Le laïcisme contre le prolétariat

(«le prolétaire»; N° 507; Avril - Mai 2013)

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«Retroussez-vous les manches et frictionnez-vous les avant-bras à l’alcool à 90°, car nous plongeons les mains dans le plus grave processus d’infection du mouvement socialiste: l’anticléricalisme». C’est ainsi qu’en 1949, Bordiga commençait son Fils du temps «Anticléricalisme et socialisme».

 

Certains auraient pu croire l’époque de l’anticléricalisme – sous couvert d’un laïcisme intransigeant – achevé après la «guerre scolaire» de 1984. Malheureusement, toute une partie de la gauche et de l’ «extrême» gauche se fait le champion de la lutte contre l’enseignement privé – et catholique en particulier.

Ces derniers mois, une coalition hétéroclite unissant les pires réformistes aux restes de l’ «extrême» gauche s’est relancée dans une campagne laïque pour l’abrogation de la loi Debré (qui permet le financement des écoles privées par l’État, en particulier le paiement des salaires des enseignants).

Le 7 décembre dernier, la Libre Pensée – présidée par l’ancien bonze de Force Ouvrière, Marc Blondel – a organisé un meeting pour l’abrogation de la loi Debré («Pour l’abrogation de la loi Debré: L’union laïque est en marche», www.fnlp.org). Se sont succédés à la tribune des représentants de Force Ouvrière, du SNES-FSU, du Parti de Gauche, du Parti Radical de Gauche, du POI (trotskyste lambertiste) et des «syndicalistes révolutionnaires» de la tendance intersyndicale Émancipation.

Ils ont communié autour du culte de Sainte École publique et de l’État national-républicain Notre Sauveur.

La puissance invitante – la LP – a conclu la cérémonie en dénonçant la loi Debré comme «contraire à l’évolution historique de la Nation» et a célébré «l’École de la Nation, espoir de notre jeunesse». Cette même LP exalte dans un communiqué récent la «République Une, Indivisible, Laïque, Démocratique et Sociale» – et surtout bourgeoise – contre les menaces fantasmées que feraient peser non seulement la décentralisation mais également l’existence de «langues différentes» en France!

Il y a deux cent ans ce genre d’orientations avait une valeur révolutionnaire indéniable, même si ces orientations et ces revendications étaient de nature bourgeoise: contre le morcellement et les divisions féodales qui entravaient le développement économique et social, elles représentaient en effet un progrès historique fondamental, celui de la victoire du mode de production capitaliste, victoire dialectiquement nécessaire pour que puisse se déployer la lutte entre les classes modernes et que se créent les conditions matérielles du passage révolutionnaire ultérieur à la société sans classes, au communisme. Mais depuis la victoire définitive de la révolution anti-féodale, elles ne peuvent plus servir qu’à consolider le régime bourgeois contre son seul ennemi: le prolétariat. L’«espoir de la jeunesse», si nous parlons de la jeunesse prolétarienne et non de la jeunesse bourgeoise, ne peut en aucun cas résider dans cette institution bourgeoise qu’est l’Ecole, publique ou privée, mais seulement dans la lutte prolétarienne contre le capitalisme et sa république!

Si les autres courants trotskystes de Lutte Ouvrière (LO) et du NPA ne participent pas actuellement à cette «union laïque» entre forces réformistes, ils adhèrent à la même idéologie et défendent le même mot d’ordre: «Fonds publics à l’école publique».

Les «anticapitalistes» du NPA demandent ainsi que «La puissance publique et les collectivités locales [l’Etat bourgeois!] ne doivent avoir pour objectif que le développement de l’école publique laïque, de la maternelle à l’université. Les fonds publics doivent lui être réservés» («Philippe Poutou: Oui à une cité scolaire publique à Beaupréau», 16 décembre, npa49.free.fr)

LO n’est pas en reste. A Argenteuil, par exemple, ses conseillers municipaux affirment que «Pendant longtemps, le mouvement socialiste a milité pour la défense de l’école publique […]. Pour nous, cela reste toujours un combat d’actualité. L’école financée avec les deniers publics, c’est l’école publique, obligatoire et ouverte à tous.

Si l’église catholique souhaite ouvrir une école, elle en a les moyens, qu’elle s’adresse à ses adeptes pour la réaliser et la financer de bout en bout» (lo-argenteuil.blogspot.com).

Ce combat contre la loi Debré, et plus largement contre l’école privée, se fait non seulement sous le drapeau intégralement bourgeois de la Défense de la République, mais en outre cette défense n’est qu’une fable: il y a bien longtemps que l’Église n’est plus, comme au dix-neuvième siècle, opposée à la république! Au même titre que nos syndicalistes et politiciens laïcards, elle est un facteur de l’ordre bourgeois et son école est tout autant un instrument du conservatisme social que l’école publique! Les campagnes laïques ont pour résultat de détourner le prolétariat de la lutte de classe en l’embrigadant dans une artificielle «guerre scolaire» entre deux camps bourgeois; mais plus fondamentalement elles servent à dissimuler la nature de classe bourgeoise de l’Etat en s’efforçant de convaincre les prolétaires qu’ils doivent le défendre contre de supposées menaces cléricales, réactionnaires ou obscurantistes. Et, inévitablement, elles débouchent sur la division des prolétaires.

 

Baby Loup : quand LO soutient les licenciements

 

Un autre exemple nous est donné par Lutte Ouvrière à propos d’une affaire qui a défrayé la chronique: celle de la crèche Baby Loup –  vantée par LO, cette crèche est parrainée par Elisabeth Badinter, à la fois laïcarde acharnée et membre de la grande bourgeoisie française.

Rappelons les faits: une employée de cette crèche avait été licenciée parce qu’elle portait un «voile islamique»; ayant fait appel, son licenciement a été annulé parce que selon le code du travail les croyances religieuses ne peuvent être un motif de licenciement.

Au lieu de se féliciter que pour une fois une prolétaire ait obtenu un jugement en sa faveur, LO s’en est indignée: «ce jugement a soulevé à juste titre une vague de protestations, car il donne des armes aux obscurantistes de tout bord, et nombreux sont ceux qui réclament une révision des lois existantes, demandant l’élargissement de l’interdiction des signes ostensibles d’appartenance religieuse au nom de la laïcité» («La cour de cassation et la crèche Baby-Loup: une attaque contre le droit des femmes» www.lutte-ouvriere-journal.org). En effet, le port du voile serait le «symbole de l’asservissement des femmes devant une loi occulte (?) imposée par des hommes ultra-réactionnaires qui (...) dénient tout droit et toute égalité aux femmes».

LO n’a pas le courage de dire à ses lecteurs que «ceux» qui s’indignent et qui réclament une révision des lois, c’est d’abord le ministre de l’intérieur Valls, immédiatement approuvé par les politiciens les plus réactionnaires...

En commun avec le premier flic de France et une des plus grandes capitalistes du pays, elle appelle au renforcement des lois tout à fait publiques de l’Etat bourgeois pour apprendre de force aux prolétaires les bienfaits de la laïcité; et elle justifie les licenciements au nom du droit des femmes et de la lutte contre leur asservissement!!! Il est difficile de trouver des mots pour qualifier pareille ignominie de la part d’une organisation qui se dit «ouvrière»...

Bref, une fois de plus, les pseudo-révolutionnaires trotskystes ou «syndicalistes révolutionnaires» montrent qu’ils ne sont que l’aile gauche des défenseurs de l’État capitaliste et des colporteurs de l’idéologie bourgeoise. Ils ne sont pas seulement les pourvoyeurs des illusions réformistes mais – sur la «question laïque» – ils adhèrent totalement à l’idéologie national-républicaine.

Mais l’unité du prolétariat nécessaire à son émancipation, son affranchissement des idéologies bourgeoises et réactionnaires, qu’elles soient religieuses ou démocratiques, ne peut se réaliser que dans la lutte contre l’exploitation et l’oppression bourgeoises, dans la lutte contre les capitalistes et l’Etat bourgeois, donc aussi contre tous ces faux amis.

Au dix-neuvième siècle, les socialistes allemands soutenus par Engels refusaient de s’associer à la Kulturkampf, la «lutte pour la culture» contre le cléricalisme menée par l’Etat prussien, parce que cela aurait signifié le renoncement à l’indépendance de classe.

De même en France, le courant se réclamant du marxisme – malgré toutes ses faiblesses théoriques et ses erreurs politiques – refusait de combattre aux côtés d’une fraction bourgeoise pour la laïcité. Ses représentants dénonçaient « La guerre pour rire contre le cléricalisme [qui] cache un autre but plus sérieux celui d’absorber l’énergie des ouvriers et les détourner de leurs intérêts de classe, de la lutte contre le capital à laquelle on veut substituer la lutte contre Dieu. Le culte des Droits de l’Homme, de la Patrie, de la liberté du commerce, et toute l’idéologie bourgeoise, tendent au même résultat » (Paul Lafargue, Le Socialiste. 15-18 septembre 1901) et les «prétendus laïcisateurs [qui] fabriquent ou s’efforcent de fabriquer de la chair à profit bien docile» (Guesde, «Laïcisation à faire», Le Socialiste, 22 octobre 1887).

Hier comme aujourd’hui, les prolétaires ne doivent pas se laisser abuser par les croisades laïques: ils doivent combattre uniquement sur le terrain de classe pour la défense de leurs intérêts et pour la révolution communiste (1).

 


 

(1) Voir à ce sujet: «La laïcité, un principe bourgeois», brochure Le Prolétaire n°31.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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