Mexique:

Gasolinazo, colère prolétarienne et impasses réformistes

(«le prolétaire»; N° 523; Février-Mars-Avril 2017)

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Au début du mois de janvier des dizaines de milliers de Mexicaines et de Mexicains sont descendus dans la rue, ont fait grève, ont coupé des routes, bloqué des voies ferrées et des autoroutes (dont celles qui relient le pays aux Etats-Unis), occupé des dépôts de carburants, saboté des oléoducs, pillé des magasins affronté les forces de répression…

Dans toutes les régions, au Nord comme au Sud du pays, les manifestants demandent l’annulation de la décision du président Enrique Peña Nieto de réduire fortement les subventions à l’essence, au gaz et à l’électricité, une mesure – surnommée le Gasolinazo – qui augmentera les prix à la consommation de 14 à 20 % dès l’année prochaine. Depuis le 1er janvier, les augmentations ont été de 14 % du prix du SP98, 20 % du SP95 et 16 % pour le gasoil, par rapport au prix maximal de décembre 2016.

Cette mobilisation est le fait de catégories très différentes: des prolétaires, mais aussi une partie de la petite bourgeoisie (enseignants, chauffeurs de taxi, médecins...) et des paysans. La mobilisation est très forte dans les régions ouvrières du Nord – d’habitude plus «calme » que le Sud marqué par l’agitation paysanne zapatiste. Les manifestations ont été particulièrement importantes à Mexico, mégalopole de vingt-cinq millions d’habitants, dans l’État pétrolier de Veracruz et dans le centre industriel de Puebla.

Bien entendu, la bourgeoisie mexicaine a tenté d’écraser le mouvement par la force, ce qui a causé des morts et a entraîné des milliers d’arrestations, mais elle a malgré tout limité son usage, de peur d’amplifier la révolte.

 

Misère et crise économique

 

L’augmentation du prix de l’énergie a été la goutte qui a fait déborder le vase de la colère, largement rempli par la paupérisation des prolétaires, des autres couches salariées et de la paysannerie pauvre. Depuis cinq ans, le pouvoir d’achat du Mexicain moyen avait diminué de plus de 10 %. L’indice des prix du panier alimentaire de base nécessaire pour nourrir une famille de quatre a augmenté à 220 pesos par jour, soit près de trois fois le salaire minimum quotidien de 3,5 € (ce que ne gagne même pas une large partie des travailleurs).

La décision de ne plus subventionner l’énergie va entraîner une augmentation du coût de la vie. Tous les secteurs sont susceptibles de connaître une augmentation de leurs prix, que cela soit les transports en commun ou les transports de marchandises ce qui conduirait bien entendu à l’augmentation du prix des marchandises elles-mêmes.

A cela s’ajoute les effets de la crise économique qui touche les pays émergents : les prévisions de croissance économique se sont réduites jusqu’à 1 % pour cette année. Les perspectives sont encore plus sombres avec les annonces protectionnistes de Trump, en particulier dans l’automobile qui représente 30 % des exportations mexicaines et 875 000 emplois directs.

La révolte des masses prolétarisées n’est donc pas le reflet d’une situation nationale, mais l’effet du cours actuel du capitalisme mondial qui est de moins en moins en mesure d’assurer sa stabilité et qui a de plus en plus recours aux expédients en tout genre.

 

Impasses réformistes et social-patriotes

 

Face à cette situation explosive, l’«extrême» gauche a pris position contre l’augmentation du prix de l’énergie et en soutien aux mobilisations… mais sur des bases réformistes. C’est en particulier le cas des multiples forces trotskistes qui sont toutes marquées par des tendances nationalistes et n’offrent comme perspective qu’un changement de gouvernement dans le cadre du système démocratique bourgeois.

La plupart des organisations mettent en avant une défense du capitalisme national et de ses entreprises étatisées, en particulier la PEMEX (Pétroles Mexicains).

Le Parti Révolutionnaire des Travailleurs (PRT), section de la IVe Internationale, accuse le gouvernement de «mettre le dernier clou dans le cercueil des Pétroles Mexicains et de la souveraineté nationale». La Coordination Socialiste Révolutionnaire (CSR) – qui fédère les groupes sympathisants de la IVe Internationale – appelle à «vaincre l’oligarchie» et à «renationaliser le secteur de l’énergie». Le Comité de dialogue entre travailleurs, animé par les lambertistes de l’Organisation Socialiste des Travailleurs (OST) – dénonce une «guerre sociale contre la nation et contre les travailleurs» et défend «les droits du peuple travailleurs et l’intérêt national». La section mexicaine de la Ligue Internationale des Travailleurs (LIT), le Groupe Socialiste Ouvrier, présente l’entreprise capitaliste PEMEX comme une «conquête des travailleurs et du peuple mexicain» et revendique «le raffinage au Mexique et pas d’importations». La Gauche révolutionnaire (IR) (qui en plein rapprochement avec le Comité pour une Internationale Ouvrière) revendique la renationalisation «sous le contrôle démocratique des travailleurs et de la population» de l’énergie, la «nationalisation des banques et des secteurs stratégiques de l’économie» et un «plan public d’investissements pour créer des millions d’emplois avec des salaires dignes». Pour sa part, le Parti Ouvrier Socialiste (POS) accuse la bourgeoisie mexicaine d’être une «classe ennemie du pays et des 99 %» (les «99%» sont les 99% de la population qui, toutes classes confondues, auraient les mêmes intérêts, selon la propagande réformiste).

Logiquement, pour atteindre leur objectif bourgeois de défense de l’économie nationale, les groupes trotskistes proposent des méthodes démocratiques bourgeoises. Le PRT limite ses mots d’ordre à «A bas le gasolinazo! Dehors Peña!». La Gauche Socialiste (IS), membre du mal-nommé Courant Marxiste International, appelle à un front unique interclassiste «de toutes les organisations ouvrières, paysannes, populaires, étudiantes y compris Morena [candidat nationaliste bourgeois dissident du Parti de la Révolution Démocratique] et l’EZLN [Armée Zapatiste], contre cette mesure et pour obtenir le départ de Peña Nieto et construire un programme pour la classe travailleuse et les secteurs populaires». Le Mouvement vers le Socialisme (MAS) veut «imposer des élections extraordinaires», le Mouvement des Travailleurs pour le Socialisme (MTS membre de la Fraction Trotskiste) une «assemblée nationale libre et souveraine».

L’«extrême» gauche mexicaine – dans sa composante trotskiste mais pas seulement – offre un véritable festival de solutions réformistes. Cela constitue un obstacle pour la lutte de classe des prolétaires: qu’elles soient privées ou d’Etat, les entreprises restent des entreprises capitalistes, dont le but, selon les lois du capitalisme, est d’extorquer du profit par l’exploitation des prolétaires. C’est vrai pour la PEMEX qui a besoin de capitaux pour combattre la baisse de sa production; or les capitaux ne s’investiront dans l’entreprise que s’ils ont la perspective de dégager des profits, c’est-à-dire que si celle-ci est suffisamment rentable. Pour cela il n’y a pas d’autre solution que de laisser les prix des produits pétroliers (essence et autres) s’élever, ou de prendre sur le dos des travailleurs des profits supplémentaires suffisants pour la subventionner: dans les deux cas ce sont sur les prolétaires et les masses pauvres que les capitalistes vont faire retomber les coûts du rétablissement économique de la PEMEX.

Peña Nieto a finalement décidé le premier février de surseoir à la nouvelle augmentation prévue du prix de l’essence (8% de hausse); mais ce n’est qu’une mesure temporaire, prise dans la crainte d’explosions de colère des masses pauvres. Le besoin de s’attaquer aux prolétaires reste entier pour le capitalisme mexicain.

Contre cette perspective, les masses ouvrières et pauvres ne doivent pas surseoir à leur mobilisation; il leur faut continuer à lutter pour imposer leurs revendications immédiates, aussi bien économiques et sociales que politiques (salaires, droits d’organisation, de grève, d’expression, lutte contre la répression, pour l’égalité entre les sexes, etc.).

Elles le pourront d’autant mieux qu’elles sauront éviter le piège de mettre leur force au service d’un but réformiste bourgeois qui n’est pas le leur, qu’elles sauront trouver le chemin de l’organisation indépendante de classe, de la constitution du parti révolutionnaire marxiste, internationaliste et international.

Leur objectif sera alors, non pas d’imposer une politique réformiste keynésienne et/ou d’indépendance nationale à une bourgeoisie apeurée, mais de combattre et de vaincre cette bourgeoisie dans la lutte pour la révolution prolétarienne; celle-ci débouchera sur l’édification, sur les ruines de l’Etat bourgeois, de leur propre pouvoir qui ne peut être que la dictature du prolétariat, étape nécessaire pour déraciner le capitalisme et aller vers la société communiste, en étroite liaison avec les prolétaires des autres pays.

La politique de soumission de l’«extrême» gauche aux solutions bourgeoises va se renforcer à l’approche de l’année 2018, année électorale au cours de laquelle sera désigné le successeur de Peña Nieto. On peut déjà voir cette tendance avec les débats autour de la candidature zapatiste.

 

 Tremblements zapatistes et …

 

Le 14 octobre 2016, les zapatistes de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) et du CNI (Congrès national indigène) ont annoncé qu’ils souhaitaient présenter une femme indigène à l’élection présidentielle de 2018.

La proclamation zapatiste, au ton plein d’emphase, a comme titre «Que la Terre tremble dans ses centres et se donne comme but de «faire vibrer ce pays avec le battement ancestral du cœur de notre mère Terre». L’objectif affiché est «la construction d’une nouvelle nation pour et par toutes et tous, de renforcer le pouvoir d’en bas et de la gauche anticapitaliste». Cela doit se faire, sans prendre le pouvoir, «en faisant des alliances avec divers secteurs de la société civile, en construisant nos propres moyens de communication, nos polices communautaires et d’autodéfense, nos assemblées et conseils populaires, coopératives, pour exercer et défendre la médecine traditionnelle, exercer et défendre l’agriculture traditionnelle et écologique, nos propres rituels et cérémonies, pour rétribuer la mère terre et continuer à cheminer avec elle et en elle».

Le programme zapatiste est un simple réaménagement, une simple réforme de l’ordre établi pour faire subsister en son sein une agriculture traditionnelle pré-capitaliste et le mode de vie qui va avec. Sa stratégie est une union entre les classes contre les «mauvais gouvernements, leurs entreprises et leur crime organisé».

Divers courants pseudo-révolutionnaires ont répondu présents pour soutenir la dernière initiative zapatiste. C’est en particulier le cas de la IVe Internationale (SU) (l’ensemble des articles cités ci-dessous ont été publiés dans Inprecor, sa revue en français, n°633-634 de novembre-décembre 2016).

Sa section mexicaine – le Parti Révolutionnaire des Travailleurs – présente la proposition de l’EZLN comme «une alternative de lutte et d’organisation pour ceux qui, depuis en bas, résistent à la dynamique capitaliste qui s’exprime au travers des contre-réformes structurelles qui aliènent les biens communs et publics et les droits du peuple travailleur» et «un moyen d’organiser un mouvement de lutte contre le pouvoir de l’oligarchie néo-libérale». Une vision totalement étrangère au marxisme car interclassiste: une «oligarchie» contre le «peuple travailleur» et les «biens communs», ce qui fait disparaître le prolétariat et la bourgeoisie et la propriété capitaliste.

Logiquement, cette analyse débouche sur un programme réformiste pour la «profonde transformation dont a besoin le pays» pour «le rendre indépendant, libre, égalitaire, multiculturel; libre d’exploitation, de domination et d’oppression, dans une logique anticapitaliste». Drôle d’anticapitalisme qui se limite à des revendications démocratiques bourgeoises: liberté, égalité, indépendance nationale!

La Coordination Socialiste Révolutionnaire partage l’enthousiasme du PRT. Elle appelle à «se joindre à cette initiative et unir ses efforts à ceux de ses promoteurs pour construire un grand front national anticapitaliste». National et anticapitaliste sont deux termes totalement antinomiques: le prolétariat n’a pas de patrie et les seuls vrais anticapitalistes – les communistes – combattent le nationalisme véhiculé par la bourgeoisie mais aussi par la paysannerie ou la petite-bourgeoisie. Le «grand front qui rassemble les forces qui luttent contre le capitalisme et pour une société meilleure» aurait pour objectif de «disputer à la bourgeoisie et à ses institutions un espace d’action politique», c’est-à-dire de s’intégrer dans la démocratie bourgeoise. Là encore, un anticapitalisme de pacotille et un programme anti-prolétarien!

Pour couronner le tout, le PRT et le CSR participent à l’Organisation Politique du Peuple et des travailleurs (OPT) lancée en 2011 à l’initiative du Syndicat Mexicain des Electriciens (SME), avec comme but la construction d’un «parti large des travailleurs». Dans le langage trotskyste, un parti «large» est un parti sans programme politique précis, et en particulier sans programme révolutionnaire, de façon à agglomérer des courants divers, y compris ouvertement réformistes; et pour ne pas repousser ces derniers, un tel parti s’aligne inévitablement sur eux.

C’est ce que démontre le SME quand par la voix de son secrétaire général, il a exprimé sa position sur la candidature zapatiste.

Il dénonce «la technocratie néo-libérale qui, au pouvoir, a depuis longtemps abandonné son rôle d’État-providence» et le «saccage effectué par les gouvernements néo-libéraux au cours des dernières décades sur les articles de notre Constitution jusqu’à la réduire à un simple ‘’règlement» de protection et de fonctionnement des entreprises multinationales où la sauvegarde des richesses naturelles et du sous-sol du pays ainsi que sa souveraineté nationale et la protection des droits élémentaires de ses habitants ont été réduits à un schéma de franche vulnérabilité», ainsi que les «diktats des organisations internationales comme l’OCDE, la Banque mondiale ou le FMI». Il se fait donc le défenseur non seulement de l’économie nationale et de ses «entreprises publiques (…) fer de lance du renforcement et du développement de notre économie» mais aussi des intérêts «des millions de contribuables, commerçants et petits et moyens entrepreneurs»!

L’OPT, initiée par le SME, n’est donc pas et ne peut pas être une organisation révolutionnaire; c’est un parti nationaliste défenseur de la Constitution bourgeoise et de la «souveraineté nationale», dans la plus pure tradition des populismes latino-américains.

Tant par son adhésion à l’OPT que pas son soutien à l’initiative zapatiste, les trotskistes de la IVe Internationale témoignent de leur profond opportunisme, de leur volonté d’offrir en tout temps et en tous lieux des solutions politiques concrètes et compréhensibles par les couches les plus politiquement arriérées. Cette politique est contraire aux intérêts du prolétariat car elle contribue à désorienter les militants d’avant-garde et les prolétaires combatifs pour les tenir éloignés du terrain de classe.

 

... Séisme prolétarien à venir

 

La nature du zapatisme n’est pas prolétarienne mais fondamentalement paysanne. C’est pourquoi son programme est profondément archaïque: il souhaite exhumer du passé la révolution paysanne de Zapata et de Villa qui s’était achevée par la trahison des paysans sans terre par leurs alliés bourgeois. C’est un programme totalement illusoire: les masses paysannes pauvres ne pourront s’émanciper de la grande propriété foncière et de leur oppression multi-séculaire (comme paysans mais également comme Indiens) qu’avec l’émancipation du prolétariat mexicain et la destruction du mode de production capitaliste qui vit et se nourrit de leur sueur et de leur misère.

Ce qui est historiquement à l’ordre du jour au Mexique n’est pas une secousse pour réformer la domination bourgeoise et ses ambitions de se tailler une place sur le marché mondial; ce qui mûrit dans le sous-sol du Mexique comme ailleurs, c’est un séisme prolétarien dont la puissance formidable pourrait jeter bas l’ordre capitaliste en débouchant sur la révolution socialiste.

Cette révolution sera centrée sur les prolétaires des villes et s’étendra aux foyers de lutte des classes qui existent dans les campagnes. Elle ne promettra pas aux petits paysans la survie éternelle de leur parcelle, privée ou non, car ce ne serait que leur promettre leur enchaînement éternel à une vie misérable et étriquée. Elle leur montrera les avantages qu’ils retireront de la disparition de l’agriculture parcellaire improductive avec son gaspillage du travail humain, et leur pleine intégration dans la communauté des prolétaires qui les fera bénéficier pour la première fois des progrès du formidable développement des forces productives. Une telle révolution aurait en outre un écho immédiat parmi les dizaines de millions d’immigrés mexicains aux Etats-Unis, elle bloquerait d’importants flux de matières premières, de produits agricoles et de produits manufacturés fabriqués dans les maquiladoras (usines en zone franche) à destination de ce pays; elle ébranlerait ainsi tout l’ordre capitaliste et impérialiste régional, constituant un puissant levier pour l’entrée dans la lutte révolutionnaire du prolétariat nord-américain, secteur décisif du prolétariat international pour la victoire de la révolution communiste mondiale.

Les rêveries indigénistes et paysannes, tout comme le nationalisme populiste sont des voies sans issue. Le Mexique est mûr pour la révolution socialiste.

Mais dans la mesure où aujourd’hui le prolétariat ne constitue pas encore une force organisée indépendante, donc effectivement de classe, les révoltes sociales sont destinées à éclater à l’aveugle et de façon désorganisée. Cela n’élimine pas le fait que la base matérielle des antagonismes de classe soit pleinement présente, nonobstant la faiblesse relative de son économie capitaliste comme celle d’autres pays dits émergents.

Pour que le séisme prolétarien se transforme en révolution capable de détruire l’État bourgeois mexicain, d’émanciper les masses ouvrières mais aussi les populations paysannes pauvres, et de contribuer à la victoire prolétarienne internationale, la présence d’organisations classistes de défense «immédiate» et du parti de classe dirigeant la lutte est indispensable. Oeuvrer pour la constitution de ces organisations et surtout de ce parti, au programme réellement marxiste, telle est la tâche à laquelle devront s’atteler les prolétaires d’avant-garde au Mexique.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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