Espagne:

La réquisition des contrôleurs aériens montre ce que la bourgeoisie  réserve aux prolétaires en lutte

(«le prolétaire»; N° 498; Nov.-Déc. 2010 / Janv.-Févr. 2011)

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De l’aube du vendredi 3 décembre jusqu’au samedi 4, l’Unité Militaire d’Urgence, sur ordre du gouvernement espagnol, sortait de ses casernes, prenait les principaux aéroports du pays (Madrid, Canaries, Séville et Barcelone) et mettait ainsi fin par la force à la grève sauvage des contrôleurs aériens. Pendant ce temps la police encerclait une réunion que les représentants de ces derniers organisaient dans un hôtel de Madrid. Face à la résistance de ces travailleurs à ses mesures anti-prolétariennes, la bourgeoisie espagnole avait ainsi recours à la militarisation et à la prison pour les soumettre. C’est un avertissement à tous prolétaires: «où vous acceptez pacifiquement et démocratiquement la détérioration de vos conditions de vie, ou elle vous sera imposée par la force».

 

Il y a plus de 6 mois que le gouvernement socialiste, avec le soutien der tous les partis parlementaires, a commencé à imposer une série de réformes sur le marché du travail qui affectent les salaires (baisse de 5% des salaires des fonctionnaires), les indemnités de chômage (suppression des 420 euros aux chômeurs de longue durée), aux conditions des contrats et des conventions collectives ( diminution du coût des licenciements, extension de la possibilité de suspendre temporairement les accords collectifs, etc.); depuis ce moment le bien commun et le soi-disant effort collectif pour sortir le pays de la crise ont été les arguments de la propagande utilisée pour faire passer toutes cette batterie de masures anti-ouvrières et empêcher toute résistance à l’aggravation de la situation de la classe ouvrière qu’elles impliquent.

La crise capitaliste touche le monde entier, mais elle se fait ressentir de façon particulièrement dure en Espagne, où le boom économique qui a commencé au milieu des années 90 était basé sur le secteur immobilier et sur le développement fulgurant du système financier. L’effondrement en 2008 des illusions (qui se répètent dans le système capitaliste à chaque poussée de la production) d’une progression illimitée et sans secousse apparente de la croissance a mis la bourgeoisie dans une situation délicate dont elle ne peut sortir qu’en faisant retomber le poids de l’effort nécessaire sur le dos de la classe ouvrière; c’est-à-dire en appliquant une série de mesures, de réformes et de lois pour accroître l’exploitation des travailleurs et ainsi satisfaire le besoin permanent de profit de la classe bourgeoise. Dans le système capitaliste, c’est la classe ouvrière, la classe des sans-réserves, de ceux qui ne possèdent rien d’autre que sa force de travail, qui produit toute la richesse sociale. Cette richesse, régie par les lois sacro-saintes de la propriété privée, consiste en l’augmentation du capital, que, cyniquement, le système statistique de la classe exploiteuse appelle croissance du Produit Intérieur Brut. Quand  la crise frappe les bénéfices, quand le taux de profit obtenu par la bourgeoisie n’est plus suffisant pour maintenir la rentabilité de ses entreprises et de sauvegarder son rang dans la concurrence internationale, il n’y a plus d’autre solution que d’aggraver les conditions dans les quelles cette richesse est produite: diminuer le salaire de la journée de travail, augmenter le temps de travail sans payer d’heures supplémentaires, augmenter l’intensité du travail dans des conditions plus mauvaises, licencier, sanctionner... Voilà ce que signifient les mesures prises par le gouvernement socialiste qui, d’un autre côté, ont été accompagnées d’une diminution progressive des impôts payés par les entreprises, d’une augmentation des impôts indirects qui retombe particulièrement sur la classe ouvrière, etc.

Un telle situation ne peut pas ne pas entraîner le mécontentement des prolétaires. L’augmentation  continue de l’exploitation et la dégradation progressive de leurs conditions de vie ont inévitablement suscité des réactions plus ou moins organisées pour essayer de les empêcher. Les occupations et les affrontements avec la police des mineurs de León, la grève sauvage, sans service minimum, des travailleurs du métro de Madrid ou les troubles de Barcelone, Séville et Madrid lors de la grève générale du 29 septembre ont été des tentatives de rébellion de petits secteurs du prolétariat espagnol contre les attaques bourgeoises du gouvernement. Mais ces réactions ont été limitées et déviées dès le départ: la direction et le contrôle exercés sur elles par la politique interclassiste des syndicats collaborationnistes barre la voie de la lutte de classe et détourne la lutte dans des directions étrangères aux nécessités du combat intransigeant pour le défense des intérêts prolétariens. Véritables lieutenants de la bourgeoisie dans les rangs ouvriers, ces syndicats tricolores s’emploient à soumettre les prolétaires à la méthode démocratique et interclassiste qui appelle en permanence à temporiser, à supporter et à accepter toutes les attaques au nom d’un intérêt supérieur commun à toutes les classes, au nom de la défense de l’économie et de la patrie, devant quoi tous les «intérêts particuliers» devraient être mis de côté.

Cela a été la ligne suivie par les grandes (et moins grandes) centrales syndicales; jusqu’il y a encore quelques mois elles refusaient absolument une grève générale, même limitée à 24 heures et annoncée suffisamment longtemps à l’avance pour que les capitalistes prennent leurs dispositions afin de ne pas en être gênés, en expliquant qu’une grève ne pouvait résoudre les problèmes du pays.  Comme si les problèmes étaient les mêmes dans tout le pays, comme si dans ce pays, comme dans tous les pays capitalistes, il n’y avait pas de classes sociales aux intérêts différents et en guerre permanente!

D’autre part ces agents de la bourgeoisie s’efforcent de préparer le sabotage pratique et effectif des luttes prolétariennes qu’ils ne peuvent pas empêcher, en soumettant les grèves aux exigences de l’entreprise et de la production, faisant en sorte qu’elles troublent le moins possible le fonctionnement normal de l’économie, les laissant sans défense face à la répression, et de manière générale refusant d’utiliser les moyens et les méthodes qui s’attaquent réellement aux intérêts patronaux.

Le contrôle idéologique et pratique que la bourgeoisie exerce sur les prolétaires s’articule fondamentalement autour de la politique défaitiste de syndicats jaunes qui dominent, passivement ou activement selon les moments, la force de la classe ouvrière; mais quand cette ressource du pouvoir de classe devient impuissante, quand la riposte directe de certains secteurs prolétariens devient inévitable en raison de la violence de l’attaque, la classe bourgeoise montre son autre visage et la vraie nature du soi-disant intérêt général: la répression ouverte contre les travailleurs qui oseraient s’opposer aux mesures économiques nécessaires au capitalisme.

C’est ce qui s’est passé avec les contrôleurs aériens. Après la promulgation de mesures qui signifiaient une baisse de 50% de leurs salaires, venant après des mois où ils avaient supporté une dégradation quasi continuelle de leurs conditions de travail sous le prétexte qu’ils étaient des travailleurs privilégiés, ils ont réagi par une grève sauvage, sans préavis, sans service minimum, sans recours à des médiateurs de l’entreprise ou de l’Etat: le vendredi 3 décembre la majorité des contrôleurs des principaux aéroports tout simplement ne vinrent pas travailler. Alors que le principal syndicat, connu pour son corporatisme et sa pratique de briseur de grève et de soumission aux intérêts patronaux et étatiques appelait au calme, la grève était totale dans les tours de contrôle.

La réponse de l’Etat, ce conseil d’administration de la classe bourgeoise, a été foudroyante: passage des aéroports sous contrôle militaire, imposition de la loi martiale aux contrôleurs et conseils de guerre pour les irréductibles.

La grève était brisée; le travail reprit, tandis que s’annonce la répression contre ceux qui ont participé à la lutte.

Mais pour la classe prolétarienne, les leçons à tirer sont claires. En premier lieu il n’y a plus d’équivoque sur la nature des réformes économiques de la bourgeoisie: l’intérêt général de la nation exige les plus grands sacrifices pour les prolétaires et si ceux-ci ne les acceptent pas, toute la force de la nation, c’est-à-dire de l’Etat de classe érigé pour maintenir et défendre les intérêts bourgeois, sera employée contre les rebelles; la démocratie se complète avec les fusils et les prisons. Il n’y a pas de doute qu’une grève sauvage durant l’un des ponts les plus importants de l’année frappe durement les intérêts des entreprises du tourisme, mais cela n’a pas été la cause principale de la militarisation des aéroports; il aurait suffit d’avoir recours contre les grévistes au délit de sédition existant dans le code pénal.

L’important pour la bourgeoisie était de montrer toute la force qu’il est possible d’employer contre les prolétaires qui n’acceptent pas sans broncher ce qu’on leur impose, surtout au moment ou face à l’éventualité d’une aide économique européenne, l’Espagne doit démontrer qu’elle exerce toujours un contrôle social suffisant pour offrir des garanties solides de solvabilité.

En second lieu, l’action combinée de la répression militaire et de la pression démocratique des médias, de la dite «opinion publique», des partis politiques de la bourgeoisie et des syndicats vendus à celle-ci, montre que toute la puissance de la cohésion sociale et de l’Etat de droit se tourne contre les prolétaires pour préparer leur défaite en calomniant, en injuriant, en accusant les grévistes d’être des privilégiés.... La division entre les prolétaires, le maintien de la concurrence au sein de la classe ouvrière pour rendre impossible la solidarité de classe et le soutien entre les différent secteurs prolétariens, contribuent à isoler et à désarmer ceux qui se lancent dans la défense des intérêts prolétariens, même si c’est dans le cadre limité d’une revendication partielle.

Enfin la grève des contrôleurs aériens montre la nécessité vitale pour le prolétariat de retrouver les moyens et les méthodes classistes pour sa lutte contre les patrons et leur Etat. La grève sans préavis, sans service minimum, est l’arme par excellence pour attaquer les intérêts bourgeois. Mais il faut préparer la grève, prévoir la répression et les difficultés qui apparaîtront sur la voie de la reprise de la lutte de classe.

C’est pourquoi il est indispensable que le prolétariat rompe avec la politique interclassiste, jaune, opportuniste et défaitiste des directions syndicales, qu’il reconstitue ses organisations de lutte, indépendantes de tout intérêt autre que prolétarien, donc guidées uniquement par la nécessité de lutter pour des objectifs de classe sans compromis avec les intérêts de l’entreprise ou de l’économie nationale.

C’est seulement ainsi que le prolétariat pourra sortir de la crise politique et organisationnelle où l’ont conduit des décennies de soumission aux besoins du capital et faire front aux conséquences de la crise que la bourgeoisie veut lui faire payer. Ce n’est que sur le terrain de la lutte de classe que peut s’affirmer une solidarité prolétarienne capable d’appuyer les luttes partielles et sectorielles et de résister à l’inévitable répression bourgeoise, y compris après la fin de la grève.

 

Défense intransigeante de la lutte prolétarienne!

Unité de classe, sans distinction entre travailleurs du public et du privé, autochtones ou immigrés, sans distinction de sexe, d’âge ou d’origine!

Solidarité de classe contre la répression bourgeoise!

Pour la lutte avec des méthodes et des moyens de classe!

Pour l’organisation de la classe prolétarienne indépendante des intérêts bourgeois de l’entreprise et du pays!

Pour la reprise de la lutte de classe!

 

6 décembre 2010

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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