Venezuela

Contre la catastrophe capitaliste une seule perspective: la lutte révolutionnaire du prolétariat

(«le prolétaire»; N° 530; Octobre - Novembre 2018)

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En dépit du voyage du président Maduro à Pékin et à la tribune des Nations Unies à New York et malgré tous les efforts du gouvernement le Venezuela continue à s’enfoncer économiquement. Mais ce sont les prolétaires qui sont et seront les premières victimes de cette catastrophe.

 

L’hyperinflation, ses causes et ses conséquences

 

Avec les caisses de l’Etat vides en raison de la chute du prix du pétrole et des matières premières en général qui dès l’époque de Chavez avait été une des causes principales d’une forte inflation (alors la plus élevée d’Amérique Latine), et en raison de la décision de l’impression de nouveaux billets sans contrepartie en devises, et qui sont déjà dévalués sur le marché de changes, il a résulté que les étiquettes sur les produits mis en vente, indiquent des prix plusieurs fois supérieurs au prix officiel.

En fait la cause principale de l’hyperinflation, autrement dit de l’hyperdévaluation, est le déficit du budget qui est de 20% du PIB (1) ! Cela signifie que l’Etat vénézuélien dépense plus que ce qu’il gagne, obtenu quasi exclusivement par les exportations de pétrole dont la production s’est effondrée et diminue toujours plus. Le FMI a fait la prévision que l’inflation atteindrait un million de pour cent pour toute l’année! Cette prévision est très aléatoire, mais elle a la vertu de montrer l’incertitude totale qui règne sur la valeur de la monnaie nationale. Selon l’économiste vénézuélien Sutherland: «en juin 2018, l’inflation mensuelle a atteint 125% et l’inflation accumulée depuis l’année s’est élevée à 10 664,7%. Par conséquent le pays a déjà connu neuf mois successifs d’hyperinflation».

Pour y faire face l’Etat ne trouve rien de mieux que d’imprimer plus de billets – dont les coûts de fabrication sont supérieurs à leur valeur faciale!

Tous les Etats tendent à imprimer de la monnaie en plus du nécessaire, raison pour laquelle il existe toujours une petite inflation ( les prix augmentent parce que la monnaie perd de sa valeur). Mais cette inflation pose un grave problème quand elle devient incontrôlable comme c’est le cas au Venezuela: il y a alors une «fuite» devant la monnaie qui devient une patate chaude pour les «agents économiques» (les entreprises, les commerces, mais aussi les individus): personne ne veut la conserver, tout le monde veut s’en débarrasser en la changeant immédiatement contre des devises ou en achetant des marchandises, des biens immeubles, tout ce qui est possible. Pour répondre à cette dévaluation galopante, il n’y a pas beaucoup de solutions: ou recourir à la planche à billets, ou intervenir de façon révolutionnaire et despotique dans l’économie – ce que ne peut évidemment faire la démocratie vénézuélienne – ou alors «dollariser» l’économie en arrimant la monnaie au dollar: mais cela poserait un problème politique majeur car cela signifierait une atteinte à la «souveraineté nationale», chose sur laquelle les partisans de régime ne veulent pas «transiger». Les autorités ne savent pas quoi faire et sont perdues en plein brouillard...

Face à cette situation, le gouvernement Maduro a «élaboré» un plan intitulé «Programme de reprise, croissance et prospérité»; mais derrière cette appellation ronflante, il n’y a rien qu’un ensemble de voeux pieux sans liens avec la réalité; les mesures anti-inflation ne sont que des pirouettes et des contorsions qui n’ont d’autre but que de duper le prolétariat et les couches petites bourgeoises qui, comme ce dernier, ne possèdent pas de réserves. En conséquence le gouvernement perd sa crédibilité à la vitesse de la dévaluation; en d’autres termes ces mesures improvisées n’envisagent pas leurs conséquences ni ne tirent de leçons des expériences passées. Les autorités chavistes avec leur fameux slogan «Ou nous inventons, ou nous nous trompons» qui fait partie de l’arsenal idéologique du bolivarisme se permettent de recommencer les mêmes expériences en obtenant les mêmes résultats: la démonstration est faite par les hausses répétées des salaires (2) qui sont suivies immédiatement par une hausse générale plus forte des prix. Ainsi les lois – et les forces – du marché font que le monnaie perd rapidement sa valeur théorique, au point d’obliger les autorités à dévaluer, à produire des billets avec une dénomination plus élevée et entraînant que les «agents économiques» se détournent la monnaie officielle «souveraine» pour se tourner vers le marché noir pour acquérir des devises.

Dans ce cycle infernal les grands perdants sont en premier lieu les salariés; mais sont frappés aussi les petits commerçants et toute la jungle bigarrée des couches moyennes vénézueliennes; à des degrés différents, la population se paupérise. En outre il y a le secteur patronal, commercial ou industriel, dont une partie s’appauvrit voire fait faillite; tandis qu’une autre partie de bourgeois et de trafiquants, les fameux «guisadores», s’enrichit, profitant de sa position pour acheter à bas coût divers biens, bâtiments, commerces, etc. Le plan de Maduro est un plan pour enrichir encore plus la bourgeoisie vénézuélienne et Wall Street!

 

Oh! Le Pétro

 

Pour contourner les sanctions financières des Etats-Unis le gouvernement vénézuélien s’est mis dans la tête de créer une «cryptomonnaie»; mais à la différence des autres cryptomonnaies qui se basent sur la construction ou «minage» de chaînes de calcul (blockchains) par les ordinateurs participant au réseau décentralisé, elle est ancrée sur le prix du baril de pétrole (et d’autres matières premières comme le gaz, l’or, les diamants), sa contrepartie étant les gisements de pétrole vénézuéliens. Certains experts qui s’étaient enthousiasmés ont commencé à douter de son sérieux et de sa solidité pour la simple raison que la page web qui y est consacrée (blockchain.ve), si elle arrive à s’ouvrir, au jour d’aujourd’hui, plus de 6 mois après le lancement du Petro, ne contient aucune information: il n’y a que des tweets! Il est certain que la richesse sur laquelle est censée être basée cette cryptomonnaie (les gisements de pétrole de l’Orénoque), est réelle; mais jusqu’ici elle est potentielle, car ce pétrole n’a pas été extrait et l’Etat n’a pas actuellement les moyens de l’extraire (3). D’autre part, étant donné le coût de l’extraction, il est impossible de savoir si sa production serait rentable... En réalité il est impossible de revenir à l’or ou au pétrole comme soutien de la monnaie, qui en définitive s’appuie sur la solidité de l’Etat. La banqueroute est donc dans l’air...

 

 Emigration de masse

 

 Une des conséquences de la crise économique et sociale actuelle est qu’une émigration de masse depuis le Venezuela s’est dirigée vers toute la région; du Mexique à l’Argentine on a vu l’arrivée massive de ces immigrants, reçus comme indésirables ou désignés comme bouc-émissaires, qui ont déjà souffert d’agressions et de mauvais traitements, en plus de la surexploitation de leur force de travail, et qui sont la cible d’expression de la xénophobie dans les pays où ils arrivent, fruit de la peur des dangers potentiels qu’ils pourraient représenter selon la population locale.

L’agence de l’ONU pour les réfugiés (ACNUR) affirme que depuis 2014, près de 3 millions de vénézuéliens ont quitté le pays, la plus grosse partie étant allée dans la Colombie voisine, soit parce qu’ils y ont de la famille, soit pour bénéficier des programmes onusiens d’aide aux réfugiés (4) ou pour gagner d’autres pays.

Le gouvernement a tenté de minimiser la situation avec l’envoi d’avions pour en ramener certains: «plan du retour à la patrie» – opération de pure de propagande pour banaliser la fuite massive des Vénézuéliens à l’étranger: le nombre de rapatriés est ridicule alors que le phénomène s’accentue. Le gouvernement a aussi prétendu que ces émigrés étaient en réalité d’origine colombienne et que donc c’était un problème colombien et non vénézuélien, car ces gens étaient venus dans le pays attirés par le pétrole et le travail qu’il suscitait. En réalité le gouvernement joue sur les chiffres pour tenter de cacher le problème.

Les Colombiens présents au Venezuela ne jouissaient pas gratuitement des largesses que l’Etat pétrolier pouvait accorder dans ses périodes de prospérité; en réalité leur travail contribuait pour un montant pas du tout négligeable au produit national. De plus les «paisas» comme on les appelle, sont difficilement remplaçables car ils accomplissent des tâches ingrates et mal payées que le travailleur vénézuélien répugne de faire (le nettoyage, les soins aux enfants, les travaux domestiques, le gardiennage d’immeubles ou de terrains situés dans les régions périphériques, appartenant à de politiciens bourgeois vivant dans la capitale, etc.).

 

La frontière Colombienne n’existe pas

 

Là, certains surveillent d’autres qui traversent les ponts, les rivières, les chemins forestiers, sur une frontière aussi grande (2200 km) que celle du Mexique avec les Etats-Unis. Une zone où les gens disent appartenir à un pays appelé... Frontière («je suis de la frontière»). La légende de la Grande Colombie est plus qu’un rêve bolivarien, c’est une réalité palpable, produit d’une nécessité matérielle et économique des pays qui la composent; socialement et économiquement c’est une des frontières les plus actives d’Amérique Latine. Mais le manque de ressources, étant donné la diminution des revenus des exportations, a poussé le gouvernement vénézuélien à instituer un plan de contrôle numérique et «biométrique» de l’essence pour favoriser le consommateur vénézuélien et faire payer aux autres le prix international, en freinant la contrebande afin de récupérer les 18 milliards de dollars qu’elle représenterait. Mais ce n’est pas une mesure facile à mettre en oeuvre; les conséquences n’ont pas été bien mesurées, car bloquer la frontière signifierait bloquer 10% de l’économie des deux pays. Lorsqu’en 2015 le gouvernement Maduro avait voulu la bloquer, les conséquences avaient été immédiates. La zone frontière est devenue un point névralgique et le thermomètre des tensions sociales, politiques et économiques. C’est sur cette frontière que se détermine le prix du dollar parallèle, etc.

Il faut souligner que les émigrés vénézuéliens actuels ne sont pas les petits et moyens bourgeois qui autrefois émigraient à Miami; ce sont les prolétaires qui ne possèdent rien qui partent en Colombie, à Curazao, en Guyana, etc. Ils fuient la misère et ils sont mal reçus; outre la répression policière, ils sont victimes de pogroms, d’attaques massives des camps installés par les ONG pour les accueillir ou des logements précaires où ils habitent, frappés à coup de battes de base-ball, arrosés d’essence, insultés, etc.

Pour les prolétaires tous les Etats sont des bagnes, alors que les bourgeois jouissent de tous les privilèges depuis qu’ils descendent d’avion et mettent le pied sur le pays choisi pour leurs vacances.

Il est clair que la solution pour les prolétaires n’est pas la recherche d’un endroit plus tranquille et plus hospitalier sur la planète, chose qui n’existe pas dans le monde capitaliste, mais la lutte à mort contre ce monde.

Il est cependant impossible de condamner ceux qui dans l’immédiat ne voient pas d’autre issue que d’émigrer; mais il leur faut savoir que ce qui les attend, c’est encore plus de misère et d’oppression, et que des deux côtés de la frontière face à l’exploitation et la répression, il leur faudra lutter pour se défendre en union avec les prolétaires, contre les capitalistes et leurs Etats.

 

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La situation actuelle n’est pas due seulement à la «créative» politique chaviste et aux bourgeois qui ayant accès aux dollars peuvent profiter de l’hyper-inflation et à la valse infernale des étiquettes, mais aussi et surtout à la crise capitaliste internationale. Ce n’est pas seulement le Venezuela, mais aussi l’Argentine, le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie, etc., les pays dits «émergents» qui sont frappés par les vicissitudes de cette crise.

Face aux grandes puissances, épicentre de cette grande et longue crise, les classes dominantes des petits pays n’ont pas beaucoup de possibilité de se défendre; et s’ils y arrivent c’est en attaquant le prolétariat, comme c’est le cas au Venezuela, en Argentine, au Brésil, au Nicaragua, etc., ou se préparant à l’attaquer comme au Mexique du nouveau président élu de centre-gauche Obrador. Il faut noter que la réémergence de la crise frappe particulièrement les pays émergents d’Amérique Latine...

Par conséquent ce qui se passe au Venezuela et dans les autres pays n’a pas de solution nationale, mais une solution internationale et communiste.

Cela ne veut pas dire que la révolution communiste est pour demain; mais c’est elle qu’il faut avoir à l’esprit: peu importe qu’elle soit lointaine ou non, elle est la seule perspective réaliste face à toutes les prétendues «solutions», «de gauche» comme au Venezuela ou de droite comme en Argentine.

Cette perspective nécessite que le prolétariat commence à faire les premiers pas indispensables pour se défendre, comme la rupture avec la pratique de la collaboration de classe, la rupture avec les organisations réformistes, avec les orientations nationalistes, le refus d’accepter les sacrifices (y compris de verser son sang) au nom de la Patrie (lire: économie nationale): les prolétaires n’ont pas de patrie et rien à défendre de cette société. Au contraire le prolétariat indigène et immigré, les masses exploitées doivent lutter pour la défense exclusive de leurs intérêts de classe, pour l’organisation indépendante de classe, pour la lutte de résistance immédiate quotidienne, pour la constitution du parti prolétarien, en tissant des liens au niveau international, sur la base du programme communiste authentique– instruments indispensables pour diriger le prolétariat dans la guerre de classe, la révolution, la prise du pouvoir et l’instauration de la dictature du prolétariat pour en finir avec le capitalisme, source de misère et de mort.

 Cette révolution ne se réalisera pas du jour au lendemain, mais c’est dès aujourd’hui qu’elle doit se préparer. Le prolétariat n’a pas d’autre solution: ou c’est la bourgeoisie qui sortira de la crise actuelle, en se jetant sur le prolétariat avec toute la férocité nécéssaire; ou c’est le prolétariat qui renversera la bourgeoisie, son Etat et son système inhumain.

7/10/2018


 

(1) Cf Manuel Sutherland, http://nuso.org/articulo/nicolas-maduro-tiene-un-plan/

(2) Maduro a annoncé le 30 avril une augmentation de 95% du salaire minimum, équivalent à 15,32 euros; puis le premier juillet, la quatrième hausse de l’année.

(3) Extraire ce pétrole nécessiterait des dizaines de milliards de dollars que la compagnie pétrolière d’Etat PDSA ne possède pas. cf Manuel Sutherland, op. cit.

(4) cf http://www. el-nacional.com/ noticias/ sociedad/ acnur-cerca-5000-personas-salen-venezuela-diario _2547

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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