La fièvre boursière et financière, signe de la rechute de l’économie mondiale

(«le prolétaire»; N° 500; Mai-Septembre 2011)

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Une véritable bourrasque a secoué les bourses et les marchés financiers en plein coeur du mois d’août. Des chutes des indices boursiers de 5% ou plus par séance ont fait parler de «paniques boursières» dans les médias et obligé les dirigeants politiques des grands Etats européens à interrompre leurs vacances estivales et à multiplier les déclarations lénifiantes pour essayer de «rassurer les marchés».

Peine perdue! Les traders et autres boursicoteurs ont cru revivre les heures noires de la tempête qui a suivi en 2008 la faillite de la banque Lehman Brothers. Nouriel Roubini, le fameux «Docteur Catastrophe» expert à monnayer une réputation acquise par sa prévision dès 2006 de la survenue prochaine d’une grave crise économique aux USA, déclarait lugubrement aux journalistes du Wall Street Journal, l’organe des milieux financiers américains: «Marx avait raison. Le capitalisme peut s’auto-détruire» (1).

La bourrasque a commencé à la suite de nouvelles inquiétudes sur la capacité de la Grèce à rembourser ses dettes: un défaut de l’Etat grec aurait de très graves conséquences sur les banques de ce pays, sur les banques européennes dont celles-ci sont souvent des filiales et, par ricochet, sur l’euro. L’encre de la signature de l’accord pour un énième «plan d’aide à la Grèce» (en fait: un plan d’aide aux banques) décidé lors d’un sommet d’urgence, était à peine sèche, que la bourrasque reprenait de plus belle en raison de craintes à propos de l’Italie.

Puis ce fut la dégradation de la note de la dette des Etats-Unis par une agence de notation qui provoqua une onde de choc mondiale; les Etats-Unis, première puissance économique de la planète et centre moteur du capitalisme mondial, sont aussi le premier emprunteur mondial et la dette publique américaine (obligations, bons du trésor, etc....) joue un rôle clé dans l’équilibre et les flux financiers mondiaux.

Or ceux qui en détiennent qu’ils soient des banques, des Etats ou des particuliers (2), courent le risque de la voir se dévaluer; ils auront logiquement tendance à se détourner de la dette américaine pour chercher des placements plus sûrs (de plus, beaucoup d’établissements financiers ont statutairement l’obligation de n’avoir dans leurs portefeuilles que des «produits» possédant la note maximale, AAA), ce qui rendra le financement de l’endettement américain moins facile, donc plus coûteux: pour attirer les acheteurs, les taux d’intérêts devront être plus élevés. Mais une augmentation des taux d’intérêts américains est un frein à la croissance économique, déjà bien faible. On voit donc que la dégradation de la note des Etats-Unis a potentiellement des conséquences importantes sur toute l’économie internationale.

Les bourses avaient à peine digéré péniblement ce triste événement, que des inquiétudes au sujet de la France et de ses banques déclenchaient une nouvelle vague de panique boursière...

 

Vers une rechute de l’économie mondiale

 

Les médias et les économistes bourgeois ont multiplié les «explications» les plus fantaisistes de la crise boursière et financière actuelle: agissements de spéculateurs tapis dans l’ombre, attaques des financiers anglo-saxons hostiles à l’euro, diffusion de rumeurs malveillantes, utilisation de programmes informatiques pour vendre et acheter les actions, etc. En fait au delà de tous les aspects contingents, c’est le ralentissement de l’économie mondiale depuis plusieurs mois qui est la cause réelle de l’exaspération de tous les problèmes financiers et d’endettement qui font chuter les bourses.

Lors de la crise économique de 2007-2009, les gouvernements capitalistes ont eu recours dans tous les pays à un endettement massif: il s’agissait de sauver les banques menacées de faillite, de préserver le système bancaire indispensable au fonctionnement du capitalisme, et de relancer la machine économique. Ces mesures, plus ou moins importantes selon les pays, ont réussi à éviter un effondrement économique et ont permis une relance, en général poussive, mais indéniable, de la production. Cet afflux de liquidités a eu cependant l’effet pervers d’alimenter des bulles spéculatives, que ce soit sur le marché des actions ou de diverses matières premières; c’était le moyen le plus rapide pour des banques ou des grandes entreprises, y compris industrielles (3), de reconstituer leurs profits, en raison de l’atonie d’un marché qui ne pouvait que difficilement absorber des marchandises supplémentaires: ceux que les médias dénoncent comme «spéculateurs» sans les nommer, sont en effet le plus souvent les mêmes grandes entreprises, banques et institutions financières diverses qui sont glorifiées comme des champions nationaux!

Cependant, après avoir permis de parer, au moins provisoirement à la crise économique, cet endettement des Etats est devenu un problème de plus en plus urgent à résoudre, parce qu’il fait peser un poids important sur le budget de l’Etat, d’autant plus que son financement devient de plus en plus onéreux en raison de la méfiance des «marchés» (autrement dit des investisseurs: banques, institutions financières diverses, etc.). Le ratio de la dette par rapport au PIB, qui est couramment publié par les médias, n’a pas grande signification; ce qui compte c’est le service de la dette, c’est-à-dire ce qu’il faut rembourser chaque année. Par exemple, la dette des administrations publiques était en France en 2010 équivalente à 82,3% du PIB (contre 83 % en Allemagne, 91,6% aux Etats-Unis, 220% au Japon) (4); mais la charge de la dette (paiement des intérêts des emprunts) représentait dans la loi des Finances environ 11% du chiffre des recettes de l’impôt (soit le deuxième poste budgétaire de l’Etat, après l’Education nationale et avant la Défense), tandis que le service total (charge plus remboursement du principal) correspondait à environ 40% des recettes (5): dans les faits, l’Etat emprunte pour rembourser ce qu’il doit!

Jacques Attali, l’ancien conseiller de Mitterrand qui aspire à être le conseiller de Sarkozy, déclarait sentencieusement dans une interview au Monde: «la seule chose qui aurait pu résoudre le problème de la dette (...), c’est ou la guerre ou l’inflation ou la croissance. Les deux premières solutions ne sont pas souhaitables. Il faut donc (...) la croissance» (6). Le problème est justement que la croissance n’est pas au rendez-vous et que c’est au contraire un nouveau plongeon dans la récession qui se dessine à l’échelle mondiale.

Aux Etats-Unis, où les statisticiens ont récemment conclu que la chute de la production au plus fort de la crise avait été plus forte qu’estimée jusqu’ici et donc la reprise moins vigoureuse (ce qui a fait dire à beaucoup d’économistes que les mesures de relance avaient donc été trop faibles), les chiffres du PIB pour les premiers et deuxièmes trimestres 2011 montraient déjà un fort ralentissement de l’activité économique. Mais d’autres indices plus récents sur l’activité industrielle semblent indiquer une baisse prochaine de celle-ci (7), alors que le chiffre des demandeurs d’emplois reste élevé (le taux de chômage officiel est autour de 9%, mais le taux de chômage réel est plutôt de 16-17%!) (8) signant le marasme de l’économie: selon toute probabilité les Etats-Unis sont sur le point d’entrer en récession s’ils n’y sont pas déjà.

En France, l’INSEE a annoncé qu’au deuxième trimestre la croissance économique avait été de... 0% , tandis que les chiffres de la production industrielle indiquaient un recul en mars, avril et surtout en juin, non compensés par les hausses de mai et juillet: les prévisions de croissance arrêtés par le gouvernement (plus de 2% pour 2011), seront à l’évidence impossibles à tenir, ce qui renforce la méfiance des milieux financiers internationaux sur la capacité de l’Etat français à faire face à ses engagements.

Mais c’est l’Allemagne, le champion des exportations, de la croissance et le moteur économique de l’Europe, qui a le plus surpris en annonçant une hausse de son PIB digne de la France (0,1%) et, pire encore, un recul de sa production industrielle en juin (-0,6%) et un déficit de son commerce extérieur à cause du recul de ses exportations!

Selon l’OCDE, ses indicateurs, qui  sont censés fournir une prévision de l’évolution économique dans les mois à venir, «continuent de signaler un ralentissement de l’activité pour le mois de juin 2011 dans la plupart des pays de l’OCDE et des grandes économies non membres».

Le ralentissement serait même plus prononcé pour des pays comme la Chine, le Brésil ou l’Inde, souvent présentés comme les nouveaux moteurs de l’économie mondiale, que pour les Etats-Unis ou les pays européens (9): en réalité, ces pays «émergents» dépendent toujours des marchés des grands pays capitalistes: Etats-Unis, Japon, Europe.

 

Les solutions bourgeoises et les mensonges réformistes

 

Confrontés à ces graves crises boursières et financières, les responsables économiques et politiques en Europe et dans le monde se sont lancés dans des plans d’austérité et des mesures de rigueur budgétaire pour «équilibrer les comptes». La Grèce a servi de banc d’essai, avant que la recette soit appliquée au Portugal, en Irlande et dans d’autres pays comme la Roumanie. Les mesures d’austérité, avec des intensités pour l’instant plus faibles, ont été ensuite adoptées par l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Italie.

Cependant ces mesures, qui frappent essentiellement les prolétaires mais qui touchent aussi les couches petites-bourgeoises, entraînent inévitablement un ralentissement économique, voire une chute brutale dans les pays qui les prennent (la production industrielle en Grèce a ainsi plongé de 13% en juin par rapport à l’année précédente et le PIB pourrait reculer cette année de 4,5%, selon le gouvernement lui-même); la récession économique diminue les rentrées fiscales rendant donc plus difficile le remboursement de la dette et le rétablissement de l’équilibre des comptes, ce qui débouche sur de nouveaux plans d’austérité. Elle accentue aussi les écarts en Europe entre les nations économiquement les plus fortes (l’Allemagne et ses «satellites» comme l’Autriche ou les Pays-Bas) et celles plus faibles (les pays du sud), engendrant des tensions de plus en plus aiguës au sein de la zone euro.

C’est la raison pour laquelle quelques économistes non orthodoxes dont les thèses sont reprises par les courants réformistes petits-bourgeois «de gauche» ou «d’extrême-gauche», préconisent d’autres solutions: non pas l’austérité, mais une relance basée sur des grands travaux grâce à de nouveaux emprunts, des taxes sur les revenus du capital pour pouvoir augmenter les salaires ce qui relancerait la consommation, la lutte contre la spéculation et le contrôle des activités des banques, etc.

 A titre d’exemple, prenons les propositions avancées dans le journal du NPA (10); nos trotskystes (ou post-trotskystes?) qui veulent éviter «l’écueil» de «se borner à des dénonciations générales du capitalisme et à appeler à son renversement comme seule solution, en se désintéressant, voire en dénonçant comme réformistes ou opportunistes les idées contestataires qui circulent dans la société», préconisent ainsi de «décréter un moratoire sur la dette existante» qui devrait être soumise «à un audit public» afin de déterminer la partie qui pourrait être remboursée et celle qui ne devrait pas l’être; de «réformer les statuts de la Banque Européenne pour mettre fin à son indépendance et permettre le financement du déficit», de réaliser «une réforme fiscale d’ampleur» pour taxer les plus hauts revenus, de «ligoter la finance», de «mettre toutes institutions financières sous le strict contrôle de la société», etc.

 Le lecteur trouvera sans aucun doute qu’il faudrait être bien sectaire pour ne voir dans ces propositions de réformes que du réformisme et de l’opportunisme le plus plat!...

 Pour tenter de justifier ses lamentables propositions, dont il reconnaît à contrecoeur qu’«elles n’épuisent pas toutes les revendications à l’ordre du jour» (!), l’article termine en écrivant que cependant elles «synthétisent ce qui semble le plus urgent pour faire face à une crise qui n’est pas seulement économique et produit en Europe des risques de décomposition sociale propices au regain de l’extrême-droite». Il ne manquait plus que l’épouvantail du fascisme pour faire passer cet infâme brouet réformiste!

Le NPA ne fait même plus semblant de défendre avant tout les intérêts ouvriers et de s’adresser prioritairement aux travailleurs: c’est «la société» qui doit contrôler les institutions financières. Ce langage ne doit rien au hasard; il est utilisé pour s’adresser aux petits-bourgeois, aux petits - et moyens - patrons qui ont des difficultés pour trouver des financements auprès des banques ou au moins aux intellectuels qui en sont les porte-paroles; il permet d’éviter la moindre critique envers les institutions politiques de l’Etat bourgeois, prônant au contraire implicitement le recours à ces institutions: elles sont en effet les seules pouvant théoriquement «contrôler» les banques (par le vote de lois ou règlements), à partir du moment où est écartée toute perspective révolutionnaire.

C’est donc un langage de partisans ou de larbins du capitalisme, qui redoutent la décomposition de la société bourgeoise, qui s’effraient seulement comme le très bourgeois Roubini que nous avons cité au début, des risques que la crise fait courir au capitalisme lui-même!

Les prolétaires doivent comprendre, et ils le comprendront vite s’ils en doutent, que ce qui les attend, ce sont de nouvelles politiques d’austérité (comme d’ailleurs l’annoncent, encore mezzo voce, aussi bien les politiciens du parti au pouvoir que ceux du PS qui aspirent à les remplacer), de nouvelles attaques des capitalistes et de leur Etat pour extorquer les quantités supplémentaires de profit dont a besoin le capitalisme dans cette période difficile.

Il est vain de se lamenter devant ces attaques inévitables et de regretter la belle époque de la prospérité capitaliste: dans ce mode de production, la prospérité engendre naturellement la crise; il est absurde d’accorder foi aux solutions alternatives des réformistes, qui non seulement ont toujours fait faillite mais qui surtout désarment le prolétariat face au capitalisme: ce ne sont que de la poudre aux yeux, des mensonges destinés à barrer la voie de l’affrontement ouvert entre les classes, y compris en effrayant  les prolétaires avec la menace de l’extrême droite. Il n’y a pas de réformes à imaginer pour éviter ou adoucir les attaques capitalistes, il n’y a pas à défendre la «cohésion sociale», autre façon d’appeler la collaboration entre les classes.

La période qui vient sera inévitablement celle des affrontements sociaux, de la lutte ouverte entre les classes, non seulement dans les pays pauvres situés de l’autre côté de la Méditerranée, mais dans les pays capitalistes ultra-développés dont la bourgeoisie domine le monde.

C’est à cela que les prolétaires d’avant-garde doivent se préparer et préparer leurs camarades, en retrouvant les méthodes et les moyens de la lutte de classe, en travaillant à la reconstitution des organes de cette lutte et tout particulièrement du parti qui devra en être le dirigeant pour qu’elle puisse enfin triompher.

 


 

(1) voir: http://europe.wsj.com/video/nouriel-roubini-karl-marx-was-right/68EE8F89-EC24-42F8-9B9D-47B5 10E473B0. html ? KEYWORDS=roubini+interview

(2) Un tiers de la dette «souveraine» des Etats-Unis est, sous forme d’obligations et de «bons» divers, entre les mains de créditeurs étrangers. En 2010 la Chine en détenait 21%, le Japon 20%, la Grande-Bretagne 11%, le Brésil 4%, la Russie 3% (L’Allemagne n’en avait que 1%, l’Italie 0,5%, la France 0,4%, etc.). cf International Herald Tribune, 20/7/11 et le blog: criseusa. blog. lemonde.fr;

(3) Par exemple l’américaine General Electric, qui est la plus grande entreprise industrielle mondiale privée, tire le tiers de ses bénéfices de ses activités financières.

(4) cf www.aft.gouv.fr/aft_fr_23 / indicateurs_ economiques_20/comparaisons_ internationales_ 143/dette_ administrations_ p ubliques_152/index.html

(5) voir: http:// fr.wikipedia.org/wiki/Dette_publique_de_la_France

(6) cf Le Monde, 11/8/11. Pour «rétablir les conditions de la croissance», il propose... «un grand emprunt». S’endetter pour résoudre le problème de l’endettement, il fallait un penseur du calibre d’Attali pour y songer!

(7) voir: http://www. philadelphiafed. org /research-and-data /regional-economy / business-outlook-survey  / 2011 / bos0811 .cfm

(8) Calculé d’après les chiffres officiels eux-mêmes; voir:  http://www. bls.gov/ news. release/laus.nr0.htm. D’autres estimations donnent un chiffre encore supérieur, comme par exemple le site conservateur: http:// www. shadowstats.com

(9) voir: http://www.oecd.org/dataoecd/15/44/48494466.pdf

(10) cf «Tout est à Nous», 14/8/11

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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