Venezuela

Ni le gouvernement chaviste, ni l’opposition de droite ne peuvent fournir une issue favorable aux vicissitudes historiques du capitalisme.

Seul le prolétariat pourra les résoudre par sa lutte de classe révolutionnaire.

(«le prolétaire»; N° 510; Déc. 2013 / Janv. - Mars 2014)

Retour sommaires

 

 

Depuis plusieurs semaines le Vénézuela est le thêatre de grandes manifestations de protestation, organisées au départ contre l’insécurité régnante à Caracas. le gouvernement a utilisé tous les moyens à sa disposition pour essayer de calmer la colère des petits-bourgeois après le sauvage assassinat d’une ancienne reine de beauté, crime qui a été la goutte de sang faisant déborder le vase.

 

L’Annus horribilis du chavisme

 

L’«année horrible» du gouvernement bolivarien a eu comme première réponse les manifestations actuelles massives des dites «classes moyennes»; c’est la démonstration claire que le capitalisme ne frappe pas seulement le prolétariat qui peut et doit lutter jusqu’au bout, mais qu’il s’en prend aussi à des secteurs de la petite bourgeoisie et des couches moyennes de la société qui, elles, n’ont pas de programme historique indépendant pour affronter jusqu’au bout le capitalisme.

Les prolétaires au Venezuela encore prisonniers des illusions chavistes, n’ont pas besoin de beaux discours ou de propositions qui ne peuvent que les conduire dans l’impasse et les démoraliser, mais de la lutte de classe ouverte et sans concession pour défendre leurs conditions de vie et de travail. C’est en entrant en lutte de manière décidée que les prolétaires pourront unir autour d’eux contre le capitalisme, les classes moyennes et les petits bourgeois frappés aussi par la crise. Sinon, ces couches seront utilisées par la grande bourgeoisie contre le prolétariat, comme l’histoire l’a démontré d’innombrables fois, depuis l’Allemagne des années trente au Chili d’Allende.

 

Pourquoi était plein le verre qui a débordé?

 

Il est notoire que le Venezuela est depuis toujours situé entre deux barils, un baril de pétrole, et un baril de poudre sociale. La tension sociale n’a jamais disparu que ce soit avant ou après Chavez; mais cela fait au moins 12 ans que nous n’avions pas vu une vague de protestations de l’importance de celle actuelle. Et à première vue les choses ne tendent pas à se calmer, mais elles s’aggravent, au point d’alimenter les rumeurs au sujet d’une rupture constitutionnelle et de la formation d’un gouvernement de transition ou d’une junte politico-militaire, cette sinistre figure déjà connue en Amérique Latine qui apparaît et disparaît pendant des décennies.

Il faut rappeler aussi que les quatre grands problèmes au Venezuela sont: l’inflation qui l’année dernière s’est élevée à 56% (!), le manque de produits de première nécessité (un tiers est en rupture d’approvisionnement), et les 4 dévaluations de la monnaie en un an de nouveau gouvernement (déguisées en contrôle des changes) – trois grands problèmes étroitement liés entre eux; et, au plan social, la très forte criminalité (26 mille meurtres en 2013) liée sans aucun doute à l’incertitude économique dans un pays qui ne pourrait survivre sans la matière première pétrolière: une poudrière qui menace d’éclater à la moindre friction.

C’est après l’horrible assassinat que nous avons évoqué, que de larges secteurs des classes moyennes ont commencé à protester contre l’insécurité et la passivité complice de l’Etat.

 

Le gouvernement et ses «collectifs» d’hommes de main a l’oeuvre

 

Les premières manifestations, organisées par des étudiants de toutes les grandes universités privées et quelques unes des publiques, furent fortement réprimées au cours d’une série d’épisodes dans lesquels le groupe maoïste «Tupamaros» et d’autres «collectifs» agissant comme hommes de main au service du gouvernement, utilisèrent des armes à feu pour blesser et tuer des manifestants armés de pierres et de bâtons, dans une ambiance surchauffée de tension entre opposants et partisans du gouvernement. Il est paradoxal que ces «Tupamaros» (qui ont eu la malice d’enregistrer leur «marque»!) étaient parmi les premières «têtes brûlées» sans sigle politique, à brûler des pneus, utiliser des armes de fortune et ériger des barricades contre les organes répressifs de l’Etat bourgeois dans le fameux quartier du «23 de Enero» et l’Université de Mérida, dans la période pré-chaviste... Les manifestations se sont succédées et le nombre de détenus, de blessés et de morts n’a cessé d’augmenter au fil des manifestations, et l’on peut craindre que si le chiffre est encore relativement limité, il risque de s’élever en même temps que continuent les manifestations: aujourd’hui nous en sommes à 13 morts (1) et une centaine de blessés, avec des cas de torture et de viols. Maintenant ce ne sont plus seulement les étudiants, mais des masses gigantesques des classes moyennes dont la colère ne diminue pas contre un gouvernement incapable d’assurer la sécurité, et devant un avenir qui se présente sous des couleurs sombres pour l’économie pétrolière vénézuélienne. La colère s’est exacerbée et étendue au moins aux villes les plus peuplées du pays; les manifestants ne demandent plus seulement la fin de l’insécurité et de la hausse des prix de produits de première nécessité, mais la démission du président Maduro.

 

Un gouvernement qui perd sa crédibilité et son autorité, mais qui conserve le pouvoir...

 

Le gouvernement pensait au début être face une vague de violence dirigée par l’opposition, une nouvelle tentative putschiste, semblable à celle de 2002, mais cette fois sans appui militaire et avec un faible soutien diplomatique nord-américain (les Etats-Unis espèrent aujourd’hui seulement pêcher en eau trouble).

L’opposition a largement profité que le gouvernement se trouve à genoux en raison de l’importance des difficultés auxquelles il est confronté et du manque de temps pour les résoudre. Il était prévisible que toutes les mesures économiques et financières du gouvernement Maduro ne feraient qu’approfondir la crise qui frôle maintenant la récession économique. Les chiffres sont dans le rouge, au point d’évoquer la Grèce ou l’Irlande d’un passé récent. Selon toute probabilité et en dépit du pétrole qui gît dans son sol, le Venezuela est proche du défaut ou de l’insolvabilité pour résoudre les problèmes de paiement de ses créditeurs étrangers ou intérieurs, ce qui va contraindre le gouvernement à diminuer les dépenses publiques, «qu’il pleuve ou qu’il tonne» comme l’a dit le président vénézuélien.

La fin février a vu des manifestations des deux camps. Mais les marches organisées par le gouvernement ont été singulièrement maigres; y compris le fait, comme nous le verrons plus loin que Chirino soit descendu dans l’arène, est dû à l’éclatement d’une manifestation d’ouvriers du pétrole et de personnalités connues du syndicalisme à la PDVSA (la société pétrolière d’Etat) qui non seulement ont refusé de manifester en soutien au gouvernement («Les travailleurs du pétrole ne marchent pas avec leurs bourreaux»), mais qui ont dénoncé les mesures économiques erratiques de ce dernier et la répression des autorités. L’Etat répondit à cette manifestation par l’arrestation d’une dizaine de personnes, relâchées rapidement après une pluie de protestations, y compris au plan international.

La réaction du gouvernement à l’expression du mécontentement social a d’abord en effet été de faire peur et d’interdire les manifestations des escualidos ( les «maigres», terme péjoratif employé pour désigner les partisans de la droite) dont le nombre n’a en réalité jamais été maigre, contribuant à dissiper les illusions sur le prétendu socialisme au Venezuela et autres fables. Mais les menaces et les intimidations ont leurs limites; et à peine ont-elles été prononcées que les masses ont continué et étendu les manifestations et les «guarimbas» (1). Après les attaques et les menaces, le gouvernement a proposé une réunion avec tous les «facteurs» politiques de la société vénézuélienne pour trouver une véritable issue à une rébellion qui croît de jour en jour.

 

L’issue n’est pas facile

 

Comme on a pu le constater, le mécontentement social devant les mesures que dès le début de son mandat l’administration Maduro a mises en action, s’est manifesté clairement par les luttes des travailleurs de Sidor (sidérurgie) et de l’industrie automobile; mais au delà, comme dans les «révolutions de couleur» qu’ont connu les anciennes «démocraties populaires» européennes, les forces «de droite» ont essayé d’attiser l’instabilité, initialement pour négocier une issue transitoire ou un gouvernement de transition autour de personnalités «social-démocrates» de l’opposition. En réalité il n’y a pas eu de retard ni d’hésitation par rapport à cette transition: les faits, les mesures anti-prolétarienne et l’histoire même de Maduro, montrent que nous sommes en pleine transition vers ce que demandent les bourgeois: un gouvernement qui bénéficie encore plus aux capitalistes, Maduro et Cabello étant à la tête d’un groupement économique (la dite «bolibourgeoisie») qui n’est en rien hostile à un accord avec ceux qui ont poussé aux agitations, avec ceux qui n’ont jamais renié leurs tentatives sanglantes de coup d’Etat. On retrouve la situation du Chili il y a plus de trente ans, où Allende comme maduro aujourd’hui, cherchait la paix, dénonçait les «provocations», et accueillait même dans son gouvernement des représentants de l’opposition, jusqu’à faire venir Pinochet pour calmer les putschistes!

C’est pourquoi, entre autres multiples raisons, que le prolétariat au Venezuela ne peut appuyer ni Maduro, ni l’opposition Capriles - Lopez - Corina Machado: parce qu’il ne s’agit pas de faire barrage au «fascisme» comme essayent de lui faire croire les médias chavistes en appelant à soutenir le gouvernement actuel; ni de se mobiliser pour un gouvernement capable de résoudre la crise comme essayent démagogiquement de le prétendre les «ententes» pas si «unitaires» de la droite.

 

Le caractère versatile du trotskysme au Venezuela

 

Les manifestations actuelles qui ont dépassé les espérances de leurs supposés leaders, sont une des conséquences de la crise sociale dont le gouvernement a la pleine responsabilité, comme le dit le syndicaliste bien connu Chirino, ancien candidat trotskystes à la dernière élection présidentielle. Mais nous craignons fort que la proposition d’une «Rencontre nationale, syndicale et populaire des secteurs en lutte» pour discuter d’un plan économique et social d’urgence» faite par le dirigeant moréniste ne soit qu’une impasse de mesures réformistes bien incapables d’arrêter l’appétit insatiable du capital dont l’existence dépend de l’extorsion de la plus-value.

Ce qui est sous-jacent dans cette proposition de Chirino est que l’intervention imminente des institutions financières internationales qui demanderont des garanties pour un pays aussi endetté que le Venezuela (le fameux «ajustement»), entraînera la disparition des avantages sociaux concédés dans le passé grâce aux revenus pétroliers. Mais comme nous ne sommes pas en présence de dirigeants ouvriers révolutionnaires qui prépareraient une confrontation ouverte, mais de réformistes, les mesures qu’ils préconiseront pour freiner les attaques économiques contre les masses, seront celles du dialogue, des négociations, des réformes qui au mieux ne feraient qu’atténuer, mais non pas disparaître la détérioration des conditions de vie et de travail qui attend les prolétaires.

Le comble de l’ironie est qu’un programme de restrictions économiques, de coupes sociales, exigées par les créanciers internationaux (FMI, Banque Mondiale, Chine, Brésil, CEE) et qui est la solution recherchée par les dirigeants réactionnaires de l’opposition, ne pourrait être que facilité par la répression préventive fomentée par le gouvernement Maduro! C’est la démonstration du piège que des deux côtés on tend aux masses exploitées et opprimées du Venezuela. Un défi à relever et un obstacle que, pour avancer vers ses objectifs historiques, le prolétariat devra surmonter.

 

Quelles sont les motivations de ces mouvements qui vont des étudiants aux commerçants en passant par les femmes au foyer? Où vont-ils?

 

Ce qui se passe aujourd’hui au Venezuela s’inscrit dans un confus et contradictoire mouvement international de masses dont la forme varie selon son origine dans les différents pays, de la Turquie au Brésil, de la Bulgarie à l’Ukraine, etc. On pourrait y voir une insurrection des classes moyennes, sauf que ceux qui emploient cette expression prétendent attribuer à ces couches un capacité d’initiative historique qu’elles n’ont pas. Ce qui se passe en fait, c’est que les effets de la crise sont souvent ressentis d’abord par les «couches intermédiaires» de la société, en particulier les étudiants issus de la petite-bourgeoisie qui voient s’envoler leurs rêves de promotion sociale et sont confrontés à la menace de la prolétarisation. C’est un mouvement qui a commencé par les «indignés» d’Espagne et le mouvement «Occupy» à Wall-Street., et qui s’est mis en mouvement contre les gouvernements en place derrière différents mots d’ordre: en Turquie, c’est pour la défense d’un jardin public et contre la spéculation immobilière; an Brésil ce fut le coût des transports publics, en Ukraine la question d’un accord avec l’Europe occidentale.

Mais au fond les causes sont les mêmes et l’idéologie est la même: bourgeoise, démocratique et anti-prolétarienne. Partout la même hostilité envers tout ce qui évoque la lutte de classe, et la même tolérance ou affinité envers les groupes d’extrême-droite. Ces couches petites-bourgeoises qui se mobilisent attirent inévitablement des prolétaires, même quand il est facile de constater que la classe ouvrière en tant que telle ne bouge pas. Mais quand les prolétaires se mobilisent, ils deviennent une force capable de remporter des succès, comme cela a été le cas lors du «printemps arabe».

Ce qui ne fait pas de doute, c’est qu’en dépit de sa nature de classe, le mouvement actuel annonce la future mobilisation ouvrière. De même qu’il ne doit pas faire de doute que ces petits bourgeois écrasés par le capitalisme retourneront leur haine contre les prolétaires, utilisés en cela par la grande bourgeoisie.

La voie à suivre pour le prolétariat est simple et claire: la lutte pour la défense exclusive de ses intérêts de classe, et non la lutte pour l’intérêt national qui est avant tout la défense du droit des bourgeois à exploiter leurs prolétaires. C’est à cela que servent les appels à l’ «unité nationale», au salut de la Patrie, mais aussi des entreprises, des banques, etc., objectifs bourgeois par excellence.

Il s’agit d’adopter les moyens et les méthodes que la lutte de classe exige; mais qui ne vaudront rien si ne se constituent pas des organisations de défense classistes, ouvertes à tous les travailleurs mais fermées aux influences bourgeoises et petites-bourgeoises; c’est la condition pour pouvoir passer de la simple mais indispensable lutte quotidienne de défense contre les attaques patronales, à l’offensive générale contre le capitalisme, ce qui exige à son tour la formation du parti de classe, internationaliste et international.

C’est aux prolétaires conscients du Venezuela et du monde entier qu’incombe la tâche de travailler à la constitution de ce parti, autour du programme communiste authentique!

27 février 2014


 

(1) Actuellement on dénombre 39 morts.

(2) «Guarimba» est un vieux jeu d’enfants consistant à courir pour se réfugier à un point déterminé sans se faire toucher. Aujourd’hui il est utilisé pour nommer un point particulier où se rassemblent les manifestants après avoir lancé pierres et cocktails-molotov, etc. Il désigne aussi le fait de former un groupe pour dresser des barricades et attaquer les policiers en un point particulier. L’efficacité de cette tactique dérivée du «foquisme» guérilleriste, repose sur la multiplication de «foyers» sur le lieu des affrontements.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top