Une victoire du trotskisme municipal à Seattle

(«le prolétaire»; N° 513; Octobre- Novembre 2014)

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A la fin de l’année 2013, la candidate de Socialist Alternative (SAlt) a remporté, à la majorité absolue, un des neuf sièges du conseil municipal de Seattle, contre un candidat particulièrement réactionnaire du Parti Démocrate. Ville portuaire de la côte est américaine de 600.000 habitants, qui possède de nombreuses industries, et dont le principal employeur est Boeing, Seattle est un bastion du parti Démocrate. SAlt est une organisation trotskiste, membe du Comité pour une Internationale Ouvrière. Les différentes sections du CIO se sont enthousiasmées pour cette victoire électorale (1).

 

Crétinisme électoral contre lutte des classes

 

SAlt a mené une campagne électorale très active autour de trois axes: la revendication d’un salaire minimum de 15$ de l’heure, «le droit de disposer d’un logement abordable et d’un contrôle des loyers» et «l’instauration d’une taxe sur les millionnaires pour financer le transport en commun et l’enseignement». C’est la revendication salariale qui a été au cœur de la campagne (2).

La revendication d’une hausse du salaire minimum aux Etats-Unis, bloqué à 7,25 $ depuis 2007, a été mise au premier plan par des grèves des employés des Fast food et de la grande distribution; elle a été reprise par le président Obama qui projetait de porter progressivement le salaire minimum à 10,10 $ et par le Parti Démocrate dont il fait partie. Les candidats démocrates à la mairie de Seattle (il n’y avait pas de candidats républicains), ont également mis cette promesse dans leurs plate-formes électorales (3). Les maires et conseils municipaux démocrates de San Francisco, de Chicago et de Los Angeles soutiennent également ce type de mesure (4).

Si l’augmentation du salaire minimum est combattue par certaines grandes entreprises comme Wall-Mart qui en 2013 avait obtenu de la marie de Washington qu’elle renonce à son décret municipal fixant un salaire minimum de 12,50 $ pour les grandes entreprises, elle est soutenue par certains milieux capitalistes au nom de la bonne marche des affaires. Une augmentation du salaire minimum est sans conteste une avancée pour les travailleurs payés à ce tarif, mais il faut cependant savoir qu’ils ne représentent que 5% environ des salariés. D’autre part une augmentation de ce salaire minimum peut également être bénéfique pour les capitalistes. Un salaire minimum permet de fidéliser la main d’œuvre (en évitant ainsi les coût lié à la formation et au recrutement) et d’améliorer la productivité. C’est en tout cas ce qui fait dire au patron de la chaîne d’habillement Gap qu’une augmentation de salaire «sera directement bénéfique à l’entreprise, et nous nous attendons à ce qu’elle nous rapporte bien plus qu’elle nous coûte» (5).

Mais pour les trotskistes, ce ne sont ni les luttes des travailleurs ni les besoins des capitalistes qui expliquent la décision de la municipalité démocrate de mettre en place un salaire horaire de 15$ d’ici 2017 pour les salariés d’entreprises de plus de 500 salariés et 2021 pour les autres. Selon eux, c’est leur participation au cirque électoral qui a permis cela !

En toute modestie, SAlt écrit qu’«une seule élue socialiste authentique au conseil municipal de Seattle a été en mesure de construire un mouvement pour gagner les 15 $ en moins d’un an» et que «c’est l’élection de la candidate de Socialist Alternative, Kshama Sawant, fin de l’année dernière qui a été décisive pour créer un véritable moment politique qui n’a su être brisé». (6)

Enfin, si le salaire minimum ne s’applique pas à toutes et tous, l’explication est que les syndicats ont été moins électoralistes que SAlt: «nous avons défendu de déposer un référendum pour les 15 $. Si les grands syndicats avaient soutenu cette menace, les entreprises auraient pu être forcées à faire des concessions plus grandes encore». (6)

Avant l’élection, SAlt expliquait qu’il faut «une stratégie impliquant des manifestations massives, des actions de désobéissance civile, des grèves et des occupations [pour] protéger et améliorer nos conditions de vie au travers de la lutte» (7).

Maintenant qu’une «socialiste révolutionnaire» a un strapontin municipal, SAlt tombe le masque et son crétinisme électoral éclate au grand jour; elle pourrait adopter comme slogan: «Pas besoin de lutte de classe, pas besoin de grèves! Aux urnes, prolétaires!»

 

Populisme des 99% contre marxisme

 

SAlt se gargarise en présentant son élue comme une «socialiste révolutionnaire» qui représente «les démunis et les exclus, les pauvres et les opprimés» (8), mais qu’en est-il dans la réalité? Ils affirmaient mener une campagne électorale «radicale» et «de classe», en opposition aux politiciens du Parti Démocrate et leur politique pro-capitaliste. Laissons un hebdomadaire local alternatif, soutien habituel de ce parti, The Stranger, expliquer pourquoi il appelait à voter pour la candidate de SALt: «En dépit de son étiquette “Alternative Socialiste”, il n’y a rien de particulièrement radical dans l’agenda progressiste de Sawant» (9); c’est ce qui explique qu’elle avait également reçu le soutien de quelques responsables Démocrates locaux affirmant que ses positions étaient bien plus proches de celles de la plate-forme du Parti Démocrate que le bilan de son challenger (10).

Dans les faits ce courant est totalement étranger au marxisme.

Sa campagne a été axée autour de la prétendue opposition entre 99% de la population et une infime minorité de « super-riches » et Wall Street. (11). Ce n’est qu’une version américaine de la lutte contre les 200 familles et de «mon ennemi, c’est la finance» qui gomme toutes les frontières de classe et noie le prolétariat dans un vaste magma, le «peuple», les «99%».

C’est au nom de cet interclassisme, de la lutte contre les 1%, que SAlt propose seulement «un nouveau système basé sur la propriété publique et démocratique des 500 plus grandes entreprises» (10), ainsi que la «nationalisation du secteur bancaire sous contrôle des travailleurs» (13) pour «réparer toute l’économie»... capitaliste! (11).

Tout cela s’accompagne logiquement de lamentations au sujet des «petites entreprises […] déjà coulées à cause de la pauvreté, des expropriations et de l’économie brisée basée sur la sur-accumulation de capital sans investissement alors que des familles de travailleurs souffrent» (ibidem).

Pour gauchir ce ragoût intégralement réformiste, nos trotskistes se font également les chantres de l’autogestion – c’est-à-dire l’auto-exploitation des prolétaires – en expliquant que «les travailleurs qualifiés et expérimentés aussi sont ici, nous continuerons à travailler, nous n’avons aucunement besoin des managers. Ce ne sont pas eux qui font tourner l’usine, ce sont les travailleurs. Ils peuvent partir, nous reprendrons l’entreprise sous propriété publique» (14).

Les nationalisations des banques et des grandes entreprises, c’est-à-dire le développement du capitalisme d’Etat, l’auto-exploitation des prolétaires et la défense des petites entreprises n’ont jamais fait le socialisme, bien au contraire: le socialisme commence par la disparition des entreprises et du marché, et son préalable est la conquête révolutionnaire du pouvoir et la destruction de l’Etat bourgeois.

Mais SAlt est bien loin de la lutte pour la conquête du pouvoir par le prolétariat. Elle reprend toutes les vieilles lunes réformistes qui ont montré depuis longtemps leur caractère antiprolétarien.

 

Combinaison électorale contre parti de classe

 

SAlt prétend incarner «une politique indépendante de la classe ouvrière, basée sur la défense de ses intérêts propres» (7). Elle entend construire «un nouveau parti large des travailleurs» (6) ou «un parti de masse de la classe des travailleurs». (12). En réalité, il y a peu de vernis socialiste à gratter pour voir ce que SAlt entend construire.

Elle veut en fait créer «un nouveau parti des 99%» (ibidem), qui représenterait donc à la fois les prolétaires mais également la petite-bourgeoisie et une partie de la bourgeoisie!

C’est pourquoi les pseudo-socialistes proposent «l’alliance en son sein de différentes tendances de gauche». Ces tendances «de gauche» ne sont rien de moins que les écologistes du Green Party (Les Verts) ou les «progressistes [sic] au sein du Parti Démocrate» (7). Rappelons que le Parti Démocrate est l’un des deux partis bourgeois qui se succèdent au gouvernement de l’impérialisme américain, les Démocrates utilisant leur réputation d’être un peu plus à gauche ainsi que l’appui des bureaucrates syndicaux, pour se présenter parfois en «amis des travailleurs», et pour glaner des voix parmi les couches prolétariennes notamment noires ou d’origine immigrée.

SAlt ne souhaite pas construire le parti de classe, mais plutôt une coalition Arc-en-ciel comme l’avaient fait par le passé des politiciens bourgeois démocrates comme le révérend Jesse Jackson. Les compères français de SAlt, la dite «Gauche Révolutionnaire», sont aussi des spécialistes des tactiques de construction du «parti large»: après avoir participé à la création du NPA, ils l’ont quitté lorsqu’il est entré en crise; aujourd’hui, ils zieutent vers le Front de Gauche pour créer une «opposition véritablement de gauche». Aux États-Unis comme en France, ce type de manoeuvres ne pourra aboutir – s’il réussit – qu’à construire un nouveau parti anticommuniste!

Seul le parti de classe est indispensable à la lutte du prolétariat contre le capitalisme, pour imposer sa dictature révolutionnaire et détruire de fond en comble la société bourgeoise.

 

*       *       *

 

Loin d’être un quelconque atout pour les prolétaires, la victoire de SAlt constitue un nouvelle diversion sur le chemin de la reprise de la lutte de classe. Combinant – comme les autres groupes d’ «extrême» gauche – des prétentions à l’orthodoxie avec un lamentable alignement sur la social-démocratie et une démagogie interclassiste, le trotskisme du CIO est un adversaire des positions politiques prolétariennes. Il est indispensable de démasquer avec clarté et fermeté ces courants et de revendiquer contre eux la perspective invariante du communisme véritable.

 


 

(1) Les références citées dans l’article ont été publiées sur le site de la section belge du CIO, le PSL

(2) «Une socialiste révolutionnaire bientôt élue à Seattle?»

(3) «Succès retentissant pour une socialiste révolutionnaire à Seattle»

(4) «A SeaTac, l’heure de travail vaut désormais 15 dollars», The Observer, 22 février, repris dans Courrier international, 30 avril 2014

(5) «Les entreprises y trouvent aussi leur compte», The New York Times, 27 février, repris dans Courrier international, 30 avril 2014

(6) «Victoire pour les 15$ à Seattle!»

(7) «Trois candidatures marxistes à Boston, Minneapolis et Seattle»

(8) «Kshama Sawant prête serment en tant qu’élue marxiste à Seattle»

(9) www.thestranger.com/seattle/the-stranger-election-control-board-endorsements/Content?oid=17269982. Journal gratuit diffusé à des dizaines de milliers d’exemplaires, The Stranger cible un public jeune, petit bourgeois, intello et bobo.

(10) www.facebook.com/OccupiedNewsNetwork/posts/576152705772446

(11) «Les campagnes électorales de Socialist Alternative ont remporté un grand succès»

(12) «Grandes victoires électorales pour Socialist Alternative!»

(13) «Seattle. Kshama Sawant arrêtée suite à une action de protestation contre une saisie immobilière»

(14) «Succès retentissant pour une socialiste révolutionnaire à Seattle»

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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