Bolivie:

Evo Morales arrive à la présidence pour consolider le capitalisme

(«le prolétaire»; N° 479; Nov.-Déc. 2005 / Janv.-Févr. 2006)

 

La victoire du leader du M.A.S., Evo Morales, lors des élections présidentielles boliviennes, a suscité une certaine inquiétude parmi les capitales impérialistes et a été au contraire accueillie favorablement par les organisations de gauche en Amérique Latine et ailleurs. Morales a multiplié les déclarations incendiaires contre les Etats-Unis (déjà, lors de sa première candidature, l’ambassadeur américain à La Paz avait déclaré que s’il était élu, les USA couperaient leur aide économique au pays), il est allé rencontrer Castro et Chavez, etc. Avant les élections le M.A.S. avait laissé entendre qu’il allait nationaliser les multinationales qui exploitent ses ressources minières, à commencer par le gaz autour duquel une grande agitation a provoqué nombre de troubles politiques: en 2003 le président Sanchez de Lozada, chassé par la rue, avait été contraint de chercher refuge aux Etats Unis, laissant son poste à son vice-président Carlos Mesa. De plus, Morales le cocalero qui été dirigeant d’un syndicat de paysans cultivateurs de coca, avait annoncé qu’il allait permettre la culture de cette plante que les Etats Unis cherchent à éradiquer dans le cadre de leur lutte contre la drogue.

Mais en vérité Morales et le M.A.S. ne sont pas les boutefeux que décrivent les médias réactionnaires ni les partisans d’une révolution, qu’elle soit sociale ou ethnique (indienne). Le MAS a été dans les faits un des principaux soutiens du gouvernement de Carlos Mesa dont la politique, à l’exception de l’épineuse question du gaz, a été identique à celle du gouvernement précédent. Pendant toutes les agitations de la dernière période, le M.A.S. a joué un rôle «modérateur», c’est-à-dire de frein des mobilisations sociales. Lors de sa première déclaration après sa victoire électorale, Morales a affirmé qu’il ne «confisquerait ni n’exproprierait les propriétés des multinationales». Selon l’hebdomadaire argentin «Pagina 12» du 28 décembre, il a à nouveau déclaré lors d’une réunion dans la ville de Santa Cruz avec des grands propriétaires terriens et capitalistes boliviens: «je ne veux exproprier ni confisquer les propriétés de personne. Je veux apprendre des entrepreneurs». Il a également accepté les demandes d’autonomie formulées par les bourgeois de cette riche région qui craignent que leurs ressources soient utilisées pour financer les régions plus pauvres ou d’éventuelles mesures sociales. Le président de l’Association des banques P. Anes pouvait commenter: «Nous sommes satisfaits parce que (...) il nous a assuré qu’il ne changerait pas les règles établies, c’est-à-dire qu’il continuera avec les système».

Deux jours après la victoire électorale, le vice-président Alvaro Garcia Linera s’employait à rassurer les bourgeois: le nouveau gouvernement «gouvernera pour toute la Bolivie, pas pour un seul secteur ou une seule classe sociale. (...) Des négociations directes vont être menées avec les hommes d’affaires et nous allons recueillir leurs recommandations que nous mettrons en application. Aucun secteur du pays ne doit se sentir exclu, et certainement pas le secteur des affaires».

Ce Linera, qui est un ancien guerillero du début des années 90 (Ejercito Guerrillero Tupac Katari) reconverti dans la «sociologie» (misère des sociologues!) est la tête pensante de Morales pour tout ce qui touche à l’économie. Il ne fait pas mystère des positions de son parti. Dans une interview à une revue trotskyste, à la question de savoir où il situe idéologiquement le M.A.S., il répond: «je le situerais au centre-gauche, car le projet de transformations économiques et sociales que cette organisation souhaite mener à bien ne peut être qualifié ni de communiste, ni de socialiste, ni même de communautaire (indigéniste- NdlR)».

Linera repousse toute idée de socialisme en Bolivie car le prolétariat y est «minoritaire numériquement et inexistant politiquement». A l’inverse, le MAS veut construire «un type de capitalisme andin». C’est-à-dire: «Il s’agit de construire un Etat fort qui puisse articuler de manière équilibrée les trois plate-formes “économico-productives” qui coexistent en Bolivie: la communautaire, la familiale et la “moderne-industrielle” (...). Jusqu’à présent, ces secteurs traditionnels n’ont pu se développer à cause d’un secteur “moderne-industriel” qui a accaparé les excédents. Notre idée est que ces secteurs traditionnels disposent d’un soutien économique, d’un accès aux matières premières et à des marchés qui puissent ensuite générer du bien-être au sein de ces processus économiques et familiaux. La Bolivie sera toujours capitaliste pour au moins 50 ou 100 ans» (1).

L’idéologue peut bien croire (ou plutôt faire croire) à un développement harmonieux du capitalisme qui respecterait et ferait même prospérer la petite propriété, ce ne sont là que de doucereuses illusions petites bourgeoises. L’essentiel est qu’il prend partie sans hésiter pour un Etat fort, pour la défense du capitalisme, et qu’il accepte de ses soumettre aux «recommandations» des capitalistes: cela signifie qu’il sait devoir s’attaquer aux intérêts des prolétaires qui, bien que minoritaire numériquement ont fait la fortune de la minorité incomparablement plus étroite des capitalistes, comme aussi aux intérêts de sa base sociale, les petits paysans et petits bourgeois que le capitalisme ruine et prolétarise s’il veut se développer.

A la fin de l’année dernière, des organisations de El Alto, la grande banlieue populaire de La Paz, justement méfiantes envers la politique du M.A.S. ont donné 90 jours à Morales pour qu’il tienne ses promesses. Mais il n’y a pas besoin d’attendre 90 jours pour savoir que le seules promesses qui seront respectées seront celles faites discrètement aux bourgeois - et aux impérialistes, qui, dans le cas des ressources gazières de la Bolivie, sont d’abord le Brésil et l’Espagne (que Morales s’est bien gardé d’attaquer), sans oublier la France: ce n’est pas par hasard que Morales est venu en visite officielle à Madrid et Paris, tout de suite après Caracas et La Havane.

Surtout il n’y a pas besoin d’attendre même un seul jour pour rappeler aux prolétaires boliviens qui ont derrière eux une riche histoire de luttes mais aussi de trahison de ces luttes, qu’ils ne doivent compter que sur leurs seules forces, qu’ils ne peuvent faire confiance à aucun sauveur et que la seule voie sûre pour se défendre et vaincre tous leurs ennemis est , comme partout, celle de l’organisation en classe donc en parti.

 


 

(1) cf «Inprecor», décembre 2005.

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

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