pays impérialistes, américain et européens avant tout. Par ailleurs ces derniers étaient à la recherche fébrile de marchés où placer leurs capitaux. Ouvrir son marché national et celui de ses satellites au dollar, au mark, au yen, au franc et à la lire, aux investissements en tout genre, était un besoin de plus en plus pressant pour le capitalisme russe; mais l’ouverture des «territoires économiques» sous sa domination, transformant le «rideau de fer» en une véritable passoire, signifiait aussi importer rapidement et directement au coeur d’une économie jusqu’alors protégée, y compris militairement, du marché mondial, toutes les contradictions et les facteurs de crise accumulés par le capitalisme le plus développé.

L’ouverture des marchés de l’Est répondait en fait aux exigences de la conservation bourgeoise. Au début des années soixante-dix, quand les premier signaux de crise capitaliste apparaissaient, des rencontres eurent lieu à Moscou et à Varsovie avec l’Allemagne et les pays occidentaux.

Nous assistions alors à «un réseau serré de tentatives d’exporter vers l’Orient pour les pays occidentaux, vers l’Occident pour le Japon, la crise menaçante du capitalisme international. Les puissances du dit bloc russe s’efforcent de tirer des conditions avantageuses pour la consolidation de leurs affaires respectives.

Cette tentative de solution “pacifique” de la crise internationale, qui rappelle toutes les tentatives précédent les guerres mondiales, est extrêmement difficile et il n’est pas dit qu’elle doive réussir ou au moins se dérouler de façon rapide et satisfaisante pour la conservation du régime capitaliste. Quoi qu’il en soit, comme c’est de règle dans ce genre de jeu, la porte est laissée ouverte à l’autre solution, la guerre, dont l’exemple le plus important est la recrudescence actuelle du conflit israélo-arabe. Le capitalisme est prévoyant! La Russie, le bloc oriental, et la Chine, pourraient jouer le rôle de différer la crise capitaliste générale en l’absorbant dans le choc» (10).

La crise économique générale du capitalisme en 1975 ne fut pas le détonateur d’une guerre mondiale, même si les impérialismes continuèrent à s’armer et à entasser leurs missiles en Europe; dans les années qui suivirent les marchés de l’Est s’ouvrirent, jouant le rôle de soupape de sécurité à la surproduction mondiale de marchandises et de capitaux. Mais en même temps la crise provoqua une extension des zones de conflits, du Moyen-Orient à l’Asie, en passant par l’Afrique et elle sema les germes de crises plus importantes pour les années et décennies suivantes.

Tout au long de ces décennies les contrastes impérialistes ne se sont pas atténués, ils se sont au contraire aiguisés. Et ce serait un erreur de croire que les contrastes et conflits entre les puissances impérialistes dominantes n’éclatent qu’à la périphérie de celles-ci. Il est indéniable que les conflits armés et l’exploitation la plus bestiale des masses humaines ont concerné depuis la fin de la guerre mondiale essentiellement les pays au capitalisme le moins développé; mais derrière la paix apparente régnant entre les grands pays impérialistes, ces derniers, constituant les marchés décisifs, sont le foyer des crises internationales et les futurs protagonistes de la crise générale du capitalisme; l’Europe, en particulier, pourrait bien redevenir, comme en 1914 ou en 1939, l’épicentre de la future guerre mondiale et de la future crise révolutionnaire.

La cause des affrontements entre puissances impérialistes est toujours la même: la surproduction de marchandises et de capitaux qui provoque une recherche toujours plus pressante de débouchés. Il est inévitable que le capitalisme tombe dans des crises de surproduction à des intervalles qui ne cessent de se rapprocher, avec des conséquences toujours plus dramatiques au niveau économique et social. La pression sans cesse grandissante sur la classe salariée pour extraire de son travail le maximum de profit est une question vitale pour les capitalistes confrontés à la pression permanente de leurs concurrents. Les rivalités entre capitalistes sur le marché national, se reproduisent au niveau des Etat bourgeois qui organisent la défense des capitalistes nationaux, dans les rivalités avec les capitalistes étrangers et les autres Etats sur le marché mondial. La défense de l’entreprise débouche sur la défense de l’économie régionale, puis sur la défense de l’économie nationale, sur le nationalisme. La solidarité d’entreprise que le capitalisme demande à ses esclaves salariés se mue alors en solidarité nationale, obtenue en temps de paix grâce à la propagande démocratique et pacifiste, mais imposée quand il le faut en temps de guerre par la loi martiale.

Dès ses origines, le marxisme a apporté sa réponse à ce processus fatal de répétition périodique de crises et destructions économiques, d’esclavage salarié pour des masses prolétariennes de plus en nombreuses, d’une croissance capitaliste qui débouche tôt ou tard sur une guerre mondiale: la perspective de la révolution prolétarienne qui détruira ce mode de production qui depuis plus d’un siècle et demi immole énergies et vies prolétariennes au profit capitaliste, et libérera les forces productives des entraves mercantiles pour les réorienter vers la satisfaction des besoins de l’espèce humaine, au sein d’une société qui ne connaîtra plus l’exploitation de l’homme par l’homme.

Les contrastes entre les capitalismes nationaux se transforment inévitablement à un certain moment en affrontements militaires. La classe bourgeoise en est pleinement consciente; quand augmentent les facteurs de crise et les heurts entre pays impérialistes, augmentent aussi le militarisme et le despotisme social, et la nécessité d’un contrôle social préventif, dont les forces du collaborationnisme politique et syndical sont les agents, devient de plus en plus impérieuse. Ce n’est par hasard que les courants sociaux-démocrates et les forces du réformisme le plus grossier sont les propagandistes les plus enthousiastes du mythe des Etats-Unis d’Europe, objectif impossible à réaliser s’il s’agit de trouver une solution sous le capitalisme aux crises et aux guerres, comme le rappelait Lénine, que ce soit par l’oeuvre des nations (rappelons-nous la gaulliste «l’Europe des patries») ou des prolétaires (souvenons-nous de l’«Europe des Travailleurs et des Peuples» des Staliniens et des Trotskystes); ou alors réactionnaire s’il s’agit d’une alliance temporaire pour faire face à la concurrence ou à l’agression de puissances extra-européennes d’Amérique ou d’Asie.

«Certes, affirme encore Lénine, des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les Etats-Unis d’Europe sont également possibles, comme un entente des capitalistes européens... Dans quel but? Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique, gravement lésés dans l’actuel partage des colonies et qui se sont renforcés au cours de ces cinquante dernières années infiniment plus vite que l’Europe arriérée, monarchique, qui pourrit déjà de vieillesse» (11).

Lénine souligne ici deux aspects fondamentaux des alliances entre capitalistes, aspects qui ne disparaîtront qu’avec la victoire du prolétariat dans le monde entier; le premier, c’est leur union pour s’opposer et écraser le mouvement révolutionnaire prolétarien; le second, c’est la défense des «zones d’influence», des territoires économiques contre les puissances concurrentes les plus redoutables. A l’époque, ces concurrents des pays européens, qui avaient connu au cours des décennies précédentes une croissance plus rapide que la leur, c’était les Etats-Unis et le Japon; aujourd’hui, ils le restent toujours, mais il faut leur rajouter des nouveaux venus, la Chine en premier lieu.

De façon polémique, envisageant le mot d’ordre des «Etats-Unis du Monde», Lénine écrit:

«Les Etats-Unis du Monde (et non d’Europe) sont la forme politique d’union que nous rattachons au socialisme en attendant que la victoire totale du communisme amène la disparition effective de tout Etat y compris l’Etat démocratique»; «Toutefois, ajoute-t-il immédiatement, comme mot d’ordre indépendant, celui des Etats-Unis du Monde ne serait guère juste, d’abord parce qu’il se confond avec le socialisme; en second lieu parce qu’il pourrait conclure à des conclusions erronées sur l’impossibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays et sur l’attitude du pays en question envers les autres» (12).

Attention: par victoire du socialisme, Lénine entend la victoire de la révolution prolétarienne et l’instauration de la dictature du prolétariat, et non la réalisation du socialisme (c’est-à-dire «la victoire totale du communisme», selon les paroles claires de Lénine) dans un seul pays, comme le prétendaient les Staliniens quand ils citaient ce passage. Formidable dialecticien, Lénine ne perd jamais l’occasion de lier les lois fondamentales du capitalisme découvertes par le marxisme, au programme révolutionnaire du prolétariat; il continue ainsi:

«L’inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Il s’ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitaliste ou même dans un seul pays capitaliste pris à part». Le pouvoir prolétarien ne peut se contenter d’attendre plus ou moins passivement le déroulement de la lutte des classes dans les autres pays, se concentrant sur des tâches nationales, comme le voudra la funeste théorie de la «construction du socialisme dans un seul pays», indépendamment du sort de la révolution mondiale (sans compter qu’il s’agissait en l’occurrence d’un pays, la Russie, qui, économiquement et socialement, n’était pas encore arrivé au plein capitalisme).

«Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde capitaliste en attirant à lui les classes opprimées des autres pays, en les poussant à s’insurger contre les capitalistes, en employant même en cas de nécessité la force militaire contre les exploiteurs et leurs Etats» (13).

L’objectif de la lutte révolutionnaire du prolétariat ne pourra jamais être partagé par d’autres classes de la société; cela signifie aussi que le prolétariat ne peut reprendre à son compte les objectifs des autres classes, car elles sont liées à la conservation du mode de production capitaliste.

C’est uniquement la force du mouvement révolutionnaire prolétarien et la fermeté de sa direction par le parti de classe, qui pourront attirer de son côté des couches sociales de petite ou moyenne bourgeoisie ruinées par la crise capitaliste, dans un processus de ionisation sociale où les classes et les groupes humains se concentreront en deux camps ennemis – le camp prolétarien et le camp bourgeois – et s’affronteront dans une guerre qui n’aura pas de frontières parce qu’elle opposera des classes et non des Etats.

 

La production industrielle, signe de la force économique des pays capitalistes

 

La force de l’économie d’un pays se base sur sa production industrielle, car c’est son activité qui engendre, selon le centre d’Etudes du patronat italien, «les gains de productivité de l’ensemble du système économique, directement ou indirectement, c’est-à-dire à travers les innovations incorporées dans les biens utilisés dans le reste de l’économie. (...) C’est de la production industrielle, surtout dans un pays pauvre en ressources naturelles, que proviennent les marchandises exportables qui servent à payer les factures énergétiques et alimentaires, et, en général, à financer les achats de biens et services à l’étranger.

C’est la raison pour laquelle son importance va bien au delà de ce que révèlent le statistiques sur son apport direct à la valeur ajoutée et aux postes de travail de toute l’économie» (14).

Si nous comparons l’évolution de la production industrielle mondiale de 2000 à 2010, c’est-à-dire au long d’une décennie qui comprend deux récessions mondiales, nous pouvons constater le changement des rapports de force entre les divers pays. En 2010, les pays asiatiques dits «émergents» (Chine, Inde, Corée du Sud, Taiwan et Thaïlande) représentaient 29,5% de la production «manufacturière» mondiale (c’est-à-dire la production industrielle au sens strict, hors énergie, etc.); la Chine a dépassé les Etats-Unis avec respectivement 21,7% contre 15,6%, alors qu’en 2000 les Etats-Unis représentaient encore 24,8% de la production mondiale contre seulement 8,3% pour la Chine. Nous avions en 2000 les chiffres suivants pour les autres pays: Japon 15,8%, Allemagne 6,6%, Italie 4,1%, France 4,% Grande-Bretagne 3,5%, suivis de la Corée du Sud à 3,1%, Mexique et Canada, 2,3%, Espagne et Brésil 2%, Inde 1,8%, etc.

En 2010, la situation générale s’est sensiblement modifiée; comme nous l’avons vu, la Chine a dépassé les Etats-Unis, gagnant 13,4% tandis que ces derniers en perdent 9,2. Le Japon est toujours la troisième puissance manufacturière, mais elle a perdu 6,7% par rapport à 10 ans auparavant. Les puissances européennes, Allemagne, Italie, France, Grande-Bretagne et Espagne perdent respectivement 0,6%, 0,7%, 1%, 1,5% et 0,2% Alors que gagnent l’Inde (1,9%), la Corée du Sud (0,4%) le Brésil (1,2%) et la Russie (1,3%). Pour ce qui est du rang mondial, Chine et Etats-Unis sont en tête, le Japon et l’Allemagne toujours en troisième et quatrième positions; l’Inde et la Corée du Sud ont dépassé l’Italie qui se trouve au 7e rang, tandis que la Brésil arrive au huitième, devançant la France et la Grande-Bretagne; la Russie au onzième rang talonne cette dernière; suivent ensuite le Canada, l’Indonésie, le Mexique, Taiwan, les Pays-Bas, l’Australie, la Thaïlande et la Turquie, de 1,7 à 1%. En dix ans les nouveaux protagonistes (les fameux BRIC) pèsent deux fois et demi plus: de 12,8% à 30,6% de la production manufacturière mondiale! Mais si l’on classe les pays capitalistes selon la production manufacturière par habitant (en dollars 2010), ils sont encore très loin des pays les plus industrialisés; nous avons en effet au premier rang l’Allemagne avec 25000 dollars, suivie du Japon (24000), de la Corée du Sud presque au niveau du Japon, de l’Italie (19000) des Etats-Unis (18 000), etc., alors que sont très distancés la Chine et le Brésil (5000), la Russie (4000), l’Inde (1000).

L’Union Européenne et l’Amérique du Nord perdent des parts dans le pourcentage de la production manufacturière mondiale. En 2000 l’UE et l’Amérique du  Nord (USA plus Canada) étaient au même niveau avec 27,1%; en 2010 la production de l’UE a baissé à 23%, mais celle de l’Amérique du Nord s’est effondrée à 17,3% L’UE avait mieux résisté aux crises, en partie grâce à une augmentation des exportations industrielles surtout de l’Allemagne, de l’Italie et de la France à destination de l’Asie orientale, du Moyen-Orient et de l’Afrique.

Pour confirmer ce que nous disions sur les nouveaux marchés qui ont joué et jouent un rôle pour différer les affrontements entre les grands impérialismes, jetons un coup d’oeil aux variations du commerce extérieur des différents pays, selon les dernière statistiques à notre disposition (valeur des importations et exportations en milliards de dollars, 1983 - 2003, plus des chiffres pour 2005). Le commerce extérieur chinois a augmenté pendant ces vingt ans de plus de 20 fois, passant de 43,5 à 851 (en 2005 ils étaient arrivés à 1422,1 soit 28% de plus que le commerce extérieur japonais). Le commerce américain a, lui, augmenté de plus de 4 fois passant de 470,4 à 2028,7 (soit de plus de dix fois le commerce extérieur chinois à 2,4 fois en 2003. Et en 2005 il était de 2575,1, soit seulement 1,8 fois le commerce chinois). Le commerce allemand avait augmenté de plus de trois fois et demi en vingt ans, passant de 523,8 en 1983 (pour la seule Allemagne de l’Ouest) à 1874,1 en 2003 (Allemagne réunifiée); en 2005 elle restait au troisième rang mondial, bien que son commerce extérieur ait baissé à 1753,8. Le commerce du Japon avait augmenté d’un peu plus de trois fois, de 273 à 854,4 (1111,8 en 2005); la France passait de 380,9 à 720,6 (une augmentation d’un peu moins de deux fois; 910,4 en 2005); la Grande-Bretagne de 201,2 à 701,2 (une augmentation d’à peu près trois fois et demi) et 887,2 en 2005. L’Italie était passée de 185,7 en 1983 à 670 en 2009 (un peu plus de trois fois et demi) et arrivait à 708,7 en 2005 (15).

La Chine est le seul grand pays qui au cours de ces deux décennies, en plus de développer, non sans mal, son marché intérieur (surtout dans les régions côtières de l’est) a vu sa production s’accroître dans une si grande proportion, accumulant du coup des ressources financières telles qu’elles lui permettent, par exemple, de soutenir avec le Japon le déficit public des Etats-Unis, son premier débouché. L’exploitation de la force de travail chinoise a été telle qu’en une décennie l’ancien Empire du Milieu s’est hissé au deuxième rang derrière les Etats-Unis pour ce qui est du Produit Intérieur Brut, dépassant le Japon (16).

 Il faut souligner encore un point à propos de la Chine: en raison du retard de son développement économique, elle n’a pas encore un marché intérieur comparable à celui des autres grands Etats; sa production est destinée essentiellement à l’exportation vers les marchés des pays riches (comme celui des Etats­-Unis ou de l’Europe), ce qui signifie que toute contraction de ces marchés ne peut manquer d’avoir de lourdes conséquences sur l’appareil productif chinois, et donc sur un prolétariat déjà soumis à une exploitation bestiale, et dont les mouvements de révolte n’arrivent que très difficilement à être connues – et pour cause!

Donnons encore quelques chiffres instructifs à propos du commerce mondial, qui confirment ce que nous écrivions sur le retard de la crise générale du capitalisme (17); il s’agit de l’évolution entre 2007 et 2010 des 8 premiers exportateurs mondiaux de produits «manufacturés» (Chine, Etats-Unis, Allemagne, Japon, Pays-Bas, France, Corée du Sud et Italie). La crise de 2008 - 2010, avec ses effets «asymétriques», comme disent les experts bourgeois, sur les différents pays, ont eu comme conséquence une augmentation notable des échanges commerciaux vers les pays dits «émergents», notamment l’Asie et l’Amérique Latine.

 Par contre on relève un phénomène identique pour les pays européens et ceux de l’Extrême-Orient; étant donné l’extrême développement de certaines aires, les échanges économiques se font davantage en leur sein, ils se «régionalisent». Un exemple évident est constitué par la Chine, le Japon et la Corée du Sud qui augmentent considérablement leurs exportations en Asie Orientale, mais nous avons donner aussi l’exemple de la France et de l’Italie qui augmentent sensiblement leurs pourcentages respectifs d’exportations vers l’Afrique du Nord. Indice que dans un avenir pas si éloigné, en plus des marchés européen et nord-américain, ces deux autres régions deviendront critiques pour ce qui est des débouchés des marchandises industrielles produites par les plus grands pays. Les aires de conflit impérialiste ne diminuent pas, elles augmentent!

L’attention que les capitalistes portent aux pays «émergents» a donc des raisons très sérieuses parce que ceux-ci constituent un facteur d’atténuation des effets potentiellement dévastateurs de la crise mondiale de surproduction, mais aussi un facteur de compensation décisif, sur la courte période, et aussi d’affaiblissement de certains pays par rapport aux autres.

Les 8 plus grands exportateurs ont donc trouvé en dehors de leurs marchés traditionnels, des débouchés qui ont permis en 2010 une hausse des échanges commerciaux de 15,4%, plus que compensant la chute de 2009 (-12,8%).

 La Chine a maintenu en 2010 le même pourcentage de ses exportations industrielles vers l’Asie orientale, alors que diminuaient le pourcentage de ses exportations en destination de l’Amérique du Nord et de l’UE. Les Etats-Unis ont vu augmenter le pourcentage de leurs exportations vers l’Amérique Latine (25,8% en 2010 contre 21,5% en 2007) et, légèrement, vers l’Asie orientale (22,6% contre 21,5%) alors que diminuait la part se dirigeant vers l’UE. L’Allemagne a également augmenté la part de ses productions industrielles vers les marchés de l’Asie orientale (9,7% contre 7,8%), alors que diminuait la proportion allant vers l’UE et les Etats-Unis. Pour le Japon l’Asie orientale devient un marché déterminant: 53,9% de ses marchandises industrielles y était vendu en 2010, contre 45,6% en 2007.

Nous avons dit que la France et l’Italie sont les deux pays, parmi les plus grands exportateurs, pour qui les marchés d’Afrique du Nord ont un poids notable; mais les marchés d’Asie orientale constituent également pour eux un débouché important. Pour la France, la part de ces marchés asiatiques est passée de 7,8% à 9,7%, tandis que l’Afrique du Nord a augmenté de 3,1 à 3,7%. Pour l’Italie, nous avons respectivement une augmentation de 6,3% à 7,1%, et de 2,8% à 4,1%. Mais pour les deux, en dépit d’une baisse importante en 2010, le marché de l’UE est absolument déterminant; il représentait pour la France 60,6% de ses exportations industrielles en 2010 (contre 65,1% en 2007), et pour l’Italie 56,8% (contre 59,8%). Le marché des autres pays européens est également très important: 11,9% pour l’Italie en 2010 (contre 11,4% en 2007), et pour la France 7,1% (contre 6,3%).

Les Pays-Bas sont beaucoup plus dépendants du marché de l’UE que les autres pays, même si la proportion est en baisse: 74,6%, contre 75,9%; on relève cependant, chez eux aussi, une petite hausse du marché asiatique (4,8% contre 4,4%) ainsi que du Moyen-Orient: 4,9% en 2010 contre 4,6% en 2007.

Pour ce qui est de la Corée du Sud, son principal marché est celui de l’Asie orientale, qui est passé de 47,9% de ses exportations industrielles en 2007, à 50,8% en 2010. Notons une augmentation des marchés du Moyen-Orient (de 4,6% à 4,9%) et de l’Asie centrale (de 2,6 à 3,5%).

Il reste cependant un fait: les disparités entre les pays économiquement les plus puissants et le reste du monde ne se sont pas atténuées au cours des dernières décennies; en dépit de la montée de quelques pays «émergents», l’écart entre les grands pays industrialisés et les pays au faible développement capitaliste s’est accru.

 

L’Europe Unie, un vieux mythe impérialiste, remis en cause par les pays européens eux-mêmes

 

«Théoriquement, écrivions-nous il y a un demi-siècle (18), la construction de l’Europe Unie repose sur ce postulat: on peut régler la production par des moyens monétaires. Il suffit d’énoncer le postulat pour en voir l’imbécillité: comment peut-on créer une unité de production supérieure (l’Europe) en édifiant simplement un marché? La dynamique de l’économie capitaliste, en effet, n’est nullement toute entière déterminée par la concurrence avec les entrepreneurs (aspect le plus immédiat) ou par la lutte des nations bourgeoises, dans laquelle la défense du profit peut céder devant la défense des intérêts généraux de chaque bourgeoisie nationale.

Les forces productives créent au cours de leur développement historique des rapports donnés entre les hommes, et la recherche du profit ne correspond qu’à l’un des stades atteint par ces forces productives. La bourgeoisie est ainsi la représentation physique des rapports des production capitalistes prédominants qui expriment le développement atteint par la production.

Mais les forces productives ne sauraient en rester là. A l’intérieur même des rapports capitalistes, elles croissent en faisant éclater le cadre trop étroit de la nation (l’entreprise locale devient ainsi trust international). Cette tendance à la socialisation des moyens de production dont la solution appelle la révolution sociale du prolétariat, s’effectue, en l’absence de celle-ci, en contradiction avec le cadre national des intérêts généraux de chaque bourgeoisie. Celle-ci tente donc de surmonter cette contradiction avec ses moyens propres, qui sont les multiples accords que les Etats signent entre eux (les uns contre les autres): zone de libre échange, Marché Commun, accords inter-américains, conseil de coopération économique entre les pays «socialistes», etc. Le capitalisme essaye ainsi de réglementer les productions en créant des liens techniques et financiers entre les différentes branches économiques. Mais c’est évidemment à sa manière qu’il le réalise, car dans le même temps où par la division internationale du travail, il surindustrialise une partie du globe, le capitalisme détruit l’économie de régions entières, les jetant dans la misère et la ruine (...). Avec la conclusion des ententes économiques et politiques, l’antagonisme qui oppose entre elles les nations bourgeoises, loin de disparaître, renaît avec une ampleur monstrueuse dans les blocs, qui à l’heure actuelle s’affrontent».

 L’«heure actuelle» de l’article, c’est l’année 1962, en plein condominium russo-américain, mais aussi à un moment de tension exacerbée entre les blocs. La bourgeoisie impérialiste assez audacieuse et également assez forte pour essayer d’unifier l’Europe par le seul moyen possible – la force –, a été la bourgeoisie allemande. Après avoir été dépouillée de ses colonies par sa défaite militaire dans la première guerre mondiale, elle a cherché avec le nazisme à faire en Europe ce que Bismarck avait réussi à faire pour une Allemagne morcelée en multiples petits Etats. La tentative hitlérienne d’unir l’ouest européen industrialisé à l’est agricole était la seule qui avait un sens du point de vue bourgeois. En même temps, si elle avait réussi, cette tentative aurait porté le niveau des affrontements dans le monde à un niveau inégalé. Une Europe allemande aurait été un concurrent extrêmement dangereux pour l’impérialisme anglo-américain et également pour ce qui serait resté de la Russie. Mais la défaite nazie n’a pas définitivement résolu le problème constitué par le dynamisme de l’impérialisme allemand.

A la fin de la guerre, la Grande-Bretagne a essayé de sauver le rôle mondial des vieilles puissances européennes colonialistes (Belgique, Grande-Bretagne, France, Hollande) avec le traité de Bruxelles en 1947, premier pas vers la constitution d’une Union Européenne sous son influence qui aurait constitué un troisième camp entre la Russie et les Etats-Unis. Mais le blocus de Berlin par l’impérialisme russe et l’ouverture de la période de la «guerre froide» d’un côté, de l’autre le besoin de capitaux américains pour la reconstruction d’après-guerre, poussa les Etats européens dans les bras de l’impérialisme yankee. «La création de l’OTAN signifia l’abdication des vieilles puissances occidentales devant l’Amérique, et le déclin de l’Europe comme siège de la domination du monde» (19).

La formation ultérieure du Marché Commun Européen, puis l’élargissement de l’Union Européenne à un nombre de plus en plus grand de pays, ont été les initiatives prises par les vieilles puissances européennes pour récupérer une position plus avantageuse sur le marché mondial tout en s’émancipant le plus possible de la domination américaine. L’illusion des capitalistes européens d’arriver à une Europe unie par des moyens monétaires et des accords entre brigands à survécu au long des années; elle s’est même concrétisée dans la formation de la monnaie unique, l’Euro. Avec cette union monétaire, nous serions arrivés à ce «haut degré de convergence économique durable» dont nous parlions au début de cet article, grâce auquel il serait possible de passer à l’union bancaire, puis d’arriver pacifiquement au but convoité des Etats-Unis d’Europe!

Mais c’est là que gît le lièvre. Il suffit d’observer ce qui se passe autour de l’Euro. Si en 2010 sont apparus les premiers signes de reprise économique, au moins chez certains pays capitalistes importants (à commencer par les Etats-Unis), la crise économique a cependant suscité des tensions importantes entre les divers impérialismes et elle a débouché sur une crise de l’Euro dont personne ne voit la fin. Les mesures économiques et sociales imposées par les pays les plus forts (l’Allemagne avant tout, mais aussi la France, les Pays-Bas et les pays du nord de l’Europe) sur les pays plus faibles (l’Irlande, la Grèce, le Portugal surtout, mais aussi l’Espagne et l’Italie) pour qu’ils arrivent à brève échéance à l’équilibre budgétaire, démontrent s’il le fallait qu’entre pays membres de l’UE, ce n’est pas la solidarité mais les rapports de force qui comptent.

La crise que nous connaissons depuis 5 ans et que les grands experts bourgeois annoncent devoir durer encore 5 ans, se traduit et se traduira par une modification des rapports de force inter-impérialistes au sein de l’Europe comme en dehors d’elle, entre les puissances impérialistes qui sont au premier rang depuis des décennies, comme entre celles-ci et les impérialismes «émergents». Les conflits interimpérialistes sont inévitablement destinés à s’accroître, en attendant de se traduire en conflits armés.

Rappelons le vieil adage de Clausewitz: la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. La politique impérialiste où le capitalisme financier domine le capital industriel, commercial et agricole, est une politique conquêtes de marchés, de sources de matières premières, de zones d’«influence»; pour arriver à ces buts, elle débouche inévitablement sur des guerres de rapine. Comme disait Lénine, sous l’impérialisme la paix n’est qu’une trêve entre deux guerres; mais elle est aussi une période de préparation de la prochaine guerre.

 

L’avenir est COMMUNISTE, NON capitaliste

 

Le mode de production capitaliste est basé sur l’antagonisme fondamental entre la classe dominante propriétaire des moyens de production, et la classe ouvrière, la classes des «sans-réserve» qui ne possèdent rien d’autre que leur force de travail, qu’ils sont contraints de vendre aux capitalistes pour vivre; le pivot du capitalisme est le marché, le lieu où les marchandises s’échangent contre de l’argent, valeur contre valeur. Pour que ce mode de production s’impose et fasse disparaître les modes de production antérieurs il a fallu que la bourgeoisie, qui personnifie le capitalisme, se constitue en classe dominante. Cela n’a été possible que par une prise violente du pouvoir, par l’écrasement des anciennes classes dominantes aristocratiques et par la défense militaire du nouveau pouvoir, de façon à pouvoir développer le capitalisme à ’intérieur de ces frontières, exploitant des masses d’hommes transformés en prolétaires par leur libération des liens féodaux.

C’est ainsi que sont nés les Etats nationaux qui représentent et défendent les intérêts généraux de la classe dominante bourgeoise. A la contradiction sociale de fond, s’ajoute au fur et à mesure du développement du capitalisme et de son développement dans le monde, une contradiction entre le développement historique des forces productives et les formes capitalistes dans lesquelles ce développement a lieu. Le développement des forces productives se heurte aux limites de l’entreprise et de la nation, limites que la bourgeoisie ne pourra jamais surmonter, ne serait-ce que parce qu’elles sont le pilier de sa domination de classe.

Cette dynamique extrêmement contradictoire du capitalisme appelle historiquement une solution: la révolution de la classe prolétarienne pour arracher le pouvoir politique aux mains de la bourgeoisie, détruire l’Etat qui garantit sa domination et instaurer sa dictature, indispensable sur deux plans: sur le plan politique pour combattre les tentatives de la bourgeoisie de revenir au pouvoir et les oscillations des couches petites-bourgeoises; et sur le plan économique pour intervenir despotiquement dans la structure économique afin de déraciner le capitalisme.

La bourgeoisie ressent elle aussi bien évidemment les conséquences des contradictions toujours plus violentes de son mode de production, et elle y cherche des remèdes. Il suffit cependant de jeter un coup d’oeil aux mouvements de la bourse, aux variations des marchés comme par exemple celui de l’automobile, ou simplement aux appels rituels, jamais suivis d’effet, en faveur de la «régulation» des activités bancaires et financières, pour comprendre les difficultés insurmontables qu’ont les bourgeois pour contrôler leur système économique. Ils peuvent bien changer les dirigeants des banques ou des institutions financières, changer les gouvernements, etc.: les problèmes restent où réapparaissent parce qu’ils ne sont pas liés à une politique particulière, aux agissements coupables d’individus cupides, mais naissent du fonctionnement même du capitalisme. A la longue les contradictions internes du capitalisme deviennent si insurmontables que la crise économique débouche sur la crise politique, posant objectivement le dilemme historique: dictature du capital ou dictature du prolétariat.

Mais les classes dominantes ont tiré des leçons très importantes des grandes crises économiques passées et du fait que le mouvement prolétarien en a profité pour se lancer à «l’assaut du ciel». Elles ont compris qu’il est impossible d’éviter que ces crises reviennent de manière cyclique, ruinant une partie de la classe bourgeoise et de la petite-bourgeoisie, plongeant des masses nombreuses de prolétaires dans le chômage et la misère – situations grosses de périls pour le maintien de l’ordre et qui peuvent faire réapparaître le spectre de la révolution. Une des leçons qu’elles ont apprises de l’expérience de la vague révolutionnaire ouverte par l’octobre bolchevik, est qu’il leur faut se préparer à l’avance à des situations de ce genre, en comptant non seulement sur la répression policière et militaire, mais aussi sur l’implication des prolétaires dans la «gestion» des relations entre les classes.

Le fascisme a trouvé une solution qui a été reprise par la démocratie d’après-guerre: la collaboration entre ouvriers et patrons à travers le corporativisme. Cette solution fut imposée par la force, par la destruction des syndicats de classe et des partis prolétariens, mais elle synthétisait parfaitement le besoin pour les capitalistes que leurs travailleurs salariés soient convaincus de participer au bon fonctionnement de l’entreprise et de l’économie nationale.

En pratique le collaborationnisme était une politique qui laissait aux prolétaires, en «contrepartie» de leur renonciation forcée à la lutte, une petite partie des profits sous forme de mesures sociales et d’amortisseurs sociaux de divers types.

La démocratie post-fasciste a continué dans cette voie, tout en conservant la liberté d’organisation syndicale et politique, les syndicats et partis «ouvriers» étant les plus fervents partisans de cette politique! Les vieux syndicats qui étaient encore de classe, même s’ils étaient dirigés par des réformistes, ont après la guerre été reconstruits comme organisations collaborationnistes: ce que nous avons appelé en 1949 des syndicats «tricolores» pour les distinguer des anciens syndicats rouges, des syndicats de classe. Quant aux partis communistes nés en réaction à l’abjecte trahison des vieux partis socialistes passés du côté de la bourgeoisie lors de la première guerre mondiale, ils avaient perdu toutes leurs caractéristiques révolutionnaires et prolétariennes à travers un processus de dégénérescence conduit à son terme par la victoire de la contre-révolution, mais qui s’était développé sur la base des tenaces résidus opportunistes qu’ils avaient hérité des partis socialistes. Le parti communiste d’Italie constituait à cet égard une rare exception, mais en butte à une forte répression, il ne put résister aux pressions de l’Internationale qui, en remplacement des dirigeants de la Gauche arrêtés par les fascistes, nomma à sa tête une direction docile (Gramsci, Togliatti...) qui allait au cours des années suivantes se faire l’artisan de la dégénérescence du parti.

Après la victoire des impérialismes dits démocratiques sur les impérialismes dits totalitaires, la classe ouvrière se trouva donc dans une situation beaucoup plus défavorable qu’elle ne l’avait été après la défaite de la Commune de Paris en 1871, ou après la première guerre mondiale. Désarmé sur le plan politique comme sur le simple plan de la défense immédiate, le prolétariat n’avait pas la force – et il ne l’a toujours pas – de revenir à ses formidables traditions classistes et révolutionnaires du passé, plié qu’il était aux intérêts capitalistes nationaux par les forces réformistes staliniennes ou social-démocrates. Le répugnant collaborationnisme politique, cimenté par les illusions démocratiques et par les solides privilèges sociaux qu’obtiennent tous les vendus à l’ennemi, se reflétait dans le collaborationnisme économique et social grâce auquel les ouvriers des pays plus riches pouvaient obtenir des améliorations de leur situation, mais toujours au détriment des masses prolétariennes toujours plus nombreuses des pays pauvres. La concurrence entre prolétaires n’existe pas seulement au sein d’un même pays, entre catégories, âges, sexe, corporations ou régions diverses; elle existe aussi, et de plus en plus, entre prolétaires de divers pays quand, poussés par les crises et la misère, des travailleurs émigrent pour trouver du travail dans d’autres contrées, ou quand les capitalistes poussés par la course au profit vont s’installer ailleurs à la recherche d’une main d’oeuvre moins payée.

Mais dans le sous-sol économique des pays capitalistes les plus développés et dans ceux à l’industrialisation récente, des énergies explosives se sont peu à peu accumulées avec une puissance telle que jamais la bourgeoisie, malgré tous ses moyens de répression, n’arrivera à en empêcher l’explosion. La certitude révolutionnaire des communistes ne se fonde pas sur des processus automatiques de développement des luttes: si grave qu’elle soit, une grande crise économique ne peut mécaniquement et automatiquement pousser les grandes masses à la lutte révolutionnaire; elle ne s’inscrit pas non plus dans l’intervalle de la durée de vie d’une génération prolétarienne. Peu importe combien de générations il faudra pour en finir avec le capitalisme et la société bourgeoise; l’histoire ne se mesure pas à la durée de vie des individus. Les forces sociales ressemblent dans un certain sens aux forces de la nature: un volcan peut sembler éteint ou en sommeil depuis longtemps, mais il fait partie de la terre et la terre n’est pas inerte. Il arrive inévitablement le moment où l’accumulation du magma dans les entrailles du sol se fraye un chemin vers la surface et alors rien ne peut arrêter l’éruption. Que tremblent les bourgeois à l’idée que l’éruption rouge prolétarienne fera sauter toutes les défenses idéologiques et matérielles grâce auxquelles ils ont prétendu rendre éternel leur maudit système d’exploitation! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous! Tel est le cri des communistes depuis 1848.

Cette union pour laquelle ils luttent est une union de classe, grâce à laquelle le prolétariat mondial, et en particulier le prolétariat européen en raison de son histoire, pourra enfin relever la tête et se lancer dans la bataille pour une société sans argent et sans marchandises, sans exploitation et sans répression, sans guerres et sans frontières.

 


 

(1) L’Union Monétaire Européenne a été constituée par les 11 pays suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Finlande, France, Irlande Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Espagne. Par la suite ont été admis la Grèce, Chypre, l’Estonie, Malte, la Slovaquie et la Slovénie. L’Euro est également la monnaie nationale de la Principauté de Monaco, de la République de San Marin et du Vatican et elle a de fait cette valeur au Monténégro, au Kosovo et en Andorre.

(2) Il s’agissait de la Belgique, de la France, de la République Fédérale Allemande, de l’Italie, du Luxembourg et des Pays Bas; ensuite sont venus le Danemark, l’Irlande et le Royaume Uni (1973); la Grèce (1981); l’Espagne et le Portugal (1986); l’Autriche, la Finlande et la Suède (1995).

(3) cf Lénine, «A propos du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe», Oeuvres, Tome 21, p. 352.

(4) Ibidem.

(5) cf Amadeo Bordiga, «United States of Europe» in Le Prolétaire n° 472 (article publié en 1950 sur Prometeo, revue théorique du Partito Comunista Internazionalista).

(6) cf Lénine, op. cit., p. 354.

(7) cf A; Bordiga, op. cit.

(8) Ibidem.

(9) cf Borsa e Finanza, 15/9/2001.

(10) cf «Il capitalismo nella morsa della crisi incipiente», Il Programma Comunista n°2/1970 et «Guerra imperialista o rivoluzione mondiale», Il PC n°6/1971.

(11) cf Lénine, op. cit., p. 354.

(12) Ibidem.

(13) Ibidem.

(14) cf Centro Studi Confindustria, Scenari industriali n°2, juin 2011.

(15) Les chiffres sont tirés des statistiques officielles des différents pays.

(16) Les données du PIB (Produit Intérieur Brut) sont tirées de la Liste 2010 du FMI.

(17) cf Scenari..., op. cit.

(18) cf «Marché Commun et “Europe Unie”», Programme Communiste n°19, avril-juin 1962.

(19) Ibidem.

 

 

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