Notes de lecture

«Aufheben » n° 8

(automne 1999) Brighton (GB)

(«programme communiste»; N° 97; Septembre 2000)

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Ce n° de la revue britannique «Aufheben» contient des articles sur la guerre au Kosovo, sur la politique sociale du gouvernement britannique (la dite «troisième voie») et, ce qui nous intéresse plus directement, sur l’analyse de l’URSS par les «communistes de gauche».

On peut ranger «Aufheben» dans le courant communément (mais pas très exactement) appelé «ultra-gauche»: en fait, bien qu’ils se réclament hautement de Marx les «ultra-gauches» trahissent leurs penchants libertaires irrépressibles par leur rejet de la notion marxiste de parti (soit en refusant tout rôle au parti, soit en réduisant son rôle à celui d’un simple éclaireur des consciences prolétariennes) à laquelle ils opposent la spontanéïté et l’autonomie des masses. De la même façon que les libertaires, en voulant priver le prolétariat de son organe révolutionnaire qu’est le parti de classe, ils le condamnent, qu’ils le veuillent ou non, à l’impuissance face à la bourgeoisie. C’est bien pourquoi Lénine estimait avec raison qu’ils étaient en réalité une «fausse gauche».

Lénine, justement, «Aufheben» tout comme ses collègues ne l’aime guère peut-on constater en lisant l’article intitulé «Le communisme de gauche et la révolution russe» qui entend exposer les théories des gauches communistes russe, allemande et italienne. Selon la revue, le tort de Lénine était d’être «fidèle aux orthodoxies de la deuxième Internationale». Il avait sans doute, concède-t-elle, un «côté révolutionnaire» qui s’affirma dans son opposition résolue à la guerre et lui permit de s’allier «avec la gauche communiste européenne - la gauche de Zimmerwald», mais cette alliance s’effondra en raison de «son refus de travailler avec ceux qui refusaient le droit à l’auto-détermination des nations».

Surtout Lénine a seulement «semblé» en 1917 (dans ses «Thèses d’avril») abandonner «la ligne marxiste classique (suivie à la fois par les bolchéviks et les menchéviks) selon laquelle la Russie était mûre seulement pour une révolution démocratique bourgeoise» et adopter les positions de la gauche communiste d’une révolution socialiste en Russie, avant de revenir ensuite à l’«orthodoxie» après la révolution. La paix de Brest-Litovsk serait la démonstration de ce retour car, selon «Aufheben» cette paix signifiait l’«abandon de la révolution mondiale au profit d’une “construction socialiste” nationale»; et les communistes de gauche russes qui refusaient alors l’accord de paix et préconisaient la guerre révolutionnaire contre l’Allemagne auraient été en tant que tels «les premiers tenants de l’idée que le socialisme dans un seul pays est impossible» - comme si Lénine pendant des années et des années n’avait pas combattu précisément l’idée qu’il était possible d’instaurer le socialisme en Russie!

Il serait difficile d’entasser en si peu de lignes plus de contre-vérités historiques. Voyons un peu:

• Lénine et ses partisans représentaient au moment de la guerre et à Zimmerwald non seulement l’essentiel de la gauche socialiste (le terme communiste n’étant pas encore remis à l’honneur par les bolchéviks) européenne, mais surtout le courant le plus conséquent, le seul solidement ancré sur les positions révolutionnaires marxistes, qui s’est efforcé d’organiser les rares forces révolutionnaires, hésitantes ou confuses d’Europe dans cette gauche de Zimmerwald: bien autre chose qu’une «alliance» avec une (malheureusement inexistante) gauche communiste européenne! Si en septembre 1915 à Zimmerwald cette gauche autour de Lénine était ultra-minoritaire (1), l’année suivante à Kienthal elle était presque majoritaire. Mais par la suite il devint de plus en plus évident pour les bolchéviks qu’il était nécessaire de rompre avec le «bloc de Zimmerwald» rassemblant pêle-mêle des révolutionnaires marxistes authentiques, des sociaux-pacifistes et des opportunistes soucieux de se refaire une virginité politique à l’approche de la fin de la guerre, et de travailler résolument et directement à la fondation de la IIIe Internationale. C’est la constitution de celle-ci en 1919, à la chaleur de la révolution russe, qui fut l’événement décisif non pour l’«alliance» d’une prétendue gauche communiste européenne avec les bolchéviks, mais pour la renaissance de l’organisation révolutionnaire internationale du prolétariat. Nous avons souvent souligné que la fondation de l’Internationale peut être considérée comme la plus haute conquête de la révolution d’Octobre. Qu’a à dire «Aufheben» de ce fait? Rien...

• Nous ne nous attarderons pas sur le fameux «tournant» des Thèses d’avril 1917 de Lénine, que les opposants à celui-ci dans le parti dénoncèrent comme un ralliement à Trotsky (et non à une gauche communiste menée par Boukharine qui n’existait pas encore), sinon pour rappeler ce que nous avons expliqué d’innombrables fois: ces Thèses qui ouvraient la voie à la lutte pour le pouvoir, n’étaient pas l’abandon de la position marxiste classique, mais sa réaffirmation. Elles n’étaient pas un ralliement à l’idée absurde que la Russie arriérée était devenue, au moins en partie, mûre pour le socialisme, mais le rappel éclatant que le monde capitaliste, lui, était mûr pour le socialisme et que la révolution russe était le coup d’envoi de la révolution socialiste internationale. Si en avril 17 il y eut bel et bien un tournant décisif, c’est par rapport à la ligne conciliatrice vis-à-vis du gouvernement provisoire suivie par les dirigeants bolchéviks qui se trouvaient en Russie: sous la pression de la vague petite-bourgeoise (pour reprendre la formule de Lénine), les chefs du parti hésitaient, au point de discuter même d’un éventuel soutien au gouvernement des menchéviks et des bourgeois!

Dans ses Thèses d’avril Lénine ne trace pas la perspective «inattendue», «non-orthodoxe», de passer de la révolution bourgeoise accomplie en février à la transformation socialiste, mais de passer de la tactique menchévique, opportuniste, dans la révolution démocratique-bourgeoise russe, à la tactique prolétarienne, communiste, dans cette même révolution, tactique qui implique aussi de donner l’impulsion maximum à la révolution communiste internationale, qui seule pourra à son tour permettre à la Russie arriérée et paysanne de brûler les étapes en direction du socialisme. La perspective reste fondamentalement celle tracée par Marx et Engels: «Si la révolution russe [bourgeoise - NdlR] donne le signal d’une révolution prolétarienne en Occident, et que toutes deux se complètent, l’actuelle propriété collective de Russie pourra servir de point de départ à une évolution communiste» (1882); cette révolution russe anti-tsariste «donnera encore au mouvement ouvrier occidental une nouvelle impulsion et de meilleures conditions de lutte, autrement dit elle hâtera le triomphe du prolétariat industriel moderne sans lequel la Russie d’aujourd’hui ne peut dépasser ni la commune [paysanne- NdlR], ni le capitalisme pour se diriger vers la transformation socialiste» (1894) (2).

La révolution d’Octobre 17 ne s’est pas faite «contre le Capital» comme l’écrivit le futur conseilliste Gramsci, ou contre «l’orthodoxie» marxiste comme le répète «Aufheben», mais sur la voie indiquée par le marxisme, défendue par les bolchéviks contre les menchéviks et retrouvée par le parti en avril 17 après une période de confusion grâce aux thèses de Lénine.

• Suivant les positions habituelles du courant auquel elle appartient, «Aufheben» voit dans la paix de Brest-Litovsk «dans laquelle le gouvernement bolchévik accepta l’annexion [cette formule fait partie de l’arsenal classique anti-bolchéviks, car elle permet de les accuser d’être... favorables aux annexions!] par l’Allemagne d’une grande partie du territoire où la révolution avait éclaté, y compris les Etats Baltes, l’Ukraine et une partie de la Russie Blanche», un abandon de la révolution internationale et une action qui oppose fondamentalement l’orthodoxe Lénine aux communistes de gauche. Il est vrai que toute une fraction du parti bolchévik se constitua alors, avec Boukharine comme principal porte-parole, pour s’opposer à la signature de la paix avec l’impérialisme allemand. Ces «communistes de gauche» dénonçaient, comme les petits-bourgeois du parti Socialiste Révolutionnaire, les termes «honteux» du traité de paix, et ils étaient partisans du déclenchement d’une «guerre révolutionnaire» contre l’Allemagne. La suite montra que ce «romantisme révolutionnaire» où les sentiments platement patriotiques n’étaient pas toujours étrangers, n’était pas du tout partagé par les soldats, qui attendaient du parti qu’il mette fin à la guerre. Lénine répliqua sèchement: «Celui-là n’est pas un socialiste qui ne comprend pas que pour vaincre la bourgeoisie, pour assurer le passage du pouvoir aux ouvriers, pour déclencher la révolution prolétarienne internationale, on ne peut et on ne doit s’arrêter devant aucun sacrifice, y compris celui d’une partie du territoire, celui qu’imposent de lourdes défaites infligées par l’impérialisme. Celui-là n’est pas un socialiste qui n’a pas prouvé par des actes qu’il était prêt à consentir les plus grands sacrifices de «sa» patrie, pourvu que la cause de la révolution socialiste progressât effectivement» (3).

Il n’est pas sans intérêt de signaler que les militants de la Gauche en Italie, malgré la rareté des informations fiables, prirent alors parti pour Lénine et contre les tenants de la «guerre révolutionnaire». Dans un long article publié sur le quotidien central du Parti Socialiste Italien, l’«Avanti!», sur la reprise de l’offensive allemande après la rupture des négociations de paix de Brest-Litovsk, Bordiga se solidarisa avec la tactique suivie par le parti bolchévik. En voici quelques extraits:

«(...) Il s’agit d’établir si (...) le gouvernement prolétarien russe prépare une contre-attaque militaire contre les Empires centraux, fait qui ne pourrait pas ne pas avoir une influence importante sur l’attitude des partis socialistes des autres pays, et surtout du nôtre [en effet le parti italien, à la différence de la plupart des autres, avait refusé de soutenir la guerre impérialiste, attitude qui serait devenue alors intenable - NdlR]. (...) Il est significatif de constater que les anarchistes et les syndicalistes révolutionnaires sont à peu près tous des partisans enthousiastes de la “guerre sainte révolutionnaire”, qui, pour dire nettement notre opinion, appartient au royaume de la légende.

 

L’action des maximalistes.

 

La ligne historique le long de laquelle les socialistes maximalistes russes [c’est-à-dire les bolchéviks - NdlR] ont mené et mènent leur action, depuis le moment où, pourchassé et exilés, ils luttaient contre le tsarisme, est la mise au premier plan du facteur historique de la lutte de classe, pilier du marxisme révolutionnaire. Ils sont restés fidèles à leurs conceptions et à leurs méthodes après l’éclatement de la guerre européenne, après la chute de l’autocratie russe, après le grand succès obtenu par la conquête du pouvoir par les Soviets. Dans les négociations de Brest-Litovsk, tout le travail des négociateurs russes tendait précisément à mettre en évidence la dynamique des énergies prolétariennes de classe dans tous les pays, pour arriver à briser l’atroce mécanisme de la guerre. Ils parlaient aux diplomates allemands non pas au nom de l’efficacité militaire d’une armée, mais en faisant levier sur les forces latentes dans la situation politique des empires. L’action pratique menée par les Russes au cours de ces discussions historiques cadre parfaitement avec les conclusions typiquement socialistes de la situation mondiale actuelle. Selon cette analyse le cataclysme de la guerre ne s’explique pas par l’existence du “militarisme” dans un Etat qui agresse les autres, mais par l’existence de deux systèmes militaristes analogues dans deux groupes d’Etats ennemis. Dans chaque pays le gouvernement obtient le consentement et l’adhésion des masses par une méthode pratiquement identique: en agitant l’épouvantail de la menace de l’agression et de l’invasion ennemie. Ce cercle infernal s’était bien serré autour de l’Europe dans le fatal août 1914 à cause de l’admission par les socialistes du sophisme qui légitimait la guerre de “défense nationale” aux yeux des masses.

 

L’effort  des  révolutionnaires russes

 

L’effort des révolutionnaires russes tendait à ouvrir une brèche dans ce cercle terrible, pour aller du renversement du menaçant militarisme tsariste à la défaite de l’impérialisme des empires centraux, en dévoilant sa politique néfaste aux yeux de la classe laborieuse allemande. Sur cette ligne adoptée résolument, les événements se sont précipités. Ses propositions ayant été rejetées, le gouvernement des Soviets rompit les discussions avec les gouvernements de la quadruple entente en faisant un suprême appel à la révolution socialiste en Allemagne et en Autriche, et par une décision extrême mais logique, il démobilisa son armée (...).

 

Les fauteurs de la résistance

 

L’argument des fauteurs de la résistance, selon lequel la “guerre sainte” - indépendamment de ses chances de réussite - aurait été une véritable lutte de classe du prolétariat russe contre l’impérialisme capitaliste tombe devant la constatation que les armées de l’impérialisme sont constituées de prolétaires; et elle équivaut à embrasser la thèse interventionniste qui met le peuple allemand au ban de l’Internationale et du Socialisme. L’adoption de telles opinions devrait modifier notablement y compris l’orientation suivie par notre parti en Italie. Tout nous incite au contraire à penser que les révolutionnaires russes informés des multiples circonstances qui permettaient à l’impérialisme allemand de compter jusqu’à une certaine limite sur la soumission du prolétariat, ont laissé les bataillons allemands arriver jusqu’à cette limite, en acceptant les conditions de paix “sans même les discuter”, pour conserver la possibilité d’attendre la “conversion” du peuple allemand qui inévitablement supprimera les traités impériaux et corrigera, s’il ne les abolit pas complètement, les frontières imposées.

La tactique de la “guerre sainte” aurait à l’inverse creusé le fossé entre les deux peuples et lié le peuple allemand au char de ses dirigeants, en dressant des obstacle insurmontables entre la révolution russe et son développement historique futur, condition indispensable de son existence; et elle aurait troublé le processus social interne d’élimination des institutions capitalistes, préparant la voie à un néo-nationalisme russe qui aurait asphyxié le socialisme (...)» (4).

 

Cet article témoigne qu’à l’époque tous les révolutionnaires ne se trompaient pas sur la nature internationaliste et prolétarienne de la tactique suivie à Brest-Litovsk, en dépit des clameurs de la propagande bourgeoise contre la honteuse «paix séparée»; et il montre à l’inverse les effets désastreux qu’aurait eu la tactique de poursuite de la guerre préconisée par les Socialistes-Révolutionnaires et les opposants «de gauche» dans le parti bolchévik. C’est bien pourquoi notre courant a toujours revendiqué la ligne, suivie à Brest-Litovsk, de rupture du front de guerre et de destruction de la guerre impérialiste.

 

*   *   *

 

Dans la suite de son article, «Aufheben» passe en revue les positions des communistes de gauche russes sur le plan économique en saluant bien sûr leur exaltation de la «créativité des masses» et de «l’autonomie des ouvriers» et leur opposition à la politique soutenue par Lénine dont le «capitalisme d’Etat» était l’objectif, comme si la Russie très majoritairement paysanne était effectivement mûre pour passer directement au socialisme pourvu qu’on laisse s’exprimer cette «créativité» et cette «autonomie» ouvrières (ce qui ne cadre pas du tout, soit dit en passant, avec la description de ces éléments comme étant les premiers à s’opposer à la possibilité du socialisme en Russie). La polémique contre les analyses erronées de ces éléments est intéressante, car elle permit à Lénine de faire une analyse précise de la nature réelle de l’économie et du pays, de réfuter les rêves d’un passage au socialisme en l’absence de victoire de la révolution internationale en montrant que le passage à un capitalisme d’Etat contrôlé par le pouvoir prolétarien serait déjà un énorme pas en avant. Dans ses travaux notre courant a souvent cité ces textes de Lénine, et nous n’y reviendrons pas ici.

L’article expose ensuite les analyses de la Gauche communiste germano-hollandaise d’une façon critique, pour finir par reconnaître que la «Gauche communiste italienne» a su donner une meilleure explication de la nature économico-sociale de l’URSS et de son évolution.

Rassurons tout de suite le lecteur: le coup de chapeau à la «théorie de Bordiga» se limite à la démonstration de la nature capitaliste de l’URSS et elle cache mal les divergences fondamentales avec les positions de principe de notre courant, qui ne sont pas le fruit des cogitations d’un grand penseur, mais qui sont tout simplement les positions du marxisme authentique, orthodoxe (horreur!). Voulant faire le tri dans les positions de la Gauche dite italienne, «Aufheben» essaye de donner une explication qui excuse ses coupables penchants léninistes:

«Voyant que la tendance générale dans le Komintern était en faveur [de son groupe], Bordiga s’employa même à renforcer les mesures disciplinaires de telle façon que l’obéissance aux directives données par le Komintern soit une condition d’adhésion. En conséquence le Deuxième Congrès [du Komintern] se révéla fortement utile pour eux dans leur bataille contre le centre/droite, et donc dans leurs efforts pour forger un véritable parti révolutionnaire communiste en Italie. Ils revinrent renforcés dans leur lutte au sein du PSI par l’autorité de Lénine, et pensèrent que leur lutte pour un parti révolutionnaire était en convergence avec les Bolchéviks. En conséquence, les idées qui commençaient à émerger dans la Gauche Allemande - que les prescriptions des Bolchéviks pour le prolétariat occidental n’étaient pas nécessairement appropriées; qu’il pouvait même y avoir une contradiction entre le Bolchévisme et la politique révolutionnaire; et que le sort de la Révolution Mondiale était sacrifié aux besoins nationaux de l’Etat russe - non seulement ne trouvèrent aucun écho dans la Gauche Italienne, mais ce fut tout le contraire qui sembla le cas».

Bref, si l’on suit le raisonnement de l’article jusqu’au bout, l’accord avec les bolchéviks s’explique parce que «Bordiga et son groupe» étaient essentiellement mus par des motifs étroitement nationaux: ils auraient été ainsi plus ou moins les premiers tenants des voies nationales au socialisme, de fieffés opportunistes qui faisaient dépendre leurs positions politiques et programmatiques, et les intérêts mêmes de la Révolution Mondiale, des intérêts immédiats de leurs manoeuvres organisationnelles!

Ce n’est pas une excuse mais une accusation, et qui serait particulièrement grave si elle pouvait être prise au sérieux. Mais en réalité ce raisonnement en dit long sur «Aufheben» en révélant un dilettantisme foncier vis-à-vis de la théorie, du programme, des principes - comme de la vérité historique. L’accord de fond entre la Gauche italienne et les Bolchéviks sur ces points en dépit des désaccords ouvertement affirmés dès le début, dès ce IIe Congrès, avec certaines orientations tactiques qu’ils préconisaient, n’était pas fortuit, contingent, mais avait une valeur historique fondamentale, celle de l’appartenance au même courant politique, le marxisme révolutionnaire et du travail en commun pour constituer sur cette base le parti international de la révolution communiste. A l’inverse, les divergences de la Gauche germano-hollandaise avaient leur racine dans des désaccords avec certaines positions cardinales du marxisme: adversaire de la conception marxiste du parti, comment celle-ci aurait-elle pu oeuvrer à la construction de l’Internationale communiste?

«Aufheben» est bien incapable de comprendre que c’est précisément parce qu’elle mettait au premier plan les intérêts internationaux de la révolution prolétarienne, que la Gauche italienne, qui ne se voulait surtout pas une opposition nationale, ne ménagea pas ses critiques à l’orientation de l’Internationale, tout en valorisant la discipline internationale et en combattant les «exceptions nationales», les «voies nationales» qui deviendront par la suite la règle.

Nous avons dit que «Aufheben» reconnaît la supériorité de l’analyse «bordiguiste» de l’URSS sur celle de la Gauche germano-hollandaise (qui avait fini par y voir, sous la plume de Paul Mattick, une nouvelle forme de production, post-capitaliste, non prévue par le marxisme et où les crises économiques seraient devenues impossibles!). Mais c’est pour conclure qu’elle s’est limitée à «l’apparence des formes», et que cette analyse est tombée dans une «ridicule position anti-matérialiste», «niant la subjectivité de la classe ouvrière», en prétendant que «le communisme pourrait être représenté par la ligne politique correcte du parti au pouvoir gérant des rapports sociaux capitalistes», «en prétendant que ce qui comptait, ce n’était pas les relations sociales dans un pays, mais les intentions subjectives de ceux au pouvoir (une parfaite justification de la répression basée sur la notion que “c’est pour leur propre bien qu’ils ont été massacrés”). Et c’est sous cet aspect que la Gauche italienne n’avait pas complètement rompu avec le partitisme/politisme de la Deuxième Internationale».

Il semblerait que ce soit une condamnation définitive de notre courant pris en flagrant délit d’anti-marxisme et qu’on pourrait bien ranger après ça aux côtés du stalinisme ou du maoïsme le plus débridé (la nature sociale d’un pays change selon la bande qui est au pouvoir). Eh bien, non: «Aufheben» estime sans sourciller que, tant la Gauche italienne que la Gauche germano-hollandaise, ont réussi à maintenir une «perspective politique correcte»! Comprenne qui pourra...

Quelle est cette perspective correcte commune à ces deux courants, l’article ne se hasarde en effet pas à le dire, préférant jouer au maître d’école qui distribue souverainement les bons et les mauvais points à ses élèves pas très doués: c’est ainsi que selon la revue les deux courants n’ont pas réussi à se libérer complètement «du dogmatisme de la Deuxième Internationale», et qu’ils ont échoué à donner une explication scientifique du type de société existant en URSS. Si la gauche italienne est arrivée à une «notion plus adéquate du contenu du communisme», «c’est la Gauche germano-hollandaise qui devait fournir la forme à travers laquelle l’émancipation pourrait être atteinte»; et si Bordiga a évité les erreurs de la Gauche allemande sur le capitalisme d’Etat, «c’est Mattick qui a exposé la question de la façon la plus consciente».

Quant à la solution du problème, le maître d’école nous la donnera, c’est promis, au prochain n°. Les cancres ne perdent rien pour attendre...

 

 


 

 

(1) La déclaration de la gauche réunit 6 voix sur une quarantaine de participants. cf J. Humbert-Droz, «L’origine de l’Internationale communiste», Neuchâtel, 1968, p. 144.

(2) Ces citations sont tirées de la postface de 1894 d’Engels à sa brochure «Les problèmes sociaux de la Russie». cf «Marx Engels. La Russie», U.G.E. 1974, p. 262 et suivantes.

(3) «Lettre aux ouvriers américains», 20/8/1918. cf Lénine, «Oeuvres», tome 28, p. 61.

(4) «Les directives de la révolution russe dans une phase décisive», «Avanti!», 25/5/1918. cf «Storia della sinistra comunista», tome 1, p. 321 et suivantes, ou «Amadeo Bordiga. Scritti 1911-1926», tome 2, p. 426 et suivantes.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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