Malgré les efforts du collaborationnisme et de ses valets d’extrême gauche

Les premiers signes de colère prolétarienne annoncent le retour de la lutte de classe!

(«le prolétaire»; N° 493; Mai-Juin-Juil.- Août 2009)

 Retour sommaires

 

Le 6 juillet les syndicats se sont discrètement réunis pour tirer un bilan de qui s’était passé depuis leur dernier appel à manifester (13 juin) et de ce qu’ils avaient obtenu du gouvernement lors de la réunion à l’Elysée des «acteurs sociaux» du premier juillet; ils devaient aussi décider des actions à la rentrée ou au moins convenir d’une date pour en décider. Mais lors de cette rencontre rien n’a été décidé et aucun bilan n’a été rendu public.

 

Action syndicale pour démobiliser les prolétaires

 

Nous pouvons cependant tirer le bilan à la place des syndicats: ces 6 mois de mobilisation syndicale ont été 6 mois offerts au gouvernement aux patrons et à l’Etat pour réaliser leurs mauvais coups, pour gérer les premiers effets de la crise sans craindre de réaction ouvrière: bref, 6 mois de démobilisation des prolétaires! Les grandes organisations syndicales ont utilisé la tactique des «journées d’action nationales» centrées autour de manifestations et de grèves dans certains secteurs à intervalles suffisamment espacés pour gagner du temps et laisser s’épuiser peu à peu les velléités de lutte; le cycle se terminant par la classique manifestation-enterrement du samedi. Cette tactique bien rodée s’appuie sur l’union de tous les syndicats, des plus collaborationniste aux plus revendicatifs de façon à laisser le minimum de possibilités à d’éventuels mouvements tendant à déborder le cadre rigide de ces pseudo-mobilisations.

Le gouvernement apporte son appui discret à cette unité syndicale selon ce qu’écrit le quotidien pro-gouvernemental «Le Figaro», après que des rumeurs aient circulé sur une rupture de cette unité: «À l’Élysée, une scission [du front syndical-NdlR] n’est pas vue d’un bon œil. Unis, les syndicats se canalisent et limitent les débordements. Séparés, c’est la porte ouverte à toutes les surenchères. Un scénario catastrophe que veut à tout prix éviter Nicolas Sarkozy, qui va recevoir début juillet les [dirigeants syndicaux] pour faire un point sur les dispositions sociales prises depuis le début de la crise (...) avant d’annoncer à la rentrée de probables mesures pour éviter que la rentrée de septembre ne soit cette année réellement explosive» (1).

Un autre facteur important qui explique la solidité jusqu’ici maintenue de cette unité anti-ouvrière est le soutien implicite que lui ont accordé les partis pseudo-révolutionnaires. Comme nous l’avons déjà signalé, ces organisations qui jouissent d’une audience non négligeable auprès de certains travailleurs et dans certains syndicats (comme Sud), ont soigneusement évité, sinon toute critique, du moins toute manifestation sérieuse d’opposition à ce front syndical anti-lutte, appuyant au contraire le maintien de l’unité de ces appareils de collaboration de classes qu’elles présentent comme la condition de la défense des travailleurs. Nous décrivons dans un autre article comment, face à une manifestation de lutte prolétarienne (sans papiers occupant la Bourse du Travail), ces organisations se sont rangées du côté de l’appareil syndical contre les prolétaires.

Cette attitude ne doit rien au hasard ou à un mauvais choix de dirigeants; elle est l’expression de la véritable nature politique de ces organisations et partis d’ «extrême gauche» qui depuis des années occupent dans l’échiquier politique bourgeois une partie de la place réservée au réformisme, tissant de multiples liens avec les institutions bourgeoises et les forces et partis attachés à la conservation sociale, y compris en recevant de l’Etat une aide financière sans laquelle leur activité serait compromise. L’extrême gauche dite «anticapitaliste» (elle ne se dit plus révolutionnaire!) est intégrée depuis longtemps de façon irréversible dans le dispositif politique anti-prolétarien où elle joue le rôle spécifique de récupération des éléments combatifs tendant à rompre la paix sociale.

Le fait nouveau des dernières années est que l’affaiblissement irréversible et terminal de ce qui fut le pilier de la contre-révolution, le réformisme de matrice stalinienne, contraint l’extrême-gauche à baisser le masque, à commencer à se dévoiler aux yeux des prolétaires d’avant-garde en abandonnant ses postures «extrémistes» et sa phraséologie «révolutionnaire», pour combler le vide laissé par la disparition progressive du PCF. Si dans un premier temps elle renforce la puissance du front anti-prolétarien, cette évolution signifie que ces courants faussement révolutionnaires et communistes pourront plus difficilement servir de barrage à la réapparition, des organisations et du parti de classe, dont le besoin se fera de plus en plus ressentir à mesure que les crises capitalistes aggraveront l’opposition entre les classes.

 

Montée en flèche du chômage

 

La véritable explosion du chômage est la forme la plus aiguë de l’attaque capitaliste contre les travailleurs que provoque la crise. Elle frappe d’abord les travailleurs en intérim, en CDD, les jeunes.

 Les statistiques officielles du «Pôle emploi», qui portent sur les 5 premiers mois de l’année, signalent une augmentation de 340.000 du nombre de chômeurs; la ministre de l’économie, Christine Lagarde (la même qui assurait qui assurait que la France serait épargnée par la crise économique) a salué le dernier chiffre paru comme une «bonne nouvelle» car en mai il n’y aurait eu «que» 36.400 chômeurs de plus que le mois précédent en France métropolitaine! Dire que lorsque en septembre dernier il avait été annoncé que le nombre de chômeurs supplémentaires sur un mois (août) avait été de l’ordre des 40.000, tout le monde, y compris au gouvernement, avait déclaré que c’était un chiffre catastrophique... Il est vrai qu’on a enregistré en début d’année 100.000 chômeurs de plus que le mois précédent, soit une augmentation sans précédent.

Un peu plus réaliste ou voulant simplement être un peu plus crédible que son impayable ministre, le secrétaire d’Etat à l’emploi Wauqiez, a avoué que les chiffres du chômage seront mauvais au moins jusqu’à la fin de l’année. D’autant plus que le nombre de personnes à la recherche d’un emploi est sans aucun doute bien supérieur aux 2.500.000 chômeurs officiellement recensés pour le premier semestre: si l’on prend en compte les données de toutes les catégories statistiques de l’INSEE, on obtient un chiffre de 3.600.000. Et ce chiffre est très probablement en dessous de la vérité. Quelles que soient les critiques à faire sur ces statistiques qui minorisent toujours les chiffres réels du chômage, les chiffres officiels révèlent une augmentation particulièrement forte du chômage des jeunes: au premier trimestre 2009, il était de 24,2%, chiffre sans précédent depuis le début de la série statistique en 1975 (2). Les jeunes ont de plus en plus de mal à trouver du travail, ils travaillent très souvent en CDD et ils sont donc les premiers à se retrouver au chômage.

L’INSEE ne le dit pas, mais le pourcentage de jeunes chômeurs est bien supérieur dans les quartiers prolétariens, où il atteint parfois les 50%. Il ne faut pas chercher ailleurs l’origine des tensions qui existent dans ces quartiers et qui éclatent régulièrement en émeutes à la suite d’exactions policières ou même de simples incidents. Inquiètes de cette situation, les autorités renforcent la présence et l’agressivité policières (y compris en généralisant de nouvelles armes comme le flashball dont a vu récemment les méfaits), mulitiplient les lois répressives. Mais cela ne peut que préparer le terrain à de nouvelles explosions, comme gémissent les démocrates...

 

Réactions ouvrières

 

Les annonces de suppression d’emploi ne cessent de se multiplier au début de cet été, mais, selon la presse, les «experts» s’attendent à ce que le pire arrive à la rentrée notamment avec une explosion de licenciements dans les PME.

Ces licenciements ont donné lieu à des réactions ouvrières à partir de ce printemps, en particulier avec des séquestrations de patrons ou des actions «violentes» qui ont été, dans quelques cas, largement médiatisées. Si les bourgeois se félicitent - et félicitent les syndicats (3) - que le nombre de séquestrations ait été relativement peu nombreux, ces luttes ouvrières, sans doute partielles et limitées à une entreprise, ont un caractère emblématique car elles révèlent l’état d’esprit qui se diffuse chez les travailleurs, leur disponibilité à la lutte, mais aussi les problèmes de cette lutte. Voyons rapidement trois exemples.

Chez Continental à Clairoix (Picardie), les 1100 ouvriers avaient en 2007 cédé au chantage patronal à l’emploi: par un référendum organisé par la direction, ils acceptaient l’accord signé par la CFTC de travailler 40 heures tout n’étant payés que 35, pour «sauver leur emploi».

Aussi lorsqu’ils ont appris la décision patronale de fermeture de leur usine, leur colère a éclaté; il y a eu la séquestration de dirigeants, des saccages de locaux de l’entreprise, de la sous-préfecture, etc. La lutte de ces travailleurs a rencontré le soutien des prolétaires de la région, et au delà. En définitive la lutte des «Contis», dirigée par l’intersyndicale, leur a permis, sinon d’empêcher la fermeture de l’usine, du moins d’arracher des indemnités de licenciements de 50.000 Euro, en plus des indemnités légales. Mais il n’y a pas de doute qu’il sera très difficile aux travailleurs de pouvoir retrouver un emploi; dans la même région d’autres fermetures d’usine se profilent (et d’autres luttes sont en cours). De plus des poursuites légales sont engagées contre 7 ouvriers considérés comme des responsables de l’attaque contre la sous-préfecture, dont le responsable de la section CGT. Celui-ci, qui ne cache pas ses liens avec Lutte Ouvrière et qui a été un des animateurs du conflit, s’est plaint de l’absence de Thibault et de Chéréque (dirigeants de la CGT et de la CFDT) lors de la manifestation des ouvriers fin juin à Paris en soutien aux inculpés, mais faut-il s’en étonner, quand le principal souci des directions syndicales est d’éviter au maximum les conflits durs?

A Freescale (Toulouse), le 23 avril, l’annonce de la fermeture de l’entreprise dans les trente mois, soit 1100 licenciements, a déclenché des mouvements de grève pendant quelques jours avec piquets devant l’usine (et participation de travailleurs d’autres entreprises en lutte). Lors d’une Assemblée Générale une coordination a été élue à laquelle ne fait partie aucun délégué syndical. La revendication d’une prime de 150.000 Euro est avancée en AG. Des membres de la coordination assistent aux négociations du patronat (une trentaine de travailleurs sont présents) avec l’intersyndicale (d’où FO, le syndicat patronal local, s’est retiré); ils rendent compte ensuite en AG des diverses équipes de ces négociations. Cela permet sans doute de maintenir une certaine pression sur la direction et les syndicats (et cela révèle la méfiance envers ces derniers); mais en réalité la coordination laisse l’intersyndicale décider des actions, se contentant d’être son auxiliaire, voire un exutoire du mécontentement des ouvriers. D’ailleurs la direction a accepté de payer aux travailleurs 2 heures d’AG par semaine (4)...

L’exemple sans doute le plus intéressant est celui de Caterpillar (Grenoble). Il s’agit d’une des grosses entreprises de la ville (2000 ouvriers environ sur deux sites), réputée pour ses salaires élevés et pour le fort esprit d’entreprise qui y régnait. Dans les dernières années la production battait son plein, au point que des centaines d’intérimaires avaient été recrutés. Cependant, touché par la crise économique (bien que ses profits restent encore confortables), Caterpillar a engagé un plan de réduction mondial de ses effectifs. Les périodes de chômage technique se multipliaient, mais l’annonce de 600 à 700 licenciements sur les sites de Grenoble a mis le feu aux poudres.

Cas sans doute unique, avant même que se forme une intersyndicale, un groupe d’ouvriers se constituait en «comité de grève». Pendant toute la durée de la lutte se comité sera à la pointe du combat pour mobiliser les travailleurs et déjouer les manoeuvres de l’intersyndicale pour mettre fin au conflit. Régulièrement suivi par 200 à 300 ouvriers toujours présents lors des AG ou dans les piquets de grève, il arrivera à certains moments décisifs de la lutte à regrouper derrière lui l’ensemble des travailleurs: lors d’appels à la grève avec occupation, lors de la séquestration des dirigeants (faisant l’expérience de «la puissance ouvrière», selon l’expression d’un de ses dirigeants). Quand les délégués syndicaux, qui rentraient à Grenoble après avoir conclu au ministère du Travail à Paris un protocole de fin du conflit, le «comité de grève» mobilisa les ouvriers pour les empêcher physiquement d’aller signer à la Direction départementale du travail et dans une AG improvisée interrompit les explications embarrassées du responsable CGT en dénonçant les traîtres et les vendus et en lançant un appel vibrant à poursuivre la lutte.

Si la presse d’extrême gauche a fait le silence complet sur l’existence et l’action du comité, les médias bourgeois, eux, ont dénoncé haineusement l’action «minoritaire» d’une vingtaine de «gros bras» faisant régner «un climat de terreur»: «N’ayant rien à perdre parce que proches de la retraite ou trop récemment embauchés, ils ont pour seule stratégie l’augmentation de la « prime à la valise ». Issus pour la plupart des programmes d’intégration sociale, récemment sortis de prison pour certains, ils ont piloté le conflit à leur manière, dans la surenchère permanente» (5)!

En fait il est significatif que les éléments dirigeants du comité (où n’était présent aucun militant d’extrême gauche) étaient des ouvriers anciens, sachant pertinemment qu’ils ne retrouveraient jamais du travail, et ayant déjà une expérience des luttes et du rôle des organisations syndicales.

 Sans pouvoir trouver la solidarité effective des prolétaires des autres entreprises de l’agglomération en raison de l’étroit cordon sanitaire du collaborationnisme syndical et politique, la lutte courageuse des «Caters» n’a pu réussir à faire fléchir une direction de combat; outre les «départs volontaires» plus de 400 licenciements secs ont été prononcés. De plus, la direction fait planer la menace de plus de cent licenciements supplémentaires pour faire passer une aggravation des conditions de travail pour les ouvriers qui restent.

 

Vers la reprise de la lutte de classe

 

Ces trois conflits, pris parmi beaucoup d’autres (nous n’avons pas parlé des menaces de faire sauter des installations qui sont dernièrement apparues dans certains conflits), montrent la combativité dont son capables prolétaires; ils montrent le besoin objectif de la lutte d’ensemble des travailleurs, dépassant le cadre d’une seule usine ou d’un seul groupe industriel. Ils témoignent aussi des obstacles pour aller dans cette direction, des difficultés pour qu’une avant-garde de travailleurs rompe avec les actions et les méthodes défaitistes du collaborationnisme, essaye de prendre en main la lutte et d’entraîner le reste des prolétaires; c’est-à-dire des difficultés à retrouver la voie de la lutte de classe authentique, à reprendre les méthodes et les moyens classistes qui ont été autrefois ceux du prolétariat.

Mais les signes de la colère prolétarienne deviennent cependant de plus en plus évidents. Cette colère commence ici et là à battre en brèche la résignation et le sentiment d’impuissance inculqués par les bourgeois et leurs valets; elle débouchera inévitablement sur des explosions de lutte plus violentes et plus difficiles à contrôler par les partis et syndicats défenseurs de la paix sociale. Le retour à la lutte générale unifiant les combats des jeunes prolétaires des banlieues et ceux des prolétaires d’usine, des chômeurs aux travailleurs «bénéficiant» d’un emploi, des sans-papiers aux travailleurs en règle, le retour à la lutte de classe pour la défense des intérêts prolétariens immédiats avant de passer à l’offensive contre le capitalisme, cessera d’être une perspective abstraite et lointaine pour commencer à devenir une orientation pratique lorsque la recrudescence des attaques capitalistes contraindra des groupes toujours plus nombreux de prolétaires à s’organiser directement, par dessus toutes les barrières d’entreprise et de corporation, par dessus tous les localismes, pour se défendre et riposter dans la guerre sociale incessante dans la société bourgeoise.

18/7/2009

 


 

(1) cf «Le Figaro», 15/6/09

(2) Dans les années 75, le taux de chômage des jeunes était de l’ordre de 6%. Il n’a cessé d’augmenter depuis cette date pour atteindre un sommet de 20% au milieu des années 90. Il était redescendu en dessous de 14% en 2000, avant de reprendre sa hausse qui s’est brutalement accélérée au début de cette année, puisqu’on était «seulement» à 20% au dernier trimestre 2008. Cf INSEE, chômage en métropole au sens du BIT, série longue.

(3) Selon Martin Richer, directeur d’une société de conseil spécialisée en plans sociaux (!): «Contrairement à ce qu’on entend, les syndicats sont très responsables. J’ai recensé seulement 22 séquestrations, un épiphénomène». Cf «Libération», 14/7/09.

(4) D’après «Convergence révolutionnaire», organe de l’ex-«fraction» de LO passée au NPA, 3/7/09 Cf: www.convergences revolutionnaires.org/spip.php?article1940

(5) cf «Les Echos», 26/5/09. L’émission radio de Mermet «Là bas si j’y suis» sur France Inter, a diffusé un reportage sur Caterpillar. En dépit des déclarations de l’animateur pour défendre les syndicats et minimiser ce qui se disait, on pouvait constater les réactions très violentes des membres du comité envers les délégués syndicaux: «aujourd’hui, on t’écrase!» et la virulence de leurs interventions: «aux armes!», etc.

Le NPA est tout fier d’annoncer qu’aux «Etats généraux du chômage et de la précarité», triste initiative réformiste qu’il impulsait avec d’autres, des organisations syndicales d’entreprise en lutte étaient présentes, en la personne de délégués de la CGT et de la CFDT de Caterpillar: les mêmes sections syndicales qui ont tout fait pour saboter la lutte...

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

Retour sommaires

Top