Nouvelle victoire de la mystification électorale

Besoin accru de la lutte prolétarienne!

(«le prolétaire»; N° 484-485; Mai-Sept. 2007)

 

L’interminable campagne électorale qui depuis de longs mois n’a cessé d’intoxiquer les cerveaux prolétariens s’est donc terminée par le résultat pronostiqué dès son début par les instituts de sondage, ces très rentables entreprises qui sont devenues d’incontournables officines de la vie politique et économique bourgeoise: la victoire de Sarkozy.

En dehors même de ce résultat, les politiciens de tout bord et tous les commentateurs bourgeois ont salué le fait que pour la présidentielle, le cirque électoral a connu une affluence record: au premier tour, le taux d’abstention y a été le plus bas depuis des dizaines d’années. Dans les quartiers populaires qui avaient été embrasés par les émeutes à l’automne 2005, les tenants de la paix sociale ont vu avec ravissement la participation électorale monter en flèche. Toutes choses égales par ailleurs il s’est passé le même phénomène que lors du deuxième tour des présidentielles de 2002, lorsque la mobilisation générale des médias et de tout l’arc des forces politiques bourgeoises avait ramené en masse les électeurs en général et les prolétaires parmi eux vers les urnes. Les mécanismes de la démocratie électorale ont beau être usés, ils sont encore capables d’une redoutable efficacité.

Cette usure est cependant réelle; la tendance de fond qui depuis des décennies s’exprime par une baisse régulière de la participation électorale peut bien être momentanément surmontée, elle ne peut être enrayée comme nous l’avons vu encore une fois. Laissant de côté la poussée de l’abstention au deuxième tour des présidentielles en résultat des consignes de Le Pen et de Bayrou, les élections législatives qui ont suivi ont en effet connu le plus faible taux de participation de toute l’histoire de la Ve République (fondée il y a cinquante ans)!

Sans doute il faut voir là une reflet de la lassitude causée par une campagne qui n’en finissait pas et le sentiment que les jeux étaient faits; mais l’important à noter est que cette «lassitude», c’est-à-dire ce désintérêt relatif vis-à-vis de la mystification électorale ont été variables selon les classes sociales. Si l’on en croit les analyses de la participation électorale (bien plus fiables que les intentions de vote publiées par les instituts de sondage parce qu’elles analysent des actes accomplis et sont peu suspectes de manipulations), la participation au premier tour des législatives a été d’autant plus importante que l’électeur potentiel appartenait aux classes sociales supérieures: 80% chez les cadres supérieurs, 74% dans la catégorie «artisans, commerçants, chefs d’entreprise». Plus faible dans les couches moyennes, elle y était encore largement majoritaire: 64%.

Par contre dans les catégories sociologiques qui correspondent au prolétariat, c’est l’abstention qui a été majoritaire: 53 % d’abstentionnistes chez les «ouvriers et employés» et 58% chez les seuls ouvriers (1). Lorsqu’on sait en outre que les non-inscrits sont nombreux dans les couches prolétariennes (en particulier parmi les jeunes) (2) et qu’une partie importante du prolétariat en France est de nationalité étrangère et donc ne vote pas, on réalise à quel point est minoritaire la participation électorale dans le prolétariat!

Ce défaut d’intégration prolétarienne dans les mécanismes de la démocratie élective n’est que le reflet d’un défaut croissant d’intégration dans les mailles de la collaboration de classes; et une autre expression en est la perte d’influence des forces réformistes traditionnelles au fur et à mesure de la dégradation de la situation du prolétariat et de la disparition des amortisseurs sociaux au rythme des «réformes libérales» entreprises sous la pression des capitalistes. L’état actuel du PCF qui depuis la dernière guerre mondiale incarnait ce réformisme garant contre-révolutionnaire de l’ordre capitaliste, est suffisamment éloquent pour qu’il soit besoin d’une longue analyse: partout où il ne peut s’appuyer sur le clientélisme fondé sur les quelques municipalités qui lui restent, son score électoral s’effondre au niveau de celui d’un groupe trotskyste moyen, dépassé même par le dynamisme de la campagne Besancenot!

S’il faut se réjouir de la confirmation que les prolétaires se désintéressent malgré tout de plus en plus de la mystification électorale, le problème est que ce désintérêt, qui plus est relatif comme l’a montré la présidentielle, ne peut se transformer automatiquement en prise de conscience de la nécessité du retour à la lutte de classe contre les capitalistes et leur Etat. Les obstacles sont nombreux sur cette voie, à commencer par le nouveau réformisme trotskyste.

 

L’avant-garde à la remorque

 

Les dernières élections ont montré qu’en dépit de son échec électoral, l’ extrême gauche trotskyste est bel et bien devenue un acteur irremplaçable du cirque démocratique dans lequel elle est irrémédiablement engagée. Qui a été le véritable moteur de l’anti-sarkozysme dont a bénéficié la candidate du PS, sinon les trotskystes (ainsi que d’autres courants d’extrême gauche comme les libertaires qui ont appuyé cette mobilisation anti-Sarko)? Présentant Sarkozy comme le candidat dont il fallait empêcher à tout prix l’élection, ils ont tout-à-fait consciemment travaillé pour le Parti Socialiste. La LCR a appelé à faire du deuxième tour des présidentielles et législatives, des «référendums anti-Sarkozy», tandis que la candidate de Lutte Ouvrière, au soir du premier tour des présidentielles, se précipitait pour être la première à soutenir Ségolène Royal. Comme nous l’écrivions sur le n°482 de ce journal, LO s’est implicitement présentée lors de cette élection comme l’auxiliaire des partis de gauche et plus précisément du PS, à la différence de son attitude lors des élections antérieures. Au point qu’on peut trouver dans une analyse de LO sur les causes de son faible score ces lignes qui sonnent comme un aveu:

 «La fraction de l’opinion à laquelle s’est adressée la LCR était certainement beaucoup plus hostile au Parti Socialiste [qu’ «une grande partie de l’électorat populaire de gauche y compris notre électorat fidèle»]. Peut-être, dira-t-on, beaucoup plus consciente, mais peut-être aussi beaucoup moins solidaire des sentiments des classes sociales les plus exploitées qui sont les plus victimes du maintien d’un gouvernement de droite et les plus enclins à avoir des illusions sur les partis bourgeois de gauche. La LCR a fait une campagne violemment anti-PS (...) à tel point d’ailleurs que, par comparaison, certains camarades de la LCR ou même de LO considérèrent que notre campagne était trop complaisante envers la candidate du PS» (3).

Indépendamment du fait que la campagne de la LCR a été tout sauf violemment anti-PS («nous n’avons jamais été partisans de la politique du pire» - Krivine pour préparer le ralliement à Royal), il est entièrement à démontrer que les plus exploités sont ceux qui ont le plus d’illusions envers ce parti. Ce n’est pas en tout cas ce qui ressort clairement des enquêtes sur les votes à la présidentielle. Si Ségolène Royal a fait son meilleur score chez les moins de 25 ans et chez les électeurs d’origine africaine ou de confession musulmane (conséquence directe de la campagne anti-Sarko et des positions anti-immigrés de l’ancien ministre de l’Intérieur), le gros de son électorat vient des couches moyennes et des diplômés (4).

Quant à reprocher aux secteurs «plus conscients» de ne pas être «solidaires» des illusions envers les partis bourgeois de gauche, c’est-à-dire de ne pas s’aligner sur ces illusions, il fallait l’oser de la part d’une organisation qui se veut être l’avant-garde marxiste de la classe! Mais cette tirade nous donne le secret de la politique de LO: non pas combattre, mais reprendre et diffuser les illusions pro-bourgeoises qui dominent parmi les masses; autrement dit se mettre à la remorque des partis bourgeois de gauche «sans illusion, mais sans hésitation» selon la formule d’Arlette Laguiller dans son appel de soutien à Ségolène Royal...

 Sur cette pente, il n’y a guère de limite; selon l’enquête sur les votes dont nous avons parlé plus haut, le tiers des électeurs qui se définissent comme sympathisants de Lutte Ouvrière auraient voté au second tour pour Nicolas Sarkozy (5). A quand alors un ralliement de cette organisation au nouveau président au nom de la solidarité avec ces illusions?

 

Un gouvernement de combat antiprolétarien

 

L’élection de Sarkozy ne signifie pas la victoire du cupide et insensible capitaliste face à la gentille et humaine socialiste. Le programme des deux candidats ne se distinguait que dans la mesure où celui de l’une était plus hypocrite que celui de l’autre. Royal a même tenté de déborder Sarkozy sur sa droite en l’accusant de ne pas être assez répressif! L’argument essentiel du PS était qu’il savait faire passer les réformes (lire: les attaques antiprolétariennes) sans difficultés là où un gouvernement Sarkozy provoquerait à coup sûr des troubles sociaux. Cela n’a pas suffit à donner la victoire à Royal; les électeurs, dûment cornaqués par les médias dont les grands patrons (Lagardère, Bouygues, Bolloré) s’étaient mobilisés pour faire élire Sarkozy, ont préféré la version originale à la copie soft. C’est la traduction du besoin ressenti par les grands groupes capitalistes français, soumis à une concurrence acharnée sur le marché mondial, d’accroître suffisamment leurs profits par l’accélération du rythme des attaques antiprolétariennes fût-ce en courant le risque d’affrontements sociaux. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison du rythme accéléré que Sarkozy imprime à l’activité gouvernementale pour la réalisation de ces attaques dont l’énumération révèle l’ampleur:

Diminution des charges patronales avec l’instauration de la TVA antisociale (consistant à financer par le plus injuste des impôts, la TVA qui est surtout payée par les plus pauvres, les charges sociales des entreprises: le «salaire différé»), diminution des impôts des bourgeois («bouclier fiscal», exonération partielle des successions), restrictions du droit de grève, dégraissage de la Fonction Publique, réforme de la Sécurité Sociale, réforme des retraites, réforme des Universités, modification du contrat de travail...

Mais en bon politicien bourgeois, le nouveau président est parfaitement conscient qu’il doit déminer le terrain et pour cela accroître sa légitimité politique. C’est ce qui explique ses «ouvertures» en direction de personnalités du PS, qui continuent même après les élections; au moment où nous écrivons Hubert Védrine, le grand spécialiste PS de politique étrangère - et administrateur du groupe Bolloré (le monde bourgeois est petit!) - et Jack Lang, ancien porte-parole officiel de la candidature Royal, ont été nommés à la tête de commissions gouvernementales ad hoc, Strauss-Kahn est proposé comme candidat à la direction du FMI, Fabius est reçu à l’Elysée, Montebourg est courtisé, d’autres encore ont été approchés par les services présidentiels...

Ces spectaculaires ralliements en cours ou potentiels, succédant à ceux effectifs d’un Besson, d’un Kouchner, d’un Allégre ou d’une Amara démontrent de manière irréfutable que rien d’essentiel ne sépare les partis bourgeois de droite et de gauche. Parisot l’avait déjà dit: le Medef ne donne pas de consigne de vote pour le second tour des présidentielles, car les deux candidats sont partisans de l’économie de marché. PS comme UMP sont également des défenseurs du capitalisme et donc des ennemis des travailleurs dont l’exploitation fait vivre celui-ci. Et le ralliement au PS de l’extrême gauche lors des élections qui ne sert qu’à dissimuler cette réalité, la range elle aussi dans ce camp ennemi.

 

Le spectre de  la lutte ouvrière

 

 Le spectre de la lutte ouvrière préoccupe sans aucun doute les cabinets ministériels. Outre le débauchage de personnalités, le nouveau gouvernement s’est donc livré à un embryon de négociations avec les syndicats. Il n’est pas sûr que cela suffise; si la CFDT a immédiatement condamné comme «anti-démocratique» toute perspective de «troisième tour social», c’est-à-dire toute perspective de lutte contre les mesures projetées par le gouvernement, les autres syndicats ne pourront pas ne pas au moins faire semblant de lutter, s’ils ne veulent pas être débordés. Déjà au cours même de la campagne électorale une série de conflits ont éclaté qui témoignent d’une volonté de lutte dans certains secteurs, y compris centraux, de la classe ouvrière: dans l’automobile, la grève chez PSA (Aulnay), les grèves à Airbus comme les grèves des sans-papiers de Buffalo Grill et des dizaines d’autres qui sont restées ignorées des grands médias.

Mais il ne faut pas s’y tromper: demain comme aujourd’hui à Airbus, hier lors de l’instauration du CNE et du CPE ou avant-hier lors des luttes sur les retraites, les directions syndicales ne joueront la comédie de la lutte que pour mieux la contrôler ou l’étouffer. Elles trouveront là le renfort de l’extrême gauche qui, sous prétexte d’ «unité» ou de «pression sur les organisations syndicales», s’emploieront à dévoyer toutes les poussées de réorganisation classiste parmi les travailleurs.

Devant l’agonie du réformisme classique, toute une agitation nécrophage se développe pour reconstituer une force politique collaborationniste capable de prendre sa relève et de redonner la stabilité nécessaire au théâtre politique bourgeois; le PT comme la LCR se mobilisent pour créer un nouveau parti, tandis que ce qui reste du PCF se déchire pour savoir s’il faut constituer une nouvelle organisation, comment et avec qui. Les exemples italien (avec les aléas de Rifondazine Comunista) et allemand (fondation de Die Linke par fusion d’un courant du parti social-démocrate et des anciens staliniens au pouvoir à l’Est) y sont chaudement discutés.

Si la situation actuelle du capitalisme rend impossible la construction d’une force collaborationniste de l’importance des partis staliniens d’autrefois, ces nouveaux réformistes représentent et représenteront cependant encore longtemps un obstacle de taille à la reconstitution du véritable parti de classe, fondé sur la base du programme communiste authentique. Une lutte politique, théorique et programmatique sans compromis contre eux sera la condition pour gagner demain au communisme révolutionnaire les éléments issus des futures flambées de lutte.

Mais l’avenir appartient à la lutte prolétarienne et à la révolution. En silence la vieille taupe de Marx travaille!

 


 

(1) Enquête de l’Institut LH2, «Libération», 12/6/2007.

(2) cf «La démocratie de l’abstention», Gallimard, Paris 2007. Il s’agit d’une intéressante enquête sociologique réalisée dans un quartier prolétarien de Saint Denis. Les auteurs montrent que l’abstention est souvent une attitude très politique de certaines couches prolétariennes qui manifestent ainsi leur hostilité à l’ordre existant.

(3) cf «Lutte de classe», organe théorique de Lutte Ouvrière, n°105 (mai-juin 2007).

(4) Statistiques du CEVIPOF, «Le Monde», 8/6/2007

(5) Selon une enquête de l’IFOP menée du 9 au 23 mai pour le compte du Ministère de l’Intérieur, «Le Monde», ibidem.

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

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