Haïti: les prolétaires du textile affrontent les patrons, l'Etat et leurs sbires

(«le prolétaire»; N° 526; Oct. - Nov. - Déc. 2017)

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Haïti occupe la moitié d’une île des Caraïbes qui sort de l’anonymat médiatique lorsqu’une catastrophe «naturelle» – tremblement de terre ou ouragan – frappe durement ce petit pays qui fait partie des plus pauvres de la planète.

Sans surprise, le silence des journalistes est quasi-total quand les prolétaires se mobilisent et affrontent les patrons, l’État et leurs hommes de main.

C’est ce qui s’est passée en 2017, année marquée par une importante agitation ouvrière dans les usines haïtiennes, en particulier dans l’industrie textile qui emploie 40 000 travailleurs, majoritairement féminins, contre les salaires de misère.

 

Salaires de misère et exploitation sauvage

 

Les salaires dans les usines haïtiennes (5,5 dollars, un peu plus de 5 euros par jour) sont les plus bas du continent américain. Ce salaire quotidien correspond officiellement à celui d’une journée de travail de huit heures, mais en réalité, les ouvriers du texte sont payés à la tâche. Pour gagner ce salaire de misère, ils doivent travailler douze heures voir plus et ne sont rémunérés moins de 50 cents à l’heure. De plus, les patrons ne respectent pas le salaire minimum et la majorité des ouvriers ont un salaire qui ne dépasse pas les deux-tiers du minimum légal. Les syndicats haïtiens exigent que le salaire minimum soit plus que doublé, pour atteindre 800 Gourdes soit environ 12,5 dollars par jour, ce qui, officiellement correspondrait à 1,57 $ de l’heure. Quand on sait que selon un rapport du syndicat américain AFL-CIO (1), il faudrait qu’un salarié gagne 23$ par jour pour se nourrir lui et deux enfants, on voit que cette revendication n’a rien d’excessif!

De plus, ces salaires sont amputés par l’inflation qui touche le prix des transports et des besoins de base.

Ces salaires de misère se combinent avec un despotisme d’usine extrêmement féroce. Dans les zones industrielles, les prolétaires sont victimes de la toute-puissance patronale et le matraquage (au sens propre comme au sens figuré) de ses chefaillons qui insultent, humilient, maltraitent. Des ouvriers ont été licenciés sur le champ pour ne pas avoir courbé la tête en entrant dans leur usine, véritable bagne capitaliste. De plus, les femmes prolétaires sont doublement victimes de ces nervis qui les harcèlent sexuellement et parfois les violent.

 

Occupation et pillage impérialiste

 

Haïti est le cas caricatural d’un pays soumis à l’impérialisme: s’il est formellement indépendant, ce sont les puissances impérialistes – et en premier lieu les Etats-Unis – qui règnent en maîtres. C’est le cas dans le textile. La plupart des industriels sont haïtiens ou sud-coréens mais ils sont étroitement dépendants des «multinationales» américaines dont ils ne sont que des sous-traitants.

Les prolétaires haïtiens produisent pour les grandes marques américaines de sous-vêtements masculins ou féminins, de jeans, de vêtements de sport ou de travail… Les salaires de misère sont une aubaine pour les vautours étasuniens : les coûts salariaux pour fabriquer et emballer représentent deux cents sur le prix de vente d’une chemise.

Le gouvernement étasunien fait tout ce qu’il peut pour empêcher une augmentation des salaires qui générerait une augmentation des coûts de production. Un câble publié par Wikileaks en 2011 montrait que l’administration américaine a manœuvré pour empêcher d’augmenter le salaire minimum à 5 $ par jour.

Les impérialistes interviennent aussi directement contre les prolétaires avec leurs hommes de main – les troupes de la Mission de stabilisation des Nations Unies en Haïti (MINUSTAH) (1) – qui renforcent la police haïtienne.

 

Le renouveau de la combativité ouvrière

 

Malgré ce contexte difficile – despotisme d’usine et occupation néocoloniale – les ouvriers haïtiens sont rentrés en lutte.

De mai à juillet 2016, la zone industrielle de Port-au-Prince a connu une mobilisation ouvrière contre les bas salaires, les conditions de travail esclavagistes et le racket organisé qu’est l’augmentation du coût de la vie. Ce mouvement s’est étendu à d’autres zones comme le Parc Sonapi, regroupant environ une cinquantaine d’entreprises. Face à la mobilisation, le double jeu des bourgeois a été total : le gouvernement a joué le «gentil» en octroyant une augmentation de salaire de 25 %, les patrons ont joué le «méchant» en refusant d’appliquer dette décision.

En mai 2017, cette contestation s’est confirmée et amplifiée. Les prolétaires se sont mis en grève dans le Parc Sonapi pour exiger un salaire de 800 gourdes soit un quasi-triplement. Ils ont marché en direction du symbole du pouvoir bourgeois qu’est le palais présidentiel, ont bloqué l’aéroport.

La grève s’est étendue dans d’autres usines, en particulier celles situées à l’Est, à la frontière avec la République Dominicaine.

 

La réponse bourgeoise : Calomnies, balles en caoutchouc et gaz lacrymogène

 

La réplique bourgeoise a été multiforme. Les patrons, regroupés dans l’Association des industries d’Haïti (AIDH), ont lancé une vague de calomnies accusant des «meneurs» de contraindre les ouvriers à quitter l’usine. A la calomnie s’est jointe la répression patronale: lock-out et révocation des grévistes.

Les flics, ont aussi lancé une grande vague répressive avec des matraquages, des tirs de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. Lorsque les ouvriers sont retournés à leur poste de travail et ont devant celui-ci croisé les bras pour montrer leur refus de travailler, la police anti-émeute est intervenue et a commis des bastonnades en particulier contre des femmes grévistes. Beaucoup de grévistes ont été arrêtés et beaucoup ont fui face à la flicaille car ils craignaient sérieusement pour leur vie.

Cela n’a pas réussi à vaincre les ouvriers en lutte qui refusaient de lâcher.

 

Patronat et gouvernement lâchent du lest

 

Fin mai, les syndicats ont mobilisé massivement dans des manifestations et les patrons ont décidé – sous la contrainte – de lâcher du lest. Les patrons de l’AIDH ont accusé le gouvernement d’être responsable du refus d’augmenter le salaire de base. Le président a refilé la patate chaude à un organisme de collaboration de classe, Conseil Supérieur des Salaires (CSS), dont il désigne les membres. A canaille, canaille et demi!

Au final, le président a dû faire marche arrière et d’annoncer lui-même officiellement jeudi 27 juillet le relèvement du salaire minimum à 350 gourdes en ajoutant 15 gourdes à la proposition de 35 gourdes du CSS.

 

Une solution prolétarienne pour Haïti

 

Cette victoire est sans doute limitée, mais elle montre que le prolétariat haïtien a la capacité de faire céder les bourgeois. Cependant – et comme ailleurs – ce prolétariat a besoin de reconstituer son parti de classe.

Face à la préparation des nervis patronaux et des flics qui défendaient le pouvoir démocratique et la propriété bourgeoise, les masses prolétariennes ne pouvaient opposer ni préparation, ni organisation. Les  prolétaires conscients devront en tirer une leçon brûlante. Les prolétaires ne peuvent en attendre que la répression la plus déchaînée lorsqu’ils essayent de résister à l’oppression et à l’exploitation, qui s’aggrave encore en période de crise. Les prolétaires ne peuvent pas se fier aux politiciens bourgeois et aux organes de l’Etat bourgeois ni aux forces politiques et syndicales réformistes, verbalement au service des travailleurs, mais en réalité toujours prêtes à collaborer avec la bourgeoisie.

De même que sur le plan de la lutte pour leurs intérêts économiques et sociaux immédiats, les travailleurs ne peuvent compter que sur leur action directe et leur organisation indépendante de classe, de même il leur faudra organiser leur autodéfense de classe lors des affrontements sociaux avec les forces de répression bourgeoises.

Même si ce n’est pas une perspective immédiate, le sous-sol économique et social travaille dans la direction qu’indique le marxisme: la révolution communiste. Pour s’y préparer le prolétariat n’a d’autre voie que le retour à la lutte de classe, à la lutte sans quartiers contre les forces de la conservation sociale, en répondant coup pour coup, par l’organisation à l’organisation, par la solidarité internationale à l’alliance entre les bourgeoisies, par la lutte violente à la violence bourgeoise.

Et les communistes révolutionnaires ont la tâche incontournable, s’ils ne veulent pas renoncer à la victoire dans la lutte des classes, de former le parti de classe indispensable à la défense des intérêts historiques du prolétariat, d’intervenir dans toutes les luttes pour les intérêts immédiats du prolétariat afin d’en faire «l’école de guerre du communisme» contre les capitalistes, nationaux ou étrangers et l’Etat bourgeois.

 


 

(1) Rapport sur le salaire minimum dans le secteur textile (mai 2014): https://www.solidaritycenter.org/wp-content/uploads/2014/11/Haiti.Living-Wage-Study-FINAL-updated.3-11-15.pdf

(2) La mission de la Minustah avait comme mission la «stabilisation» du pays et le rétablissement de «l’Etat de croit», c’est-à-dire la stabilisation de l’ordre établi et la défense de l’Etat bourgeois, notamment par le renforcement de la police. Cela répondait aux besoins des impérialismes et de la bourgeoisie locale, non à ceux de la population et des prolétaires en particulier qui ont vu la police les réprimer! D’autre part il a été établi que l’épidémie de choléra qui a frappé le pays faisant plus de 9 000 morts et 600 000 malades a été causée par un contingent de soldats de l’ONU. Enfin les casques bleus, agissant comme de véritables troupes d’occupation, ont été responsables de nombres de crimes sexuels... Forts de plusieurs milliers d’hommes, les troupes de la Minustah étaient commandés par un général brésilien. Elle a été remplacée au mois d’octobre par la Minujusth avec des effectifs réduits mais conservant 7 des 11 unités de police de la Minustah. Parallèlement, l’ONU n’a rien prévu pour lutter contre le choléra dont elle est responsable: ce qui intéresse les impérialistes c’est le maintien de l’ordre pas la santé des populations!

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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