Nature, fonction et tactique du parti révolutionnaire de la classe ouvrière (2)

( La première partie de cet article est parue sur le numéro 508 du Prolétaire )

(«le prolétaire»; N° 510; Déc. 2013 / Janv. - Mars 2014)

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L’internationale communiste et la question du Front Unique

 

Née de la révolution russe, la IIIe Internationale se dressa contre cette orientation désastreuse pour le mouvement ouvrier.

Il faut toutefois dire que, si sa restauration des valeurs révolutionnaires a été grandiose et parfaite en ce qui concerne les principes doctrinaux, l’orientation théorique et le problème fondamental du pouvoir d’Etat, il n’en fut pas de même par contre pour l’organisation de la nouvelle Internationale et la définition de sa tactique et de celle des partis adhérents.

La critique des opportunistes de la IIe Internationale fut cependant complète et décisive: on critiqua non seulement leur abandon total des principes marxistes, mais aussi leur tactique de coalition et de collaboration avec des gouvernements et des partis bourgeois.

Il fut mis en évidence que l’orientation particulariste et immédiatiste donnée aux vieux partis socialistes n’avait nullement procuré de petits avantages et des améliorations matérielles aux travailleurs en échange de leur renonciation à la préparation et à la réalisation de l’attaque suprême contre les institutions et le pouvoir bourgeois; au contraire, compromettant tout à la fois les buts immédiats et le but historique, elle avait conduit à une situation encore pire: l’utilisation des organisations, des forces, de la combativité, des personnes et des vies des prolétaires pour l’obtention d’objectifs qui, loin de correspondre aux buts politiques et historiques de leur classe, conduisaient à un renforcement de l’impérialisme capitaliste.

La guerre avait permis à ce dernier d’éloigner, au moins pour toute une phase historique, le danger engendré par les contradictions de son mécanisme productif, tandis que le ralliement des cadres syndicaux et politiques à la classe ennemie au travers de la méthode politique des coalitions nationales lui permettait de surmonter la crise politique provoquée par la guerre et ses répercussions.

Comme l’a démontré la critique léniniste, il s’agissait là d’une dénaturation complète de la tâche et de la fonction du parti prolétarien qui n’a pas pour but de sauver la patrie bourgeoise ou les institutions de la soi-disant liberté bourgeoise, mais de disposer les forces prolétariennes en ordre de bataille sur la ligne historique générale du mouvement, qui doit culminer dans la conquête totale du pouvoir politique par le renversement de l’Etat bourgeois.

Dans l’immédiat premier après-guerre, alors que ce que l’on appelle les conditions subjectives de la révolution (c’est-à-dire l’efficacité des organisations et des partis du prolétariat) apparaissaient défavorables, tandis que la crise du monde bourgeois qui se manifestait dans toute son ampleur fournissait au contraire des conditions objectives favorables, il fallait remédier à la première déficience par la rapide réorganisation de l’Internationale révolutionnaire.

Ce processus fut dominé, et il ne pouvait en être autrement, par le grandiose événement historique de la première victoire révolutionnaire prolétarienne en Russie qui avait permis de remettre à la lumière les grandes orientations communistes.

Mais on voulut faire de la tactique des partis communistes, qui dans les autres pays réunissaient les groupes socialistes opposés à l’opportunisme de guerre, une imitation directe de la tactique appliquée victorieusement en Russie par le parti bolchevique pour conquérir le pouvoir au cours de sa lutte historique de février à novembre 1917.

Dès le début, cela occasionna d’importants débats sur les méthodes tactiques de l’Internationale, et en particulier sur celle du Front Unique, qui consistait à adresser régulièrement aux autres partis prolétariens et socialistes des invitations à une agitation et à des actions communes, dans le but de démasquer ces partis et de détourner à l’avantage des communistes leur influence traditionnelle sur les masses.

En effet, malgré les mises en garde pressantes de la Gauche communiste italienne et d’autres groupes d’opposition, les chefs de l’Internationale ne se rendaient pas compte qu’en rangeant les organisations révolutionnaires aux côtés des organisations social-démocrates, social-patriotes, opportunistes, dont elles venaient de se séparer en raison d’une opposition irréductible avec ces dernières, cette tactique du Front Unique non seulement allait désorienter les masses et rendre du même coup illusoires les avantages attendus de cette tactique; mais – ce qui était bien plus grave – qu’elle finirait par corrompre les partis révolutionnaires eux-mêmes.

S’il est vrai que le parti révolutionnaire est le plus puissant facteur de l’histoire et le moins étroitement conditionné, il n’en reste pas moins un produit de l’ histoire; il subit donc les contrecoups de toutes les modifications des forces sociales. Le problème de la tactique n’est pas celui du maniement à volonté d’une arme qui resterait identique à elle-même quelle que soit la direction dans laquelle elle est brandie: la tactique du parti influence et modifie le parti lui-même.

Aucune tactique ne doit être condamnée au nom de dogmes a priori, mais toute tactique doit être préalablement analysée et discutée selon le critère suivant: pour gagner éventuellement en influence sur les masses, ne va-t-on pas compromettre le caractère du parti et sa capacité de guider ces masses vers le but final?

L’adoption de la tactique du Front Unique signifiait en réalité que l’Internationale Communiste s’engageait elle aussi sur la voie de l’opportunisme qui avait conduit la IIe Internationale à la défaite et à la liquidation.

Sacrifier la victoire finale aux succès contingents et partiels, telle avait été la caractéristique de la tactique opportuniste; celle du front unique se révélait elle aussi opportuniste, puisqu’elle aussi sacrifiait justement la garantie primordiale et irremplaçable de la victoire totale finale (la capacité révolutionnaire du parti de classe) à l’action contingente qui devait assurer des avantages momentanés et partiels au prolétariat (l’augmentation de l’influence du parti sur les masses, et une participation plus massive du prolétariat à la lutte pour l’amélioration graduelle de ses conditions matérielles et pour le maintien des conquêtes éventuelles déjà obtenues).

 

La tactique du parti prolétarien international

 

En conclusion, la tactique que devra suivre le parti prolétarien international lorsqu’il se reconstituera dans tous les pays se basera sur les directives suivantes.

L’expérience pratique des crises opportunistes et des luttes conduites par les .groupes marxistes de gauche contre les révisionnismes de la IIe Internationale, a montré qu’on ne peut conserver intacts le programme, la tradition politique et la solidité d’organisation du parti si celui-ci suit une tactique qui, ne serait-ce que dans la forme, comporte des attitudes et des mots d’ordre acceptables par les mouvements politiques opportunistes.

De même, tout flottement, tout relâchement dans le domaine doctrinal trouve se reflète dans une tactique et une action opportunistes.

Par conséquent, le parti se distingue de tous les autres, qu’ils soient des ennemis déclarés ou de prétendus cousins, et même quand ils prétendent recruter leurs adhérents dans les rangs de la classe ouvrière, en ce que sa praxis politique rejette les manœuvres, les combinaisons, les alliances, les blocs qui se forment traditionnellement sur la base de postulats et de mots d’ordre contingents communs à plusieurs partis.

Cette position du parti a une valeur essentiellement historique, et elle le distingue dans le domaine tactique de tous les autres, au même titre que son appréciation originale de la période que traverse actuellement la société capitaliste.

Le parti révolutionnaire de classe est le seul à comprendre que les principes économique, sociaux et politique du libéralisme et de la démocratie sont aujourd’hui anti-historiques, illusoires et réactionnaires, et que le monde en est à la phase où, dans les grands pays, l’organisation libérale disparaît et cède la place au système fasciste, plus moderne.

La politique du parti prolétarien est avant tout internationale (et cela le distingue de tous les autres) depuis que son programme a été formulé pour la première fois et qu’est apparue l’exigence historique de son organisation effective. Comme le dit le Manifeste, les communistes, tout en appuyant tout mouvement révolutionnaire contre l’ordre social et politique existant, mettent en avant et font valoir, en même temps que la question de la propriété, les intérêts communs à tout le prolétariat, qui sont indépendants de la nationalité.

Tant qu’elle n’a pas été dévoyée par le stalinisme, la stratégie révolutionnaire des communistes détermina une tactique internationale qui cherchait à enfoncer le front bourgeois dans le pays où existent les possibilités les plus favorables, en mobilisant dans ce but toutes les ressources du mouvement.

La seconde guerre impérialiste et ses conséquences, déjà évidentes, se caractérise par l’influence prépondérante, étendue à toutes les aires du monde, même celles où subsistent les formes les plus arriérées de société indigène, non pas tant des puissantes formes économiques capitalistes, que du contrôle politique et militaire implacable qu’exercent les grands centres impériales du capitalisme - pour l’instant rassemblées dans une gigantesque coalition qui inclut l’Etat russe.

En conséquence, les tactiques locales ne peuvent être que des aspects particuliers de la stratégie révolutionnaire générale, qui doit avant tout restaurer le programme du parti prolétarien mondial, puis tisser à nouveau le réseau de son organisation dans tous les pays.

Cette lutte se développe dans une ambiance où régnent les illusions et les séductions de l’opportunisme: la propagande en faveur de la croisade pour la liberté contre le fascisme dans le domaine idéologique, et dans la pratique politique les alliances, les blocs, les fusions et les revendications illusoires présentées de concert par les directions des innombrables partis, groupes et mouvements.

Proclamer que l’histoire a rejeté irrévocablement la pratique des accords entre partis, qu’il s’agit là d’une directive essentielle et fondamentale et non pas une simple réaction contingente aux saturnales opportunistes et aux combinaisons acrobatiques des politiciens, est le seul moyen pour que les masses prolétariennes comprennent la nécessité de la reconstruction du parti révolutionnaire, fondamentalement différent de tous les autres.

Même pour des phases transitoires, aucun des mouvements auxquels participe le parti ne doit être dirigé par un super-parti, par un organisme supérieur coiffant un groupe de partis affiliés.

Dans la phase historique moderne de la politique mondiale, les masses prolétariennes ne pourront à nouveau se mobiliser pour des buts révolutionnaires qu’en réalisant leur unité de classe autour d’un parti unique et compact dans la théorie, dans l’action, dans la préparation de l’assaut insurrectionnel, dans l’exercice du pouvoir.

Toute manifestation, même limitée, du parti doit faire apparaître aux masses que cette solution historique constitue le seul moyen de s’opposer victorieusement au renforcement international de la domination économique et politique de la bourgeoisie et de sa capacité - non définitive, mais aujourd’hui grandissante - de maîtriser les contradictions et les convulsions qui menacent l’existence de son régime.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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