Manchester:

Un massacre cyniquement utilisé pour renforcer l’«union sacrée» entre prolétariat et bourgeoisie

(«le prolétaire»; N° 524; Mai - Juin 2017)

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Au cours des deux dernières années se sont multipliés les attentats terroristes perpétrés par des militants liés à l’extrémisme islamiste. Se définissant d’une façon ou d’une autre, mais organisé surtout par Daech ou Al Qaïda, celui-ci est classé de façon générale dans la catégorie du djihadisme (djihad = guerre sainte), avec ses racines religieuses dans l’Islam fondamentaliste.

Pourquoi des racines religieuses ?

Il est désormais évident qu’il s’agit d’une justification apparemment «noble», non «terre à terre», à des actes violents présentés comme réaction à la violence bien plus grande des puissances impérialistes, comme une espèce de «droit de riposte» des «victimes» de ces  agressions . L’Occident capitaliste, chrétien et impérialiste, a, de son côté, tout intérêt à cataloguer le «terrorisme international» comme un terrorisme de matrice islamique; cela lui permet d’opposer à ce «mal» le  «bien» d’une «civilisation» qui prétend répandre dans le monde le progrès économique et social, la démocratie et la paix…

Sauf que ce progrès économique et social se base sur l’exploitation de la force de travail humaine dont l’esclavage, qui, dans les grands pays industrialisés est adouci par les miettes concédées aux masses et masqué par le système démocratique, est beaucoup plus violent et bestial dans les pays moins développés, où existe une main d’œuvre surabondante à exploiter à merci ou à jeter au rebut comme des marchandises invendues.

Pourquoi les attentats de marque islamiste, des années après ceux du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, frappent-ils maintenant en Europe, le berceau de la civilisation (berceau du capitalisme, du colonialisme, de l’impérialisme)? Pourquoi frappent-ils le lieu où se sont formés et développés les facteurs d’un progrès économique, technique et financier qui s’est ensuite diffusé au monde entier – en même temps que tous les facteurs de concurrence, de lutte pour la conquête des marchés, de guerres de rapines qui ont caractérisé le monde depuis que la révolution antiféodale a mis fin à la domination de l’absolutisme et des vieilles classes aristocratiques?

Les pays européens qui pendant des siècles ont pillé et colonisé des continents entiers pour en tirer, au détriment des populations, des bénéfices gigantesques grâce auxquels ils ont pu construire leur expansion économique, ne pouvaient être qu’une destination convoitée (facilitée par la connaissance de la langue et des habitudes des anciens patrons) par les masses de migrants qui fuient la misère, la répression et les dévastations laissées en héritage à ces pays par la colonisation puis la décolonisation bourgeoises. Jalouses de leur « identité » nationale et attachées aux privilèges que la domination sur le monde garantissait et garantit encore dans une certaine mesure aux anciens colonisateurs – principalement la Grande-Bretagne, la France et la Belgique –, les bourgeoisies européennes ont toujours joué sur deux tableaux : d’un côté l’accueil, dans la mesure où cette force de travail à bas coût était et est encore nécessaire à leurs entreprises industrielles et commerciales; de l’autre la répression envers l’immigration non voulue et jugée non nécessaire et traitée de «clandestine». Comme les Noirs aux Etats-Unis, les immigrés africains, moyen-orientaux et orientaux n’ont jamais réellement été «intégrés» dans les pays ou par force ou par hasard ils se sont établis.

Non parce qu’ils n’auraient pas voulu abandonner la culture, les habitudes et les coutumes de leurs pays d’origine pour adopter celles du pays où ils vivent; mais parce que le capitalisme, le mode de production dominant, avec toutes ses contradictions et ses antagonismes sociaux se base sur la division et non sur l’union, sur la domination et non sur l’égalité, sur la guerre et non sur la paix. La division en classes antagonistes n’est pas une invention du marxisme, ni une situation historique temporaire qui pourrait être dépassée par des mesures de politique économique, sociale et diplomatique.

C’est une condition matérielle historique résultant du capitalisme, qui ne pourra être surmontée que par une révolution beaucoup plus profonde que celle qui supprima le féodalisme, une révolution qui sera faite par la seule classe qui n’a rien à gagner mais tout à perdre dans cette société : la classe prolétarienne, la classe des sans-réserves, de ceux qui ne peuvent vivre qu’en se faisant exploiter dans les conditions imposées par le capitalisme.

Mais le fait est que cette classe, en particulier dans les pays les plus puissants, a été tellement écrasée, dominée, intoxiquée en cent ans de domination impérialiste, qu’elle n’a pas encore retrouvé la force de se reconnaître pour ce qu’elle est matériellement et historiquement : la classe antagoniste par excellence au capitalisme, la seule qui possède une tâche historique, condensée dans le programme du communisme révolutionnaire. Ce prolétariat a démontré sa force au dix-neuvième siècle dans les épisodes révolutionnaires dans toute l’Europe en 1848 et dans la Commune de Paris, au vingtième siècle dans la révolution russe et les mouvements révolutionnaires qui au cours des années vingt se sont lancés à l’assaut de l’ordre établi non seulement en Europe mais en Asie. Mais à l’issue d’une longue guerre de classe il fut écrasé par la contre-révolution, l’influence démocratique, pacifiste et opportuniste petite-bourgeoise lui faisant perdre le programme authentiquement communiste et transformant ses organisations en agents de la bourgeoisie.

Une fois battu, le prolétariat européen a été soumis à la politique et aux exigences de l’impérialisme des divers pays; les bourgeoisies mirent en place les «amortisseurs sociaux» pour répondre à ses besoins élémentaires et, à l’exemple du fascisme, ils adoptèrent une politique de collaboration de classe inscrite dans la loi. Leur but n’était pas d’améliorer le sort de leurs prolétaires en appliquant les droits qui sont démocratiquement inscrits dans toutes les Constitutions, mais de leur faire soutenir le capitalisme et accepter toutes les conséquences de son économie, y compris les plus désastreuses en période de crise et de guerre. Les prolétaires européens et américains, et ceux des autres pays capitalistes développés, ont été habitués pour la défense de leurs intérêts, à utiliser les instruments politiques et économiques bourgeois (élections, parlement, liberté d’entreprise, etc.); mais aussi à les utiliser dans le cadre de la collaboration des classes, ce qui allait au-delà des limites que le vieux réformisme offrait à l’interclassisme.

Pourquoi avons-nous rappelé ces explications à propos de la tragédie de Manchester ?

Quand l’antagonisme entre prolétariat et bourgeoisie disparaît de la scène (bien que la bourgeoisie ne cesse de mener sa lutte contre le prolétariat), l’antagonisme bourgeois et petit-bourgeois apparaît, encore plus violent et chaotique. Les bourgeoisies se mènent entre elles une concurrence et une lutte permanentes; la lutte entre factions bourgeoises concurrentes à l’intérieur d’un même pays est elle aussi un facteur permanent. C’est dans ce cadre d’un affrontement permanent à l’intérieur des couches bourgeoises et petite-bourgeoises concurrentes, s’exprimant tantôt pacifiquement, sur le plan politique, tantôt violemment , y compris sur le plan de la criminalité, que s’inscrivent l’action de groupes et de réseaux dits terroristes: ils sont l’expression d’intérêts opposés à ceux des grands Etats qui par leurs interventions militaires ont détruit les équilibres existants, mettant en mouvement dans le chaos provoqué par la guerre, de nombreux groupes locaux tendant à s’assurer des parcelles de pouvoir et à tirer profit de l’exploitation de ressources naturelles éventuellement présentes, de prolétaires à exploiter, de voies de communication à contrôler, etc.; ces groupes cherchant à s’affilier à telle ou telle puissance capitaliste ou impérialiste qui tient les cordons de la bourse.

Il est évident que les militants de Daech ou de Al Qaïda ont besoin de fortes motivations idéologiques et matérielles – de même qu’en ont besoin les prolétaires mobilisés pour la défense de la patrie, des intérêts nationaux, en temps de paix ou en temps de guerre. Les soldats qui partaient au massacre lors de la première ou de la deuxième guerre mondiale recevaient la bénédiction des prêtres pour sauver leurs âmes, alors qu’ils allaient massacrer et se faire massacrer; de même les terroristes dont nous parlons reçoivent la bénédiction de leur imam avant d’aller se faire exploser pour répandre la terreur parmi leurs ennemis désignés. La différence est que les armées en général s’affrontent les unes aux autres, alors que ces combattants terroristes vont massacrer des foules qui se divertissent ou vivent pacifiquement dans une vie quotidienne dite normale.

Mais ces terroristes ont une motivation supplémentaire: ils répondent aux bombardements et aux interventions militaires qui détruisent des milliers de vies, d’hommes, de femmes et d’enfants, en semant au cœur des scintillantes métropoles européennes la terreur vécue depuis des années à Falloujah, à Tikrit, à Mossoul, à Bagdad, à Tripoli, à Homs ou dans les villages afghans. Le fait que les auteurs de ces attentats soient presque toujours des citoyens européens de provenance libyenne, syrienne, irakienne, etc. , de deuxième ou de troisième génération, démontre d’une part que la fameuse «intégration» n’a pas eue lieu parce que dans cette société l’égalité n’existe pas (ni entre les vivants ni entre les morts); et d’autre part que la persistance de guerres et de massacres dans les anciennes colonies continue à provoquer non seulement la peur et l’effroi, mais aussi la rage et la détermination de réagir en déchaînant la violence dans les endroits où elle fera le plus de dommage – et encore mieux s’ils symbolisent un mode de vie insoucieux des drames qui ne cessent de se répéter aux marges de l’opulente Europe.

Nous avons déjà dit que ce type de terrorisme a une matrice sociale et idéologique de type petit-bourgeois et nous n’y reviendrons pas.

Reste le fait que la classe dominante y trouve un motif supplémentaire pour appeler les prolétaires à l’union sacrée, à la défense de la démocratie, de la culture, des traditions et des coutumes occidentales, autrement dit à défendre des Etats et un système responsables de toutes les injustices, de toutes les oppressions, de toutes les guerres.

C’est la raison pour laquelle les prolétaires doivent refuser la solidarité envers une patrie qui depuis toujours utilise les mêmes méthodes terroristes, mais à un niveau et avec une efficacité sans aucune mesure avec ceux des groupes du «terrorisme islamique». En se solidarisant avec leurs capitalistes, les prolétaires ne feraient que soutenir les fauteurs des affrontements entre bourgeois, tout en tournant le dos à la seule voie pour en finir avec l’oppression et l’exploitation: la voie de la reprise de la lutte de classe, de l’organisation prolétarienne indépendante pour la défense exclusive de leurs intérêts de classe immédiats et futurs.

La réponse prolétarienne est sans aucun doute la condamnation de ces actes terroristes, mais d’un point de vue de classe, c’est-à-dire du point de vue de l’indépendance organisationnelle, politique et idéologique vis-à-vis de toutes les organisations, de toutes les politiques et de toutes les idéologies de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, qui sont ses ennemis.

D’autre part, la reprise de la lutte de classe aura aussi, comme l’histoire l’a montré, la force d’attirer les poussées de colère provoquées par le désespoir social parmi les couches petite-bourgeoises et de les encadrer dans la perspective classiste révolutionnaire, en leur donnant une perspective non pas idéologique ou morale mais concrète et matérielle: il ne s’agira pas de sauver les âmes ou d’atteindre un au-delà de paix et de sérénité tandis que dans le bas-monde persiste un sanglant système de misère et d’injustice, mais de participer au combat pour changer le monde et ouvrir la voie à une organisation sociale rationnelle, orientée vers la satisfaction, non des exigences du marché, mais des besoins de l’espèce humaine toute entière.

25/5/017 

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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