Quand Lutte Ouvrière fait du gringue à Monsieur le maire...

(«le prolétaire»; N° 521; Septembre-Octobre 2016)

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Depuis des décennies, Lutte ouvrière est connue pour se faire le défenseurs du «monde du travail», catégorie fourre-tout qui peut, au grès du moment, s’étendre aux cadres, aux artisans, à l’ensemble des femmes, aux flics et aux matons...

A cet ensemble interclassiste, les autoproclamés gardiens du temple trotskiste viennent de découvrir parmi les «petites gens» une nouvelle catégorie opprimée et exploitée à sauver: les petits élus locaux! (1).

Pour justifier sa position, LO commence par dresser un portrait des maires. Préparez vos mouchoirs! Ils seraient «la plupart du temps», dans les petites localités, «les hommes et les femmes à tout faire de leur commune» qui «non seulement connaissent au travail les mêmes difficultés que le reste du monde du travail [sic!], mais y ajoutent, de surcroît, les problèmes liés à la gestion financière des communes en grande difficulté». Pour illustrer son propos, LO nous raconte que les maires doivent annoncer aux familles les accidents de la route, qu’ils nettoient la salle des fêtes après un mariage ou qu’ils ont du régler les décodeurs télé des personnes âgées...

Les maires des petites communes ne seraient donc que «des salariés et retraités, agriculteurs, ouvriers, instituteurs, infirmières» qui au nom du bien général accumuleraient les tâches et les ennuis.

Foutaises! Qu’ils le veulent ou non (ce n’est pas un problème de choix individuel), les maires sont non seulement un (petit) rouage de l’appareil d’Etat bourgeois, mais également les chefs d’une petite entreprise capitaliste qui a recours à la précarité et qui cherche à attirer les investissements. De plus, même en reprenant les chiffres biaisés des statisticiens, les ouvriers ne représentent que 4 % des conseillers municipaux (2). Aujourd’hui, ce sont les paysans et les classes moyennes qui s’imposent dans les conseils municipaux.

En totale opposition avec le réformisme de Lutte ouvrière, l’Internationale Communiste proclamait dans sa résolution «Le Parti communiste et le parlementarisme» (3):

«La tâche du prolétariat consiste à faire sauter la machine gouvernementale de la bourgeoisie (…). Il en est de même des institutions municipales ou communales de la bourgeoisie, qu’il est théoriquement faux d’opposer aux organes gouvernementaux. A la vérité, elles font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie: elles doivent être détruites par le prolétariat révolutionnaire et remplacées des soviets des députés ouvriers».

Pour enfoncer le clou de son réformisme, LO se fait également le chantre du gentil investissement face à la méchante finance.

L’investissement est censé relancer l’économie capitaliste et lutter contre le chômage: «c’est peut-être la dégringolade de l’investissement qui est la plus grave. Cela signifie à terme moins d’équipements utiles à la population (…). En fait, la baisse de l’investissement a un impact direct et tangible sur l’activité du secteur du bâtiment et des travaux publics, et donc sur l’emploi. (…) C’est autant d’emplois en moins, autant de chômage en plus».

Horreur! Malheur! Les commandes publiques qui permettent d’engraisser les négriers du BTP, Bouygues et Vinci en tête, sont en baisse. La recette de LO est 200 % bourgeoise: ouvrir «les crédits aux collectivités pour qu’elles investissent, et, ce faisant, permettent de créer des emplois». N’importe quel politicien bourgeois dans l’opposition est prêt à défendre cette revendication, du Front de Gauche au Front National. On retrouve ici le vieux credo ultra-réformiste que LO partage avec le PCF et toute la gauche bourgeoise, «radicale» ou non: les investissements productifs du capitalisme sont une bonne chose, à opposer à la consommation improductive des capitalistes individuels ou aux «profits financiers». En réalité les investissements capitalistes n’ont pas pour but de créer des emplois, mais d’augmenter les profits – donc d’accroître l’exploitation des prolétaires et la puissance du capital.

Quelle version totalement dégénérée du «socialisme municipal» que les marxistes ont toujours condamné avec force! Voici ce que disait Lénine à propos de cette orientation qu’il aurait mieux valu appeler selon lui «capitalisme municipal»:

«Il suffit de connaître tant soit peu le ‘socialisme municipal’ en Occident pour savoir que toute tentative faite par les municipalités socialistes pour dépasser si peu que ce soit le mode de gestion habituel, c’est-à-dire menu, mesquin et qui n’apporte pas d’allégement sérieux à l’ouvrier, toute tentative de toucher un peu au capital provoque toujours et absolument le veto du pouvoir central de l’Etat bourgeois» (4).

Les mauvais esprits jugeront peut-être que cette déclaration d’amour de LO aux maires est liée à l’ouverture de la chasse aux signatures pour avoir le droit de participer au cirque électoral de la présidentielle de l’année prochaine, la crise de ses collègues trotskystes du PT laissant en outre peut-être vacante la place de «candidat des maires» que s’était attribuée l’inénarrable Schivardi. Électoralisme quand tu nous tiens!

En tout cas elle démontre une fois de plus que LO n’hésite pas à reprendre et à diffuser les illusions réformistes et petites-bourgeoises les plus éculées...

 


 

(1) cf «Quand le gouvernement asphyxie les collectivités locales pour servir la finance», Lutte de classe, n°175, mai 2016.

(2) cf Observatoire des inégalités, «L’origine sociale des élus locaux», inegalites.fr

(3) Thèse adoptée au IIe Congrès de l’I. C. Reproduite dans «La question parlementaire dans l’Internationale Communiste», brochure Le Prolétaire n°19.

(4) cf Lénine, «Le programme agraire de la social-démocratie dans la première révolution russe de 1905-1907», Oeuvres, Tome 13, p. 378. Lénine expliquait dans ce texte que les partisans de cette politique municipale, «parce qu’ils rêvent de paix sociale», veulent détourner l’attention «sur les menues questions locales, non point sur la domination de la bourgeoisie comme classe, ni sur les principaux instruments de cette domination, mais sur la question des miettes jetées par la riche bourgeoisie pour subvenir aux ‘besoins de la population’. (...) L’opportunisme petit-bourgeois de cette tendance est que l’on oublie que (...) tant que la bourgeoisie domine comme classe, elle ne peut permettre de toucher, fût-ce du point de vue municipal, aux fondements de sa domination; que si la bourgeoisie permet, tolère, le ‘socialisme municipal’ , c’est parce qu’il ne touche pas aux fondements de sa domination, n’atteint pas les sources importantes de sa richesse, ne s’étend qu’au domaine local, étroit des dépenses que la bourgeoisie elle-même met à disposition de la ‘population’».

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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