Le capitalisme mondial de crise en crise (fin)

(«le prolétaire»; N° 531; Décembre 2018 - Janvier 2019)

Retour sommaires

 

 

Le mois de décembre a été marqué par une baisse notable des indices boursiers (1); il a mis fin à une longue période de hausse au cours de laquelle les marchés financiers ont battu records sur records. Aussitôt les économistes et les médias ont recommencé à évoquer avec inquiétude le spectre d’un retour de la crise économique. Des analystes financiers ont appelé à se méfier de la volatilité des cours boursiers et ont conseillé la prudence dans les investissements à la bourse.

Nul doute pourtant qu’un rebond des indices fera rapidement disparaître ces inquiétudes: dès que se présente une possibilité de gain pour les capitalistes, les appels à la prudence s’évanouissent.

Ces variations des cours de Bourse sont en partie la conséquence du ralentissement de l’économie mondiale, et en partie d’un relèvement des taux d’intérêts. Pour répondre à la crise de 2008, arrêter la dégringolade économique, les grandes Banques centrales qui régissent la politique monétaire des principaux pays et qui régulent le marché international des capitaux (Fed américaine, BCE européenne, Banque d’Angleterre, Banque du Japon...), ont fait baisser les taux d’intérêt à une valeur proche de zéro.

 Comme cela ne suffisait pas elles ont eu recours à une politique dit d’ «assouplissement quantitatif» (quantitative easing) dans le jargon des banquiers: cela consiste à créer de la monnaie, injectée par centaines de milliards dans l’économie; il s’agissait non seulement de rétablir le système financier ébranlé par une crise de liquidités provoqué par la crise, mais aussi de stimuler l’économie avec de l’argent prêté à peu près gratuitement aux Banques qui pouvaient le prêter à leur tour aux «agents économiques» (entreprises, particuliers).

Dopées par l’argent facile les économies nationales et l’économie mondiale ont pu effectivement connaître une reprise économique, quoique inégale selon les pays et de manière générale plus faible, en dépit de l’énormité du remède, que les reprises antérieures.

Mais cette politique ne peut durer éternellement car elle risque tôt ou tard de déboucher sur des flambées inflationnistes (la quantité d’argent circulant étant plus grande que la quantité de marchandises dont elle devrait être l’équivalent, sa valeur est vouée à diminuer) et d’autre part elle prive les autorités financières de leur principal outil – la baisse des taux d’intérêt – en cas de retour de la crise. Il est donc nécessaire d’y mettre fin dès que possible: c’est ce qu’a commencé à faire prudemment depuis quelque temps la Banque centrale américaine (la «Fed»), suscitant les critiques de Trump.

Nous avons déjà eu l’occasion de rappeler que la politique des Banques centrales a eu comme conséquence le gonflement de la dette des particuliers, des entreprises et des Etats. La fin de la création monétaire et la hausse des taux d’intérêts pour les faire revenir à un niveau normal, ne peuvent donc se faire brutalement car sinon il y le risque de provoquer l’éclatement de la bulle de crédit constituée au fil des années – ce qui déclencherait la crise que l’on veut éviter.

 Le marxisme l’enseigne: les remèdes pour remédier à une crise sont les germes de crises futures plus grandes. Quels sont ces germes sur le plan financier?

 

Endettement sans précédent

 

Selon un rapport de l’Institute of International Finance (association de grandes banques et autres institutions financières) paru en juillet dernier, l’endettement mondial a atteint un niveau sans précédent: il est passé de 84 000 milliards de dollars en l’an 2000, à 174 000 milliards en 2008 au moment de la crise et à 250 000 milliards aujourd’hui (2)

D’autres chiffres indiquent les 5 pays qui ont la dette la plus grosse dette dans le monde: ce sont d’abord les Etats-Unis avec 19 947 milliards de dollars, ce qui constitue près du tiers de la dette mondiale (32%) et est équivalent à 107% de leur Produit Intérieur Brut (PIB); puis le Japon avec 11800 milliards (18,8 % de la dette mondiale, 259,3% de son PIB); la Chine avec 4975 milliards (7,9% de la dette globale, 44,3% du PB); l’Italie avec 2 454 milliards (3,9% de la dette globale, 132,6% du PIB); enfin la France avec 2375 milliards (3,8% de la dette, 96,3% du PIB) (3).

Jusqu’ici les Etats ont pu emprunter à bas prix sur les marchés financiers les sommes nécessaires pour financer leurs déficits grâce à la faiblesse des taux d’intérêts; mais si et quand ces taux vont remonter, le poids et le service de la dette (4) deviendront vite un pesant fardeau sur leurs économies (fardeau qu’ils feront retomber bien évidemment sur les prolétaires). L’endettement des Etats est donc une bombe à retardement qui explosera inévitablement un jour ou l’autre s’ils ne réussissent pas à résorber à temps leur dette – ce qu’ils tardent à faire.

A côté de cette dette des Etats, dite «souveraine», qui, il y a une trentaine d’années, ne constituait un problème que pour les Etats dits du «Tiers Monde», il existe la dette des particuliers et celle des entreprises. Rappelons-nous qu’en 2007 la crise des «subprimes» qui a été le facteur déclenchant de la grande récession, portait sur l’endettement des particuliers; aujourd’hui son équivalent aux Etats-Unis est l’endettement des jeunes pour suivre leurs études. Mais c’est l’endettement des entreprises qui est le plus préoccupant au niveau mondial. Elle a en effet particulièrement augmenté grâce à l’argent facile (c’était le but recherché) pour atteindre au niveau mondial, selon les derniers chiffres connus, les 75 mille milliards de dollars – sans qu’il y ait une production et un écoulement de marchandises correspondants.

L’IIF souligne dans autre rapport (5) que cet endettement est particulièrement dangereux en cas de remontée des taux d’intérêts. C’est l’accroissement de l’endettement des entreprises chinoises qui explique une bonne partie de l’accroissement global. Selon l’IFF ce sont les entreprises du Canada, d’Inde et du Mexique qui ont un taux d’endettement particulièrement élevé par rapport à leur chiffre d’affaires; et une «proportion significative» d’entreprises brésiliennes, américaines, canadiennes et mexicaines ont d’ores et déjà des difficultés pour payer leurs dettes. Cependant un tiers des entreprises américaines, françaises et chinoises ont si endettées qu’elles auraient des difficultés à éviter la faillite si les taux d’intérêts remontaient brusquement...

 

Le pétrole, matière première fondamentale pour l’économie mondiale

 

Contrairement à ce qu’on pourrait croire le pétrole reste la source d’énergie la plus importante et elle le sera longtemps encore: En 2017 le pétrole représentait 35% de la consommation mondiale d’énergie, le gaz naturel 24%, le charbon, source d’énergie très polluante mais qui résiste, 28%, l’hydroélectricité 7%, l’énergie nucléaire 4,5%, et enfin lesdites «énergies renouvelables» ne comptaient que pour 3,7%. (6)

 En dépit des conséquences qu’entraîne leur utilisation en termes de pollution et d’atteintes à l’environnement, la production et la consommation de pétrole et de gaz ont continué à augmenter en 2017 ainsi que celle du charbon. Par rapport à 1970 on constate même une très grande stabilité sur près d’un demi-siècle: la part du charbon aurait légèrement augmenté (de 26 à 28%) et la part du pétrole et du gaz aurait très légèrement baissé (de 60 à 59%).

Le pétrole est en effet une source d’énergie qui reste peu chère: c’est là le facteur fondamental pour le capitalisme, toujours à la recherche de l’énergie la moins chère pour augmenter ses profits. Tant pis pour les victimes parmi la population dont parlent régulièrement les médias!

Selon un récent rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement, la pollution de l’air, notamment par les particules fines émises par la combustion des produits pétroliers seraient responsables de centaines de milliers de morts «prématurées» (en étant à l’origine de maladies respiratoires, de cancers, etc.) (7); mais lorsque comme en France un gouvernement augmente les taxes sur le diesel sous prétexte de transition écologique, c’est bien entendu pour remplir les caisses de l’Etat: le capitalisme ne se soucie de l’écologie et de la santé de la population que lorsque cela n’entre pas en contradiction avec la bonne marche du capitalisme; ou lorsque les dégâts causés à l’environnement comme en Chine deviennent graves au point d’entraver cette économie.

On comprend donc pourquoi le pétrole est une richesse stratégique qui est toujours source de conflits et de guerres pour se l’approprier ou la contrôler: il est vital pour le capitalisme, comme l’était il y a un siècle et plus le charbon. Ses variations de prix sur le marché mondial ont toujours une signification et des conséquences importantes.

Signe d’un ralentissement de la demande économique mondiale, le prix du de pétrole, qui était reparti à la hausse depuis plus d’un an, a baissé violemment dans les dernières semaines Le pétrole brut américain, l’un des indices de référence, qui avait atteint les 77 dollars le baril début octobre était retombé à 43 dollars le baril à la fin décembre, soit une chute de 45% environ (8).

 Signe que la demande de pétrole a baissé, les réunions entre les pays de l’OPEP et la Russie pour diminuer leur production n’ont pour l’instant pu faire remonter les prix; de même les sanctions américaines contre l’Iran et les pays qui commerceraient avec lui (c’est un gros exportateur de pétrole).

Il est vrai que les autorités américaines ont exempté de ces sanctions la Chine, le principal client du pétrole iranien, ainsi que la Turquie, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud qui représentent près de 80% des ventes de pétrole par Téhéran. Peut-être pensent-elles que la chute des cours porte un coup suffisant à l’économie iranienne pour qu’il n’y ait pas besoin d’accroître les tensions avec ces pays?

En effet le nouvel effondrement des prix du baril est une mauvaise nouvelle pour les pays dont les exportations de pétrole sont la première ressource, de l’Algérie au Nigeria, des pays du Golfe Persique à la Russie, sans oublier le Venezuela. Selon les estimations du FMI, le prix du baril du pétrole nécessaire pour équilibrer le budget de l’Etat est de 223 dollars pour le Venezuela, 124 dollars pour le Nigeria, 105,7 pour l’Algérie, 88 pour l’Arabie Saoudite, 68 pour l’Iran, 54 pour l’Irak, mais seulement 40 dollars pour la Russie (9).

 

Récession des pays «émergents»

 

Les secousses actuelles dans l’économie mondiale, que ce soit les risques de guerre commerciale, les flux et reflux des capitaux à la recherche de la meilleure valorisation, ou les variations des prix des matières premières, retentissement fortement sur un certain nombre de pays dits «émergents», y compris certains qui faisaient il y a peu figure de champions de la croissance.

Nous avons déjà consacré des articles à la situation de crise où sont plongés le Venezuela, l’Argentine et le Brésil, les trois pays les plus importants de l’Amérique Latine, et nous n’y reviendrons pas ici.

Nous allons passer rapidement en revue d’autres pays qui se débattent au milieu des difficultés économiques.

 

C’est le cas de la Turquie.

Forte de plus de 80 millions d’habitants la Turquie est la 15e puissance économique mondiale, la première du Moyen-Orient. Elle avait connu en 2017 un taux de croissance de 7,4%, le meilleur depuis 4 ans. L’économie turque était dopée par les capitaux internationaux à la recherche d’investissements profitables et une politique économique expansionniste basée sur le recours au crédit. L’Etat a multiplié les investissements en empruntant à bas prix sur les marchés financiers internationaux et en creusant le déficit du budget (5,5% du PIB). La Turquie a ainsi l’un des déficits la balance des paiements les plus élevés dans le monde.

La conséquence de ce recours massif à l’emprunt a été la dépréciation de la monnaie nationale; cela a dans un premier temps facilité les exportations, mais cela a aussi provoqué une flambée de l’inflation: elle a atteint 25% en octobre dernier. La fuite des capitaux étrangers devant les déséquilibres financiers du pays a provoqué une baisse de la valeur de la Livre turque de 47% par rapport au dollar (faisant d’elle une des monnaies les plus faibles du monde), alors même que 60% de la dette turque a été souscrite en dollars et qu’elle est en grande partie à court terme. Selon certaines estimations la Turquie devrait emprunter dans les prochains mois une somme équivalente au quart de son PIB annuel (10)!

Le gouvernement turc a attribué les problèmes économiques à une attaque de l’étranger; il nie que le pays soit en récession, en s’appuyant pour cela sur les recettes record du tourisme ou sur la bonne tenue des exportations au cours de l’année. Mais les faits résistent aux discours. Les chiffres publiés en décembre de la production industrielle indiquent une baisse de près de 6% en octobre. Le secteur de l’automobile est l’un des piliers de l’économie turque; il emploie autour de 500 000 personnes et il avait atteint un record de production en 2017 (plus d’un million de véhicules). Il s’est effondré à la fin de 2018: -21% en novembre par rapport à l’année précédente. Les analystes prévoient que la production d’acier, dont la Turquie est le 8e producteur mondial, confrontée au marasme du marché intérieur, aux taxes imposées à ses exportations vers les USA et à la concurrence chinoise, devrait chuter de 30% cette année...

Malgré la situation difficile due à la répression du régime, plusieurs manifestations rassemblant des milliers de travailleurs à Ankara et ailleurs ont eu lieu à la fin de l’année contre la dégradation du niveau de vie et en faveur des milliers de personnes licenciées depuis le coup d’Etat manqué.

 

La crise en Afrique

 

Le Nigéria, la plus grande puissance économique du continent d’après les chiffres de son PIB, et la plus peuplée (190 millions d’habitants), est étroitement dépendant du pétrole dont il est le dixième producteur mondial: le pétrole représente 95% des exportations et 80% des revenus fiscaux de l’Etat. La baisse des cours en 2016, conjuguée à la baisse de la production locale avait plongé le pays dans la pire récession connue depuis 25 ans, dont il n’a commencé à sortir qu’avec la remontée des cours à partir de mi-2017. La croissance de l’économie n’a cependant été que de 0,8% cette année-là; mais cela a suffi pour que le gouvernement, comme le FMI et la Banque Mondiale, affirment encore au début de 2018 que la reprise allait s’accélérer. C’est le contraire qui a eu lieu, dès le premier trimestre; la Banque centrale du Nigéria avertissait fin mars que le pays risquait de retomber dans la récession et des économistes affirmaient que «89% de l’économie est toujours en récession». A la veille des élections présidentielles de février 2019, le gouvernement et les institutions officielles continuent cependant à répandre la légende de la reprise économique. Mais les chiffres officiels eux-mêmes indiquent une forte hausse du chômage: son taux avait atteint 23,1% au troisième trimestre 2018, et si on y ajoute le «sous-emploi» on arrive à un total de 43,3% ( 55% pour «les jeunes») tandis que l’inflation était enregistrée à 13% (15% pour les produits alimentaires). (11).

Le mécontentement croissant parmi les travailleurs a contraint le National Labour Congress et d’autres centrales syndicales à annoncer une grève générale illimitée de la Fonction Publique à partir du 8 janvier, après que le gouvernement n’ait pas soumis au parlement une loi sur l’augmentation du salaire minimum mensuel de 18000 à 30 000 Nairas (73 euros). Les gouverneurs de certains Etats (le Nigeria a une structure fédérale) ont protesté qu’ils ne pourraient pas payer un tel salaire; par exemple les fonctionnaires locaux de l’Etat de Zamfara ne sont payés que 6000 Nairas.

 Les syndicats ont adopté les 30 000 Nairas comme revendication bien que l’année dernière ils demandaient un salaire minimum de 56 000 Nairas (135 euros). Organisations collaborationnistes, les grandes confédérations syndicales cherchent à éviter de mettre à exécution leur menace de grève.

En novembre elles avaient décommandé la précédente grève générale sous prétexte que la «Commission Tripartite», organisme de collaboration des classes réunissant des représentants des syndicats, des organisations patronales et du gouvernement, allait présenter au Président de la République les diverses propositions (le gouvernement et les patrons proposaient un salaire minimum de 24 000 Nairas).

Rien d’étonnant donc si elles s’emploient à diffuser auprès des travailleurs l’illusion que la prochaine élection présidentielle serait le moyen d’obtenir une amélioration de leurs conditions.

 

L’Afrique du Sud est l’Etat le plus industrialisé d’Afrique. La puissance de son secteur minier avec plusieurs multinationales lui a permis, avec l’appui chinois, d’être intégrée en 2011 dans les «BRIC», ce regroupement impérialiste de pays «émergents» qui comprenait alors le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (elle fait aussi partie du G20, le «club» des 20 plus influentes puissances mondiales). L’Afrique du Sud traversa une profonde récession lors de la crise capitaliste mondiale de 2008 qui provoqua une importante baisse du prix des matières premières dont elle est productrice; depuis lors elle n’a plus renoué avec la croissance qu’elle connaissait auparavant. A la fin de 2016 elle a connu pendant quelques mois une récession, qui a laissé place à une faible reprise en 2017.

Alors que le gouvernement tablait sur une progression économique, le Bureau des statistiques a annoncé officiellement en septembre que le pays était de nouveau entré en récession; il a attribué celle-ci à la sécheresse qui a entraîné une baisse de la production agricole. Cependant la production industrielle est également en recul: au troisième trimestre 2018 (derniers chiffres connus) la production minière était en baisse de près de 9% en rythme annuel: la récession sud-africaine n’est donc pas due à des causes extérieures incontrôlables, mais bien au système capitaliste mondial dans lequel le pays est pleinement intégré.

Selon un rapport de la Banque Mondiale passant en revue 149 pays (12), l’Afrique du Sud est le plus inégalitaire de tous: les 1% plus riches possèdent 71% de la richesse du pays tandis que 55% de ses 56 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté (revenu mensuel inférieur à 60 euros) dont 25% dans l’«extrême pauvreté» – un revenu inférieur à 28 euros qui ne permet pas de satisfaire les besoins alimentaires de base. Les inégalités ont augmenté de façon générale depuis 2011, et les «inégalités de la consommation» depuis 1994 (fin de l’apartheid). Le rapport écrit que le pays se ressent toujours de l’héritage de l’apartheid; en fait le capitalisme sud-africain a liquidé les structures politiques de l’apartheid, mais pour mieux assurer, derrière le masque de la démocratie, l’apartheid économique caractéristique du capitalisme.

La crise économique ne fait qu’exacerber cette situation. Le chômage a atteint les 27,5% au troisième trimestre 2018 (39% dans la tranche d’âge 15-34 ans), son niveau le plus élevé depuis 15 ans. L’industrie a supprimé plus de cent mille emplois depuis le début de l’année, et les services, y compris gouvernementaux, plus de 90 000.

Mais les prolétaires sud-africains, qui ont une riche expérience de luttes, ont réagi et réagissent à la détérioration de leurs conditions de vie et de travail. Selon le ministère du Travail 2017 a été une année record pour le nombre de grèves: 132 avec 125 000 grévistes (contre 122 grèves et 90 000 grévistes en 2016) mais plus de la moitié des grèves étaient «protégées», ce qui signifie que leurs organisateurs – les syndicats officiels – avaient respecté le préavis de 30 jours et le recours à la «commission de médiation et d’arbitrage»; l’année précédente, 60% des grèves étaient «non protégées», c’est-à-dire n’avaient pas respecté ces procédures mises en place pour restreindre le droit de grève, ce qui rend les grévistes passibles de diverses sanctions y compris le licenciement.

Il semble qu’en 2018 le nombre des grèves et des grévistes ait été nettement plus grand. En avril la Confédération syndicale SAFTU, dissidente de la COSATU liée à l’ANC au pouvoir depuis 1994, dont la principale composante est le syndicat des métallurgistes NUMSA, a organisé une grève générale. Elle a été largement suivie, la revendication centrale étant un salaire minimum mensuel de 12500 rands (785 euros); le gouvernements les patrons et les syndicats pro capitalistes (COSATU, FEDUSA, etc.) ont passé un accord pour un salaire minimum de 3500 rands (220 euros) pour la durée légale de 45 heures de travail par semaine, c’est-à-dire 20 rands de l’heure (1,25 euro); cet accord a été transcrit dans une loi qui a pris effet au premier janvier. En outre des exemptions pouvant aller jusqu’à un an pour l’application de ce salaire minimum de misère sont prévus pour les petites et moyennes entreprises. Une autre revendication de la SAFTU est l’abrogation des nouvelles limitations du droit de grève qui sont inclues dans cette loi.

D’autres grèves ont eu lieu en 2018, la plus importante étant sans doute celle de la grève nationale des travailleurs du plastique organisée par la NUMSA à la mi-octobre; plus de 30 000 ouvriers ont participé à ce mouvement qui a touché plus de 450 entreprises du secteur. La revendication principale était le maintien de l’ancien tarif minimum de 40 rands de l’heure alors que les patrons avaient décidé de baisser les salaires au niveau du nouveau tarif de 20 rands, le maintien de certaines primes, des 4 semaines de congés payés, le paiement des heures supplémentaires, l’égalité des salaires pour tous (les patrons ont décidé de diminuer les salaires de 10% dans les entreprises se trouvant en dehors des grandes villes), etc. Dans certains endroits les patrons ont fait appel à des milices privées qui ont tiré des balles en caoutchouc contre les ouvriers. Durant cette grève qui continuait toujours fin décembre, un gréviste a été tué et d’autres blessés, mais plusieurs patrons ont été rossés par les grévistes et l’un d’eux est mort; un garde a été également été tué par les ouvriers.

Le prolétariat sud-africain qui a face à lui une classe dominante et un Etat particulièrement féroces, démontre qu’il possède des trésors de combativité. Il lui faudra, en liaison avec le prolétariat des autres pays d’Afrique et du monde, reconstituer le parti de classe international, pour passer de la lutte de résistance immédiate à la lutte politique révolutionnaire pour renverser le capitalisme et établir son propre pouvoir dictatorial.

 

Le soudan en flammes

 

Le Soudan est l’un des pays d’Afrique au territoire le plus étendu, largement désertique. Peuplé de 43 millions d’habitants, il a vu avec la sécession de la partie méridionale (constituée en Etat indépendant en 2011) disparaître sa ressource la plus importante, le pétrole, dont 75% de la production était réalisée dans le sud. La guerre civile au Sud Soudan lui a fait perdre en outre les redevances qu’il encaissait sur le transit de ce pétrole et la baisse récente des cours du baril a encore aggravé les choses. Lourdement endetté, le pays est considéré comme l’un des plus corrompus au monde; selon une information révélée par Wikileaks, l’inamovible président Omar Al- Bashir, au pouvoir depuis un coup d’Etat en 1989, aurait placé 9 milliards de dollars d’argent détourné dans des banques occidentales.

Pour se maintenir à flot le gouvernement soudanais, autrefois lié à l’Iran, s’est rapproché de son vieil ennemi, l’Arabie Saoudite, envoyant même quelques centaines de soldats combattre au Yémen. En récompense l’Arabie Saoudite aurait promis de prêter 5 milliards de dollars et les Etats Unis ont levé les sanctions qui pesaient sur le Soudan depuis des années.

 Mais surtout le gouvernement a infligé à la population une politique d’austérité drastique. Lors du dit «printemps arabe», en 2011, le Soudan avait lui aussi connu des manifestations anti-gouvernementales. La répression s’était soldée par environ 2000 arrestations.

En 2013, des augmentations de l’essence et de produits de première nécessité mirent le feu aux poudres: elles provoquèrent une vague de manifestations de protestation. Une répression sanglante – 200 morts, des centaines de blessés et d’arrestations – brisa le mouvement.

 Début 2018, à la suite de la suppression de certaines subventions dans le cadre des mesures d’austérité décidées avec le FMI, le prix de la farine triplait et celui du pain doublait. De nombreuses manifestations éclatèrent alors, sévèrement réprimées; un manifestant fut tué par la police et de nombreux autres arrêtés.

En novembre 2018 des discussions se déroulèrent avec une délégation du FMI: une aide financière allait être accordée en échange de suppressions supplémentaires de subventions pour rétablir «l’équilibre des finances publiques». Les nouvelles hausses du pain (de 1 à 3 Livres soudanaises) et des produits alimentaires de base furent alors annoncées le 18 décembre. S’ajoutant à une inflation estimée à près de 75%, ces hausses ont déclenché une vague sans précédent de manifestations: affamer les couches les plus pauvres de la population pour équilibrer les finances de l’Etat, voilà la politique décidée par le régime et ses conseillers internationaux! Les manifestants qui ont incendié à certains endroits des sièges du parti gouvernemental, répondent en appelant à la chute du régime. La répression par la police des manifestations, qui durent encore au moment où nous écrivons, a fait des dizaines de morts.

 

*      *      *

 

En 2016 le capitalisme mondial a réussi à surmonter la crise économique qui s’était manifestée à sa périphérie mais semblait devoir toucher le coeur (où se trouve la véritable cause); les pays impérialistes dominants avaient alors réussi à circonscrire la maladie grâce à la drogue du crédit et de l’endettement. Cela ne sera pas toujours possible. La crise reviendra inévitablement frapper de plein fouet les métropoles impérialistes, ébranlant le statu quo social et politique. Des épisodes comme celui des Gilets Jaunes aujourd’hui en France sont le signe avant-coureur de ce qui pourra arriver alors.

Le prolétariat devra réussir à trouver la force de reprendre la voie de la lutte de classe, et en se solidarisant avec ses frères de classe des pays déjà en crise, de s’attaquer au capitalisme mondial.

 


 

(1) Le mois de décembre a été le pire mois pour la bourse de Wall Street depuis la crise des années 30, mais les bourses chinoises, italiennes, allemandes,  japonaises ont été aussi très touchées.

(2) Bloomberg Markets, 10/7/2018

(3) World Economic Forum, 9/5/18. Les pays suivants sont l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

(4) Les chiffres de la charge (ou , ,,service) de la dette sont particulièrement difficiles à se procurer, les statistiques courantes ne fournissant que des indications de l’endettement par rapport au PIB (Produit Intérieur Brut); mais cela n’a qu’un intérêt relatif, l’important étant le chiffre des paiements qui doivent être effectués chaque année par un Etat pour payer cette dette. En France, c’est le deuxième poste du budget (après l’enseignement et avant les dépenses militaires): 42 milliards d’euros, soit près de 10% des dépenses de l’Etat.

(5) Reuters, Business News, 28/11/2018.

(6) cf BP Statistical Review of World Energy, juin 2018. Les estimations de l’Agence Internationale pour l’Energie (World Energy Statistics, septembre 2018) diffèrent, surtout pour ce qui est de l’énergie hydroélectrique mais sans que cela change tableau général.

(7) cf «La pollution atmosphérique reste trop élevée dans l’ensemble de l’Europe», Agence Européenne pour l’Environnement, 29/10/2018.

(8) Il existe 2 références pour les prix du pétrole: le brut texan (West Texas Intermediate) et le Brent de la Mer du Nord qui est un peu plus cher (il est passé sur la même période de 86 à 52 dollars).

Comme l’explique la théorie marxiste de la rente, c’est le prix des gisements les moins productifs, c’est-à-dire ceux où le pétrole coûte le plus cher à produire (historiquement la référence est les puits texans en voie d’épuisement et les plateformes pétrolières de la Mer du Nord, elles aussi en voie d’épuisement), qui détermine le prix de marché global; en effet ces gisements, dont la production est nécessaire pour répondre à la demande globale, ne sont mis en activité que s’ils permettent un taux de profit égal au taux de profit moyen dans le reste de l’économie. Par rapport à ceux-ci les gisements plus productifs – au premier plan ceux du Golfe Persique – enregistrent un profit supplémentaire, qui est leur rente. Il y a en outre, affirme Marx, un surcoût qui est la conséquence directe de l’économie de marché.

(9) La Tribune, 21/6/2018.

(10) Les Echos, 3/4/2018.

(11) cf National Bureau of Statistics, Key Indicators 22/12/2017. «89% of Nigeria’s Economy Still in Recession», https://allafrica.com/stories/201802140004.html

(12) «Overcoming Poverty and Inequality in South Africa», Banque Mondiale, mars 2018. Les données utilisées par le rapport datent de 2015, mais depuis rien n’a changé, sinon en pire.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top