Le capitalisme promet des «années de souffrance» aux prolétaires

(«le prolétaire»; N° 496; Avril-Mai-Juin 2010)

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Reprise économique droguée

 

Selon la plupart des économistes officiels (1), la crise économique s’est achevée à la fin de l’année 2009 ou au début de l’année 2010, selon le moment où les taux de croissance sont redevenus positifs dans les différents pays.

Différents indices statistiques attestent que nous sommes dans une phase de reprise économique: depuis les chiffres de croissance du PIB, de la production industrielle à ceux du commerce mondial. A elle seule l’augmentation des profits aux Etats-Unis, toujours et de loin la première économie mondiale et qui recommence à créer des emplois, démontre à l’évidence que le paroxysme de la crise connu à la fin 2008 et au début 2009, est bien passé.

Cependant les incertitudes sur cette reprise persistaient y compris chez les mêmes économistes, avant même que la «crise grecque» ravive brutalement les inquiétudes. En effet, cette «reprise» est beaucoup plus molle et incertaine que les reprises qui suivent habituellement les récessions économiques. Par exemple au mois de mai, les statistiques gouvernementales américaines annonçaient la création de 430 000 emplois le meilleur chiffre mensuel de création d’emplois depuis plus de 10 ans. Mais plus de 95% de ces emplois étaient des emplois temporaires de contractuels chargés d’effectuer le recensement national de la population (2)! De même au premier trimestre 2010, le commerce mondial a enregistré une forte hausse, en valeur, par rapport à l’année précédente: + 25 %. Mais cette hausse doit être relativisée, car la période correspondante de l’année dernière était celle de la chute historique, sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale, du commerce international. Et d’autre part, si on compare maintenant l’évolution par rapport au trimestre précédent, on constate une baisse de plus de 10 % de ce commerce...

La reprise économique reste en réalité jusqu’ici entièrement dépendante de l’accroissement de la dette publique, des déficits budgétaires des Etats ainsi que de la politique d’argent facile («quantitative easing») des Banques centrales: taux d’intérêt voisins de zéro qui permettent aux banques de se refinancer gratuitement: nous sommes toujours dans ce qu’un économiste appelle une «économie droguée» (3)

Aux Etats-Unis, au premier trimestre 2010, il fallait 3,6 dollars de dette financière et 2,2 dollars de dépense budgétaire pour avoir un dollar de croissance du PIB (4). Pour qu’il soit possible de parler de reprise solide, qui puisse se soutenir elle-même sans recours aux doses massives de drogue du crédit, il faudrait que ces ratios deviennent inférieurs à 1. Tôt ou tard en effet les Etats, et l’Etat américain qui jouit pourtant du formidable avantage que le dollar est encore la monnaie de réserve internationale (et donc qui fait financer son déficit budgétaire par les autres Etats) ne fait pas exception, devront réduire leur endettement et leur déficit budgétaire qui ont atteint des niveaux qui sont à la longue insupportables. Si elle n’a pas trouvé un autre moteur, la reprise économique se transformera alors en une rechute dans la récession: c’est le scénario d’une crise «en double creux», comme celle de 1980-1982. D’ores et déjà la Banque Mondiale avertit des risques d’une rechute dans la crise économique pour certains pays européens avec des conséquences menaçantes pour les pays d’Europe de l’Est, d’Asie centrale et d’Amérique Latine (5).

Pour éviter une rechute dans la crise, le gouvernement Obama a officiellement décidé depuis des mois de trouver un tel moteur dans le développement des exportations américaines, en s’appuyant en particulier sur la baisse du dollar par rapport aux autres monnaies (y compris en faisant pression sur les Chinois pour qu’ils réévaluent leur monnaie).

Malheureusement pour les Etats-Unis, la dite «crise grecque» et la baisse de l’euro qu’elle a provoquée, est venue contrecarrer cette perspective...

 

La «crise grecque», nouveau développement de la crise capitaliste mondiale

 

Cette «crise grecque» n’est en réalité qu’une manifestation de la crise économique capitaliste, qui est tout sauf terminée; nous nous trouvons face une crise de l’endettement de l’Etat qui doit emprunter continuellement sur le marché financier international pour régler sa dette et financer son déficit. Si nous étions dans une période de forte croissance économique, cela ne présenterait pas un problème insurmontable. Mais dans la période actuelle, les différentes organisations financières, banques et autres, ont commencé à trouver l’achat d’emprunts grecs risqué, leur remboursement paraissant de plus en plus aléatoire étant donné les perspectives économiques particulièrement délicates de ce pays. Pendant plusieurs mois les grands pays européens ont rechigné à se porter au secours de l’Etat Grec; selon de nombreux analystes, une des raisons du retard à intervenir est que les Etats européens ont d’abord vu dans cette crise un moyen facile de faire baisser la valeur de l’euro, c’est-à-dire d’aider l’exportation de leurs marchandises, qui devenaient ainsi plus compétitives par rapport aux marchandises américaines, japonaises ou chinoises.

Il a fallu que la crise grecque devienne aiguë, risquant de s’étendre à d’autres pays et de mettre en danger la survie de la zone euro elle-même, il a fallu que les Etats-Unis inquiets pour leurs exportations par la baisse rapide de la monnaie commune, fasse pression, pour que les grands Etats européens se décident enfin à mettre sur pied un «plan de sauvetage» de la Grèce et de soutien de l’euro: pendant deux ans l’Etat grec pourra emprunter auprès d’un fonds auquel tous les Etats européens contribueront (6), sans passer par le marché financier international et ses taux quasiment usuraires.

Le taux des prêts à la Grèce a été fixé suffisamment haut (3%) pour que cela soit rentable pour les prêteurs, ce qui a suscité les critiques du FMI: les Etats européens veulent bien être solidaires, mais seulement s’ils y gagnent! Les investisseurs étaient aussitôt «rassurés» par ce plan de 750 milliards d’euros, les bourses devenaient euphoriques, l’euro remontait, la pression «spéculative» sur le Portugal ou l’Espagne s’allégeait. Mais qui a été «sauvé» en réalité?

La réponse ne fait pas de doute: ce sont les banques européennes, principalement françaises et allemandes, qui sont les premières bénéficiaires de ce sauvetage. Selon des statistiques de la Banque des Règlements Internationaux, au premier trimestre de cette année, les banques françaises étaient les plus exposées à la dette grecque (79 milliards de dollars), suivies des allemandes (45 milliards de dollars), ce qui représentait plus de 64 % du total de l’exposition des banques européennes. «Le Monde» écrivait le 18 mai: «ce sont les banques que l’on a sauvées pas la Grèce»; furieux, le grand quotidien allemand «Der Spiegel» n’hésitait pas à parler le 29 mai d’un «complot français» parce que, dans le cadre du plan d’aide à la Grèce, la Banque Centrale Européenne venait d’acheter 25 milliards d’euros d’obligations grecques (invendables autrement) auprès de banques françaises...

Pour mettre du baume au coeur du Spiegel, nous rappellerons qu’il s’agissait aussi de sauver un bon client de l’Allemagne: la Grèce est le deuxième client de l’industrie de l’armement allemand, l’Allemagne étant devenue le troisième exportateur mondial d’armes, dépassant la France.

Quant à cette dernière, elle a paraît-il exigé pour donner son feu vert au plan de sauvetage, que la Grèce honore les contrats d’armes passés avec elle par le gouvernement précédent: l’austérité ne s’applique pas aux marchands de canons!

En «contrepartie» de ce plan comme on l’a vu très «généreux», l’Etat grec devra imposer une austérité sans précédent: évidemment cela retombera en définitive sur les prolétaires de ce pays en termes de baisse des salaires, de diminution des retraites, de hausse du chômage - en un mot: d’augmentation de l’exploitation pour améliorer le taux de profit moyen de l’économie grecque, de façon à ce qu’elle puisse dégager des ressources suffisantes pour rembourser les prêteurs.

 

Le plus dur de la crise est à venir

 

Comme nous l’avions écrit, ce qui se passait en Grèce n’était que la préfiguration de ce qui attendait les prolétaires des autres pays européens. A peine le cas grec «résolu», on s’est aperçu d’une part que cette solution n’était que temporaire (peu d’économistes pensent que dans 2 ans ce pays sera dans une forme économique suffisante pour éviter le défaut de paiement), et d’autre part que les mêmes problèmes se posaient, de façon plus ou moins prononcée, dans tous les autres pays européens: endettement pharamineux, déficits budgétaires et perspectives de croissance économique très faibles font des cocktails explosifs jusque dans les pays les plus puissants. L’agence économique Reuters écrivait le 24 mai: «le plus dur de la crise est peut-être à venir».

Et en quelques semaines les divers pays européens, effrayés par les sombres perspectives économiques qui alimentaient la déprime des bourses, ont annoncé, les uns après les autres, des mesures d’austérité parfois draconiennes: recul de l’âge de la retraite, diminution des pensions, baisse des salaires des fonctionnaires, baisse des prestations sociales, etc. Même la riche Allemagne a annoncé son plan d’austérité, le plus important depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, qui devrait frapper essentiellement les budgets sociaux.

D’ores et déjà les travailleurs des pays européens périphériques sont confrontés à des conditions et des mesures qui ne font encore que se profiler pour leurs camarades des pays de la zone euro, à l’exception de la Grèce ou de l’Irlande. Prenons comme exemple les Pays Baltes et la Roumanie.

En Estonie le chômage a plus que triplé en un an pour dépasser officiellement les 15 % à la fin de l’année dernière, et la pauvreté fait des ravages chez les chômeurs et les retraités.

En Lettonie la crise économique est comparable à celle des années trente aux USA; le PIB a baissé de plus de 18 % en 2009, le chômage a triplé là aussi, le chiffre officiel indiquant 19 %. Pour obtenir des prêts du FMI, de l’Union Européenne et des banques nordiques, elle a instauré un plan d’austérité drastique; le salaire minimum a été diminué de 20 % (à 140 euros par mois), les pensions de retraite de 10 %, etc. Les salaires dans le privé ont baissé de 30 %. Malgré cela la dette et les déficits devraient augmenter, appelant de nouveaux plans d’austérité anti-ouvriers.

En Lituanie, le PIB a reculé de 15% en 2009: devant le risque d’une faillite du pays, le gouvernement s’est lui aussi lancé dans un plan d’austérité draconien: baisse des dépenses publiques de 30%, diminution des salaires des fonctionnaires de 15 à 20%, de 11% de pensions, augmentation de la TVA à 21%. «Il ne fait pas bon être vieux en Lituanie», écrivait le New York Times le 22/4/2010...

En Roumanie le gouvernement a décidé d’une véritable «thérapie de choc» (que le FMI s’est donné le luxe de juger excessive!) avec augmentation de la TVA à 25%, suppression de 145 000 emplois dans la Fonction Publique, baisse des salaires des fonctionnaires de 25%, baisse des allocations chômage et des pensions de 15%, réduction de nombreuses aides sociales...

Les dirigeants du monde entier ont cru pouvoir résoudre la grave crise économique du capitalisme par un recours massif à l’endettement, cette fois-ci des Etats. Si ce ballon d’oxygène a indéniablement évité le pire et sauvé le système financier international, il ne pouvait qu’amortir la crise mais en la prolongeant. Pour redémarrer un nouveau cycle économique de croissance vigoureuse, le capitalisme doit supprimer la surproduction qui l’étouffe; il lui faut dévaloriser des capitaux pléthoriques, supprimer des forces productives en surnombre à commencer par la plus importante de celles-ci: la force-travail, les prolétaires; il ne peut sortir de sa cris qu’en attaquant les prolétaires, en leur extorquant une part supplémentaire de surtravail.

C’est un processus qui peut être accompli par une crise brutale, catastrophique, une nouvelle guerre mondiale dont les ravages immenses seraient comme un bain de jouvence pour le capitalisme, comme lors de la deuxième guerre mondiale. Mais le capitalisme mondial n’est pas encore poussé à cet extrémité. Sa perspective actuelle est celle décrite par le Premier Ministre britannique; parlant de la Grande Bretagne, il a en fait a énoncé ce que réserve aux travailleurs la bourgeoisie des pays européens lorsqu’il a annoncé «des années de souffrance» (7).

 

Vers la reprise de la lutte de classe

 

Les bourgeois ont pour eux un atout formidable: partout la classe ouvrière est encore paralysée, prisonnière des organisations syndicales et politiques collaborationnistes qui sacrifieront toujours les intérêts prolétariens aux intérêts du capitalisme. Le 14 mai, le responsable des Commissions Ouvrières, le principal syndicat espagnol déclarait qu’il rejetait totalement le plan d’austérité du gouvernement; mais c’était pour ajouter qu’il rejetait une vraie grève générale, impliquant les travailleurs du privé (au lieu d’une grève symbolique des fonctionnaires) parce que c’est «la dernière chose dont a besoin le pays dans une période comme celle-ci» (8). De l’Espagne à la Grèce, de la Roumanie à la France, de l’Allemagne à l’Italie et aux Pays Baltes, les appareils syndicaux, totalement intégrés dans les réseaux bourgeois de la collaboration des classes, n’envisagent les manifestations et les protestations que comme des exutoires pour dissiper la colère des travailleurs et les empêcher d’entrer véritablement en lutte.

Mais ces pompiers sociaux ne pourront éternellement contenir les poussées de lutte qui naîtront inévitablement en réaction aux attaques capitalistes. Sous les coups de la crise, le filet qui enserre le prolétariat et qui est de plus en plus usé, finira par se rompre. Le retour de la lutte de classe n’aura pas lieu d’un coup et de manière définitive; il y aura inévitablement des explosions de luttes qui seront détournées et stérilisées jusqu’à ce que les prolétaires retrouvent la force de se doter d’une organisation de classe, ce qui ne pourra se faire en un jour. Mais la reprise de la lutte de classe est inévitablement à l’ordre du jour des crises du capitalisme.

Voila ce dont les prolétaires conscients doivent avoir conscience et qu’ils doivent préparer, en dépit des limites encore énormes imposées par la situation objective: en silence la vieille taupe de Marx travaille!

 


 

(1) Mais le NBER, organisme américain chargé d’annoncer le début et la fin des crises, a estimé à la mi-avril qu’il n’avait pas encore suffisamment d’éléments pour annoncer la fin de la crise aux Etats-Unis: «Beaucoup d’indicateurs sont tout à fait préliminaires et seront révisés dans les prochains mois. Le comité agit uniquement sur la base d’indicateurs réels et ne s’appuie pas sur des prévisions pour déterminer les hauts et les bas de l’activité économique». cf www.nber.org/cycles/april2010.html

(2) cf «Le Monde», 5/6/2010

(3) cf «Les Echos», 4-5/6/2010

(4) cf http://criseusa.blog.lemonde.fr/2010/05/01/le-pib-us-au-t-1-2010-la-reprise-nest-pas-la/

(5) cf http://go.worldbank.org/LVQ96TT0R0

(6) Exception: la Grande-Bretagne a refusé d’y participer, alors que la Suède, elle aussi non membre de la zone euro, y participera.

(7) cf «The Sunday Times», 6/6/2010.

(8) cf «The Financial Times», 14/5/2010

 

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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