Courrier des lecteurs

A propos de la société communiste

(«le prolétaire»; N° 496; Avril-Mai-Juin 2010)

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Un lecteur nous a écrit pour nous poser quelques questions sur la société communiste; questions en apparence toutes simples, mais qui vont droit à l’essentiel. Voici notre réponse.

 

Tu poses d’abord la question de la suppression de l’argent; tu écris «si on supprime l’argent, quel autre moyen d’échange y aura-t-il?».

Si effectivement dans la société communiste il y avait toujours l’échange entre équivalents, il faudrait un moyen pour réaliser cet échange, un «équivalent général», si on ne veut pas retomber dans une économie de troc (où chaque collectivité productive échange les produits qu’elle fabrique contre d’autres dont elle a besoin).

Une économie de troc n’est possible que dans des sociétés où la production est très peu développée et très peu diversifiée, toutes les communautés productives (en général des tribus) produisant de façon autarcique pratiquement tout ce dont elles ont besoin; seul le surplus est échangé contre quelques produits non indispensables.

Les anarchistes et autres qui rêvent d’une société autogérée (sur le principe: chaque usine à ses ouvriers) en gardant la structure économique fondamentale de la production et de la distribution marchandes, ne se rendent pas compte que cette société devrait continuer à voir circuler l’argent.

En réalité la société communiste verra la disparition de l’argent, parce que ce ne sera plus une société mercantile: il n’y aura plus d’échange entre équivalents, il n’y aura donc plus non plus de salariat. Marx explique que l’existence du salariat signifie l’existence du capitalisme: le temps de travail est une marchandise comme une autre qui est achetée à sa valeur par le capitaliste privé ou l’entreprise nationalisée ou autogérée. Cette valeur est le salaire, qui permet d’acheter les marchandises nécessaires à la reconstitution de la force de travail dépensée (au sens large: nourriture, habillement, logement, etc.). Mais la particularité de la marchandise-force de travail humaine étant qu’elle produit plus que sa valeur, cette «survaleur» produite reste la propriété du capitaliste, de l’entreprise, etc.,: son profit.

Dans la société communiste, la force de travail ne sera plus une marchandise: le travailleur ne sera plus obligé de se vendre pour vivre (qu’il vende sa force de travail musculaire, intellectuelle ou sexuelle!). Comme disait Marx, le travail ne sera plus une malédiction mais le premier besoin social, comme il l’était dans les sociétés communiste primitives; il utilisait aussi la formule suivante pour décrire cette société: «de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins». Chaque individu fournit à la société ce dont il est capable et il reçoit gratuitement de la société tout ce dont il a besoin pour vivre, se distraire, etc.

Tu écris: «si un ingénieur n’aura pas plus de confort matériel qu’un ouvrier, personne ne voudra être ingénieur». En réalité dans la société capitaliste, ce sont les métiers les plus pénibles qui sont les moins bien payés! Tout le monde préférerait être cadre ou patron plutôt que manoeuvre... C’est la contrainte matérielle d’être obligé de gagner sa vie qui oblige le prolétaire (= celui qui ne possède rien que sa force de travail) à accepter des boulots pénibles, dangereux ou difficiles. Pour devenir ingénieur ou médecin, il faut des études longues et coûteuses que ne peuvent payer à leurs enfants les familles de prolétaires.

La véritable question devrait donc être: si dans la société communiste il n’y a plus cette contrainte économique, personne ne voudra plus être ouvrier?

Et effectivement, personne n’acceptera plus de se crever au boulot dans des conditions de travail détestables comme aujourd’hui. Non seulement il n’y aura plus d’ouvriers et d’ingénieurs (des individus qui toute leur vie feront ce type d’activité) de même qu’il n’y aura plus de classes sociales, mais inévitablement, la société communiste devra complètement modifier les conditions de travail en faisant en sorte que les travaux pénibles encore indispensables soient accomplis dans les meilleures conditions et ne soient pas non plus réservés à une catégorie particulière de travailleurs (réduction drastique de leur durée et de leur pénibilité en attendant de pouvoir les supprimer, attention extrême à supprimer toutes les causes d’accident ou de pollution, etc.). L’effort de la société se basera donc, non comme aujourd’hui sur la recherche du profit pour une minorité qui possède tout (les capitalistes), mais sur la recherche du bien-être de tous, y compris des futures générations.

Les efforts de la société ne seront pas orientés vers l’exploitation toujours plus intense du travail, mais vers l’allégement de celui-ci par une augmentation différente de sa productivité. Un socialiste allemand du dix-neuvième siècle (Bebel) avait déjà calculé que les progrès de la productivité permettraient en théorie de réduire le temps de travail nécessaire à une poignée d’heures par jour dans une société communiste (avec aussi la mise au travail de tous les inactifs et la suppression des activités inutiles ou socialement nuisibles, à commencer par celles liées à l’armement ou à... la publicité! Aujourd’hui on a calculé qu’une durée de travail de 3 heures par jour serait largement suffisante; le temps gagné permettant aux individus de s’occuper de la gestion de l’organisation sociale, de s’instruire, d’apprendre ou de se perfectionner dans une activité, ou  se distraire, etc.

Tu cites la phrase de Marx [disant qu’il n’y aura plus d’artistes]; la figure sociale de l’artiste, un individu spécialisé qui vit (plus ou moins bien) en produisant des marchandises culturelles à destination de la classe des bourgeois disparaîtra évidemment (il n’y aura plus de marché ni de bourgeois!), comme tant d’autres spécialistes qui ne peuvent exister que dans la société actuelle, de la prostituée au juge. Il est évident que telle ou telle activité demande un long apprentissage; mais de façon générale l’évolution technique, dès aujourd’hui et beaucoup plus demain tend à faire en sorte que les connaissances et les capacités deviennent sociales plutôt que de rester individuelles, que le travail complexe se décompose en travail simple. L’artisan du Moyen-âge mettait des dizaines d’années à maîtriser son art, tandis que l’ouvrier actuel peut apprendre à participer à la construction de voitures en quelques jours, voire quelques heures.

Le membre de la société communiste de demain ne sera pas un spécialiste confiné toute sa vie dans un domaine particulier, ce qui est source de mutilation de sa personnalité, mais quelqu’un qui pourra réaliser toutes ses potentialités en se livrant au cours de sa vie à plusieurs activités (comme le disait un de ses correspondants cités par Marx, qui lui expliquait qu’aux Etats-Unis il avait successivement exercé de nombreux métiers: «c’est ainsi qu’on se sent un peu plus homme et un peu moins mollusque»), selon ses capacités propres. L’enseignement lui-même des jeunes surtout (mais aussi des moins jeunes, car il n’y aura pas de coupure nette entre l’enseignement et l’activité productive sociale) sera un puissant élément de transformation à cet égard.

Sur la question du logement, un des points décisifs sera la disparition de la séparation entre la ville et la campagne qui fera disparaître ces concentrations malsaines d’individus dans des cages à lapin (alors que les capitalistes possèdent de luxueuses propriétés, non seulement en ville mais aussi dans les endroits les plus agréables du globe). Un deuxième point sera la socialisation du «mesquin travail domestique» comme disait Lénine, dont le poids retombe encore aujourd’hui sur les femmes, c’est-à-dire sa disparition: indépendamment de toute autre considération, il s’agit là d’un énorme gâchis d’énergie et de travail à l’échelle de la société, même si le capitalisme a déjà montré qu’il est possible de le supprimer. Un troisième point fondamental sera la disparition de la propriété privée du logement qui divise la société entre locataires et loueurs.

Enfin il existe un point que tu n’as pas abordé, mais qui sera aussi fondamental non seulement dans la question du logement, mais dans toute l’organisation sociale: la disparition de la famille telle qu’elle existe aujourd’hui et qui est un foyer des pires tares de cette société. Les relations entre homme et femme, entre parents et enfants pourront connaître un développement pleinement harmonieux, une fois disparu le boulet de la propriété privée et de ses corollaires juridiques (mariage, droits paternels, etc.); le cercle familial ne sera plus comme aujourd’hui une sorte d’entreprise en lutte larvée contre toutes les autres, défendant jalousement ses droits et ses possessions et imposant à ses enfants ses préjugés.

Tu comprends que cette société communiste n’arrivera pas du jour au lendemain; il y aura inévitablement toute une période de transition pendant laquelle la société se transformera progressivement, pendant laquelle les défauts hérités du capitalisme seront peu à peu éliminés, les dégâts causés par lui réparés et toute l’organisation sociale complètement révolutionnée à l’échelle mondiale (disparition des inégalités entre les régions du monde, etc.). Mais tout de suite après la victoire révolutionnaire dans un pays, les premiers pas seront faits dans la direction de la société communiste, l’importance et la rapidité de ces pas dépendants de l’extension de la révolution à d’autres pays et régions.

Nous n’avons fait ici que définir à très grands traits les caractéristiques de la société communiste future, pas seulement parce qu’il nous fallait être bref, mais aussi parce qu’on ne peut dresser à l’avance des plans précis d’organisation sociale, comme le faisaient autrefois les utopistes en laissant courir leur imagination; ce dont nous pouvons être sûrs par contre c’est des principes généraux sur lesquels s’établira l’organisation sociale communiste future qui sont les principes anticapitalistes dans tous les domaines.

( ... )

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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