Notes de lecture

Isaac Joshua et la révolution

(«le prolétaire»; N° 509; Sept. - Oct. - Nov. 2013)

Retour sommaires

 

 

Isaac Joshua, présenté comme «auteur marxiste», vient de publier un ouvrage au titre alléchant: «La révolution selon Karl Marx» (1). Militant dans les années soixante-dix du groupe Révolution! issu de la Ligue Communiste, puis de l’Organisation Communiste des Travailleurs; il est aujourd’hui membre du «conseil scientifique d’Attac». Il nous a semblé intéressant de dire quelques mots du livre d’un livre qui risque fort d’égarer les lecteurs.

Ecartons tout d’abord le faux procès que lui fait Révolution Internationale (2). Isaac Joshua ne nous semble pas vouloir un capitalisme d’Etat car il écrit à la page 35 de son livre:

«La nationalisation des grands groupes risque fort de ne déboucher que sur un autre capitalisme, fut-il d’Etat: pour l’éviter il ne suffit pas de changer l’étiquette sur le flacon. Dans l’entreprise, dans l’atelier, la nouvelle façon de produire crée les conditions d’une appropriation collective. Mais pour qu’elle aboutisse à un tel résultat, il faut un acte particulier, qui ne se contente pas de peler l’écorce pour manger le fruit.

 L’abolition de la propriété privée n’est que le premier pas pour s’attaquer à l’organisation de la production, non en revenant vers l’ancien maniement individuel d’outils individuels, mais en révolutionnant le procès de travail et les outils avec lesquels il fonctionne, de façon à créer un collectif de travailleurs capable de maîtriser le collectif des moyens de production».

Bien qu’il n’analyse pas l’URSS et les anciens pays de l’Est, la Chine et Cuba, comme des pays capitalistes d’Etat, il les critique cependant. Mais ses positions sont très éloignées de celles de Marx. Pour lui en effet, les forces productives ne sont pas en contradiction avec les rapports de production. La dictature du prolétariat ne serait pas nécessaire selon lui. Et au final, le but ne serait pas le communisme, mais un communisme à géométrie variable.

 

Les forces productives

 

Isaac Joshua cite la célèbre préface à la Critique de l’économie politique de Karl Marx; citons la nous aussi une nouvelle fois: «Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent dans des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles (...). A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels ils s’étaient mus jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une période de révolution sociale».

Joshua n’est pas d’accord avec cette thèse de Marx. Pour lui les rapports de production marquent de leur sceau les forces productives qui les ont engendrées, au point que celles-ci soient inutiles ou même nuisibles aux rapports de production futurs. C’est ce que soutenait dans «Calcul économique et formes de propriété» (3) Charles Bettelheim dont Joshua fut l’élève. S’il y a des productions qui disparaîtront sous le communisme (exemple évident: la production d’armement), si les forces productives seront réorganisées de fond en comble selon un plan unique mondial répondant aux besoins de l’humanité, ce sont bien ces forces productives elles-mêmes (dont la principale est ... le prolétariat) qui sont à la racine des bouleversements politiques et sociaux et non les idées et les idéologies. Mais il est tout aussi faux d’attendre du développement des forces productives l’instauration mécanique des rapports de production supérieurs. Ce serait du plus grossier réformisme que de croire que le capitalisme peut se transformer en socialisme grâce au «progrès» de ces dernières. C’est la lutte du prolétariat dirigé par son parti qui libère la machine de son usage capitaliste et en fait le fondement matériel du mode de production socialiste, en brisant le pouvoir politique bourgeois et en instaurant la dictature du prolétariat, indispensable pour révolutionner les rapports de production.

 

La dictature du prolétariat

 

Or Joshua émet des doutes sur la centralité du potentiel révolutionnaire de cette classe: le prolétariat. Comme le montre la citation que nous avons faite au début, Joshua ignore le parti dont le rôle est de centraliser et de diriger la lutte prolétarienne de classe. Sa théorie est proche de celle du socialisme d’entreprise cher à Gramsci et aux gramscistes: il préfère partie de l’usine capitaliste, de l’atelier, refusant de voir la nécessaire lutte centrale pour détruire l’Etat bourgeois. Le révisionnisme de Joshua est un révisionnisme à la Kautsky, dans la mesure où il combat la théorie marxiste de la dictature du prolétariat et propose un Etat «allégé»: le socialiste allemand Kautsky, le grand théoricien de la IIe Internationale, affirmait que ce n’était là qu’un «petit mot» que Marx n’avait employé qu’une fois ou deux dans son oeuvre. Dans «L’Etat et la révolution» Lénine répliqua au «renégat» qu’il vidait ainsi le marxisme de toute sa substance. Mais pour Joshua qui retaille la barbe de Marx, la thèse du dépérissement de l’Etat expliquée dans cet ouvrage est une «illusion». Or ce que nous ne dit pas notre radoubeur du marxisme, c’est que ce «simplificateur» (!) de Lénine était capable d’analyser très profondément la nature de l’Etat en Russie en parlant en 1921 d’un Etat ouvrier avec déformation bureaucratique dans un pays où les paysans étaient la majorité.

Dans les périodes de recul de la lutte de classe, il se trouve toujours d’anciens marxistes (ou pseudo-marxistes) pour jeter le bébé des théories de Karl Marx (l’extinction de l’Etat, la nécessité de la destruction de l’Etat bourgeois, etc.) avec l’eau sale du bain stalinien.

Le communisme est une société sans classes, sans argent, sans Etat, où les producteurs associés seront logés, vêtus, nourris selon leurs besoins; or pour Joshua, les besoins sont illimités. Disons-le tout net, nous ne sommes pas d’accord avec cette thèse. Les besoins sont au contraire naturellement limités. Exemple: dans un restaurant où le pain est en abondance, les convives ne se jettent pas dessus et ne consomment que la quantité nécessaire pour satisfaire leurs besoins.

Mais Joshua pense que la formule «à chacun selon ses besoins» doit être combiné avec des parts égales et avec la formule «à chacun selon son travail» qui marque pour Marx l’étape inférieure du communisme. Il parle de gisements de communisme dans la société actuelle, en donnant l’exemple de la santé, où on ne serait pas soigné selon le portefeuille, mais selon sa maladie donc selon ses besoins. C’est oublier un peu vite qu’il y a une médecine pour les riches et une médecine pour les prolétaires! Et c’est faire de la société actuelle un avant-goût du paradis communiste, alors que c’est un enfer capitaliste...

Isaac Joshua préfère la démocratie avec ses médiations politiques au but final communiste où la politique n’existe plus. Comme l’écrit la revue «Alternatives Economiques» qui trouve cela «intelligent et novateur», pour Joshua, «il n’y aura pas de Grand Soir, mais une évolution progressive vers le communisme» (4): son «acte particulier» n’est pas la révolution. Dans un article récent sur la crise (5), il écrit que la réponse à celle-ci est «une autre croissance, avec une autre façon d’aménager la vie dans le long terme (?)», surtout pas la révolution pour la liquidation du capitalisme!

C’est en réalité une très vieille thèse, et tout sauf intelligente car elle a été démentie par l’histoire: la thèse d’un Bernstein par exemple qui dans les premières années du vingtième siècle affirmait que les positions révolutionnaires de Marx et d’Engels n’étaient que des archaïsmes hérités des attitudes barricadières de 1848, alors que le capitalisme était selon lui entré dans une ère de progrès pacifique et avait définitivement surmonté ses crises économiques. Révisionniste et social-démocrate, Isaac Joshua a bien sa place à ATTAC; mais pas plus que les gros ouvrages de Bernstein ou de Kautsky et la propagande éternelle des réformistes, son petit livre ne pourra conjurer le spectre de la révolution.

 


 

(1) Editions Page Deux, Lausanne 2012

(2) Révolution Internationale (organe du CCI) n°442

(3) Editions Maspéro, 1970

(4) Alternatives Economiques n°323 (avril 2013)

(5) cf http://www.contretemps.eu/interventions/crise-troisi%C3%A8me-type

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top