Le Moyen-Orient, arène des affrontements bourgeois et impérialistes

(«le prolétaire»; N° 528; Avril-Mai-Juin 2018)

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Le 8 mai le président américain Trump annonçait que les Etats-Unis se retiraient du traité international sur le nucléaire avec l’Iran qui avait été signé par l’administration Obama, les autres membres du Conseil de Sécurité de l’ONU (Chine, Russie, France, Grande Bretagne), l’Allemagne, l’Union européenne et l’Iran; il annonçait aussi qu’ils allaient imposer «le niveau le plus élevé des sanctions économiques possibles contre l’Iran» (ces sanctions américaines avaient été largement allégées après la signature du traité, mais pas totalement supprimées pour autant). L’ambassadeur américain en Allemagne avertissait aussitôt que les entreprises allemandes devaient immédiatement cesser leurs relations économiques avec l’Iran...

 En concomitance avec la décision américaine à laquelle il avait poussé, le gouvernement israélien intensifiait ses bombardements sur des positions iraniennes en Syrie (1), après que celles-ci aient tiré des missiles en direction d’Israël.

Cette flambée supplémentaire de fièvre au Moyen-Orient intervient alors que les combats continuent en Syrie, que la guerre menée par l’Arabie Saoudite au Yémen contre des insurgés soutenus par l’Iran ne paraît pas près de cesser et qu’Israël réprime dans les sang les manifestations palestiniennes pacifiques à sa frontière avec Gaza.

Fin avril, à la suite d’une attaque par des armes chimique des troupes du régime syrien contre un quartier rebelle qui aurait fait une quarantaine de morts, les Etats-Unis, avec leurs alliés français et britanniques bombardaient des installations de production de telles armes. Le chiffre des victimes du conflit en Syrie depuis le début est estimé à plusieurs centaines de milliers, le régime étant lui-même responsable de la très grande majorité des morts parmi la population civile (le chiffre de plus de cent mille avait été avancé en en mars 2017 par l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, organisation proche des Frères Musulmans). L’indignation morale mise en avant par le trio des gangsters impérialistes occidentaux pour justifier leurs bombardements était donc des plus suspectes! Elle ne pouvait cacher que la raison réelle de ces «frappes» contre des installations du régime, ce qui était habituellement soigneusement évité par les avions de la coalition dirigée par les Etats-Unis, avaient une toute autre raison: réaffirmer que leurs intérêts impérialistes devaient être pris en compte par les autres acteurs du conflit – à commencer par la Russie qui apparaît de plus en plus comme le premier bénéficiaire de l’interminable tuerie qui ensanglante la Syrie.

Le 29 mars Macron avait reçu à l’Elysée une délégation des FDS kurdes qui combattent en Syrie les forces de l’Etat Islamique (Daech). Cette reconnaissance officielle de l’ Etat français à ces milices liées au PKK (organisation combattante kurde en Turquie) était la traduction du fait non seulement que les FDS constituent pour la coalition américaine les principales troupes au sol, mais que des «forces spéciales» américaines, britanniques et françaises (et autres?) combattent en Syrie à leurs côtés (parfois en portant leur uniforme comme cela a été constaté pour les américains). Macron déclara en même temps que la France était prête à jouer les intermédiaires pour faciliter une négociation entre ces milices et la Turquie, «allié stratégique de la France» – ce qui suscita une réplique immédiate du président turc Erdogan (soutenu à cette occasion par le CHP, le principal parti d’opposition) disant qu’il n’y avait pas de négociation possible avec des «terroristes» (2).

Le gouvernement français faisant le silence sur l’engagement de ses soldats en Syrie, c’est le ministre de la défense américaine, le général Mattis, qui a révélé le 26 avril que 50 soldats supplémentaires des Forces Spéciales françaises venaient d’être envoyés en renfort par la France en même temps que 300 commandos américains. D’après Le Monde (3) ces soldats auraient pris position dans la ville de Manjib pour empêcher les troupes turques de la reprendre aux Kurdes. Selon le quotidien, l’engagement militaire français au sol (comme celui britannique), se fait en étroite coordination avec les Américains; il a commencé en Syrie fin 2015 (l’année précédente en Irak) sous le gouvernement de Hollande. Les commandos français sont «intégrés aux unités kurdes» et ils auraient participé à la prise de Mandjib en août 2016.

Les alliés auraient promis aux Turcs qu’il se retireraient ensuite de cette ville, «mais il n’était ni moralement (sic!) ni stratégiquement souhaitable que la coalition lâche les FDS, seules capables de tenir le nord-est syrien dans la durée. A Manjib, la France et les Etats-Unis ont privilégié de concert la sanctuarisation du territoire tenu par leurs partenaires locaux contre les ambitions de la Turquie». On sait que la France et les Etats-Unis, eux, n’ont pas d’ambitions et sont mus uniquement par des considérations morales...

D’autres sources indiquent que les Russes auraient également fait pression sur la Turquie pour qu’elle n’attaque pas la ville. Les FDS ont en effet la particularité d’être à la fois partenaires de la coalition américaine et de Moscou. Avant d’attaquer la région d’Afrin au début de cette année, la Turquie avait dû obtenir l’aval de la Russie, qui a retiré ses «conseillers militaires» qui y étaient présents; les milices kurdes ont demandé l’aide du régime syrien (elles collaborent avec lui dans certaines circonstances), mais ce dernier n’a pu faire plus que déclarations: il n’a pas la capacité de s’opposer à son parrain russe. Turcs et Russes sont sur des fronts opposés en Syrie, mais cela n’empêche pas les accords; Moscou n’entend pas lâcher complètement les Kurdes sans obtenir quelque chose de substantiel en échange de la Turquie qui, elle, a comme premier objectif d’empêcher la constitution d’une entité kurde indépendante à sa frontière.

 

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Le fait que les Européens soient donc de proches alliés des Américains, sous le commandement desquels ils combattent en Irak et en Syrie, n’a pas empêché Trump de leur infliger une gifle diplomatique avec son retrait de l’accord avec l’Iran et de vouloir les empêcher de continuer à avoir des relations économiques fructueuses avec ce pays. Il n’y a rien de surprenant à cela: les relations entre les Etats bourgeois ne sont régis que par la défense de leurs intérêts et se fondent sur le rapport des forces existant. La politique américaine actuelle, même si elle ne recueille pas l’assentiment de toute la classe dominante américaine ni de tout son appareil politique, n’est pas décidée par des foucades improvisées de Trump; elle est l’expression de puissants intérêts économiques et politiques qui s’inquiètent des difficultés croissanttes des Etats-Unis sur le marché mondial, face à ses concurrents et qui craignent que son statut de première puissance mondiale soit à terme remis en cause.

La décision de taxer les importations d’acier ou d’aluminium – décision américaine classique, prise autrefois par le Démocrate Carter, puis par d’autres présidents pour protéger les intérêts des grands groupes sidérurgistes – , les exigences que la Chine réduise fortement et rapidement son excédent commercial envers les Etats-Unis, qu’elle réduise ses capacités productives excédentaires, qu’elle s’ouvre sans restrictions aux investissements étrangers, (tout en acceptant les restrictions à ses investissements aux Etats-Unis!), répondent aux besoins d’importants secteurs de l’économie américaine; le retrait de l’accord sur le nucléaire signifie par exemple que les Américains ne veulent pas abandonner leur rôle dominant dans la Golfe Persique, zone d’importance stratégique pour le capitalisme mondial, ni laisser l’Iran gagner en influence à leurs dépens au Moyen Orient.

Il est d’ailleurs significatif que Macron, sous le prétexte de sauver le traité nucléaire, ait tenté de s’appuyer sur la menace américaine pour arracher à l’Iran des concessions à ce sujet: l’impérialisme français, à la différence de l’impérialisme allemand opposé à cette initiative française, voit lui aussi l’Iran comme un obstacle à ses ambitions dans la région. Lorsque le traité était sur le point de se conclure, la France avait déjà essayé de s’y opposer, à la colère de l’administration Obama.

Autre exemple plus récent de cet antagonisme persistant en dépit de la ruée des entreprises françaises sur le marché iranien, selon Daily Sabah, un quotidien pro-gouvernemental turc, le gouvernement français aurait demandé à participer aux négociations de Sotchi au début de cette année sur l’avenir de la Syrie entre la Russie, la Turquie et l’Iran, mais les Iraniens s’y seraient opposés.

La brutalité particulière de la diplomatie américaine vis-à-vis de traités et d’accords internationaux qu’elle a décidé ne plus respecter, son manque d’égards vis-à-vis d’alliés dont elle n’hésite pas à piétiner les intérêts, les véritables ultimatums qu’elle présente à ses concurrents, dont se plaignent les capitalistes européens japonais ou chinois, sont l’expression de la brutalité de la politique impérialiste qui se manifeste habituellement vis-à-vis d’Etats plus faibles. Si les frictions commerciales et les affrontements économiques entre les grands Etats atteignent un niveau sans précédent depuis longtemps, faisant parler de «guerre commerciale», cela s’explique par le fait que l’impérialisme américain entend réagir à son affaiblissement relatif par rapport à ses concurrents, en premier lieu par rapport à la Chine, mais pas seulement par rapport à elle.

Mais c’est aussi une conséquence de l’engorgement des marchés par la surproduction qui revient inévitablement tenailler le capitalisme et le plonger dans des crises économiques. Les affrontements économiques et commerciaux qui en sont la conséquence se traduisent inévitablement en affrontements politiques et militaires. Aujourd’hui ces affrontements militaires restent «limités», dans la mesure où les grands et moins grands impérialismes ne s’affrontent pas directement, mais à travers différents intermédiaires. Mais la guerre généralisée est le débouché inévitable des crises capitalistes, si le prolétariat, ne trouvant pas à temps sa force de classe, n’est pas capable de lui barrer la route par la révolution: la tragédie syrienne est l’image de l’avenir que le capitalisme réserve au prolétariat et à l’humanité.

Pour s’y opposer, il n’y a pas d’autre voie que le retour du prolétariat à la lutte révolutionnaire de classe, avec laquelle il a déjà affronté le pouvoir de la bourgeoisie dans le passé. Il pourra l’affronter demain avec la puissance énormément accrue que lui a conférée l’extension et le développement du capitalisme, quand il aura renoué avec ses armes de classe, reconstitué ses organisations et son parti de classe. Travailler sans relâche à cette reconstitution en défendant le programme invariant du communisme, en dénonçant toutes les interventions militaires impérialistes, en s’opposant à toutes les campagnes d’union nationale, en combattant l’interclassisme telle est la tâche des prolétaires d’avant-garde.

 

A bas le capitalisme et l’impérialisme!

Vive la révolution communiste internationale!

 


 

(1) Israël a prévenu la Russie avant ses bombardements, comme l’avaient fait les Américains et leurs alliés fin avril. Dans les deux cas les Russes ont laissé faire, sans mettre en oeuvre leurs moyens anti-aériens: pour l’instant les grandes puissances évitent tout affrontement direct. L’Iran, avec son allié le Hezbollah libanais, est le principal soutien militaire terrestre du régime syrien; les Russes bien qu’ils disposent aussi de troupes au sol, parfois sous la forme de «mercenaires», sont surtout présents dans les airs – tout comme la coalition américaine. La Turquie intervient militairement avec ses troupes régulières, tout en soutenant diverses milices d’opposition au régime, ce que font aussi l’Arabie saoudite et d’autres pays arabes.

(2) L’impérialisme français essaye de garder de bonnes relations avec la Turquie où il a des intérêts économiques importants, et à qui il veut vendre des armes.

(3) Voir «La guerre des commandos français en Syrie», Le Monde, 9/5/18. Relevons aussi que Macron s’est vanté dans une interview télévisée, d’avoir convaincu Trump de ne pas retirer ses Forces Spéciales de Syrie après la défaite de Daech, comme celui-ci l’avait laissé entendre: l’impérialisme français se serait montré encore plus agressif que l’américain...

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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