Materiaux pour un bilan des crises du parti

En mémoire de Bruno Maffi

La défense des bases programmatiques et politiques de la gauche communiste implique aussi la lutte contre les déviations démocratiques et personnalistes toujours renaissantes

(«programme communiste»; N° 99; Février 2006)

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Bruno Maffi, qui a consacré toute sa vie à l’activité contre la société bourgeoise et capitaliste, est mort à 94 ans en août 2003.

Bruno, dont la vie politique s’est déroulée en dehors du bruit et des lumières du monde des intellectuels, est parti en silence, en dépit du glissement vers le personnalisme dans lequel le parti avait été entraîné lors de la crise de 82, personnalisme qui s’était accentué par la constitution d’un mausolée intellectuel appelé «Fondation Amadeo Bordiga» (1). Rarement dans le parti il parlait de lui, mais le peu que nous savons de sa vie personnelle suffit pour dire qu’il n’a jamais mis en avant des intérêts personnels, un «prestige» individuel, selon la tendance quasi inévitable pour les intellectuels dans cette société à souligner constamment ce qui les place au-dessus des autres.

Après avoir passé un peu plus de dix ans au sein du groupe antifasciste «Justice et liberté», Bruno avait été attiré par le mouvement se réclamant de la Gauche communiste dite «italienne». Et lorsque se fonda en 1943 dans le nord de l’Italie le Partito Comunista Internazionalista (Battaglia Comunista), il en devint un des dirigeants. Cette organisation fut secouée en 1951-52 par une profonde crise qui portait sur l’appréciation historique et politique de la période ainsi que sur la conception même du parti et de sa méthode de constitution. Elle se sépara alors en deux: une fraction, dirigée par Onorato Damen, qui «revendiqua» devant les tribunaux la propriété commerciale du journal du parti, Battaglia Comunista, et de sa revue, Prometeo, avait une conception démocratique du parti.

L’autre, inspirée par Amadeo Bordiga, s’organisa – en conservant l’appellation de Parti Communiste Internationaliste (avant de prendre le nom de Parti Communiste International en 1965) (2) – autour du journal Il Programma Comunista, avec l’objectif central de travailler à restaurer la doctrine marxiste, base indispensable de l’organisation politique de la classe ouvrière, le parti de classe. C’est à cette organisation qu’adhéra pleinement Bruno Maffi. A la mort de Bordiga en 1970 après plus de deux années de maladie, c’est Bruno qui, par sélection naturelle, recueillit le rôle de responsable central du parti qu’il conserva jusqu’à la crise de 1982-84 (3).

 

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Nous n’avons pas l’intention de faire une nécrologie de Bruno, de chanter hypocritement ses louanges comme il est de tradition dans ces cas-là, même et surtout quand de son vivant le défunt avait eu à essuyer les plus graves injures. Nous ne voulons pas davantage obéir à une sorte de «devoir moral» envers un dirigeant politique (si réduite que soit la taille du parti) qui a pu connaître une certaine «notoriété » et en profiter pour se faire de la publicité.

Certains l’ont traité de «maçon-carbonariste», comme les turinois lors de la crise de 1952 (4), tandis que d’autres l’encensaient comme le véritable héritier de Bordiga, comme ceux qui l’ont suivi après la crise de 1982. Quelques uns, comme les membres de l’ancien centre français, le considéraient comme le «père sage» avant de se rebeller contre ce «père»; d’autres enfin le décrivaient comme un petit despote prétendant avoir raison du simple fait qu’il était le directeur responsable du journal du parti.

Mais ce qui nous intéresse c’est d’examiner son rôle au sein de la gauche communiste, du point de vue de la bataille de classe pour la restauration de la doctrine marxiste, sa défense et sa diffusion et la formation de l’organe parti.

La conception de l’anonymat, que nous avons héritée de l’enseignement d’Amadeo Bordiga et que nous avons toujours défendue, n’est en effet pas basée sur la négation de l’existence physique, matérielle des hommes, avec leurs forces, leurs qualités et leurs faiblesses individuelles. La lutte contre le culte de l’individu, contre l’adoration d’une «tête», est basée sur le concept que chaque individu fait partie d’un ensemble social, qu’il est le produit de la vie sociale et qu’il ne peut donc jamais déterminer à titre individuel le cours de l’histoire. La fameuse «conscience individuelle» n’est que le reflet d’une conscience sociale et historique, engendrée par les développements de la lutte entre les classes. Ce sont les évolutions historiques et le mouvement des forces sociales qui déterminent le rôle des individus, ainsi que leurs qualités, leurs forces ou leurs faiblesses sur tous les plans.

Il y a eu - et il y aura peut-être encore - des périodes historiques où l’action de certains individus, parce qu’ils condensent des expériences historiques particulièrement importantes et qu’ils démontrent dans les faits une cohérence de doctrine et de comportement pratique, a pu apparaître comme le résultat de leurs capacités individuelles et de leur volonté personnelle. Mais en réalité c’est la résultante de la dynamique du mouvement des forces sociales, et, plus précisément, de la lutte des classes sociales, moteur du développement historique, qui concentre la «conscience» et la «volonté» des buts du mouvement révolutionnaire dans un organe spécifique, le parti, dépassant la période de la durée de vie des individus; tandis que de l’autre côté elle concentre la «conscience» et la «volonté» des intérêts de conservation et de résistance au processus de développement historique dans d’autres organes spécifiques, les partis politiques de la bourgeoisie (ou des classes précapitalistes aux époques antérieures) qui eux aussi sont parfois représentés au cours de l’histoire par des «grands personnages».

Il y a des périodes historiques où «le parti» de la révolution, organique et impersonnel, est représenté de la manière la plus efficace qui soit alors possible par certains militants particuliers de la révolution communiste – comme ce fut le cas pour Marx, Engels, Lénine, Bordiga – ou même seulement par certains textes, thèses, écrits, périodiquement «oubliés» ou falsifiés et altérés, comme lors de la longue période du stalinisme, ce qui rend particulièrement lent, difficile et douloureux le travail de reconquête de la théorie marxiste intégrale et invariante.

C’est grâce à cette perspective que nous luttons aussi contre le culte des masses, de la classe comprise sociologiquement, de l’ouvrier en tant qu’ouvrier, du travailleur salarié… aux mains calleuses, comme le disaient autrefois les socialistes et les staliniens; ce culte des masses dérive d’une conception démocratique, et donc bourgeoise, de la société où la majorité a toujours raison.

Parler de Bruno Maffi, c’est donc parler des questions vitales du parti de classe.

Bruno a joué un rôle dans l’effort de reconstruction de l’organe de reconstruction de l’organe essentiel de la future révolution prolétarienne, le parti, qu’a fourni notre mouvement , dans la tradition de la Gauche communiste. Ce serait faire un sérieux accroc au matérialisme que de noyer son activité spécifique de responsable central du parti, surtout après la mort d’Amadeo Bordiga, dans une conception abstraite du centre - ou dans une conception individualiste de sa fonction. Notre conception du parti n’est ni romantique ni individualiste, mais elle n’est pas non plus faussement impersonnelle; les fonctions nécessaires à la coordination disciplinée de l’activité du parti ne se «développent» pas d’elles-mêmes, ne sont pas immanentes, ne répondent pas à un mécanisme bureaucratique, et il serait stupide (et hypocritement démocratique) de penser que tout militant a la capacité de remplir les diverses fonctions nécessaires au fonctionnement de l’organisation du seul fait qu’il est membre du parti. Aucun militant n’est pas principe écarté d’aucune fonction (dans le véritable parti de classe, il ne peut y avoir de tâches nobles réservées aux dirigeants, et de tâches ingrates réservées à une main d’oeuvre militante de base), mais certaines tâches nécessitent des capacités particulières qui doivent être démontrées dans le temps. Il n’y a ni vote ni investiture ni discrimination d’aucune sorte; c’est une véritable sélection naturelle sur la base des nécessités pratiques et de l’efficacité technique qui est à l’oeuvre.

Écartons toute équivoque: nous n’avons pas le culte de la sélection naturelle, nous ne croyons pas que les camarades «sélectionnés» à une période donnée expriment pour cette raison toujours et en toute circonstance, le centralisme le plus efficace, la cohérence doctrinale la meilleure et le comportement militant le plus irréprochable.

Bruno a assumé en tant que dirigeant du parti la responsabilité de toutes les décisions, de toutes les orientations, de tous les choix qu’il fallait faire pour mener une activité coordonnée, homogène et cohérente. Les dirigeants peuvent faire des erreurs, dévier de la voie marxiste correcte, et, dans le pire des cas, devenir arrivistes ou trahir; les exemples en sont malheureusement trop nombreux dans l’histoire du mouvement ouvrier international.

Un dirigeant, un centre doivent sans aucun doute diriger, c’est leur fonction propre; mais ils doivent le faire selon un ensemble de règles rappelées en permanence dans la vie du parti, même si elles n’ont pas toujours été appliquées avec cohérence, qui constituent les seules «garanties» possibles.

Voici la description synthétique qui en est faite dans notre texte de parti «Dialogue avec les morts» (1956, à propos du XX° congrès du PCUS et de son prétendu «retour aux origines» après les reniements de Staline):

«Où trouverons-nous donc les garanties contre le dévoiement du mouve­ment et la dégénérescence de son parti? Dans un homme? Mais l’homme est peu de chose: il est mortel et vulnérable à l’ennemi. Même si l’on pouvait croire un instant qu’il est susceptible d’en représenter une, ce serait une garantie bien fragile, surtout s’il était seul.

Faut-il donc croire sérieusement qu’avec la direction collégiale on a découvert, après la disparition du dirigeant qui pratiquait l’arbitraire personnel, la garantie cherchée? C’est ce dont Moscou se vante, mais tout cela n’est qu’une plaisanterie. En Russie, il ne reste plus rien à sauver, puisque tout a déjà été perdu. Le tournant effectué par rapport à Staline se présente sous des dehors pires encore que la dégénérescence stalinienne, dont il n’a corrigé - ni ne pouvait corriger - aucune des tares.

Nos garanties à nous sont bien connues et fort simples:

1. Théorie.

Comme nous l’avons déjà dit, la théorie ne surgit pas à n’importe quel moment de l’histoire - et elle n’attend pas non plus pour le faire la venue du Grand Homme, du Génie. Elle naît à certains tournants du développement de la société humaine, mais si l’on connaît la date de cette naissance, on ignore à qui en revient la paternité.

Notre théorie devait naître après 1830 sur la base de l’économie anglaise. Même si l’on admet qu’il est vain de se donner pour but la vérité et la science intégrales, et que tout ce que l’on peut faire est de progresser dans la lutte contre l’erreur, elle constitue une garantie, mais à condition qu’on la maintienne fermement sur les lignes directrices qui font d’elle un système complet. Au long de son cours historique, elle n’a que deux alternatives: ou se réaliser ou disparaître. La théorie du parti est un système de lois qui régissent l’histoire passée et future. La garantie que nous proposons est donc la suivante: interdiction de revoir et même d’enrichir la théorie. Aucune créativité.

2. Organisation.

 Elle doit être continue au cours de l’histoire, c’est à dire à la fois rester fidèle à sa propre théorie et à la continuité du fil des expériences de lutte du prolétariat. Les grandes victoires ne viennent que lorsque cette condition est réalisée dans de vastes espaces du globe et pour de longues périodes.

Par rapport au centre du parti, la garantie consiste à lui dénier tout droit de créer, et à ne lui obéir qu’autant que ses directives rentrent dans les limites précises de la doctrine et de la perspective historique du mouvement, établie pour de longs cycles et pour le monde entier. Il faut donc réprimer toute tendance à exploiter les situations locales ou nationale, «spéciales», des événements imprévus, des contingences particulières. En effet, ou il est possi­ble d’établir que dans l’histoire certains phénomènes généraux se reproduisent d’un lieu et d’une époque à l’autre, aussi éloignés qu’ils soient dans l’espace et le temps, ou bien il est inutile de parler d’un parti révolutionnaire luttant pour une forme nouvelle de société. Comme nous l’avons souvent exposé, il existe de grandes subdivisions historiques et «géographiques» qui déterminent les cycles fondamentaux de l’action prolétarienne, cycles qui s’étendent à des moitiés de continents et à des cinquantaines d’années et qu’aucune direction de parti n’a le droit de proclamer changés d’une année à l’autre. Nous avons un théorème, qui s’appuie sur mille vérifications expé­rimentales: annonceur de «cours nouveau» égale traître.

Par rapport à la base, la garantie est que l’action unitaire et centrale, la fameuse “discipline” s’obtient quand la direction est bien attachée aux règles théoriques et pratiques dont il vient d’être question et quand les groupes locaux se voient interdire de “créer” pour leur compte des programmes, des perspectives et des mouvements autonomes.

Cette relation dialectique entre la base et le sommet de la pyramide (qu’il y a trente ans, à Moscou, nous avons demandé de renverser) est la clef qui assure à l’organe impersonnel et unique qu’est le parti la faculté exclusive de déchiffrer l’histoire, la possibilité d’y intervenir et la capacité de signaler le moment où apparaît cette possibilité. De Staline au comité actuel de sous­-staliniens, rien n’a été renversé.

3. Tactique.

 La “créativité” straté­gique est éliminée du fonctionnement du parti. Le plan des opérations est public et notoire, ainsi que les limites précises de celles-ci dans l’histoire et dans l’espace. Un exemple facile: en Europe, depuis 1871, le parti ne soutient plus aucune guerre d’Etat. En Europe, depuis 1919, le parti ne participe pas (ou n’aurait pas dû parti­ciper...) aux élections. En Asie et en Orient, aujourd’hui encore, le parti appuie dans la lutte les mouvements révolutionnaires démocratiques et nationaux et l’alliance du prolétariat avec d’autres classes, y compris la bourgeoisie locale elle-même. Nous donnons ces exemples pour qu’on ne puisse par parler de la rigidité d’un schéma qui soi-disant resterait le même en tous temps et en tous lieux, et pour éviter l’accusation courante selon laquelle cette conception dériverait de postulats immuables d’ordre éthique, esthétique ou même mystique, alors qu’elle est intégralement matérialiste et historique. La dictature de classe et de parti ne dégénère pas en formes oligarchiques à condition d’être ouvertement une dictature, de se déclarer publiquement liée à un ample arc de perspective historique prévu à l’avance, et enfin de ne pas conditionner hypocritement son existence à des contrôles majoritaires, mais seulement à l’issue de l’épreuve de force avec l’ennemi. Le parti marxiste ne rougit pas des conclusions tranchantes de sa doctrine matérialiste et aucune position d’ordre sentimental ou décoratif ne peut l’em­pêcher de les tirer.

Le programme doit contenir de façon nette les grandes lignes de la société future comme négation de toute l’ossature de la société présente et point d’arrivée de toute l’histoire, pour tous les pays. Décrire la société présente n’est qu’une partie des tâches révolutionnaires. Ce n’est pas notre affaire d’en déplorer l’existence ou de la diffamer, non plus que de construire dans ses flancs la société future. Mais les rapports de pro­duction actuels devront être impitoyablement brisés selon un programme clair: la doctrine du parti prévoit scientifiquement comment les nouvelles formes d’or­ganisation sociale qu’elle connaît précisément apparaîtront sur leurs ruines».tc "Le programme doit contenir de façon nette les grandes lignes de la société future comme négation de toute l’ossature de la société présente et point d’arrivée de toute l’histoire, pour tous les pays. Décrire la société présente n’est qu’une partie des tâches révolutionnaires. Ce n’est pas notre affaire d’en déplorer l’existence ou de la diffamer, non plus que de construire dans ses flancs la société future. Mais les rapports de pro­duction actuels devront être impitoyablement brisés selon un programme clair\: la doctrine du parti prévoit scientifiquement comment les nouvelles formes d’or­ganisation sociale qu’elle connaît précisément apparaîtront sur leurs ruines»."

 

La scission de 1952 et la naissance du parti

 

Pour ce que nous en savons, Bruno eut un rôle pendant la période où mûrit, au sein du mouvement réorganisé en 1943, une crise qui amena la scission de 1952.

De 1943 jusqu’à la fin de la guerre, il se trouvait chargé, à côté de Damen et d’autres militants de responsabilités centrales comme rédacteur, propagandiste et organisateur. Amadeo Bordiga, en permanence sollicité par différents groupes antistaliniens – avant, durant et après la guerre –, décida en 1946 d’apporter sa contribution, sur le plan du travail théorique et politique, au groupe appelé Partito Communista Internationalizta – Battaglia Comunista, sans pourtant y adhérer formellement. Sa contribution se concrétisa par un gigantesque travail de reprise et de restauration théorique du marxisme, que le parti ressentait comme une nécessité vitale et auquel il put effectivement s’attaquer grâce à l’apport décisif que constituait cette formidable machine de guerre de classe qu’était Amadeo Bordiga.

Ce travail d’Amadeo de restauration de la doctrine marxiste face aux furieuses attaques de l’opportunisme stalinien n’aurait jamais pu se réaliser s’il ne s’était ancré dans la nécessité politique de tirer toutes les leçons et de faire le bilan du mouvement communiste international, de la révolution d’octobre 17 à sa défaite. Et par ailleurs ce travail de bilan et de défense du marxisme ne pouvait être l’oeuvre d’un seul camarade, si formé, expert et solide qu’il soit. Loin du parti d’hier et d’aujourd’hui comme d’Amadeo l’idée que les «grands hommes» font l’histoire!

Ce devait être une oeuvre «de parti», l’oeuvre d’une organisation politique reprenant la voie du Parti de Livourne en 1921, de l’Internationale communiste de Lénine et du Parti bolchevique dans ses meilleures années, d’une organisation revendiquant les fondements révolutionnaires du mouvement communiste international, sans prétendre «mettre à jour», «rénover» ou «adapter» à de soi-disant situations «nouvelles et imprévues» le programme et les principes à la base du marxisme déjà restauré par Lénine. Le Partito Communista Internazio-nalista – Battaglia comunista, né dans la clandestinité en 1943 et agissant depuis la fin de la guerre en plein jour, était la force politique capable de constituer la base de ce «difficile travail de restauration de la doctrine et de l’organe révolutionnaire, au contact de la classe ouvrière, en dehors de toute politique personnelle ou électoraliste», comme dit la manchette de notre journal.

Le matérialisme historique et dialectique permet comprendre que la lutte contre l’opportunisme stalinien et pour la restauration de la doctrine marxiste et la formation du parti de classe ne pouvait pas se dérouler sans heurts, comme sur une mer tranquille. Il ne s’agissait pas seulement de se réapproprier le Programme de Livourne de 1921 et les Statuts du Parti communiste d’Italie de 1922 ni de réorganiser de façon centraliste les groupes de camarades que le stalinisme et le fascisme avaient dispersés. La défiguration du marxisme et la destruction du mouvement communiste international réalisées par le stalinisme, avec comme résultat la désorientation du prolétariat et l’anéantissement de la vieille garde communiste au niveau international, ne pouvaient être comprises et expliquées par quelques formules rapides. Les forces prolétariennes qui avaient résisté à la pression et à la répression de la contre-révolution bourgeoise, dont le stalinisme constitua la pointe avancée, devaient avoir la possibilité concrète et le temps de se réorienter sur le terrain du marxisme. La seconde guerre mondiale, avec l’alignement de la Russie – soi-disant pays socialiste – sur un des deux fronts impérialistes, avec le ralliement ouvert des prétendus partis communistes à la défense de l’Etat bourgeois au nom de la «démocratie», et avec l’énorme massacre de prolétaires causé par la guerre, ouvrit les yeux de beaucoup.

Mais le véritable problème restait de comprendre pourquoi la révolution prolétarienne avait été battue, pourquoi le fascisme avait vaincu en Italie et en Allemagne, le stalinisme en Russie et la démocratie impérialiste dans le monde entier. Il fallait démontrer que la théorie marxiste était capable d’expliquer ces événements; d’analyser la structure sociale russe et de déterminer si des éléments de socialisme y existaient en dépit du stalinisme comme le soutenaient les trotskyste; de prévoir le cours de événements dans l’après-guerre, et de déterminer si la révolution était toujours «à l’ordre du jour» ou si le prolétariat devait emprunter d’autres voies, par exemple celle de la démocratie, pour arriver au pouvoir et transformer la société capitaliste en société socialiste. Il fallait établir si le parti, en tant qu’organisation politique centraliste et centralisé à la manière du Parti bolchevique de Lénine ou du Parti communiste d’Italie de 1921, était encore la forme politique nécessaire au prolétariat, ou si au contraire celui-ci devait chercher d’autres formes, d’autres alternatives. Le bilan de la crise prolongée du mouvement communiste international, les leçons des contre-révolutions était un impératif du travail théorique et politique avec ses conséquences nécessaires sur le plan des les orientations tactiques et organisationnelles du parti.

Devant ces difficultés, il était inévitable que naissent au sein du regroupement politique qui s’était constitué à la fin des années quarante, des opinions, des convictions, des attentes et des positions diverses et même opposées. Il était aussi inévitable et surtout nécessaire, que se mine une lutte politique interne pour clarifier les positions, les points de démarcation, les lignes distinctives. Il n’y avait pas d’autre voie pour dépasser la phase de désorientation politique et théorique qui avait suivi la réorganisation des faibles forces de classe ayant survécu à la décimation opérée par le fascisme et le stalinisme.

Les positions originelles de la Gauche communiste en Italie ainsi que le travail de restauration de la doctrine marxiste effectué notamment par Amadeo Bordiga, réussirent à convaincre de nombreux camarades, y compris dans l’émigration. Bruno Maffi en était devenu un partisan convaincu, comme il le démontra lors de la lutte interne qui divisa le parti en 1952. Maffi, avec Perrone (Vercesi), Suzanne Voute, Piccino, Giovannini, Comunello, Danielis, Ceglia, La Camera et nombre d’autres camarades, se retrouvèrent lors de ces années de réorganisation politique sur des positions très proches de celles du Parti Communiste d’Italie lorsque la gauche était à sa direction, qui étaient celles exprimées après 1945 par Bordiga (voir par exemple la Plate-forme du Parti de 1945, les contributions d’Amadeo à la revue théorique du parti «Prometeo»: Eléments d’orientation marxistes, Force, violence et dictature dans la lutte de classe, Les Perspectives de l’après-guerre, les Thèses de la Gauche, Propriété et capital, Eléments de l’économie marxiste, etc., ainsi que les articles publiés dans «Battaglia comunista» à partir de 1949 et intitulés «Sur le fil du temps»).

Le groupe «Battaglia comunista» a par la suite interprété cette lutte politique comme une opposition personnelle entre Amadeo Bordiga et Onorato Damen. Il a publié en 1971, après la mort de Bordiga, une brochure sous le titre «Amadeo Bordiga, validité et limites d’une expérience»; il s’y trouve entre autres cinq lettres entre Bordiga et Damen de juillet à octobre 1951, tournant en particulier sur la fonction de l’économie russe et sur le processus révolutionnaire et contre-révolutionnaire.

En fait, les divergences portaient sur les questions du parti, de l’évaluation de la situation historique et du bilan de la révolution et de la contre-révolution en Russie. Comme à l’habitude, ces oppositions se traduisirent sur le plan organisationnel. La conception en définitive démocratique du parti (la revendication de la tenue d’un congrès était l’une des revendications centrales des opposants) justifiait l’autonomie de pensée et d’action de ses partisans. Alors que mûrissaient les éléments théoriques des divergences (sur la conception du parti, sur les syndicats, sur les mouvements anticoloniaux, sur l’analyse de la contre-révolution, sur la Russie, etc.) Damen, Steffanini, Bottaioli et Lecci (membres du Comité central de l’époque) mirent en circulation en 1951 dans l’organisation sous l’appellation d’une prétendue «Gauche italienne», un «bulletin interne» contenant leurs positions sur les problèmes que le mouvement politique affrontait alors. Ils s’affirmaient ainsi comme un centre alternatif au centre existant. Il est donc logique que l’Exécutif, par une circulaire datée du 5/10/1951, expulse les promoteurs de cette initiative.

C’est lors de la réunion à Florence de décembre 1951 que furent présentées les Bases d’adhésions au parti pour clarifier les questions centrales du programme et de l’analyse de la situation historique qui définissaient les buts du parti à court et à long terme. Ces Bases d’adhésion furent publiées, sous une forme synthétique, dans «Battaglia comunista» du 6-20 mars 1952. Un «communiqué du Comité central», précédant les Bases d’adhésion, était publié dans le même numéro. Il commençait ainsi: «La présente décision, prise à l’unanimité du C.C. le 24/2/1952, répond à la nécessité de systématiser l’organisation et l’activité du parti en mettant un terme à une période d’actes d’indiscipline graves et répétés et de désagrégation ouverte, qui doit être considérée comme définitivement dépassée». En fait, si l’on pouvait considérer que les graves actes d’indiscipline étaient terminés, la crise politique qui était à leur origine n’avait pas encore produit tous ses effets. Un pas ultérieur fut franchi en octobre-novembre 1952 par les partisans de Damen, lorsque, en s’appuyant sur le fait purement administratif que l’un d’eux était propriétaire commercial du journal du parti, ils s’adressèrent aux tribunaux bourgeois pour interdire que la tendance adverse à la leur continue à publier ce journal; ils obtinrent par l’action judiciaire ce qu’ils n’avaient pu obtenir politiquement.

Le dernier numéro de «Battaglia comunista» en tant qu’organe du parti, avant la décision du tribunal de le remettre à son «propriétaire», était le n°16 (12-28 septembre 1952). Il contenait l’avertissement aux lecteurs suivant: «Nous précisons que le changement dans le titre du journal (...) n’est pas dû à notre initiative, mais à des actions judiciaires dont il ne nous intéressera jamais d’indiquer la provenance. Il s’est agi de faire valoir contre le parti, contre sa continuité idéologique et organisationnelle, et bien entendu après s’en être emparée, une fictive propriété commerciale qui n’existe qu’à cause des obligations légales. Nous ne nous prêterons pas à des contestations et à des contradictions de personnes; nous subirons les impositions exécutives sans aller sur le terrain de la justice établie.

Ceux qui s’en sont servis ne pourront plus revenir sur le terrain du parti révolutionnaire. Inutile donc de citer leurs noms ou leurs agissements, aujourd’hui ou demain. Le journal continuera à se placer sur la ligne qui l’a toujours définie et qui constitue ses titres, non de “propriété”, mais de continuité programmatique et politique, conformément aux textes fondamentaux du mouvement, à la plate-forme et au programme de la Gauche, à la série des “Fils du temps” et aux autres publications».

Amadeo Bordiga mena une lutte acharnée contre la «propriété intellectuelle», le pire produit de la conception mercantiliste de la vie bourgeoise; il a donné ainsi à l’anonymat dans le travail du parti une fonction de préparation à la lutte contre les habitudes mercantiles et personnalistes propres à la bourgeoisie. C’est sur cette base qu’il faut considérer les actions judiciaires menées par les «propriétaires» des journaux du parti (entrés en désaccord avec une fraction du parti) pour s’assurer le contrôle de ceux-ci (et donc de leur notoriété politique) comme le franchissement de la ligne de démarcation entre une activité de parti sur le terrain de classe et une activité pseudo-classiste, démocratique en fait et donc sur un terrain bourgeois. En 1952, lors de la scission avec les partisans de Damen, comme en 1982, au moment de la séparation entre les liquidateurs du parti et Bruno Maffi et ses partisans, de telles actions révèlent un fond de culte de l’individualisme.

En 1952, Bruno était un des dirigeants du parti mais également le directeur du journal «Battaglia comunista». Bien que son attachement à ce dernier ait été fort, il ne répondit pas à Damen et ses partisans sur le terrain judiciaire que ces derniers avaient utilisé. Il suivit les indications de Bordiga d’abandonner à ce terrain bourgeois ceux qui s’adressaient aux tribunaux, et de publier un autre journal dont le nom était «Il programma comunista». Le premier numéro sous ce titre parut à la date du 10-24 octobre 1952, avec la publication de la première partie de «Dialogue avec Staline».

 

Les crises des années soixante-dix qui ont  décidé du sort du parti né en 1952

 

Le rôle de Bruno en tant que dirigeant a été par la suite décisif, dans un sens positif ou négatif, à différents moments de la vie du parti.

Les apports positifs. Par exemple, le travail nécessaire au redressement du parti s’orientant dangereusement vers le volontarisme, comme au temps de la crise dite «florentine» sur la question syndicale en 1969-73. Les militants dirigeant la section de Florence et qui avaient la charge de diriger l’activité syndicale du parti étaient arrivés à l’idée de défendre le syndicat CGIL (la CGT italienne) contre la menace qu’aurait fait poser à sa supposée nature de classe les projets d’unification syndicale. Il avançaient le mot d’ordre de la formation de prétendus «comités de défense de la CGIL rouge» (1970-71) pour s’opposer à l’unification de la CGIL avec la CISL et l’UIL, «unification» faussement jugée comme «débouchant inévitablement» sur un syndicat «fasciste». A l’époque, sous l’influence des luttes étudiantes et sociales de 1968-69, le parti déviait vers un spontanéisme qu’il ne corrigea que grâce à la vigoureuse réaction de la part de nombreux camarades de la «base» qui réussirent à imposer une rectification de la «question syndicale», que le centre fit rapidement sienne, en s’appuyant notamment sur des textes de Bordiga (voir le «Fil du temps» de 1949 «Les scissions syndicales en Italie») (6).

Les Thèses sur la question syndicale de 1972 (résultat de contributions de tout le parti et auxquelles Bruno, après une période de flottement, donna une contribution importante) remettaient d’aplomb tant l’analyse des syndicats tricolores (collaborationnistes avec la classe dominante, mais non «fascistes» au sens du syndicat unique d’Etat à adhésion obligatoire), que l’attitude et la tactique du parti dans l’activité dite syndicale et les luttes prolétariennes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des syndicats (7). A l’époque, les divergences tournaient autour d’analyses différentes de la situation et des «priorités» du parti. Certains soutenaient que le mouvement prolétarien était capable d’assimiler les orientations révolutionnaires du parti, à condition que l’activité de celui-ci dans les syndicats s’accroisse de façon exponentielle jusqu’à en conquérir les directions; ils soutenaient que c’était là la seule façon de développer le parti et d’accroître son influence sur le prolétariat. Il fallait donc se fixer l’objectif de chasser les directions opportunistes des syndicats pour les remplacer par des prolétaires révolutionnaires.

En réalité le mouvement prolétarien était encore prisonnier de l’opportunisme; il en était encore à devoir faire les premiers pas vers des luttes indépendantes de l’opportunisme. Il pouvait commencer à avancer dans cette direction y compris grâce à la contribution des communistes révolutionnaires dont la tâche était donc non seulement d’«importer la théorie marxiste dans la classe», mais aussi de participer aux efforts, y compris organisatifs, des prolétaires dans et hors des syndicats pour se libérer de la tutelle de l’opportunisme et se placer sur le terrain de la lutte de défense immédiate de leurs seuls intérêts de classe.

Certains militants considéraient à l’inverse que le prolétariat organisé dans les syndicats était pratiquement prêt à abandonner les opportunistes pour suivre les avant-gardes de la classe (et les communistes révolutionnaires là où ils existaient); il était donc important d’être présent, de se battre contre les directions syndicales et de se faire élire à leur place; ces éléments prétendaient avec un optimisme déraisonné que «le réformisme perd son influence sur le prolétariat». Mais ce dernier restait encore soumis à l’influence de l’opportunisme et la reprise de la lutte de classe tardait toujours à se manifeste. Dans cette situation, les communistes révolutionnaires devaient se battre contre les bonzes des syndicats tricolores, mais avec l’objectif de pousser les prolétaires à prendre directement en main leurs luttes, en donnant leur contribution à l’organisation et à la défense de ces luttes par les prolétaires eux-mêmes.

Des discussions de ce type réapparaîtront régulièrement et elles seront à nouveau au centre de crises internes ultérieures. Les Thèses syndicales ne résolvaient pas tous les problèmes qui s’étaient accumulés dans le parti et d’ailleurs elles ne le prétendaient pas. Mais elles dressaient une barrière entre ceux qui considéraient les années 1968-69 comme une période «prérévolutionnaire» (dans l’attente de la crise générale du capitalisme prévue en 1975) et les années soixante-dix comme la décennie des «coups de pied» (selon une expression de Bordiga définissant la période révolutionnaire comme celle où la classe ouvrière reviendrait sur le devant de la scène de l’histoire et en chasserait à coups de pied dans le cul les personnages qui l’occupent aujourd’hui), c’est-à-dire de la révolution prolétarienne mondiale – d’où cet ultimatisme dans la question de l’unification syndicale et une frénésie d’intervention ayant comme objectif l’accroissement rapide du nombre de militants; et ceux qui replaçaient la prévision de la crise révolutionnaire à l’échelle des événements historiques et dans le cadre d’une évaluation plus correcte de l’état du mouvement ouvrier en Europe et dans le monde, donc qui évaluaient de manière plus réaliste les rapports de force entre les classes. C’est à dire ceux qui donnaient un poids réel aux poussées prolétariennes tendant à briser la paix sociale d’un côté, et de l’autre au dispositif général de collaboration politique et social dont les partis soi-disant ouvriers étaient des piliers indispensables, en estimant que ces poussées pouvaient reculer – ce qu’elles firent – et qu’elles n’étaient pas les prémisses de la reprise de la lutte de classe internationale durable et vaste espérée par tous.

On sait que 1968 a été considéré par l’immense majorité des mouvements et des partis politiques comme une sorte de second tournant (après celui de la résistance des partisans antifascistes) entre la période où les partis parlementaires traditionnels avaient le monopole de la «politique» et celle où la «politique» a été saisie, vécue par des mouvements surgissant d’en bas, émergeant des poussées sociales, et difficilement récupérables par le réformisme traditionnel.

En Europe 1968 (qui rappelait le mouvement étudiant de 1964 aux Etats-Unis) s’est en général caractérisé par des mouvements de diverses origines culturelles mais tous essentiellement étudiants; une soi-disant nouvelle intelligentsia travaillait pour conquérir l’avant-scène et lancer à la face des pouvoirs (à partir de l’université pour finir au niveau local puis gouvernemental) ses revendications: «l’imagination au pouvoir», «vouloir et pouvoir», «non a la partitocratie, oui à l’autonomie», etc. Pour nous il était clair qu’il ne s’agissait pas de mouvements «de classe»: ils n’avaient rien de prolétarien ni de révolutionnaire, même si la plupart de ces mouvements se présentaient comme le mouvement d’une «nouvelle classe» - celle des étudiants, qui prétendait se comparer à la classe prolétarienne – révolutionnaire. C’était en réalité des mouvements petit-bourgeois, de ces couches petite-bourgeoise qui – flairant la crise économique et donc le danger de se voir précipitées de leurs conditions de privilèges et de promotion sociale à celle de prolétaires – se rebellaient face à cette perspective. Mais, comme c’est toujours le cas, la petite bourgeoisie, pour être «prise au sérieux» par la grande qui possède tous les leviers économiques, sociaux et politiques décisifs, doit l’impressionner, l’effrayer; ce que par nature elle est incapable de faire.

L’attention se tourna alors vers une force sociale qui par sa lutte a la capacité d’inquiéter la grande bourgeoisie: le prolétariat Le «printemps étudiant de 1968» ne modifia pas d’un millimètre les rapports des forces sociales: beaucoup de bruit pour rien. Mais lorsque les ouvriers commencèrent à bouger, luttant et se mettant en grève pour défendre leurs conditions de vie, la bourgeoisie dominante commença à s’inquiéter. C’est pour cette raison que les mouvements étudiants ont toujours à un certain moment cherché la jonction avec les mouvements ouvriers: c’est la force ouvrière qui les fait se sentir forts, qui leur fait oser s’opposer à l’autorité des institutions et de l’Etat, qui les pousse à chercher un «pouvoir contractuel» plus solide pour défendre avec plus d’efficacité, et obtenir, les promotions sociales pour lesquelles ils se mettent en mouvement.

Le poids organisatif et l’influence idéologique du stalinisme ont fait plier pendant des décennies le prolétariat devant les intérêts de la bourgeoisie jusqu’à le rendre perméable aux différentes formes d’opportunisme et d’interclassisme – non seulement ceux du stalinisme et du maoïsme mais aussi ceux exprimés par les mouvements étudiants en dépit de la superficialité de leurs actions, même si elles furent parfois violentes. En France, 1968 partit en réalité des luttes ouvrières et attira rapidement les mouvements étudiants qui cherchèrent à l’utiliser à des buts de promotion sociale petite-bourgeoise. Le stalinisme avait déjà depuis longtemps réussi à abaisser le mouvement des luttes ouvrières sur le terrain de la démocratie, de la participation à la défense de l’économie nationale, etc.; le mouvement étudiant ne fit rien d’autre que de tenter de s’accrocher aux forces ouvrières pour donner à ses propres aspirations matérielles et idéologiques une force et une « noblesse » à laquelle ils ne pouvaient arriver d’eux-mêmes.

En Italie, le mouvement étudiant précéda, dans une certaine mesure, les luttes sociales prolétariennes qui se présentaient sur la scène de manière explosive cette même année mais surtout l’année suivante avec le fameux «automne chaud»; il tenta de s’infiltrer dans le mouvement ouvrier avec son caractère de rébellion et ses  «innovations idéologiques» du genre Potere Operaio; mais il joua en réalité un rôle de déviation supplémentaire des luttes ouvrières en détournant des prolétaires combatifs vers des formes impuissantes d’extrémisme, allant du spontanéisme à la lutte armée.

Il était très important à l’époque pour notre parti de mener la lutte théorique contre les soi-disant nouvelles formes de révision du marxisme (de Lotta continua à Avanguardia operaia, du maoïsme au guévarisme tiers-mondiste et à Potere operaio) ainsi que de mener la lutte interne pour défendre le parti contre la contagion mouvementiste. La dernière contribution d’Amadeo Bordiga, avant que la maladie ne l’empêchent pratiquement de parler et d’écrire, fut consacré au mouvement des étudiants de 1968: c’est l’article «Note élémentaire sur les étudiants» (8) où il combattait en particulier l’idée que les étudiants constituaient une «nouvelle classe».

À cette époque, certains militants du parti s’imaginèrent que 1968-69 pouvaient constituer une sorte de réédition du «biennio rosso» - les fameuses «deux années rouges» de1919-20 - et ouvrir une période «prérévolutionnaire». Au besoin de combattre l’idée que les étudiants constituaient une «nouvelle classe» qui, en plus, pouvait entraîner un début de reprise de la lutte révolutionnaire, s’ajoutait donc la nécessité de donner une évaluation correcte de la période et de la situation et de clarifier nettement la question de la crise et de la révolution. C’est sur cette question, c’est-à-dire sur la signification des prévisions révolutionnaires et sur la «lecture» correcte des faits économiques et sociaux, que Bruno donna une contribution importante.

Dans l’article intitulé précisément «Crise et Révolution», de juillet 1974 (9), reprenant des écrits marxistes fondamentaux (la Critique de l’économie politique et le Manifeste du parti communiste) et le texte de Trotsky de 1921, La nouvelle étape, il critique nettement la vision «évolutionniste» de la crise capitaliste selon laquelle «la force productive sociale du travail, même si c’est avec des oscillations irrégulières, croît jusqu’à un sommet matériellement indépassable, puis ralentit son cours et finalement baisse graduellement pour tendre vers zéro – et c’est alors l’arrêt, la crise qui est donc synonyme de l’épuisement de l’élan dont le capitalisme avait pourtant été le protagoniste mondial (…). Pour le social-démocrate ancien style, le point zéro de la crise indique le passage tranquille du pouvoir de la bourgeoisie agonisante au prolétariat préparé à en recueillir l’héritage. Pour le centriste le point zéro n’“exclut” ni la révolution ni la dictature mais celles-ci ne constituent qu’un accident passager; quand on y arrive, l’une et l’autre disparaissent à l’horizon, et il faut se dépêcher de proposer des mesures d’urgence, des réformes de structure, des combinaisons ministérielles, etc., sous le prétexte que, le mal étant fait, plus on conserve de l’héritage des richesses sociales, plus on sauve de forces productives, moins les souffrances de la nouvelle société seront fortes. Finalement, pour l’immédiatiste, la révolution et même la dictature sont, arrivé au point zéro, bienvenues et inévitables, toutes les conditions subjectives et objectives étant automatiquement réalisées. L’arbre de l’économie associée n’attend que d’être secoué pour que le fruit mûr ne tombe dans les bras de l’héritier.

Le résultat est pour tous un constat, comme celui de voir une comète traverser le ciel étoilé. Pour les uns, le passage au socialisme est un acte notarié enregistrant un décès, un fait qui ne pouvait pas ne pas arriver. Pour les autres il est le produit de forces jaillissant de déterminations identiques à celles déterminant l’issue naturelle de l’agonie d’un organisme vivant. Les premiers – les sociaux-démocrates et les centristes – «préparent» les techniciens et les experts du passage dans la tiédeur feutrée des coopératives, des parlements, des syndicats et des communes. Les seconds attendent de ce passage qu’il prépare de lui-même ses techniciens et ses experts, qu’ils soient des personnes physiques ou de mystérieux organismes. Au mieux ils en voient une préfiguration dans les mécanismes humains et matériels provenant du «pouvoir dans l’usine». Pour eux l’événement est prévisible comme une donnée de fait et imprévisible comme forme. La bourgeoise sort de la scène et le prolétariat y entre, mais la scène historique à bien peu à voir avec la scène théâtrale.

L’interprétation marxiste correcte est tout autre, et elle est exprimée avec clarté dans notre texte Théorie et action dans la doctrine marxiste (10), particulièrement dans les schémas représentant l’un “la fausse théorie de la courbe descendante du capitalisme”, l’autre “l’alternance des régimes de classe dans le mouvement révolutionnaire».

«Marx n’a pas exposé le développement puis le déclin du capitalisme mais au contraire, simultanément et dialectiquement, l’augmentation de la masse de forces productives contrôlées par le capitalisme, et la réaction antagoniste constituée par celle des forces dominées, celle du prolétariat». Le potentiel productif et économique général augmente jusqu’à ce que l’équilibre soit rompu, et il se produit alors une phase d’explosion révolutionnaire au cours de laquelle, dans un bref espace de temps, en rompant avec les formes de production anciennes, les forces de production retombent pour se donner de nouvelles bases et reprendre une ascension plus puissante.

Dans cette vision puissamment dialectique, à l’opposé des mille formes de volontarisme et de fatalisme, le cycle historique du capitalisme se présente en général comme une courbe ascendante parcourue d’oscillations plus ou moins brusques, à la cadence de plus en plus courte, qui en fait le mode de production le plus chaotique et incertain de l’histoire. La possibilité qu’au sommet de la courbe le système dans son entier s’écroule ne découle pas d’une accumulation mécanique des contradictions économiques; elle dépend strictement de la double condition que la force productive la plus grande créée par la société bourgeoise, la classe prolétarienne, fasse son apparition armée et organisée sur la scène, et qu’elle rencontre son organe-guide, celui de la bataille décisive, le parti.

C’est ici qu’intervient la seconde et la plus grave des «erreurs» gradualistes et formalistes, celle qui consiste à «lier par un pur formalisme le processus économique et le processus politique» (11). Ou, pire encore, à supposer que le processus économique se déroule dans le vide, comme fait en soi, au lieu de le replacer dans le cadre du jeu complexe d’actions et de réactions entre superstructure et infrastructure. Comme si le capital constant et le capital variable étaient des corps solides, liquides ou gazeux, au lieu de forces historiques, et leur heurt un conflit entre «catégories métaphysiques» abstraites au lieu d’un conflit entre classes physiques. Comme si la bourgeoisie croissait parallèlement à la dynamique des forces productives, et le prolétariat avec la croissance (ou le déclin) de la bourgeoisie, et que la condamnation prononcée par l’histoire contre cette dernière ne s’exécute d’elle-même – pour raison de… limite d’âge. Ce qui signifie, contre tout le travail d’Engels, réduire le matérialisme historique à un vulgaire matérialisme économique».

C’est dans cette grave erreur consistant de lier mécaniquement le processus économique et le processus politique, que tombèrent à l’époque nombre de camarades. C’est envers eux que porta l’effort, notamment du centre du parti, pour replacer l’organisation sur les bases solides de l’interprétation correcte de la crise économique en acte et de ce que le parti devait en attendre tant sur le plan de la reprise de classe que sur celui de son propre développement. Mais cet effort ne réussit pas à empêcher que les facteurs de coupure entre les acquis théoriques et l’action du parti envers la classe ne continuent à le travailler en profondeur, érodant peu à peu la force théorique et politique du parti.

En février 1975, dans l’article «Le prolétariat et la crise», Bruno insistait sur les points fondamentaux de l’analyse de la situation: «Il est indispensable, face à la situation économique actuelle, de comprendre dans quelle phase (économique, politique, sociale, super structurelle) elle (la crise) s’insère, et il en découle deux points extrêmement importants: 1) crise économique et crise du système bourgeois ne coïncident pas dans la mesure où la “courbe politique” ne suit pas mécaniquement la “courbe économique” mais est liée à l’ensemble des évènements la précédant et qui lui font prendre l’une ou l’autre des directions; 2) le poids de l’opportunisme, dans la phase historique que l’on peut dater de la chute du mouvement révolutionnaire dans les années vingt, de la victoire concomitante du nazisme, du fascisme et du stalinisme et du processus de renforcement de la domination mondiale par les grands monstres impérialistes, à la tête desquels les Etats-Unis, est supérieur à toutes les périodes historiques précédentes et se relie à tous les phénomènes que nous avons indiqués» (12).

Dans la période précédant l’éclatement de la crise économique simultanée des grands pays impérialistes, notre parti avait le devoir d’expliquer ce qu’il attendait de cette crise et de quelle manière s’y préparer. Il avait prévu depuis plus de vingt ans cette crise capitaliste mondiale qu’il avait lié à la prévision d’une crise révolutionnaire, ce qui intéressait évidemment le parti révolutionnaire, le seul au monde à représenter l’authentique théorie marxiste. Le parti d’hier consacra diverses réunions à ce travail d’analyse et d’explication du cours de l’impérialisme mondial et des tâches du parti (13). L’effort pour formuler une évaluation marxiste correcte de la période historique qu’il traversait et de la crise simultanée au niveau mondial des capitalismes nationaux les plus importants ne suffit pas à renforcer sur le plan de la doctrine l’ensemble du parti qui, au contraire, marchait vers plusieurs crises internes.

 

La crise économique capitaliste mondiale et ses contrecoups sur le parti

 

De 1973 à 1979, le parti se développa numériquement mais il subit des crises internes importantes et répétées.

En 1973 éclate la crise pétrolière. Le monde capitaliste développé semble se trouver le dos au mur par les pays producteurs de pétrole. Profitant d’un rapport de force favorable grâce à la production du fameux or noir dont étaient dépendants les pays impérialistes les plus importants du monde, ils imposèrent aux américains et aux européens des conditions plus avantageuses pour l’extraction, le raffinage et la commercialisation du pétrole et de ses dérivés.

Pour la première fois les pays industrialisés dominant le monde étaient pris à contre-pied par des pays producteurs de matières premières. Ceci ne se reproduira pas, mais la crise pétrolière dévoila le point faible des grands pays capitalistes et déboucha sur la crise économique internationale en 1975. Celle-ci mit en mouvement les prolétaires de tous les pays développés, et en même temps donna un coup de fouet au mouvement anticolonial de certains peuples comme au Mozambique ou en Angola, sans parler du Vietnam qui après avoir battu les Français luttait depuis plusieurs années contre les Américains pour arriver à constituer une nation indépendante.

En Italie, c’était la période des CUB (Comités Unitaires de Base) et d’une interminable série de tentatives de constitution d’organisations prolétariennes en dehors du contrôle direct du syndicalisme tricolore. Ces tentatives échouèrent en pratique à conserver leur indépendance par rapport au collaborationnisme syndical, surtout en raison de la «défense de la démocratie» des multiples groupes dits extraparlementaires qui occupaient les «vides» laissés par le syndicalisme traditionnel. Ces groupes réussirent à récupérer les prolétaires les plus combatifs qui tendaient à échapper au contrôle du collaborationnisme syndical et à les ramener dans le giron du réformisme, de la concertation, du pacifisme et du légalisme. C’étaient les années où, comme en France sa consoeur la CFDT, la CISL jaune et catholique rivalisait avec la CGIL en «radicalisme» dans les déclarations verbales afin de trouver adhérents et cadres syndicaux. Les CUB puis les Conseils d’Usine, nés en réaction aux structures syndicales d’usines (les Commissions Internes) vendues au patronat, furent peu à peu récupérés par les organisations syndicales officielles.

Politiquement, c’est sur le fond du «compromis historique» où le PCI proposait une alliance indirecte à la Démocratie Chrétienne, que divers groupes, d’origine essentiellement stalinienne, tentèrent d’orienter la combativité ouvrière vers la «lutte armée». «Impatience» et «désespoir» révolutionnaires, fils des illusions petites-bourgeoises et de l’immédiatisme, jouèrent tout au long des années soixante-dix un rôle mortel de déviation de la combativité ouvrière du terrain de classe vers celui d’une agitation interclassiste calquée sur le modèle de la Résistance, la Démocratie Chrétienne étant présentée comme une... réincarnation du fascisme.

Dans cette période où par ailleurs le réformisme syndical et politique démontrait qu’il n’était plus capable de garder un contrôle total des masses prolétariennes (la crise économique avait affaibli la puissante arme des amortisseurs sociaux, les obligeant à remplacer les demandes d’augmentation de salaire, etc., par l’appel aux sacrifices), et où la bourgeoisie patronale – cible des groupes terroristes de gauche – prenait peur, les occasions d’action qui s’ouvraient réellement aux avant-gardes ouvrières et les révolutionnaires étaient particulièrement importantes.

La réalité sociale posait au parti les problèmes liés à la défense immédiate ouvrière, et le besoin d’une délimitation politique tranchée d’avec les nombreux regroupements politiques qui naissaient à la gauche des partis réformistes traditionnels (PSI et PCI). C’étaient des problèmes qui réclamaient des réponses rapides, claires, non équivoques et cohérentes. Le parti n’avait pas prévu, par exemple, la «période de terrorisme rouge», même s’il sut en comprendre clairement les caractéristiques et le rôle historique, et prendre une position de classe totalement correcte. Il faut rappeler que le «terrorisme rouge» des années soixante-dix naquit en Italie (où il eut une ampleur et une influence inconnues ailleurs en Europe) à la suite des tentatives de coup d’Etat et des sanglants attentats d’extrême droite ( Milan, Brescia, train Milan-Naples en 1969), et qu’au départ il s’attaquait au despotisme patronal dans les usines, en prenant comme cibles la maîtrise et les directeurs. Ce n’est qu’ensuite que les Brigades Rouges «haussèrent le tir» jusqu’à kidnapper et à assassiner Aldo Moro, le président du principal parti bourgeois, la Démocratie Chrétienne. Pour les BR, Aldo Moro était l’homme du «compromis historique» - l’alliance avec le Parti Communiste Italien - qu’elles voulaient à tout prix empêcher dans leur perspective de faire revenir celui-ci à ses soi-disant positions «révolutionnaires» de l’époque stalinienne...

Il existait alors une tendance à l’unification de forces bourgeoises proprement dites avec les réformistes des syndicats officiels et des partis soi-disant ouvriers, afin de défendre l’économie nationale, sa compétitivité et son développement. Le parti s’attela à un travail sur les questions liées à la nécessité de l’organisation prolétarienne, et sur la perspective du front unique prolétarien à la base, sur le terrain de la défense des conditions de vie et de travail. Cette perspective d’un Front unique à la base prévoyait la possibilité d’actions spécifiques avec des militants ou des groupes d’usine ou syndicaux appartenant à d’autres groupes politiques (14). Sur ce terrain épineux des rapports entre parti et classe, et entre parti et autres organisations, se mena une lutte politique interne courageuse et difficile, d’autant plus que l’activité un peu plus large du parti d’hier se heurta alors à nombre de difficultés qui se répercutèrent sous la forme de crises activistes, volontaristes, contingentistes, crises qui a leur tour firent naître en réaction des tendances et des positions de type attentiste et indifférentiste.

Vers la fin de 1974, une crise activiste de type «mouvementiste» et «trotskiste» frappa surtout la forte section de Milan, avec quelques répercussions dans d’autres sections en Ligurie et en France. Cette scission tournait essentiellement autour de la question des rapports du parti avec les formations d’extrême-gauche avec qui des possibilités d’action pratiques en commun sur le terrain des revendications ouvrières immédiates pouvaient être possibles, tout en maintenant une complète indépendance politique, programmatique et organisationnelle. Les discussions portaient aussi sur les rapports du parti avec des mouvements à caractère politique tel que les mouvements contre le nucléaire, etc. Les scissionnistes soutenaient que le parti devait atténuer ses critiques contre les autres groupes lorsqu’il menait des actions communes avec eux sur le terrain immédiat. Cela revenait en réalité à masquer les caractéristiques politiques et programmatiques du parti de façon à pouvoir plus facilement s’associer à d’autres formations dans le but de devenir «plus nombreux» et «plus influents» sur le prolétariat. Les éléments qui scissionnèrent alors, «unis» contre le parti mais désunis entre eux, tentèrent de sans succès de constituer un embryon d’organisation.

Devant ces défections, Bruno se montra plus ennuyé qu’autre chose, et ne chercha pas à expliquer comment de telles positions opportunistes avaient pu apparaître dans le parti. Dans une série de circulaires, le Centre communiqua que le camarade un tel avait «sur un coup de tête» abandonné l’organisation sans prendre position sur telle ou telle question (15). C’est un fait que cette crise éclata à propos des positions pratiques du parti par rapport aux mouvements sociaux, que ce soit le mouvement ouvrier d’usines ou des mouvements «anti-impérialistes», «anti-nucléaires», etc. Le Centre ne vit pas dans cette crise la manifestation d’un processus d’abandon de la théorie, de type démocratoïde et activiste, qui avait commencé à se manifester dans le parti dès 1969-72, et qui donna ses premiers résultats négatifs lors de la crise de Florence en 1973. Se transformant peu à peu en superficialité politique, ce processus ira s’amplifiant jusqu’à la crise explosive de 1982-84.

En 1977, le parti connut une autre crise, qui portait cette fois sur la question centrale du parti, en opposition avec nos positions classiques. La section de Cividale (Frioul) et quelques autres influencées par elle dans la région, théorisèrent que le véritable parti compact et puissant de demain – puisqu’il n’était toujours par réalisé à la date fatidique de 1975 – serait le résultat de la fusion d’organisations qui «tendaient» à devenir le parti de classe et qui devraient s’unir après avoir confronté leurs programmes et leurs positions respectives par un travail en commun afin de choisir le «meilleur» de chacun d’eux. En cette occasion aussi, bien qu’il était plus facile de s’opposer à un prétendu «parti-creuset» en reprenant les positions classiques de la gauche communiste sur le parti de classe, Bruno se limita à «classer» cette crise comme un «incident de parcours». Cette crise ne fut donc pas comprise, ni par Bruno, ni par le parti, comme un nouveau signe d’un processus d’érosion qui commençait à montrer, inévitablement, de fortes caractéristiques localistes. C’est de ces sortants que naquit le Centre d’Initiative Marxiste de Naples, qui se transforma en OCI («Organisation Communiste Internationaliste») publiant le journal «Che Fare?» (Que Faire?).

Dans la période suivante apparurent, en réaction au volontarisme et à l’activisme, des positions «indifférentistes» (ou «attentistes»), réticentes envers l’intervention du parti dans les luttes ouvrières comme par exemple lors de la crise de Turin (1979-81). Il fallut donc rappeler que l’activité du parti envers la classe ne peut pas se limiter à y «importer la théorie marxiste» ce qui réduirait cette activité à une action propagandiste et littéraire; mais que cette activité, à l’intérieur comme en dehors des syndicats, doit aller jusqu’à donner une contribution pratique à la naissance et au renforcement d’organisations de luttes immédiates basées sur la défense exclusive et effective des intérêts de classe prolétariens. Contribution pratique tant en terme d’orientation classiste des objectifs, des moyens et des méthodes de lutte, qu’en participation effective, là c’était possible, à la constitution d’organismes de lutte prolétariens (comités de grève, coordinations, etc.). Ces organismes devant être, non l’émanation de partis politiques, mais le regroupement de travailleurs du rang («politisés» ou non), sur le seul objectif de la défense des intérêts prolétariens, indépendamment des convictions politiques ou religieuses de chacun.

Pénétrer dans toutes les brèches laissées par le réformisme et le collaborationnisme, selon les indications précises du parti, mais pour quoi faire? Pour apporter au sein de la classe ouvrière, de ses luttes et de sa vie quotidienne, l’orientation classiste et les leçons, le bilan des luttes passées, afin que les prolétaires puissent s’appuyer sur la tradition historique des luttes de classe cachée et falsifiée par les collaborationnistes. La présence active, la participation aux luttes et aux efforts d’organisation, des militants communistes révolutionnaires est indispensable pour faire la démonstration qu’ils sont non des grandes gueules ou des beaux parleurs, des utopistes ou des récupérateurs des luttes dans un but électoral ou boutiquier, mais les militants ouvriers les plus lucides, les plus décidés et qui maintiennent envers et contre tout leurs positions de classe.

Plusieurs sections (Turin, Ivrea, Torre Annunziata, Schio) contestaient l’orientation tactique centrale du parti sur la question des luttes et des organismes de lutte du prolétariat (comités de grève, comités contre les licenciements – comme à la FIAT -, coordinations de comités de luttes, à l’intérieur et le plus souvent à l’extérieur des organisations syndicales, notamment parmi les cheminots, les personnels hospitaliers, les enseignants, etc.), y voyant un risque de front unique politique avec d’autres organisations politiques et de syndicalisme. Face au danger de scission, Bruno répondit par des expédients organisatifs qui – comme nous voulons le démontrer – non seulement n’empêchèrent pas la scission mais affaiblirent le parti et son centre dans la lutte politique interne contre des positions fractionnistes sur le plan organisatif, romantiques et métaphysiques sur le plan théorico-politique. C’est ainsi que devant les polémiques et les discussions continuelles avec les responsables de ces sections, on en arriva à organiser en mars 1981 une réunion contradictoire des sections italiennes où les dissidents présentèrent leur rapport auquel le centre devait répondre immédiatement. La pratique démocratique, après avoir été chassée par la porte, rentrait par la fenêtre, et avec la bénédiction du centre! Tous les éléments pour que la crise de 1982 prenne un caractère explosif étaient désormais réunis.

Le centre avait fait sans aucun doute tous ses efforts pour démontrer la validité des orientations tactiques des Thèses syndicales de 1972 (non seulement intervenir dans les luttes ouvrières pour les orienter vers des objectifs de classe et l’utilisation de méthodes et de moyens de lutte classistes, mais encourager, et contribuer pratiquement, à organiser les luttes sur le terrain de classe en dehors du collaborationnisme tricolore). Mais face aux critiques venant surtout des camarades qui utilisaient des arguments théoriques et programmatiques pour nier ces nouvelles tâches du parti, il céda sur le plan organisatif dans l’illusion qu’un débat démocratique était mieux à même de faire comprendre au parti la justesse des orientations tactiques centrales.

Le recours à ces expédients non seulement était inefficace puisque il n’évita pas la scission; mais surtout il avait le grand tort d’empêcher un travail collectif, les militants se repliant sur leurs sections pour y élaborant «leurs» positions et laissant le centre gérer les discussions avec la section de Turin.

 

*   *   *

 

Lors de la difficile période caractérisée par le terrorisme brigadiste débouchant en 1978 sur l’assassinat d’Aldo Mauro, l’action de Bruno fut au contraire précieuse. C’est lui qui formula la réponse politique correcte dans l’article intitulé «Le terrorisme et le chemin tourmenté de la reprise générale de la lutte de classe», de 1978 (16), travail qui permit au parti de combattre la conception individualiste et conspirative de la reprise classiste et révolutionnaire du prolétariat, et en même temps de revendiquer la violence comme facteur de l’histoire inhérent à cette même lutte de classe, même avant la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

Dans cette période particulièrement difficile où tout prolétaire combatif et irrespectueux du pacifisme et du légalisme ressassés jusqu’à la nausée par l’opportunisme, était montré du doigt, isolé, accusé d’être un «compagnon de route» des BR. Nos camarades furent souvent accusés calomnieusement de «collusion avec la lutte armée». Le parti fit tous ses efforts pour réaffirmer les positions du marxisme révolutionnaire sur tous les fronts:

1) Question de la violence, de la force et de la dictature dans la lutte de classe – pour reprendre le titre d’un texte fondamental d’Amadeo Bordiga – où nous revendiquons l’usage de la force et de la violence dans la lutte prolétarienne, tout en combattant comme une déviation les conceptions carbonaristes des groupes «guérrilleristes» qui tournent le dos à la perspective de la réorganisation classiste du prolétariat.

2) Nette distinction entre les communistes révolutionnaires et tous ceux, qu’ils se disent communistes, socialistes, marxistes ou révolutionnaires, qui communient dans la défense méprisable de la démocratie bourgeoise et de la dénonciation de toute forme de violence sous prétexte de «lutte contre le terrorisme» - en mettant par exemple sur le même pied le terrorisme rouge qui attaquait des individus bien précis, et le terrorisme noir qui commettait des massacres de foules.

3) Lutte contre la répression et le terrorisme de l’Etat bourgeois, sa police et son armée, lutte qui devait rompre avec le pacifisme et le légalisme du collaborationnisme des syndicats tricolores et des partis parlementaires et extraparlementaires.

Le parti réussit alors se distinguer nettement de toutes les autres formations politiques de la soi-disant «extrême-gauche» en évitant les divers pièges tendus dans une situation que les médias à l’époque appelait la «stratégie de la tension».

Les effets les plus importants de l’offensive bourgeoise activement relayée par le réformisme étaient les suivants: 1) toute contestation violente, ne serait-ce que verbale, lors des luttes non seulement avec le pouvoir gouvernemental et étatique mais surtout avec le pouvoir syndical et politique, pouvait être prise pour une action favorisant les groupes de «lutte armée», en particulier des BR; 2) le refus de se déclarer publiquement «contre toute forme de violence» pouvait être interprété comme un rapprochement avec la «lutte armée»; 3) toute revendication ouvrière soutenue par des moyens et des méthodes de lutte de classe (grève illimitée, piquets de grève, barrages de routes, occupation des gares, d’usines, de bureaux, etc, lutte contre la répression) pouvait être considérée comme «anti-démocratique» et manipulée par les brigadistes. En substance, le climat créé par les attaques contre les conditions de vie, de travail et de lutte des ouvriers, et par la riposte des tenants de la «lutte armée», facilitait d’un côté la répression et l’intimidation policières, et de l’autre le repli des prétendues «avant-gardes» vers le démocratisme le plus grossier par peur d’être confondues avec des terroristes.

Les syndicalistes tricolores démontraient leur attachement fanatique au statu quo, à la paix sociale, à la collaboration entre les classes et leur hargne envers les prolétaires qui se plaçaient ne serait-ce que tendanciellement sur le terrain de classe de la lutte contre les exigences patronales; véritables gardiens de l’ordre établi ils dénonçaient les ouvriers les plus combatifs. Dans un tel climat il n’était assurément pas facile pour les camarades du parti, alors que les luttes ouvrières n’arrivaient pas à se libérer des entraves collaborationnistes, de mener dans les usines, les syndicats, les manifestations, leur propagande anti-démocratique et anti-terrorisme individuel en même temps que le travail d’agitation pour la réorganisation classiste indépendante de la classe ouvrière. C’est dire que sans un encadrement correct et solide de la question «terrorisme et communisme», le parti aurait alors risqué d’être entraîné dans de graves déviations comme le furent toutes les organisations soi-disant révolutionnaires.

 

Face à la crise explosive du parti en 1982-84

 

La position de Bruno envers la lutte politique interne et la question du journal, trente années après la crise de 1952, fut bien différente de ce qu’elle avait été alors. Au cours de cette crise qui vit les liquidationnistes l’emporter, Bruno fut écarté comme dirigeant du parti (en juin 1983 l’ancien centre du parti fut destitué et remplacé par un Comité Central - réapparition du centralisme démocratique!). La confusion parmi les camarades était d’autant plus forte que la crise avait éclaté au sein du centre international qui était le point de référence pour toutes les sections des différents pays. Les questions soulevées lors de cette crise concernaient la question du parti, ce que le parti représentait effectivement face au mouvement prolétarien international et au mouvement anti-impérialiste des peuples de couleur, et des tâches qu’il devait assumer dans cette période.

Le détonateur de la crise, comme nous l’avons expliqué dans notre presse (18) était la «question palestinienne», ou plus précisément l’analyse de la lutte palestinienne et les perspectives qui pouvaient être avancées pour le prolétariat du Moyen-Orient, ainsi que pour les prolétaires qui dans les métropoles impérialistes étaient sensibles à cette question. Les difficultés objectives pour définir des positions et une orientation politique précise et détaillée fut ressentie par de nombreux camarades comme la preuve d’un grave «retard» du parti par rapport à ses tâches d’orientation révolutionnaire, retard qui fut considéré à un certain moment comme impossible à rattraper. C’est sur la base de cette conviction que nombre de camarades, y compris dans le centre international, en arrivèrent à estimer que le parti était devenu un organisme inutile, voire dangereux pour le «mouvement social» et ils appelèrent à sa «liquidation».

En juillet 1982, le groupe de camarades organisés autour du journal «El Oumami» quitta le parti sur des positions au fond nationalistes (avec l’illusion de pouvoir influencer le mouvement social en Algérie – en particulier le mouvement berbère – et au Liban, grâce à la résistance nationaliste palestinienne); ils accusaient le parti d’être incapable de devenir un «parti d’action» révolutionnaire et de ne pouvoir être qu’un «parti programme», ne faisant que la «propagande des principes». Ils affirmaient pouvoir dépasser ce «retard» en se libérant de l’encadrement tactique trop rigide du parti qui l’empêchait de comprendre et de participer aux luttes démocratiques et nationales. Le parti communiste révolutionnaire devait et pouvait influencer de manière déterminante le prolétariat algérien, libanais, palestinien en s’appuyant sur les fractions «de gauche» des organisations nationalistes révolutionnaires armées existant dans ces différents pays. Sur cette pente, certains militants de notre parti d’hier allèrent jusqu’à soutenir qu’il fallait s’appuyer sur les formations les plus radicales de l’OLP afin de «saisir l’occasion historique» de la lutte palestinienne au Liban comme une occasion d’étendre l’incendie révolutionnaire à tout le Moyen-Orient!

En septembre 1982 la section de Schio abandonna le parti sur des positions diamétralement opposées, attentistes, dont ils voyaient la justification dans le danger d’activisme dont la scission d’«El Oumami» était la manifestation la plus importante.

C’est en octobre 1982, en France, que la crise explosa finalement au niveau central, en se répercutant évidemment sur l’ensemble du réseau organisatif du parti. Les questions soulevées étaient à nouveau l’orientation tactique du parti sur le terrain syndical, social et sur celui des luttes anti-impérialistes, et l’attitude pratique du parti par rapport aux mouvements sociaux et politiques de l’époque.

Le parti était confronté et travaillait à ces questions depuis des années, du fait même que son développement lui avait permis d’intervenir dans les luttes ouvrières et sociales de façon bien plus fréquente que dans les décennies précédentes. Mais si le parti n’arrive pas à suivre et assimiler une méthode correcte pour faire découler l’orientation tactique sur des questions particulières de la doctrine, du programme et des orientations politiques générales, les articles, les circulaires et les réunions ne suffisent pas. A plus ou moins brève échéance les «incompréhensions» se transforment en positions «différentes» et opposées, puis en obstacles objectifs au travail collectif et discipliné du parti.

En définitive les plus grandes difficultés connues lors de cette crise ont été dues au fait que le parti n’était pas préparé à une situation de ce type, qu’il n’avait pas envisagé que les positions radicales de nature petite-bourgeoise qui avaient plus ou moins inévitablement pénétré dans le parti dans les années 70, risquaient de déboucher sur une grave crise politique et organisative si elles n’étaient pas complètement éliminées; l’impréparation du parti était en définitive d’ordre théorique et politique. Juger les scissions qui s’étaient succédées comme de simples fièvres attaquant un organisme sain, croire qu’il suffisait de laisser la fièvre tomber et «continuer la route» comme si de rien n’était, ne pouvait armer l’organisation à affronter les crises internes, ne pouvait préparer à la lutte politique interne indispensable lorsque les désaccords atteignaient une certaine importance; bref, ne plaçait pas le parti dans son ensemble dans les meilleures conditions pour réagir politiquement et vigoureusement aux erreurs, déviations et positions erronées, qu’elles se manifestent au centre ou à la périphérie.

Lors de cette crise, Bruno ne lança pas, comme il aurait dû le faire, une lutte politique contre les liquidateurs, afin de défendre la théorie, les positions politiques et programmatiques générales du parti et de convaincre le maximum de militants en Italie et ailleurs. Il s’auto-isola en attendant en quelque sorte que la crise passe d’elle-même comme une mauvaise fièvre. Blessé par les attaques des liquidateurs contre le parti, Bruno ne supporta pas que le glorieux journal «Il programma comunista», qui avait pendant trente ans représenté l’oeuvre de restauration de la doctrine marxiste, tombe entre les mains d’éléments qui prétendaient que la gauche italienne souffrait d’un «vice d’origine», celui de ne pas savoir «faire de la politique» - ce qui signifiait pour eux utiliser manœuvres et expédients divers en vue de succès immédiats.

Désorienté par l’avalanche de positions et d’accusations contre le parti, il n’arriva pas à comprendre qu’il n’y avait pas d’autre solution que de mener un lutte politique pour défendre les positions correctes. Au contraire, il succomba à l’aspect moraliste et personnel des oppositions; dès lors il ne pouvait que retomber dans les mêmes pratiques que les partisans de Damen en 1952: se tourner vers les tribunaux bourgeois pour se faire reconnaître sa propriété commerciale et l’arracher aux mains de ceux qui, par leurs positions mouvementistes et liquidationnistes, le déshonoraient. Mais le résultat était que l’«honneur» du journal, et à travers lui celui du parti, était tout bonnement remis entre les mains de la bourgeoisie!

En 1952 une lutte politique interne réelle s’était déroulée dans l’organisation; c’est elle qui permit à l’issue de la scission et du recours aux tribunaux bourgeois par la fraction opposée et la création d’«Il Programma Comunista», la naissance du parti de classe, de notre parti d’hier. Trente ans après Bruno et les camarades qui le suivirent désertèrent la lutte politique interne au profit de l’action judiciaire; s’ils réussirent sur ce plan, il n’y a aucun doute que la nouvelle organisation politique qui résulta de cette action ne peut représenter en rien une continuité «politique et organisative» avec le parti d’hier (19).

Ce changement complet de position est la démonstration du degré de dégénérescence politique dans lequel était tombée la direction. Le développement des activités du parti dans les différentes aires géographiques, donna naissance chez presque tous les responsables centraux à l’illusion de pouvoir rapidement augmenter l’influence du parti sur les masses prolétariennes en lutte, d’accroître le nombre des adhérents grâce à des tactiques plus souples ou de pouvoir toucher les masses plus rapidement par l’intermédiaire de groupes et de comités «de base» politisés, etc. Le localisme, joint à l’illusion de l’action dans les luttes sociales déliée du lien avec le programme et de la théorie est un cocktail mortel qui conduit même les meilleurs camarades dans le marais du tacticisme, puis dans l’abandon de toute activité politique et la chute dans la vie privée.

Nous sommes des matérialistes; nous savons que les difficultés rencontrées lors du difficile développement international du parti ont servi de base matérielle aux déviations politiques et théoriques qui secouèrent le parti au cours des années soixante-dix. Mais en dernière analyse la cause principale de la profonde crise interne du début des années 80 doit être cherchée dans ce contre quoi Amadeo mettait en garde: la coupure entre la théorie et la pratique. En dépit de la revendication des principes, de l’orientation générale, programmatique du marxisme, de la tradition de la gauche communiste et de son bilan historique, des tendances opportunistes, déviationnistes, anti-parti peuvent apparaître et même prévaloir dans le parti. Si la cohérence dialectique entre le programme général et l’action tend à se distendre et à se rompre, la dégénérescence du parti est tôt ou tard inévitable. Il n’y a pas de règles, d’articles statutaires, de débats de congrès ou d’autres expédients organisatifs qui puissent empêcher les erreurs et les déviations. Si les «garanties» que nous avons rappelées plus haut ne sont pas respectées, la crise est certaine, et personne, ni à la base ni au sommet ne pourra l’éviter. La seule solution pour la résoudre de la meilleure ou de la moins mauvaise façon, est la lutte politique interne pour redresser ou reconstituer l’organisation, quel que soit le nombre de militants qui s’y retrouveront. Seul le développement de la lutte des classes pourra démontrer si la lutte politique interne s’est déroulée en harmonie avec la dialectique historique et si donc elle été victorieuse.

Un autre point doit être relevé. Tout en revendiquant la rigueur organisative dont la Gauche communiste a donné un puissant exemple historique, Bruno, en tant que responsable de l’organisation, s’est parfois montré trop coulant, acceptant des adhésions insuffisamment claires du point de vue politique ou pratique (comme l’augmentation numérique subite de certaines sections ou la naissance trop rapide de nouvelles sections); et il est lui arrivé de prendre des positions fausses que le travail du parti n’a pas su corriger à temps et qui à la fin l’emportèrent lui aussi. Après la crise, la nouvelle organisation qu’il constitua autour d’«Il Programma Comunista», établit en effet ces faiblesses en règle organisative.

Il ne pouvait sortir de cette position, totalement opposée à l’internationalisme et aux positions traditionnelles de la gauche, qu’une série d’expédients organisatifs dans le but de grossir numériquement, et en envoyant au diable toute cohérence politique et programmatique.

La fusion avec la «section de Schio» (au mépris du principe l’adhésion individuelle au parti) obtenue sur la base de compromis politiques avec les positions de ce groupe; la fusion avec le groupe de Madrid qui édite le périodique (reprenant l’ancien titre du journal du parti en espagnol) «El comunista», et qui avait scissionné en 1981 sur des positions à fond syndicaliste-révolutionnaire. Ces unifications sans principe furent bientôt suivies de scissions tout aussi confuses et sans principes. C’est là la démonstration pratique que le laxisme tactique et organisationnel s’accompagne du personnalisme politique où chaque «tête pensante» peut juger avoir raison et estimer être libre de défendre ses «propres» idées, ses propres orientations. Il est clair que la cohérence et l’organicité de ce parti – en admettant qu’elles aient existé au moment de sa constitution en 1984 – n’existent plus et n’existeront jamais.

 

La Sélection naturelle des dirigeants

 

Une leçon doit aussi être tirée sur la question des dirigeants.

«Les chefs – dit Amadeo Bordiga dans “Lénine sur le chemin de la révolution” (21) – sont ceux qui savent le mieux et le plus efficacement penser de la pensée de la classe, vouloir de sa volonté, cette pensée et cette volonté étant le produit nécessaire des facteurs historiques sur la base desquelles elles édifient activement leur oeuvre. Lénine illustre de façon extraordinaire cette fonction du chef prolétarien par l’intensité et l’ampleur avec lesquelles il l’exerça. Si nous avons retracé son oeuvre, c’est qu’elle fait merveilleusement comprendre la dynamique collective qui pour nous, marxistes, anime l’histoire; mais nous ne sommes pas de ceux qui admettent que sa présence conditionnait le processus révolutionnaire à la tête duquel nous l’avons vu et moins encore que sa disparition arrêtera la marche en avant des classes travailleuses.

 L’organisation en parti, qui permet à la classe d’être classe et de vivre comme telle, se présente comme un mécanisme unitaire dans lequel les différents “cerveaux” (et pas seulement les cerveaux, mais sans aucun doute les autres organes individuels aussi) remplissent les différentes tâches correspondant à leurs aptitudes et à leurs potentialités, toutes au service d’un but et d’un intérêt qui s’unifie toujours plus intimement“ dans le temps et l’espace” (expression commode à comprendre dans sa signification empirique, et non pas transcendante)». Le parti, compris comme un tout organique et mû par une volonté unique dans le but d’émanciper le prolétariat et la société tout entière, de l’esclavage salarial et mercantile.

Nous nous sommes rappelé ces paroles lors de la disparition d’Amadeo dont nous avons suivi avec passion et dévouement le travail. Nous comprenons, comme lui, que sa disparition n’arrêtait pas la classe ouvrière sur son chemin, classe qui a besoin de son organisation en parti (comme l’établit le Manifeste de Marx et Engels), organisation qui ne dépend pas de la présence d’un grand homme, de grands «cerveaux». Le travail continu, systématique, anonyme du parti de classe impersonnel s’est poursuivi, et se poursuit, malgré sa mort, malgré la mort de Lénine, malgré celle de Marx et d’Engels ainsi que celle de centaines de «cerveaux», d’«estomacs» et de muscles que la force historique elle aussi impersonnelle du mouvement prolétarien et révolutionnaire ont produit et continueront à produire. Morts qui n’ont pas arrêté les efforts que des éléments de la classe prolétarienne, et des transfuges de la bourgeoisie, ont continué et continuent à produire pour la formation de ce rassemblement physique que nous appelons parti, parti formel, le parti avec sa hiérarchie, son centre, ses organes de direction et ses sections territoriales.

Il serait facile de nous objecter que depuis la glorieuse époque de la révolution d’Octobre la classe travailleuse a connu un très fort recul. Mais le parcours historique de la classe ouvrière, n’a rien de linéaire, de régulier, de graduel, de progressif. C’est au contraire un parcours semé d’obstacles qui peut connaître de forts reculs et de gigantesques avancées selon les aléas de la guerre entre les classes. Et de la même façon le développement du parti de classe n’est pas un processus linéaire, progressif ou graduel. Ce ne peut être qu’un développement par bonds, fait d’avancées et de reculs, d’extension ou de réduction à un minimum. Les militants, qu’ils soient à la base ou au sommet, ne peuvent pas ne pas se ressentir de cette évolution heurtée en conséquence des aléas de la lutte des classes. La différence entre les militants du parti et les simples membres de la classe prolétarienne réside dans le fait que les premiers participent à l’activité théorique, politique et pratique de la collectivité-parti, de l’organe qui exprime et diffuse la conscience de classe (les objectifs historiques, le programme, la théorie) et la volonté d’action «dans le temps et dans l’espace».

Continuons le discours de Bordiga de 1924 cité plus haut :

« Tous les individus n’ont donc pas la même place ni le même poids dans l’organisation, mais à mesure que la division des tâches se rationalise, il devient de plus en plus impossible que celui qui se trouve à la tête se transforme en privilégié aux dépens des autres (et ce qui vaut aujourd’hui pour le parti-classe, vaudra demain pour la société). Notre évolution révolutionnaire ne va pas vers la désintégration, mais vers la liaison toujours plus scientifique des individus entre eux.

Elle est anti-individualiste parce que matérialiste. Ne croyant ni à l’âme, ni à un contenu métaphysique transcendant de l’individu, elle insère les fonctions de celui-ci dans un cadre collectif et constitue une qui substituera peu à peu la rationalité technique à la coercition. Le parti est déjà l’exemple d’une telle collectivité sans coercition.

Ces éléments généraux montrent que personne n’a mieux dépassé que nous les banalités de “l’égalitarisme” et de la démocratie “numérique”. Si nous considérons que la base de l’activité est la collectivité, et non pas l’individu, quelle importance le nombre brut des individus peut-il avoir pour nous? Quel sens pouvons nous donner aux mots de démocratie et d’autocratie? Hier nous disposions en Lénine d’un “champion” de “classe” exceptionnelle comme diraient les sportifs, et nous pouvions le placer tout au sommet de la pyramide hiérarchique. Mais Aujourd’hui que cette machine humaine s’est arrêtée, le mécanisme peut continuer à fonctionner; la hiérarchie sera seulement quelque peu modifiée, le sommet en étant occupé par un organe collectif composé bien sûr d’éléments choisis. La question se pose pas à nous non pas en termes juridiques, mais techniques, et on ne la résoudra pas avec les sophismes du droit constitutionnel ou, pire, du droit naturel» (22).

Bordiga revendiquait donc déjà, en l’absence de la formidable machine que constituait Lénine, la constitution d’un organe collectif pour composer le centre. Cet organe collectif était d’autant plus nécessaire à un parti reconstitué après la terrible défaite du mouvement communiste international, pour lequel il était vital de tirer l’ensemble des leçons, y compris au niveau organisatif, de la défaite. La collectivité dont nous parlons n’est pas celle, démocratique et bourgeoise, dans laquelle chaque individu est le représentant de «ses» opinions qu’il confronte ou impose aux autres. C’est une collectivité organique qui représente au mieux la pensée et la volonté classiste du mouvement révolutionnaire, dans laquelle l’intégration des capacités individuelles est tout à la fois un objectif et une fonction pratique, et en l’absence de laquelle l’organe collectif de direction est bloqué et laisse prise aux pratiques de l’individualisme bourgeois. A la mort d’Amadeo, lui aussi formidable sonde historique et machine militante, le parti d’hier avait d’autant plus besoin d’un organe collectif formé d’éléments bien choisis, et la sélection naturelle effectuée sur le matériel humain existant produisit un groupe de camarades, pour la plupart italiens, parmi lesquels se distinguait particulièrement Bruno.

Le dirigeant, les dirigeants, le centre du parti ont des responsabilités politiques, non dans le sens où ils auraient le droit de changer l’orientation politique du parti ou d’inventer des formules tactiques ou organisatives différentes de celles définies pour les différentes aires géohistoriques, mais dans la responsabilité technique de diriger les activités complexes du parti sans dévier de l’orientation définie. S’ils dévient, ils ne remplissent plus une fonction technique mais deviennent les artisans d’une révision politique: la lutte politique interne est alors inévitable. Tant qu’elle reste dans les limites tracées par l’orientation générale et la discipline organisative, cette lutte peut arriver à redresser l’activité du parti (voir par exemple l’épisode des Thèses d’avril de Lénine); mais si ces limites sont franchies, la lutte politique débouche alors inévitablement sur la séparation ou la scission.

Dans une organisation centralisée, les contradictions et les difficultés de la vie et de l’activité du parti se concentrent sur sa direction, sur les camarades qui en font partie. Des raisons matérielles, objectives, expliquent comment un camarade, même le plus capable, peut, à un certain moment de la lutte, faiblir politiquement en commençant à transiger, tout d’abord sur des questions d’organisation, puis sur certains problèmes tactiques, et enfin, si une correction n’a pas été faite à temps, sur les principes. Usure physique due à une longue période de lutte contre le courant, démoralisation face à l’attente non réalisée de la reprise de la lutte de classe (dans les prévisions d’Amadeo, 1975 était non seulement l’année de la crise capitaliste mondiale – qui a bien eu lieu – mais également celle de l’ouverture de la crise révolutionnaire – qui n’a pas eu lieu), difficultés internes du parti qui voyaient nombre de camarades bien réagir sur le plan politique général mais qui épuisaient les faibles forces constituant le centre de l’organisation.

Une des leçons tirées par la gauche communiste a été rappelée par Bruno: le parti se dirige d’en haut, il s’organise d’en haut car théorie, programme et principes, c’est-à-dire les objectifs historiques finaux de la lutte de classe et de la révolution, en constituent le sommet, mais il commence à se détruire par le bas, à travers la vie quotidienne, sur le terrain de l’organisation et de la tactique, terrains sur lequel la force de l’idéologie et de la pratique bourgeoise et démocratique est la plus enracinée. Et lorsque c’est le centre du parti qui commence à glisser sur le terrain de l’impatience, de l’usage d’expédients pour faire grossir les rangs de l’organisation ou pour maintenir assemblées des forces centrifuges, de la transaction sur le plan tactique et organisatif, les effets de la dégénérescence sont inévitablement plus ravageurs. C’est arrivé au parti bolchevique de Lénine, à l’Internationale communiste elle-même, et également au Parti communiste international-programme communiste.

C’est une défaite pour le parti et le prolétariat, mais c’est un prix à payer dans la guerre sociale entre les forces du communisme révolutionnaire et les forces de la conservation bourgeoise. Nous sommes cependant persuadés de la victoire finale du communisme révolutionnaire grâce à la dynamique historique du mouvement des grandes masses prolétariennes et à l’intransigeance théorique et pratique (qui ne veut pas dire sectarisme) du parti de classe se reliant non seulement à la (vitale) théorie marxiste, mais aussi à la tradition du mouvement international de la gauche communiste. Travailler pour cet objectif, pour la formation de ce parti, a été et est le but des militants révolutionnaires même dans les pires conditions historiques, comme c’est le cas depuis plus de quatre-vingts ans.

La «sélection naturelle» grâce à laquelle certains camarades deviennent des dirigeants est le résultat de la vie organique interne du parti lors du développement de ses activités, et elle se révèle bien plus fiable que le banal mécanisme électoral. Celui qui a le mieux appris le maniement du marxisme, qui représente le mieux et de manière cohérente la totalité de la politique du parti de classe et de son activité, qui possède le mieux les éléments théoriques d’analyse pour évaluer les situations et pour formuler les prévisions politiques de telle manière que les forces du parti se préparent en temps utile aux lendemains, qui possède le plus la vigueur, la combativité et la nécessaire fermeté dans l’application des lignes politiques et tactiques du parti, et en assure la continuité d’action dans le temps, condense ces capacités qui font d’un camarade militant un dirigeant. Il ne peut exister ni carrière, ni privilège ni prébende dans le parti de classe. Il y a un travail difficile à faire avec continuité sur le terrain de la théorie comme sur celui de la tactique, sur le terrain politique et organisatif, un travail à contre-courant qui se réalise par une lutte constante contre l’idéologie bourgeoise et les habitudes de la vie quotidienne produites continuellement par la société bourgeoise. Et enfin la lutte, qui n’est pas la moindre, y compris à l’échelle individuelle, pour armer tous les militants à résister aux déviations individualistes et autres.

Il faut reconnaître à Bruno le mérite des efforts réalisés, surtout après la mort d’Amadeo Bordiga, pour assumer la tâche de responsable central du parti, sans ambition ni attitude intellectualiste ou personnaliste, même si, au cours du processus de crise qui secoua le parti entre 1979 et 1982, sa résistance aux assauts des tendances révisionnistes et liquidatrices, chez lui comme chez nombre d’autres camarades, finit par céder jusqu’à lui faire perdre l’orientation marxiste correcte.

Les dirigeants ont une responsabilité plus importante que les autres camarades dans le processus de développement du parti. Mais, selon les thèses de la gauche, ils n’ont pas le droit d’«inventer de nouvelles tactiques et manœuvres sous le prétexte de faits nouveaux » (23), et ils sont appelés à argumenter, défendre et utiliser la doctrine marxiste sans «possibilité de changer celle établie depuis ses origines dans les textes classiques du mouvement» et à diriger l’organisation qui est «internationalement unique et ne se développe pas par agrégations ou fusions mais uniquement par adhésions individuelles» (et qui interdit à ses militants toute activité dans d’autres mouvements») selon un plan tactique prédéfini et établi internationalement en «système clos». Amadeo rappelait que ce n’est pas le «bon parti» qui fait la «bonne tactique» mais la bonne tactique qui fait le bon parti.

En d’autres termes, si le parti, ferme du point de vue théorique et politique, adopte un plan tactique cohérent et bien défini, grâce à une activité conforme à ce plan – en tenant toujours compte de la situation du rapport de force entre les classes – il pourra se renforcer et renforcer son influence dans les rangs du prolétariat. A l’inverse une mauvaise tactique, une tactique fausse, influe sur le parti, le fait dévier et ouvre la voie à sa dégénérescence, même s’il conserve une théorie et un programme politique marxistes irréprochables. Nous entendons par mauvaise tactique celle qui se base sur l’adoption d’expédients, sur des formulations vagues ou ambiguës, sur des décisions prises en fonction de situations contingentes et donc inévitablement fluctuantes. En somme, une tactique a priori sans entraves, donc non définie de manière claire et nette, non liée au respect scrupuleux des orientations politiques et programmatiques du parti.

Ce fut précisément la Gauche qui, lors du congrès de 1921 de l’Internationale Communiste, insista pour que les conditions d’adhésion à l’Internationale (les fameux 21 points) prévoient le respect de normes tactiques définies à l’avance. Certes, la tactique correcte du parti de classe dépend d’une évaluation exacte de la situation et donc d’une évaluation correcte des rapports de force entre les principales classes sociales, prolétariat et bourgeoisie, et de l’évaluation correcte de l’influence des moyens et des méthodes de la lutte prolétarienne sur le mouvement du prolétariat, sur son développement et sur l’action du parti. La tactique du parlementarisme révolutionnaire, soutenue et défendue par Boukharine et Lénine lui-même en 1921, y compris pour l’Occident européen, bien qu’elle avait comme objectif la destruction des parlements bourgeois, s’est révélée être incorrecte. Justifiée à leurs yeux par le fait qu’en ces années où la révolution bolchevique victorieuse ne pouvait résister longtemps sans la victoire révolutionnaire dans au moins un des grands pays européens, les partis de l’Internationale communiste devaient utiliser tous les moyens pour arracher les masses prolétariennes à l’influence paralysante du réformisme, y compris, donc, les élections parlementaires, cette tactique se retourna finalement contre les forces révolutionnaires.

Peut-on pour autant soutenir que le parti bolchevique était déjà en train de dégénérer en 1921? Certainement pas, mais quand à cette tactique s’en ajoutent d’autres telles que le «front unique politique» entre parti communiste révolutionnaire et partis réformistes, ou celle du «gouvernement ouvrier» ( à la place de la dictature du prolétariat exercée par le seul parti communiste), ainsi que des oscillations sur le terrain organisatif (comme par exemple l’admission de «partis sympathisants» dans l’Internationale), des brèches s’ouvrent alors dans le bastion intransigeant fondé en 1919 et renforcé par les 21 points de Moscou en 1921, brèche à travers lesquelles l’opportunisme s’insinue, comme l’eau au travers de la brèche d’une digue, jusqu’à le noyer.

Il est possible d’étendre dans une certaine mesure cette conception aux questions d’organisation du parti: la bonne organisation, cohérente avec les principes programmatiques et politiques du communisme révolutionnaire, non infectée par des mélanges de doctrines, politiques ou tactiques entre thèses et programmes différents entre eux, et non contaminée par de pratiques en contradiction, fait le bon parti. L’organisation pratique du parti doit être liée de façon stricte et cohérente à son programme et à ses principes. Si ce lien se relâche, si les pratiques organisationnelles sont de moins en moins cohérentes avec les principes, le parti se désorganise, et les organisations neutres n’existant pas, il cède alors à des critères, des formes et des principes organisatifs opposés, appartenant à l’ennemi de classe, que ce soient ceux de la «démocratie» ou de la «dictature» personnelle.

 

Centralistes,  jamais démocrates

 

Nous sommes centralistes et non démocrates, c’est pourquoi les dirigeants ne sont pas élus à la majorité lors de congrès ou d’assemblées générales, et n’assument pas de manière bureaucratique des fonctions ou des mandats, ni «à vie», ni pour des périodes définies à l’avance. Si les dirigeants ne remplissent pas leurs tâches en cohérence avec l’orientation générale définie du parti, ce sont de mauvais dirigeants. Cela signifie alors que le parti n’a pas été capable de sélectionner les forces à même de remplir ces tâches. Cela signifie ou une insuffisante maturité théorique politique et pratique du parti; ou que la sélection des dirigeants a été mauvaise, fondée sur de faux critères qui doivent être impérativement corrigés sous peine de dégénérescence du parti. S’il doit y avoir un changement de dirigeants, il ne doit se faire qu’exceptionnellement de manière administrative. Le parti doit assurer en permanence la formation politique et théorique des militants, et établir un climat de vie interne capable de résoudre le problème de manière organique par «sélection naturelle». Il est certain que, face à l’éventualité du recours à la méthode démocratique pour choisir un nouveau dirigeant ou confirmer un ancien, nous préférions – et avons toujours préféré – la voie chirurgicale. Car si le ou les dirigeant dévient, c’est en un certain sens le parti tout entier qui est en crise. La lutte politique interne est alors inévitable et à un certain degré, cette lutte politique aboutit à la séparation, à la scission de l’organisation.

De même que nous ne votons pas pour des dirigeants, nous ne soumettons pas au vote majoritaire ni les thèses, ni la plate-forme de lutte ou le programme que le parti serait ensuite appelé à appliquer. Ce sont les résultats historiques des luttes sociales, politiques et révolutionnaires du prolétariat qui sont condensés dans le programme du parti politique et les grandes orientations politiques et tactiques fondamentales valables pour tout la période historique qui va de la préhistoire capitaliste (avec la loi de la valeur, l’argent, le marché) à l’histoire de l’humanité vivant harmonieusement sous le communisme. Le parti n’a pas besoin de travailler en permanence à adapter ou à définir son programme. Ce programme existe déjà dans sa pleine validité, c’est le programme révolutionnaire sur lequel ont été fondés l’Internationale communiste et le parti communiste d’Italie. Si des rénovations sont nécessaires, ce n’est que devant des évènements historiques déterminants (par exemple, la seconde guerre mondiale, lorsque notre parti d’hier reprit le texte du programme du Parti communiste d’Italie de 1921 et y intégra quatre autres points) pour préciser et accroître l’efficacité du programme révolutionnaire déjà tracé dans ses grandes lignes dès le Manifeste de Marx et Engels.

Mais le parti, comme la révolution et la dictature prolétarienne, ne «se dirigent» pas d’eux-mêmes, ils doivent être dirigés centralement. Le centre du parti a la tâche de diriger pratiquement l’activité de l’ensemble de l’organisation, d’émettre des directives, de diriger les organes de presse et de communication du parti, de prendre des décisions pratiques obligatoires pour toute l’organisation, et d’intervenir, y compris par des méthodes de caractère administratif – mais uniquement dans des cas exceptionnels – pour assainir des situations où le travail collectif et univoque du parti est compromis par des divergences ou des pratiques opposées.

Il ne revient pas aux dirigeants d’inventer des programmes, des tactiques ou des formes d’organisation géniales capables par eux-mêmes d’accélérer le mouvement révolutionnaire (cela n’existe pas) mais de faire en sorte que les lignes politiques déjà tracées soient appliquées de la façon la plus correcte possible en tenant compte de la situation et de ses évolutions. Il ne s’agit pas non plus, à l’inverse, de soumettre au vote la plate-forme, les thèses, les résolutions ou les programmes en croyant que s’en remettre à la majorité du parti, qui serait consultée régulièrement sur les questions les plus diverses, serait la meilleure méthode pour trouver la voie correcte. La route d’un bateau est-elle décidée par un vote démocratique de son équipage? Evidemment non. Il est arrivé très souvent que Marx, Engels, Lénine ou Bordiga aient eu à défendre la position correcte contre des majorités parfois écrasantes. C’est le fait de se trouver en phase avec la direction prise par les forces sociales qui compte, et non l’opinion individuelle d’un dirigeant, aussi grand soit-il, ni le vote d’une majorité, aussi forte soit-elle. C’est là une conception difficile à comprendre alors que le principe et la pratique de la démocratie sont présentées depuis plus de deux siècles comme étant la forme idéale des rapports entre les hommes. Mais c’est la conception que tous les militants marxistes doivent défendre.

L’expérience de nombreuses batailles de classe, y compris sur le terrain de l’organisation interne du parti, a amené la gauche communiste à combattre la démocratie bourgeoise non seulement du point de vue des principes et du programme, mais aussi dans la pratique et donc dans les critères organisatifs du parti. Le centralisme «démocratique» - si cher à tant de soi-disant marxistes qui se sont révélés être plus attachés à l’adjectif démocratique qu’au terme centralisme – comportait une concession aux formes bourgeoises dont l’histoire de la lutte prolétarienne mondiale ont démontré non seulement l’inutilité, mais aussi les effets négatifs pour la victoire de la révolution communiste; l’utilisation des mécanismes démocratiques débouchait sur des déviations au niveau des principes et de la théorie dans la mesure où elle intoxiquait l’activité du parti, faisant renaître parmi les militants, au lieu de les faire disparaître les illusions sciemment crées et entretenues par la bourgeoisie dans la démocratie.

La formation et le développement du parti de classe ne dépend pas des «dirigeants» qu’il a ou qu’il se donne. A l’inverse, c’est s’il a de solides bases théoriques et programmatiques enracinées dans le marxisme, s’il suit une bonne tactique correcte liée à ces bases et parfaitement cohérentes avec les objectifs historiques de la révolution prolétarienne, si ses méthodes organisationnelles sont elles aussi parfaitement cohérentes avec ses bases et son activité, que le parti est capable de sélectionner et de former les dirigeants dont il a besoin. Ce qui produit les bons dirigeants, c’est le travail du parti, son activité sur les différents terrains conjuguée au développement de la lutte de classe révolutionnaire.

 

Travailler pour le parti de classe en dépit des risques de dégénérescence

 

Il ne fait aucun doute qu’étant donné l’influence matérielle que la situation contre-révolutionnaire, particulièrement longue, a sur le prolétariat et sur sa lutte pour s’émanciper de la société bourgeoise, les conditions de formation et d’activité du parti sont particulièrement difficiles dans la période actuelle.

Le cadre historique et social détermine la qualité des membres du parti révolutionnaire, leur forces et leurs faiblesses, leur solidité ou leur fragilité; instruments de la lutte révolutionnaire de demain mais produits de la lutte révolutionnaire d’hier, les membres du parti de classe, y compris les dirigeants, peuvent céder sous le poids des difficultés et tomber dans l’opportunisme, trahissant la cause à laquelle ils consacraient le meilleur de leur énergie. Il n’y a pas de «garanties» particulières, il n’y a pas d’articles de statuts permettant d’empêcher a priori ces trahisons; Amadeo rappelait toujours, le livre d’histoire à la main, que ceux qui trahissaient le plus facilement étaient les dirigeants et non les simples militants. Les causes des reniements des dirigeants (de Bernstein à Kautsky, de Plekhanov à Staline, sans parler des Togliatti, des Gramsci, des Thorez, etc.) peuvent être diverses mais elle se ramènent toutes en définitive à l’essence de l’opportunisme.

Agissant à contre-courant dans la société bourgeoise, le parti de classe subit évidemment la réaction à ses actions et la pression idéologique et matérielle de la bourgeoisie; il défend son intégrité programmatique, politique et organisationnelle, par les seules armes de la critique théorique et politique et en entraînant ses militants dans les luttes des classes à tous les niveaux d’intervention. Il doit se refuser à improviser sous la pression des circonstances, de nouvelles tactiques, de nouvelles méthodes d’interprétation de la réalité et des situations, ou de nouveaux critères organisatifs de type démocratique; ces derniers en particulier facilitent l’émergence dans le parti du localisme, de l’individualisme, du carriérisme, travers qui sont l’expression de l’influence de la bourgeoise et de sa conception mercantile de la vie sociale. Le parti qui se laisse aller aux expédients tactiques, dans l’illusion de faciliter ainsi son influence sur les masses prolétariennes et de faire grossir ses propres rangs, ouvre la voie à sa dégénérescence qui si, elle va jusqu’à son terme, le fait passer de l’autre côté de la barricade, du côté de la défense du capitalisme. Cela est arrivé à l’Internationale communiste, minée et finalement détruite par son manoeuvrisme et ses compromis devant les illusions réformistes, comme à des organisations bien plus fragiles du point de vue théorique et pratique; et notre parti d’hier a été victime de telles illusions.

Dans les processus de dégénérescence du parti prolétarien de classe, les dirigeants jouent un rôle qui peut se révéler décisif. C’est ce qui arriva lorsque furent votés en 1914 les crédits de guerre par presque toutes les directions des partis socialistes, contre qui s’élevèrent les forces de la gauche marxiste; et lorsque fut théorisée la ligne du socialisme dans un seul pays en 1926, contre laquelle s’éleva à nouveau la gauche marxiste. Dans les deux cas la gauche marxiste a vaincu sur les plans théoriques et politiques; dans le premier cas elle a vaincu également sur le plan de la lutte révolutionnaire concrète pour le pouvoir avec la victoire de la révolution d’Octobre 1917, l’instauration de la première véritable dictature prolétarienne dans l’histoire et la fondation de l’Internationale communiste; dans le second cas, au contraire, elle fut battue dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir contre le capitalisme européen avancé. Les dirigeants et les militants de la gauche communiste internationale furent dispersés, persécutés, massacrés, réduits à l’inaction par les forces ouvertement bourgeoises et par celles de la contre-révolution stalinienne. Les dirigeants et les militants des courants opportunistes et staliniens virent au contraire leur poids politique augmenter – renonçant aux buts internationaux du communisme y compris face au fascisme faussement considéré comme «un pas en arrière dans l’histoire» au lieu d’y voir un pas en avant obligatoire du développement impérialiste du capitalisme – et réussirent à entraîner les grandes masses prolétariennes, désorientées et ayant subis nombre de massacres, vers le réformisme pour se dédier exclusivement à la défense de l’ordre démocratique faussement présentée comme une «étape obligatoire» sur le long chemin de la révolution prolétarienne. Mais à la longue, commme c’était inévitable, les références à la révolution prolétarienne, à la conquête violente du pouvoir politique, à l’écrasement de l’Etat bourgeois et à la constitution de l’Etat prolétarien, bref, les références à la lutte de classe menée jusqu’à la dictature du prolétariat exercée par le parti communiste, laissèrent la place à la défense de la démocratie bourgeoise, du parlementarisme, de la «conquête électorale» des municipalités, des régions, du gouvernement, à la sanctification de la légalité bourgeoise.

Notre mouvement politique, bien modeste du point de vue numérique, mais grand par son travail de restauration de la doctrine marxiste et du bilan historique des contre-révolutions, a traversé différentes phases après sa réorganisation en Italie en 1943, sa systématisation organisative en 1952 jusqu’à son développement à l’échelle internationale au cours des années soixante et soixante-dix.

Un cordon ombilical relia pendant un temps les militants qui s’étaient organisés en 1943 en Parti communiste internationaliste avec la Fraction à l’étranger du Parti communiste d’Italie, constitué de militants antistaliniens réfugiés en France et en Belgique à cause des persécutions fascistes. Mais, comme le souligna à plusieurs reprises Amadeo Bordiga, notre parti ne se reconnaissait pas comme l’«héritier» de la Fraction qui avait eu le mérite de maintenir vivant un lien avec les positions et le programme de la Gauche communiste, du Parti communiste d’Italie de 1921. Le mouvement politique, pour pouvoir s’élever au niveau du parti, devait tirer toutes les leçons de la contre-révolution stalinienne et de la révolution victorieuse de Russie en 1917; il avait besoin de se fonder sur un travail de restauration du marxisme, travail absolument indispensable étant donné la destruction des principes théoriques du mouvement communiste international; il avait besoin de s’organiser de manière politiquement homogène, avec des orientations tactiques et une pratique interne de parti découlant directement du bilan historique de la contre-révolution. Ce travail de reprise des fondements du marxisme et d’un premier bilan de la contre-révolution stalinienne dura au moins 7 ans; avec la scission de 1952 les bases théoriques et programmatiques sûres et cohérentes permirent alors la naissance du parti sous une forme embryonnaire.

Phase embryonnaire, phase de cercles, phase de parti se structurant, phase de crise et de dégénérescence opportuniste. Toutes ces phases ont vu Bruno assumer des responsabilités dirigeantes. A la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, alors que l’activité du parti au sein du prolétariat se développait notablement par rapport à la période précédente, le parti se posa la question de l’évaluation de la période qu’il traversait ainsi que de son processus de développement et des nouvelles tâches à affronter.

Ces années furent cruciales pour le parti non tant à cause de 1968 (surestimé tant par ses protagonistes que par les cercles politiques bourgeois) qu’à cause de l’approche de la crise économique mondiale de 1975 et de l’attente de la crise révolutionnaire, toutes deux prévues par le parti vingt ans plus tôt. Si les données économiques, analysées avec grande attention dans le travail du parti sur le cours du capitalisme mondial, permettait d’apercevoir dès 1967-68 le début d’une crise économique dans les principaux pays capitalistes, ce qui tardait à se présenter sur la scène historique était la reprise d’une lutte de classe vaste et durable, et en conséquence la perte d’influence du réformisme syndical tricolore et des partis soi-disant «ouvriers» sur le prolétariat, ainsi que la capacité du prolétariat à se réorganiser de manière classiste sur le terrain de la défense immédiate; il n’était donc pas possible de parler de crise révolutionnaire, même lointaine. Le réformisme continuait à posséder de puissantes armes politiques et sociales en réserve: des armes de gauche, avec l’unification des centrales syndicales officielles, le Statut des travailleurs, la poussée électorale vers la venue au gouvernement des partis de gauche; de droite, à travers la bourgeoisie réactionnaire et conservatrice qui poussait à la stratégie de la tension, au le terrorisme noir avec les massacres et les tentatives de coup d’Etat, auxquels répondait le terrorisme rouge, surtout brigadiste – que nous avons appelé réformisme armé étant donné son objectif d’empêcher un accord entre le PCI et la Démocratie Chrétienne afin que le PCI reste fidèle à son orientation réformiste traditionnelle.

Le parti devait lutter d’un côté contre l’«impatience révolutionnaire» caractéristique des groupes partisans de la lutte armée qui revendiquaient et pratiquaient la lutte armée comme succédané de la lutte révolutionnaire dans l’illusion de susciter une poussée de classe pour renverser le pouvoir de la bourgeoisie; et de l’autre contre le «spontanéisme conservateur» et «corporatif» diffusé dans les rangs ouvriers par l’opportunisme, et qui revendiquait la défense des droits acquis par les luttes syndicales de la décennie précédente mais dans le cadre des «réformes de structure», de la «compatibilité», de la «politique des investissements», c’est-à-dire dans le cadre de la collaboration des classes.

Le centre du parti ne réussit pas à vraiment comprendre le poids et la force que les mouvements d’extrême-gauche tant staliniens qu’anarco-autonomistes auraient au cours des années soixante-dix; et nous ne parlons pas ici du mouvement étudiant de soixante-huit, mais des mouvements sociaux. Le réformisme traditionnel du stalinisme russophile, étatique, organisateur, tendant au compromis avec les forces politiques et sociales du catholicisme, laissait la place d’un côté à des réactions de type anarcoïde, de l’«Autonomia Operaia» à la «Lotta Continua», et de l’autre à des réactions de type partisans-résistance poussant des éléments de la petite-bourgeoisie en voie de prolétarisation et des prolétaires vers la riposte militaire, de lutte armée. La crise économique mondiale qui s’approchait mettait en mouvement toutes les couches sociales; la bourgeoisie craignait la réaction du mouvement ouvrier aux baisses de salaires, à l’augmentation des horaires de travail, à la flexibilité et aux licenciements, et redoutait que les syndicats tricolores, et en particulier la CGIL, ne soient pas capables de faire accepter la politique des sacrifices. Les tentatives de coup d’Etat, la stratégie de la tension, l’activité des services secrets, le renforcement des liens avec les grands médias comme le «Corriere della Sera» et les grands monopoles répondaient aux manoeuvres politiques en faveur d’une alliance gouvernementale entre la gauche et le centre.

Les tensions sociales, particulièrement en Italie, mais aussi en France, en Espagne, en Angleterre, les grèves parfois très dures, les manifestations contre lesquelles la police intervenait à coups de matraque, agitaient des couches ouvrières comme ce n’était pas arrivé depuis longtemps, et poussaient les prolétaires les plus combatifs à se heurter aux bureaucraties des syndicats et des grands partis de gauche. Des épisodes de ce type donnèrent aux «révolutionnaires en chambre» l’illusion d’un «changement d’époque» (comme si le prolétariat était objectivement prêt à la lutte révolutionnaire finale et qu’il ne manquait que «la direction politique»); le mécontentement envers les syndicalistes tricolores fut pris pour une rupture avec le réformisme, et le phénomène du brigadisme rouge comme la «fausse» réponse à une maturation réelle de la «conscience de classe» du prolétariat.

Même si le stalinisme traditionnel, celui des années trente, quarante et cinquante, perdait une partie de son contrôle sur le prolétariat, le travail du parti était plus difficile; les forces de l’opportunisme se modifiaient, les groupes politiques qui naissaient et se développaient à la gauche des grands partis réformistes faisaient assaut de concurrence politique envers le prolétariat, leur révolutionnarisme verbal et leur mouvementisme pratique et quotidien recevaient un écho dans certaines couches du prolétariat déçues par le syndicalisme traditionnel. Il fallait non seulement étudier ces nouveaux groupes politiques et ces nouveaux phénomènes sociaux (nouveaux dans leurs formes, non dans leur essence) et analyser avec soin l’évolution du réformisme, mais aussi préparer le parti à intervenir dans toutes les brèches qui, en dépit de l’influence prépondérante de l’opportunisme sur le prolétariat, s’ouvraient aux militants révolutionnaires.

C’est autour de ces questions que se développèrent au sein du parti les contradictions qui, jusqu’alors ne s’étaient manifestées qu’occasionnellement, et, en somme, de manière plutôt légère. S’il ne veut pas se limiter à une simple propagande des principes, et donc dépasser l’impuissance d’une propagande littéraire, le parti doit intervenir dans toutes les occasions qui s’offrent à lui, sur le terrain de la critique politique générale comme sur celui plus spécifique de l’action pratique pour la défense des conditions de vie et de travail immédiates. Les réticences à assumer les tâche d’orienter, d’encourager et de contribuer pratiquement à l’organisation de la lutte classiste et à sa défense, étaient dues à une situation objective où durant des décennies le travail du parti était par force limité à l’étude théorique et à l’analyse politique. Elles étaient provoquées aussi par la peur de commettre des erreurs et de dévier. Mais, comme cela a été rappelé de multiples fois dans des articles du journal et des circulaires, le parti ne pouvait pas ne pas assumer ces tâches et ne pas mettre enfin en pratique les directives de classe que, sur un plan général, il propageait depuis longtemps au sein du prolétariat.

Les heurts qui secouèrent le parti dans les années soixante-dix et qui amenèrent la crise explosive de 1982, entre ceux qui voulaient assumer la tâche d’intervenir dans les luttes immédiates avec l’objectif de les organiser et ceux qui s’y opposaient sous le prétexte du danger de tomber dans l’activisme, le syndicalisme, l’immédiatisme, démontraient une faiblesse théorique née lorsque, après la disparition de Bordiga, certains crurent que le travail de restauration théorique était désormais achevé et «assimilé» par les militants.

On a toujours pensé, au sein du parti d’hier, que les crises les plus graves et les plus dévastatrices sont celles qui sont provoquées par des déviations activistes, volontaristes. Mais il faut relever que dans une situation où l’activité du parti était fortement limitée et consacrée à 99 % à la restauration théorique et à l’analyse politique, la déviation indifférentiste, attentiste, n’a pas été moins dévastatrice. D’une part parce qu’elle a alimenté en réaction des positions de type activiste, et d’autre part parce qu’elle a dénaturé le sens profond de l’étude théorique et de l’analyse politique. Analyse concrète de la situation concrète, rappelait Lénine; il est nécessaire que le parti de classe sache analyser de manière précise et concrète la situation dans laquelle le prolétariat se trouve et agit, au sein de rapports de force entre les classes toujours mobiles. Mais si l’analyse de la situation ne sert pas à l’action du parti dans une situation donnée, à quoi sert-elle?

Malgré le risque de commettre des erreurs, ou même de dévier de la voie marxiste correcte, le parti révolutionnaire ne peut se dispenser de revendiquer dans des situations défavorables toutes les tâches qu’il doit assumer dans des situations favorables à la lutte révolutionnaire, et d’assumer ses tâches d’interventions pratiques dans toutes les situations où ne serait-ce que quelques couches du prolétariat se placent tendanciellement sur le terrain de la défense classiste de leurs intérêts immédiats.

C’est en outre la seule façon pour le prolétariat de connaître concrètement le parti révolutionnaire, ses positions, son programme, son orientation, sa capacité à diriger les luttes. Toute autre manière de chercher se faire connaître par le prolétariat revient à l’idée de pouvoir changer les rapports de force entre les classes en s’adressant à la «conscience individuelle» de chaque prolétaire, idée qui a déjà démontré son impuissance et sa faillite.

 

Le travail pour la formation du parti de classe, homogène, organique, impersonnel et mondial, continue

 

Nous sommes toujours dans une situation de pleine contre-révolution où la classe dominante bourgeoise a la possibilité d’influencer le prolétariat car celui-ci n’identifie pas la bourgeoisie comme son ennemi concret et visible. Cette influence n’est pas seulement l’oeuvre des grands moyens de la propagande bourgeoise: télévision, radio, presse, internet, école, sport, religion et passe-temps divers. Elle est aussi le résultat du travail des forces de l’opportunisme, ces forces qui ont comme objectif principal de servir d’intermédiaires entre les intérêts du prolétariat et ceux de la bourgeoise. Cette fonction d’intermédiaires reposant sur le mode de production capitaliste, et donc sur les intérêts profonds de la classe bourgeoise qui en est son représentant, est conditionnée par la force des intérêts d la bourgeoisie. Les opportunistes, proches du prolétariat, vivent la même vie quotidienne, proviennent souvent de leurs rangs, et peuvent apparaître comme les ennemis principaux. Ils ne sont cependant pas la véritable cause de l’exploitation capitaliste de la classe prolétarienne; ils ne sont que les agents, les gardes-chiourme, les mercenaires de la bourgeoisie, même s’ils s’habillent et vivent comme des prolétaires.

Lutter contre l’opportunisme, au sens de trahison des positions classistes sous l’influence de forces bourgeoises, est une tâche constante des révolutionnaires, quel que soient la forme de cet opportunisme. Mais la lutte contre l’opportunisme, que nous préférons depuis longtemps appeler collaborationnisme, - parce que la pratique opportuniste signifie la collaboration constante et systématique avec la bourgeoise pour défendre son système y compris en négociant, lorsque les ressources capitalistes le permettent, quelques miettes pour le prolétariat ne peut réussir si elle ne s’intègre pas dans la lutte plus générale contre la bourgeoisie, contre le capitalisme, contre la société capitaliste et ses piliers politiques, de l’Etat aux différents corps représentatifs de la bourgeoisie.

La contre-révolution peut durer pendant de très longues périodes comme c’est encore aujourd’hui le cas; alors non seulement la lutte prolétarienne révolutionnaire mais même la simple lutte classiste de défense des conditions de vie et de travail sont absentes ou très faibles et parallèlement le parti formel se trouve réduit à une poignée de militants. À la différence des révolutions sociales antérieures dans lesquelles les partis révolutionnaires n’avaient pas la claire conscience de leur action et de ses buts, «la révolution socialiste, qui abolira toutes les classes, possède à l’avance une notion bien définie et claire de ses objectifs». Cette connaissance préalable n’est pas le fait des masses ni d’une majorité des individus, mais «d’une minorité même petite, à un moment donné dans un groupe restreint et même – scandalisez vous donc, ô activistes! – dans un texte momentanément oublié» (24).

Cette minorité, ce parti n’est pas à son tour une simple addition d’individus ayant décidé de s’unir et d’agir de manière organisée et pouvant éclater si les «consciences individuelles» l’amènent à poursuivre d’autres objectifs. Il s’agirait dans ce cas d’un parti bourgeois, non pas prolétarien, guidé par des intérêts de conservation sociale et personnelle, intérêts qui à leur tour dépendent de manière matérialiste des intérêts généraux du capitalisme, du mode de production capitaliste. Le parti prolétarien ne singe pas les partis bourgeois; ce sont ses objectifs historiques et sa fonction dans la lutte des classes de cette société qui déterminent sa forme organisative et sa praxis; ou bien celles-ci sont cohérentes avec ses objectifs et sa fonction historique, ou bien la contradiction débouche sur des crises et des ruptures. Le parti prolétarien, du point de vue du programme (le «parti historique» dans les thèses de la Gauche communiste), est constitué par cette continuité dont nous venons de parler, au sein de laquelle les militants, dirigeants ou simples militants, ont des fonctions essentiellement techniques avec l’unique devoir d’agir à l’intérieur et à l’extérieur du «parti formel» de manière disciplinée et cohérente avec les directives du parti.

Du point de vue de l’action, dans les limites historiques objectives où il peut effectivement agir, le parti formel a besoin d’une unité de structure et de mouvement qui, dans la tradition marxiste, répond avant tout au principe du centralisme. Mais le parti ne peut pas obtenir la continuité dans le temps par le recours aux méthodes de la démocratie; il ne peut l’obtenir qu’au moyen d’une liaison organique entre ses buts et les moyens à prendre pour y aboutir. La formule de «centralisme organique» naît du besoin de distinguer toujours plus nettement, par rapport aux partis bourgeois ou pseudo-révolutionnaires, non seulement la théorie, le programme et les principes, mais également les méthodes et les moyens que le parti de classe adopte pour arriver aux buts découlant de ses principes et de son programme politique; elle concentre, de la manière la plus efficace qui soit, la lutte frontale du marxisme contre tous les principes de l’idéologie bourgeoise, démocratie incluse.

La forme démocratique du centralisme communiste ayant échouée, il ne restait plus qu’à adopter la forme organique qu’avait anticipé Amadeo Bordiga dès 1921 (25) et conduire le parti reconstitué à la fin de la seconde guerre mondiale à adopter ce principe organisatif interne afin de combattre jusque dans la vie interne les réflexes pratiques du principe démocratique.

On nous souvent demandé: comment faire pour vous organiser de façon disciplinée, et assurer aux actions du parti cette même discipline, s’il n’existe pas des un statut et des méthodes permettant à chacun d’exprimer son avis sur les orientations politiques et tactiques centrales? Comment faire pour garantir que le centre ne dévie pas de la voie correcte s’il n’est pas obligé de présenter régulièrement au vote des militants les résultats de son action? Comment faire pour garantir l’unité organisative et la continuité d’action sans chercher à obtenir la majorité pour toutes les décisions importantes du parti?

La vision démocratique, et la vision libertaire qui en est une variante, ne peuvent envisager de transformation sociale que comme l’oeuvre d’individus décidant «librement», selon leur «conscience», leurs «idées», leur capacité à «choisir» entre différentes possibilités. La société, donc l’organisation sociale de milliards d’hommes, entendue comme la somme d’individus «libres de choisir», dans laquelle les rapports s’établissent de deux manières, prétendument opposées: la voie de la force brutale, armée et violente (donc dans un contexte social de tensions et de heurts) par laquelle un petit nombre d’individus peut opprimer une majorité pacifique d’hommes (la voie de la «dictature»), ou la voie pacifique (dans un contexte social qui prévoie et permet l’expression et le choix des consciences individuelles) par laquelle la majorité des individus a la possibilité de changer les règles sociales en les imposant pacifiquement à la minorité (la voie «démocratique»).

La vision communiste, basée sur le matérialisme dialectique et historique, analyse l’histoire de la société humaine, comme le mouvement de forces sociales impersonnelles en lutte dans la mesure où le développement de la production, et donc la survie des hommes, dépend de la possession des moyens et de la technique de production. L’arc historique du développement de la société humaine comprend l’organisation primitive et organique des premiers groupes humains, le développement des forces productives et les organisations sociales qui se succèdent suivant le développement des techniques de production, jusqu’à la société capitaliste qui propose à nouveau, dans le cours de l’histoire, mais contradictoirement, une organisation sociale humaine dépassant les liens de propriété et d’appropriation individuelle, ouvrant à nouveau à la société humaine une organisation harmonieuse, sans contrastes entre classes, et capable d’unir l’espace et le temps de la société humaine par une vie organique avec la nature.

Le parti révolutionnaire représente dans l’actualité bourgeoise et capitaliste le futur communiste, celui de la société du genre humain; il revêt, de ce point de vue, les caractéristiques qui annoncent cette société future (au sens, par exemple, où il n’y a pas dans le parti de distinctions de richesse, de classe, de sexe, d’âge, de nationalité, et encore moins de division du travail en fonction selon les diplômes, les titres ou l’ancienneté) même si, ayant la tâche de diriger la révolution prolétarienne et la dictature après la conquête du pouvoir politique, il a les caractéristiques de l’organe principal de la guerre de classe du prolétariat contre toutes les classes possédantes. Au moment voulu, sa tâche révolutionnaire l’oblige à s’organiser en état-major de la guerre révolutionnaire demandant à ses membres une discipline de fer et un dévouement maximum. Un tel résultat ne peut être obtenu par la voie bourgeoise du fais ce que je dis, des récompenses individuelles ou du prestige personnel, mais par la voie communiste de la conviction politique, de l’adhésion sans réserve au programme révolutionnaire et à la praxis du parti et de la discipline consciente, voulue et acceptée non en mercenaire mais en militant de la future société communiste, organiquement lié à elle en tant que membre conscient des forces sociales qui imposeront le dépassement de la société divisée en classes et ouvriront aux générations futures le monde de la société communiste.

Le parti est aussi, dialectiquement, un facteur de l’histoire, en agissant, lorsque les conditions historiques sont favorables à la lutte de classe et à la lutte révolutionnaire, pour remplir les tâches qui sont propres à la période révolutionnaire (influence déterminante sur le prolétariat, direction du mouvement révolutionnaire et de la révolution jusqu’à la conquête du pouvoir politique, exercice de la dictature de classe et direction du mouvement prolétarien révolutionnaire international pour le développement de la révolution prolétarienne dans le monde entier), modifiant les rapports de force entre les classes en rapports de force favorables à la révolution prolétarienne. Le parti est, dans le temps et l’espace, programme révolutionnaire et volonté d’action, organisée de façon disciplinée sur la base d’un ligne politique et tactique établie en conformité stricte avec la doctrine marxiste invariante.

«Groupes, écoles, mouvements, textes, thèses forment, au cours d’un long processus, une continuité qui n’est rien d’autre que le parti, impersonnel, organique, unique à cause de sa connaissance préétablie du processus de développement révolutionnaire».

Sur le plan de l’activité quotidienne, le parti est une collectivité organique de travail où tous les militants le sont dans la mesure où ils intègrent leurs capacités individuelles dans cette collectivité organique. Les dirigeants du parti ne sont donc pas plus «le parti» de même qu’aucun camarade à titre individuel. Mais arriva un moment où Bruno est tombé dans le piège de l’idéologie dominante: il a cru, face aux liquidateurs de 1982-84, être «le parti», être le seul à le représenter, et pouvoir utiliser toutes les armes possibles pour défendre, comme nous l’avons vu plus haut, l’honneur du parti. Coupé de la collectivité de travail, éloigné de la lutte politique interne, déboussolé par les attaques, y compris personnelles, des liquidateurs, Bruno a pris la seule voie qui lui apparaissait possible pour ne pas laisser le journal du parti dans les mains des liquidateurs, la voie de l’action judiciaire. Une fois sa décision prise, il ne changea plus d’avis.

 Il se rangea ainsi parmi les liquidateurs au même titre que ceux qui attaquèrent le parti au début des années 80. De même qu’il n’a jamais suffit d’adhérer formellement au programme et au parti pour être un militant véritable, il ne peut jamais suffire de publier des articles sous le titre d’un journal qui a été pendant un certain temps l’organe du parti pour être effectivement les continuateurs authentiques de ce dernier. La continuité politique et organisationnelle du parti ne peut être représentée par qui ne l’a pas conquise par une lutte politique implacable contre toute forme de liquidationnisme, et encore moins par qui l’a en réalité empêchée en faisant appel à la justice bourgeoise.

Bruno Maffi nous a aidé à tirer de nombreuses leçons de l’histoire du mouvement de la gauche communiste internationale. On doit à sa contribution de premier plan, le fait par exemple que l’Histoire de la gauche communiste ait vu le jour: précieux travail qui permet de retracer le fil rouge qui nous lie aux positions communistes dans les années cruciales allant de 1912 à 1921.

Mais il ne suffit pas d’écrire des ouvrages sur la gauche communiste pour avoir une position politique correcte et une pratique cohérente avec celle-ci; la rupture de la praxis interne de parti qui s’est manifestée par la création de la Fondation Amadeo Bordiga dont Bruno Maffi était président, a été la consécration du culte de la personnalité de Bordiga, poussant inévitablement cette organisation sur la pente glissante d’un révolutionnarisme littéraire typique de cercles culturels du style «les amis du communisme».

C’est ainsi que Bruno et ses partisans, anciens militants de la gauche communiste devenus, au mieux, des «compagnons de route», peuvent à bon droit se définir – contre Bordiga et tout ce qu’il avait représenté pendant sa vie militante – comme des... bordiguistes!

 

 


 

 

(1) Nous avons déjà l’occasion critiqué la création de la «Fondation Amadeo Bordiga», fondée par un groupe d’intellectuels et auquel s’est joint Bruno Maffi alors à la tête du Partito Comunista Internazionale – il programma comunista, ainsi que d’autres militants de cette organisation (cf «Les constructeurs d’icônes inoffensives à l’oeuvre: création de la Fondation Amadeo Bordiga»). Jusqu’à aujourd’hui «Il P.C.» n’y a pas consacré une seule ligne de commentaire – ni de critique ni de soutien - sur cette fondation, comme si elle n’existait pas, bien que ses dirigeants en fassent partie. Et comme si la décision de ces dirigeants de participer et de contribuer à la naissance d’une organisation extérieure au parti (comme c’est le cas) consacrée au dirigeant historique de celui-ci (et avec financement de l’Etat bourgeois), était une question privée ne regardant ni le parti, ni les lecteurs de sa presse. Bel exemple de cohérence avec la discipline de parti pour laquelle la gauche s’est toujours battue!

(2) Le changement de nom n’est pas une simple formalité. Après les réunions générales du parti de juillet et novembre 1964 où furent approfondies les questions d’organisation qui servirent à leur tour de base, avec de nombreuses autres contributions du parti, aux thèses définitives sur l’organisation (Thèses de Naples de 1965 et Thèses supplémentaires de Milan de 1966) l’organe du parti expliquait ainsi ce changement: «Lors de notre reconstitution sur le seul territoire italien en 1943, le nom de “Parti Communiste Internationaliste” fut choisi pour nous distinguer de tant de hontes (du Parti Communiste Italien - NdlR). Aujourd’hui, grâce à notre développement dialectique réel, notre organisation est la même en Italie et hors de ses frontières, et il n’est pas nouveau de constater qu’elle agit, même si c’est de manière quantitativement limitée, comme une organisation internationale. Le nom de “Parti Communiste International” ne peut être une nouveauté pour personne si l’on songe qu’il a été énoncé à Moscou fin 1922, même s’il ne fut pas alors décidé de changer le nom des sections (de l’Internationale, NdlR)» cf «Il PC» n°1/1965.

C’est alors que fut définitivement clarifiée la question du centralisme organique avec une nouvelle réaffirmation de la lutte contre la démocratie non seulement sur le plan de l’idéologie et des principes mais également sur celui de son application pratique dans la vie interne du parti.

(3) Nous avons consacré à la crise de 1982-84 ainsi qu’aux crises précédentes un travail et un bilan dès le premier numéro d’ «Il Comunista» en 1985.

(4) cf la «Lettre ouverte à l’ex camarade Amadeo Bordiga» du 5/4/1952 de la Fédération de Turin, en annexe à la brochure de 1997 de «Battaglia Comunista», «Parmi les ombres du bordiguisme et de ses épigones». Les partisans de «Battaglia Comunista» revendiquent dans cette brochure avoir été à la base de la gauche italienne, et ils affirment: «elle a été souvent confuse, surtout envers les communistes des autres pays, à cause du bordighisme, ou plutôt du nom de Bordiga et des formulations théoriques qui ont caractérisé sa pensée». Nous serons pour une fois d’accord avec eux: nous leur laissons bien volontiers l’italianité qu’ils revendiquent. Nous avons toujours revendiqué, comme Amadeo, que notre origine était commune à celle de la gauche marxiste internationale dont ont fait partie Lénine et Liebknecht, Luxembourg et Trotsky, Kamenev et Zinoviev, Boukharine et Bordiga pour ne citer que quelques uns des noms les plus connus, même si pour certains l’appartenance à cette gauche a été imparfaite et incohérente. Quant à la méthode utilisée alors par la Fédération de Turin, celle de la «lettre ouverte», caractéristique de la pratique démocratique de confrontation des opinions et des positions, elle en dit long sur la conception du parti professée par «Battaglia Comunista».

(5) cf «Dialogue avec les morts», publié par épisodes dans le journal du parti d’alors, «Il Programma Comunista», du n° 5 au n° 10 de 1956. Il fut publié en brochure en français quelque temps plus tard. Une réédition avec une traduction entièrement revue est en préparation.

(6) Le «Fil du temps» cité a été publié dans le n° 21 du 25 mai - 1er juin 1949 de «Battaglia Comunista»; après avoir rappelé que le syndicat pré-fasciste était rouge, c’est-à-dire ouvrier et indépendant de l’Etat, il démontre que la nouvelle organisation construite après la victoire de la Démocratie sur le Fascisme, la CGIL, bien que séparée des démocrates-chrétiens, des républicains et des socialistes de droite, n’échappait pas à la tendance historique d’«asservissement du syndicat à l’Etat bourgeois» mais la renforçait: «les conséquences, dans un pays vaincu et dont la bourgeoisie locale est privée d’autonomie étatique, de l’influence des grands complexes étatiques étrangers qui se querellent sur ces terres n’appartenant plus à personne, ne peuvent masquer le fait que même la Confédération restée entre les mains des social-communistes de Nenni et Togliatti, ne se base pas sur une autonomie de classe. Ce n’est pas une organisation rouge mais une organisation tricolore fabriquée sur le modèle de Mussolini».

Quand à la crise à laquelle il est fait référence, elle est dite «de Florence» car les positions qui furent à la base de la scission de 1973 mûrirent alors dans la section de Florence et celles de Toscane qui y étaient attachées. Après la scission de 1973 ce groupe qui revendiquait être le véritable continuateur du parti continua à s’appeler «Partito Communista Internazionale»; il est également connu sous le nom de son journal: «Il Partito Comunista». Le responsable du Bureau syndical central, membre du centre, était Le leader de cette section, membre du centre du parti était le responsable du «Bureau Syndical Central» qui publiait, à partir de juillet 1968, le bulletin politico-syndical «Il Sindacato Rosso». Ce bulletin prenait la succession de «Spartaco» (publié d’abord comme bulletin local à Florence) avec l’intention de donner une réponse sur le plan des luttes économiques (avec le mot d’ordre général de la lutte pour un «syndicat rouge») aux forts mouvements de grève qui marquèrent 1968 et surtout en 1969, avec ce qu’on a appelé l’«automne chaud». En manchette, «Sindacato rosso» portait une déclaration qui était comme la synthèse d’une déviation syndicaliste révolutionnaire en train de se répandre dans le parti: «Pour le syndicat de classe! Pour l’unité prolétarienne contre l’unification corporatiste CISL-UIL! Pour l’unification et la généralisation des revendications et des luttes ouvrières, contre le réformisme et les luttes articulées! Pour l’émancipation des travailleurs du capitalisme! Que naissent les organes du parti, les groupes communistes d’usine et syndicaux, pour la direction révolutionnaire des masses prolétariennes». Le n° 7 (janvier 1969) de ce bulletin précisait son objectif: «Sindacato rosso» ne veut pas être «une nouvelle centrale syndicale» mais «une orientation pour les prolétaires conscients servant à transformer leur syndicat en arme de lutte anticapitaliste et révolutionnaire. C’est un cri de bataille de classe afin de reconstruire dans la CGIL, aujourd’hui, une opposition communiste capable d’entraîner les grandes masses sur le terrain de la préparation révolutionnaire pour l’écrasement du pouvoir capitaliste, pour la constitution de la dictature prolétarienne afin de réaliser l’émancipation du travail de l’exploitation du capital». En France, au même moment était publié un supplément au «Prolétaire» intitulé «Syndicat de classe», avec la même position.

Le centre du parti soutint dans un premier temps la position de «défense du syndicat rouge» - entendre CGIL dont on demandait aux ouvriers d’en chasser les bonzes pour les remplacer par des militants révolutionnaires. Mais c’est dans cette période que la CGIL expulsa une soixantaine d’ouvriers de la FIOM de Turin et d’Ivrea parce qu’ils avaient versé leurs cotisations aux délégués d’usine au lieu de les verser au patron comme le voulaient les accords contractuels. Parmi eux il y avait tous nos camarades de Turin et d’Ivrea qui menaient une agitation depuis des années parmi les ouvriers et à l’intérieur de la CGIL.

(7) «Il P. C.» publia toute une série de textes et de thèses qui illustraient la continuité de doctrine, de politique et de tactique de la gauche communiste sur 5 numéros consécutifs (sous le titre: «Bases historico-programmatiques du communisme révolutionnaire sur les rapports entre parti, classe, action de classe et associations économiques prolétariennes») du n°22/1971 jusqu’au n° 2/1972. Le n° 3/1972 contenait le texte «Le parti devant la ”question syndicale”» dont l’original français fut publié sur le n°53-54 de cette revue, tandis que le rapport de Bruno à la Réunion Générale de Milan des 12-13/2/1972, «Marxisme et question syndicale», était publié en italien sur le n°10/1972 d’ «Il Programma Communista» et en français sur les n°126, 127 et 128 du «Prolétaire».

(8) cf «Note élémentaire sur les étudiants et le marxisme authentique de gauche», «Il P. C.» n°8/1968. On peut y lire par exemple: «Défendre, en cette année 1968 pourrissante, l’autonomie d’un mouvement étudiant, n’est qu’une preuve supplémentaire de la profondeur des sables mouvants de la trahison où s’est enfoncé le faux communisme des successeurs de Staline, qui, désormais plombés par le pire réformisme social-démocrate, appâtés par la perspective d’une obscène manœuvre électorale, défendent la thèse vulgaire selon laquelle les étudiants formeraient une classe sociale, et considèrent comme étant l’extrême gauche ces mouvements incohérents qui se réclament de la Chine de Mao et adoptent, comme formule théorique relative à l’Etat, celle du «pouvoir ouvrier». (…) Selon Marx, le prolétariat est une classe non seulement parce que sans son travail aucune production de marchandise n’est possible (…) mais parce que le prolétariat, outre le fait de tout produire, se reproduit lui-même, c’est à dire réalise la production de producteurs (…). Les ouvriers des deux sexes peuvent en s’accouplant donner naissance à de nouveaux ouvriers pour l’armée de travail des années futures, alors que jusqu’à présent il n’est pas évident que les étudiants donnent naissance à d’autres étudiants, même chez ces peuples à qui a été généreusement concédé la liberté d’étudier aux fils d’ouvriers et de paysans».

(9) cf «Crise et révolution», «Programme Communiste» n°62 (mars-avril-mai 1974).

(10) cf «Théorie et action dans la doctrine communiste», rapport à la réunion du parti de Rome d’avril 1951.

(11) cf «Leçons des contre-révolutions», rapport à la réunion du parti de Naples de septembre 1951.

(12) cf «Le prolétariat et la crise», «Il Programma Comunista» n° 4/1975.

(13) Signalons en particulier la réunion générale de juin 1974 sur la question du Cours de l’impérialisme mondial, dont le compte-rendu étendu à été publié dans «Programme communiste» n° 64 d’octobre 1974 (avec une annexe publiée dans le n° 65 sur le développement de la concentration capitaliste, tandis qu’un compte-rendu synthétique était publié dans le n° 14 (13 juillet 1974) de «Il programma comunista». Parmi les nombreux aspects mis en évidence par rapport au début de crise du capitalisme occidental, nous pouvons rappeler celui relatif au désarroi de la classe dominante devant la crise pétrolière de 1973 puis la crise de 1974-75, et ce que nous ne devions pas en attendre: «Ce désarroi de l’adversaire face aux convulsions de son mode de production ne peut évidemment que nous réjouir, nous, communistes. Nous n’en déduisons ni l’affaiblissement des Etats bourgeois (au contraire !) ni la naissance spontanée et mécanique d’une lutte sociale généralisée provenant de cette crise, et encore moins d’une crise révolutionnaire capable de régler son compte à la société bourgeoise, alors que les conditions subjectives sont encore terriblement en retard. Nous en déduisons au contraire plus que jamais, loin de tout optimisme béat, la nécessité de travailler à la préparation révolutionnaire».

Quant à la question de la dialectique entre crise et révolution, Bruno en reprend le fil dans l’article «Encore sur crise et révolution» («Programme Communiste» n°66). Il rappelle le cadre de la prévision faite par le parti et les conséquences à en tirer compte tenu de la situation d’arriération du mouvement prolétarien et de l’absence d’un fort parti prolétarien:

«Le capitalisme ne peut sortir d’une crise dont nous avions exactement prévu la date qu’en créant les conditions de crises encore plus vastes et plus profondes, et, à la limite, d’un troisième conflit mondial qui n’est aujourd’hui qu’une menace et qui pourrait être demain une féroce réalité. S’il y a un “train à ne pas manquer” ce n’est pas celui d’une révolution dont des irresponsables prétendent posséder toutes les clés sauf une - qui est naturellement, comme toujours la clé décisive – mais celui de la préparation de ses conditions subjectives élémentaires. Celles-ci ne tombent pas du ciel; elles ne jaillissent des conflits sociaux que si le parti, aussi embryonnaire que soit sa force physique, les féconde de son action, en se battant avec autant de ténacité pour les objectifs immédiats que pour les buts finaux du mouvement prolétarien, en acceptant le terrain des luttes revendicatives mais en construisant dans ces luttes et au delà de ces luttes le terrain de la guerre de classe pour la révolution communiste.

Voilà la “grande occasion” que, malgré tout, la crise économique actuelle offre à l’avant-garde prolétarienne».

(14) Sur la question du front unique prolétarien on peut signaler, parmi de nombreux articles, «Bases objectives et délimitation programmatique du front unique prolétarien», «Il Programma Comunista», n° 6 et 7 de 1975.

(15) Cette circulaire du centre, rappelant que l’activité du parti au contact de la classe ouvrière doit s’étendre à l’intervention de ses militants dans les luttes et dans les organismes de lutte, affirme notamment: «Cette activité a son centre de gravité et son terrain naturel dans l’action à l’intérieur des syndicats, dans des organismes locaux qui n’y sont pas liés et ne sont pas reconnus par eux, parmi les ouvriers non organisés, etc.; action syndicale qui, comme le précisent les thèses du III° Congrès de l’I.C. et comme le rappellent les thèses, manifestes et dispositions internes du PC d’I, a nécessairement des conséquences indéniablement politiques (il suffit de penser à la revendication du droit d’association et de réunion, ou à l’autodéfense ouvrière même la plus embryonnaire, en passant par une série d’étapes), et est dirigée non seulement vers des noyaux ou des couches d’ouvriers, quelque soient leurs orientations politiques, mais également vers des organes syndicaux spécifiques liés à des formations politiques qui se différencient de nous sur le plan programmatique mais sont disposées à se battre pour des objectifs spécifiques avec des méthodes de lutte de classe (…).

 Il est important, ici, d’avoir clairement à l’esprit que cette extension et articulation de notre action de parti n’est pas extensible, qu’elle se situe en dehors de tout garibaldisme frénétique et qu’elle est liée à la ferme décision de travailler de manière plus incisive, avec continuité et cohérence, sur un terrain inséparable des tâches permanentes du parti, destinée à cristalliser autour d’une action de défense spécifique une partie au moins des prolétaires auxquels nous nous adressons en tant que prolétaires et non en tant de partisans de notre programme, et cette action: a) est toujours une action de parti, et le fait qu’elle se déroule principalement sous le nom ou par l’intermédiaire de nos groupes syndicaux ou d’usine n’y change rien; b) elle ne doit pas entrer en contradiction (ce qui serait fatal) avec les points programmatiques qui nous distinguent et nous caractérisent, en pratique, aux yeux de tous, ni les cacher; c) elle ne compromet pas (autre face du même problème) l’autonomie politique et organisative du parti et la continuité de ses manifestations extérieures; d) elle n’est pas conçue comme isolée du complexe travail de formation et de préparation politique interne, qui est la condition d’une saine orientation dans l’action, surtout dans la période grise et difficile où nous vivons encore et qui nous impose le devoir de profiter de toutes les occasions, même les plus minces, pour y réagir» (circulaire n° 9 du 8 octobre 1974).

La circulaire n° 11 du 20 octobre 1974, qui traitait de la scission des sections de Ligurie, essaye d’expliquer ce que les sortants n’ont pas réussi à exprimer, leur opposition à toutes les positions du parti.

«Partant de l’exigence, que nous partageons et qui est imposée par un cycle historique qui se met avec lenteur en branle, d’affronter sérieusement les problèmes de l’activité “externe” en direction de la classe et de l’organisation interne du parti, ces camarades tendaient à perdre (nous pouvons aujourd’hui affirmer qu’elle était déjà perdue) une vision claire des limites qu’il est nécessaire de respecter sous peine de faire disparaître la ligne qui nous sépare des autres ( qui, par ailleurs, se posent au moins sur certains points spécifiques des problèmes analogues aux nôtres), et sous peine d’une fracture difficilement réparable dans la continuité de nos proclamations et de nos actes; limites théorico-programmatiques par rapport auxquelles aucune “manœuvre tactique” ne peut prévaloir; limites pratiques liées à l’évaluation des rapports de force réels et de la plus ou moins grande possibilité d’avoir une influence sur eux en fonction de nos objectifs généraux.

Il en découlait une tendance à mettre au centre de l’activité pratique du parti, même quand on le proclamait secondaire, le problème des rapports avec les autres groupements pour mener des actions communes spécifiques, de même qu’une tendance à élargir le rayon de ces initiatives au-delà de la limite à partir de laquelle le parti perd ses traits caractéristiques, ou tout au moins ne les défend plus de façon responsable, et ses efforts constants pour les relier aux positions de principe – ce qui est indispensable pour ne pas détruire ce qu’il s’agit de construire, comme le démontre un long bilan historique».

En outre, «on tendait à considérer comme insignifiant (ou, dans la meilleure des hypothèses, incomplet) le bilan que la gauche à la différence d’autres courant avait su tirer dans le second après-guerre de la contre-révolution stalinienne (ce qui ne doit pas nous remplir d’une fausse suffisance ou d’un sentiment de supériorité artificiel, mais qu’il serait défaitiste de méconnaître) pour se rallier en bloc et sans réserves à l’ensemble des thèses des quatre premiers congrès de l’I.C. (sur le plan “biographique”, tant que Lénine et Trotsky purent y exercer une influence déterminante), alors que nous maintenons les réserves, surtout pour le IV° congrès, sans que ceci ne retire rien aux puissants apports des deux plus grands théoriciens bolcheviques; ou pour se rattacher, bien qu’avec de subtils distinguos, aux positions de l’opposition internationale de gauche (sur le plan biographique, depuis que Trotsky inspira et dirigea son organisation) comme si les divergences sur le plan tactique avec l’Internationale pré-stalinienne, et parfois, plus tard, avec Trotsky, y compris sur le plan des principes, n’avaient pas existé ou étaient marginales et donc ne signifiaient plus rien pour nous.

Pour ces camarades il n’était pas seulement vrai que nous ne puissions ni ne devions nous vanter d’être autre chose qu’un embryon du parti communiste mondial, ce qui est indiscutable; nous n’étions même pas cela car nous n’avions pas de ligne politique ou, si nous en avions une, elle devait non seulement être mieux définie dans ses applications pratiques (ce qui est certain, à la différence de la période passée) mais être radicalement redéfinie au travers un processus (comme cela a été dit) d’“agrégation”. Pour les mêmes raisons, le parti n’existant pas en réalité, il n’existait pas non plus de centre, mais simplement des courants du mouvement ouvrier, dont ils étaient prêts à appuyer l’un contre l’autre». Cette conception de la formation du futur parti communiste mondial par un processus de fusion entre groupes politiques de diverses origines et formations, réapparaîtra lors des crises internes ultérieures.

(16) cf «Le terrorisme et le difficile chemin de la reprise de la lutte de classe», «Programme Communiste», n°77 et 78.

(17) Voici le texte de la circulaire:

 «P.C. Internationaliste. A toute l’organisation. Circulaire 5/10/1951.

Le C.E. a pris acte de la sortie – après la parution du n° 1 du Bulletin interne du parti, ouvert à toute contribution dédiée à l’éclaircissement des problèmes centraux du mouvement – d’un bulletin paru sous la signature de quatre membres du C.C., Onorato Damen, Luciano Stefanini, Aldo Lecci, Giovanni Bottaioli, signé “La gauche italienne” en tant qu’initiative de groupes et de sections. Il observe – indépendamment de toute considération organisative – qu’aucune raison politique ne justifie une publication dans laquelle l’affirmation de divergences avec le centre ne sont ni précisées ni définies comme cela résulte du fait qu’elles sont arbitrairement ramenées à une soi-disant “position syndicale de l’Exécutif” présentée comme niant les luttes économiques, leur rôle passé et à venir pour la classe ouvrière, et qui fait totalement abstraction de la phase historique en cours et des possibilités du parti dans celle-ci, ne sort pas – en l’absence d’une justification politique même lointaine – des limites d’un pamphlet, et retient qu’une initiative de ce genre, qui porte atteinte au caractère organique et à la continuité de principes et d’action du parti marxiste, est susceptible de détruire les conditions subjectives fondamentales pour un congrès sérieux, rompt de manière radicale avec les critères organisatifs permanents du mouvement et place en dehors de l’organisation ses promoteurs. Il est placé devant la nécessité de ratifier ce fait et de procéder, suivant la décision du C.C. lors de sa réunion du 1/7/51, à leur expulsion du parti avec effet immédiat. Il a confiance dans le fait que l’ensemble de l’organisation, s’inspirant des principes qui ont toujours guidé le mouvement, ne se laissera pas dévier de sa dure bataille par une tentative de confusion et confirme sa ferme décision de préparer la discussion interne en vue du congrès du parti sur la seule voie de la préparation et de la présentation de textes et de thèses sur les problèmes fondamentaux de la lutte prolétarienne.

L’Exécutif».

(18) C’est le travail sur le bilan de la crise du parti qui rassembla les quelques camarades italiens qui s’organisèrent en 1984 autour du journal «Il comunista» ainsi que les camarades du «Prolétaire» ayant survécu à l’éclatement d’octobre 1982. «Il comunista» publia son premier numéro en février 1985 comme bimestriel du parti communiste international qui continuait à publier en France et en Suisse «Le prolétaire». Dans l’article «Notre trajectoire politique» du n°1 de 1985 de «Il comunista», nous écrivions: «Nous sommes issus d’une lutte politique menée dans l’organisation parti communiste international – il programma comunista, continuée ensuite au sein du journal “Combat”, sur les points suivants:

1) revendication du patrimoine historique-théorique-programmatique-tactique et militant de la gauche communiste italienne (Livourne 1921, Internationale communiste de Lénine, Bordiga) et du parti communiste international, y compris ses erreurs, comme indiqué clairement lors de la réunion générale de Milan du 17 octobre 1982 (voir “Il P.C.” n° 20 du 29 octobre 1982 et suivants), et rejet de la thèses liquidationniste de la dégénérescence du parti de 1965-66, du “vice d’origine” de la gauche italienne, de l’utilisation par le parti du “marxisme contre le mouvement social” ; 2) revendication de la continuité du parti comme condition nécessaire et indispensable pour résoudre la crise, pour comprendre les problèmes et les erreurs qui en sont à la base, pour lancer le travail de réorganisation du parti au niveau international; revendications des positions politiques, tactiques et organisatives du parti comme rappelé dans le  “Manifeste de 1981 – de la crise de la société bourgeoise à la révolution communiste mondiale”; 3) continuité du travail d’intervention dans les différents secteurs dans lesquels le parti agissait (terrain syndical, antimilitarisme, lutte contre la répression, défense des conditions de vie, de travail et de lutte du prolétariat, etc.), selon les forces réelles à disposition, et vérification des orientations d’activité et d’action ; élaboration d’un nouveau plan d’activité correspondant aux forces réellement disponibles; coordination et réorganisation des forces au niveau international en reprenant contact avec les camarades des diverses aires restés isolés à cause de la crise». Ce travail de bilan s’est concrétisé dans les numéros suivants d’ «Il Comunista» du «Prolétaire» ou de cette revue, dans des articles comme: «Propagande communiste, facteur essentiel de la préparation révolutionnaire», «En défense du programme communiste», «Point sur la question des luttes immédiates et des organisations prolétariennes indépendantes», «Reprenant la question du terrorisme», «Antimilitarisme de classe et guerre», «La reconquête du patrimoine de la Gauche communiste...». À propos des luttes démocratiques anti-impérialistes, après avoir traité la question de l’Afrique du sud («Apartheid et lutte de classe», «Il Comunista» n° 4-5/1986, «L’Afrique du sud dans la perspective marxiste», «Il C.» n° 11/1988) nous sommes revenus sur la question palestinienne dans différents articles qui se trouvent aujourd’hui réunis dans la brochure «Le marxisme et la question palestinienne» (brochure Le Prolétaire n°30).

(19) On peut lire à ce propos l’article «En défense du programme communiste» publié sur le «Prolétaire» n° 384.

(20) cf «A la mémoire d’un camarade de la  vieille garde: Riccardo Salvador», «Programme Communiste» n° 94, où sont rappelé les positions sur lesquelles la totalité de la section de Schio décida de quitter le parti en 1982.

(21) Il s’agit d’une conférence tenue par Amadeo Bordiga à la Maison du peuple de Rome le 24 février 1924 en mémoire de Lénine. Ce texte est disponible sous forme de brochure «Le Prolétaire» n°21.

(22) Cf «Lénine sur le chemin de la révolution».

(23) Les citations sont tirées d’un «Fil du temps» écrit par Amadeo Bordiga en 1953 intitulé «Danse des fantoches: de la conscience à la culture», dernier d’une trilogie dédiée à la critique de la conception pseudo-marxiste d’un groupe appelé «Socialisme ou barbarie». cf «Programme Communiste» n° 96.

(24) ibidem.

(25) cf «Le principe démocratique» écrit par Bordiga en 1922, aujourd’hui dans la brochure «Parti et classe» Texte du PCInt. n°2.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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