Lutte des mineurs espagnols

«Marche noire» : le théâtre de la lutte des classes

(«le prolétaire»; N° 503; Mai - Juillet 2012)

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Le mardi 11 juillet dernier deux cent mineurs venant de différentes régions d’Espagne où existent encore, quoique de façon extrêmement difficile, des mines de charbon sont arrivés à Madrid après avoir marché pendant plusieurs semaines. Ils furent accueillis dans la capitale par des dizaines de milliers de personnes qui ont littéralement paralysé toute la partie ouest de la ville. Le lendemain la manifestation qui devait couronner la dite «Marche Noire» se termina par des affrontements devant le Ministère de l’Industrie et dans la zone du stade Santiago Bernabéu après des charges  de la police et les ripostes des manifestants. Dans l’après-midi une manifestation de solidarité avec  les mineurs dans le centre de Madrid s’est également  terminée par des affrontements et des arrestations.

 

Depuis des mois les régions minières d’Espagne, et particulièrement dans les Asturies, connaissent un conflit provoqué par le refus du gouvernement Rajoy de respecter l’accord minier et de maintenir les subventions à l’extraction de charbon qui sont indispensables pour que les entreprises minières continuent à fonctionner ; en effet, étant donné sa rentabilité quasi nulle, cette activité ne subsiste que grâce aux subsides de l’Etat, accordés, de façon toujours plus limitée, depuis les années 80 précisément pour éviter que leur arrêt ne débouche sur un conflit social.

Les travailleurs des mines en grève illimitée dès avant l’été ont recouru à des actions de sabotage continuelles sur les routes des zones touchées, se sont affrontés résolument à la police et à la Guardia Civil et ont même mobilisé en solidarité des villages entiers des régions minières. De leur côté, les entreprises d’extraction du charbon appuient tacitement une lutte qui, si elle était victorieuse, leur permettrait de bénéficier des grasses subventions qui les font vivre. Alors que les prolétaires, et pas seulement ceux qui sont directement employés dans les mines, luttent pour défendre leurs conditions d’existence et emploient des méthodes qui ne respectent pas le cadre de la légalité bourgeoise, les bourgeois semblent encourager un front unique pour obtenir un objectif commun.

Le conflit des mines en Espagne correspond à une situation enkystée depuis des décennies. L’extraction du charbon est subventionnée pour maintenir la paix sociale dans des régions historiquement frondeuses, où la lutte prolétarienne a connu quelques uns de ses épisodes les plus brillants au cours du XXe siècle. Ces aides étatiques en réalité ne garantissaient pas la permanence de l’extraction du charbon, mais seulement sa disparition «non traumatique» le temps que d’autres activités se développent dans ces régions (ce qui n’a jamais eu lieu : dans les Asturies les seules activités qui sont apparues dans la moribonde région minière ont été des hôtels et… le trafic de cocaïne) ; elles ont cependant créé une sorte d’oasis au milieu de la précarisation progressive du panorama social espagnol à travers le renforcement des institutions du syndicalisme jaune et de l’opportunisme politique (PCE, PSOE…) qui avaient la charge de gérer  les dons de l’Etat en échange du contrôle des tension sociales croissantes à mesure que se rapprochait le noir futur de la disparition des mines.

La crise capitaliste qui frappe l’Espagne a accéléré la fin des activités minières dépendant des subventions : il n’y a plus assez d’argent dans les caisses publiques et il n’y a plus d’autre solution que de supprimer ces subventions. Mais le prix à payer est l’éclatement du conflit social dans les zones en question; les prolétaires de ces régions sont descendus dans la rue avec une force considérable, entraînant derrière eux d’autres groupes de travailleurs (professeurs vacataires, travailleurs des transports, etc.), s’en prenant directement aux bénéfices des capitalistes par le blocage des routes et des puits des mines. En de nombreuses occasions les Forces de Sécurité qui, ces derniers temps étaient plus habituées à matraquer des étudiants qu’à des affrontements réels, ont été étrillées en essayant de mettre fin aux mobilisations des mineurs.

Mais pour assumer ce prix, la bourgeoisie peut compter sur des alliés très puissants qui se trouvent dans les rangs des prolétaires en lutte pour leurs conditions de survie. Les grands (et moins grands) syndicats jaunes qui contrôlent les régions minières (les Asturies sont par exemple l’une des régions espagnoles au taux de syndicalisation le plus élevé et elles sont le bastion de l’UGT – syndicat lié au parti « socialiste » –  et de ses filiales locales, SOMA et FIA, comme des CC.OO – syndicat autrefois lié aux staliniens du PCE) oeuvrent à lier les revendications des travailleurs de la mine à une espèce de «bien commun» régional ou national dont feraient partie en premier lieu les capitalistes propriétaires des mines et la bourgeoisie locale. Selon cette orientation les prolétaires devraient lutter, non pour leur salaire ou même pour leur poste de travail, mais pour la défense de l’industrie minière, pour la défense des subventions étatiques aux entreprises et pour  l’avenir industriel de la région. Ils devraient en somme lutter pour leur exploitation, pour cette exploitation qui hier les faisait crever plusieurs mètres sous terre et qui aujourd’hui les jette dans le chômage et la misère. Les forces de l’opportunisme politique et syndical, particulièrement fortes dans ces régions à haute concentration industrielle, cherchent toujours la solidarité entre les classes, la soumission des intérêts prolétariens aux intérêts supérieurs de la patrie, aux nécessités de l’économie…

La fameuse Marche Noire est un grand exemple de la façon dont se combine, dans le cadre de la dure lutte livrée par les mineurs des Asturies, de Léon et de Castille, cette politique de conciliation interclassiste avec l’effort de briser la véritable force des prolétaires qui consiste dans l’emploi des méthodes et des moyens de classe. La force des mineurs durant ce conflit (et dans les conflits précédents, principalement dans les années 80) a résidé dans leur capacité à attaquer directement, par la grève et le sabotage, les intérêts capitalistes; c’est la raison pour laquelle ils ont pu recueillir la solidarité de nombreux autres secteurs prolétariens des zones touchées; et c’est la raison pour laquelle cette solidarité, basée sur l’unité de classe qui apparaît dans la lutte quand celle-ci est menée avec des moyens classistes, a véritablement renforcé leur lutte.

Quand les agents du syndicalisme jaune imposent une marche médiatique sur Madrid pour manifester devant le Ministère, ils coupent la lutte de ses fondements pour la réduire à une spectaculaire et triste manifestation démocratique de confiance en la bonne volonté d’une bourgeoisie qui ne laisserait pas couler toute une économie locale (et avec elle les subventions de ces syndicats!). La Marche Noire, dirigée par ceux qui ont pendant des décennies sacrifié les prolétaires de ces régions sur les autels de la rentabilité capitaliste, a été une tentative de transformer la lutte en une scène de théâtre où se joue une parodie de la lutte de classe. Des mineurs vedettes qui déjà ne sont plus des prolétaires mais des «héros», appuyés par des mairies de gauche et de droite et dont les louanges sont chantés par toute la scorie intellectuelle… tout le contraire des leçons que le prolétariat doit tirer du conflit qui se mène dans les régions minières et que l’on essaye ainsi de liquider.

Les prolétaires des bassins miniers, comme ceux qui sont descendus dans les rues de Madrid et d’autres villes pour les accueillir,  se trouveront, à brève échéance, devant  l’alternative de lutter pour défendre leurs conditions de vie ou de souffrir dans leur chairs toutes les dures conséquences de la crise capitaliste. Les réformes et les ajustements des derniers mois le démontrent noir sur blanc.

Mais pour lutter les prolétaires devront rompre avec la nauséabonde tradition démocratique qui infeste aujourd’hui leur classe. Ils devront se libérer des illusions interclassistes qui font rêver à une solution de la crise par un « accord » entre les ouvriers et les patrons, ils devront rejeter les idées de conciliation sociale… mais surtout ils devront retrouver les méthodes et les moyens de la lutte classiste, ceux qui s’attaquent réellement au bénéfice capitaliste et qui leur permettent de vaincre, même temporairement. La grève illimitée, sans préavis ni service minimum, les piquets pour l’imposer, la constitution d’organes prolétariens pour la lutte qui ne disparaissent pas avec celle-ci mais se maintiennent dans le temps, etc., ce sont là les enseignements que tous les prolétaires doivent tirer afin que la générosité et la détermination avec lesquelles ils ont mené la lutte dans les mines et ou avec lesquelles ils sont descendus dans les rues de Madrid ne soient pas perdues.

 

Pour la défense intransigeante des conditions de vie et de travail du prolétariat !

Pour la lutte prolétarienne avec des moyens et des méthodes de classe !

Pour la rupture avec les agents de la bourgeoisie au sein du prolétariat !

Pour la reprise de la lutte de classe !

13/07/2012

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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