Algérie : Seule la lutte prolétarienne peut faire dégager le système capitaliste !

(«le prolétaire»; N° 532; Février - Mai 2019)

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La mobilisation des masses à un tournant

 

Au bout de plus d’un mois de manifestations, de mobilisations et de grèves contre la candidature de Bouteflika – alors même qu’il est impotent – à un cinquième mandat présidentiel, le pouvoir a été contraint à reculer.

Après avoir tergiversé et grossièrement manœuvré, il a finalement annoncé le 26 mars par la bouche du général Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la défense dans le gouvernement démissionnaire,  que Bouteflika devait être déclaré inéligible pour raisons de santé.  Une transition pourrait alors s’engager conformément aux prescriptions constitutionnelles (article 102, etc.).

Il est assez clair qu’il s’agit d’une nouvelle manœuvre : cette transition, qui durerait quelques mois, resterait en effet entre les mains des dirigeants actuels. En lâchant ouvertement Bouteflika le pouvoir veut gagner du temps pour mettre en place un ravalement de façade du système politique, tout en misant sur l’essoufflement de la mobilisation.

Mais la profondeur de la crise politique actuelle est telle que les demi-mesures et les contorsions du pouvoir tournent à vide.  Les manifestants toujours plus nombreux à sortir dans les villes d’Algérie ont, le 29 mars, répondu à la déclaration de Gaïd Salah en réitérant leur revendication d’en finir non pas avec un individu en particulier, mais avec « le système » dans son ensemble – dont Gaïd est l’un des piliers !

 

La force prime le droit

 

La crise politique a attisé les rivalités entre cliques bourgeoises, y compris au sein du «clan présidentiel»: alors que de nombreux caciques de ce dernier ont rallié la position de Gaïd Salah, d’autres cherchent une solution différente pour se maintenir aux commandes. Un compromis entre eux paraissait avoir été trouvé avec la formation le 31 mars du nouveau gouvernement où sont présents des personnalités des deux bords: face à la rue, le clan essaye de serrer les rangs. Mais il semble qu’il ne s’agisse que d’une trêve...

Parmi les partis et les personnalités de l’opposition, certains soutiennent l’initiative du chef d’état-major au nom du respect de la « légalité constitutionnelle ».  Comme si cette fameuse constitution était, exactement de la même façon que tous les textes de ce genre,  autre chose qu’un chiffon de papier déchiré en outre par ceux-là même qui prétendent lui être fidèles ! En effet du point de vue constitutionnel, la déclaration de Gaïd Salah n’avait aucune valeur; sa seule valeur repose sur le fait qu’elle a été prononcée par le chef de l’armée. Et il n’y a pire fumisterie que le fameux article 7 de la constitution, selon lequel  «le peuple est la source de tout pouvoir»: chacun sait que la source réelle du pouvoir est l’armée. C’est une leçon très précieuse, donnée une nouvelle fois,  que les prolétaires ne doivent jamais oublier: la force prime le droit. Derrière toutes les constitutions et leurs phrases creuses, c’est en dernière instance la force brute qui est le pilier de l’Etat et le garant du système économique.  Et c’est la force qui devra le briser pour supprimer ce système. Les bourgeois voudraient inculquer le respect superstitieux de la légalité et de la Constitution pour cacher cette réalité. Tâche ardue car l’histoire des dernières décennies en Algérie a donné suffisamment de preuves que l’armée ne s’est jamais embarrassée de scrupules légalistes ou constitutionnels lorsqu’il s’est agi de réprimer dans le sang toute révolte… 

 

Réforme ou révolution ?

 

Si toutes les corporations et toutes les classes, à l’exception d’une petite «bande de profiteurs», peuvent se retrouver sur l’objectif de «dégager» quelques personnalités du clan présidentiel, voire le clan tout entier, cette unité se brise immédiatement dès que se pose la question de savoir par quoi et qui les remplacer.

Pour les prolétaires et les masses pauvres la lutte contre «le système» est au fond la lutte contre tout un système socio-économique qui les exploite, les opprime et les réprime: le système capitaliste, avec sa classe dominante et son Etat. Sans la suppression du capitalisme leur situation ne peut changer ; au contraire elle ne peut qu’empirer en raison des crises capitalistes qui se répètent au niveau international et dont la crise du capitalisme algérien, étroitement dépendant du marché mondial, fait partie. La lutte contre le capitalisme, contre l’Etat bourgeois et contre la classe dirigeante toute entière en découle donc nécessairement.

 Pour les bourgeois et les petits bourgeois la lutte contre le système a  seulement  pour but d’avoir librement accès aux affaires et aux bonnes places ;  pour eux il n‘est pas question de lutter contre le capitalisme, mais de le protéger , de le réformer et de le revitaliser, en rectifiant  les « abus » les plus criants et en éliminant les corrompus les plus voyants ;  il n’est pas question de détruire l’Etat bourgeois, mais de le démocratiser ; il n’est pas question de renverser la classe dominante, mais de s’y intégrer !

En un mot alors que l’objectif des prolétaires ne peut être que celui de la révolution, politique et sociale, l’objectif des bourgeois et des petits bourgeois est celui de la réforme politique.

 

L’illusion de la démocratie et de l’unité nationale, arme la plus dangereuse de la bourgeoisie

 

Le plus dangereux aujourd’hui pour les prolétaires et les masses exploitées est l’illusion qui accompagne spontanément l’unanimisme interclassiste de la mobilisation en cours contre Bouteflika et son clan : l’illusion de la démocratie et de l’unité nationale. La conséquence de l’interclassisme est que les intérêts des prolétaires et des exploités sont mis de côté au profit d’un prétendu intérêt général qui unirait tous les citoyens, quelle que soit leur classe sociale.

Mais en réalité cet intérêt général n’est que l’intérêt du capital. Capitalistes et chômeurs,  prolétaires et bourgeois, n’ont pas les mêmes intérêts ni donc les mêmes objectifs. Par exemple les intérêts d’un Rebrab, le plus riche capitaliste privé du pays, patron du groupe Cevital, et ceux des prolétaires qu’il emploie dans ses usines sont complètement opposés : l’un s’enrichit de l’exploitation des autres. Si le groupe Cevital se proclame « entreprise citoyenne » et affirme soutenir le mouvement en cours pour la démocratisation de l’Algérie (1), c’est qu’il sait que la « démocratie » sert ses intérêts. Certains de ses ouvriers lui ont d’ailleurs répondu de la meilleure façon possible en déclenchant le 20 mars une grève illimitée (2) …

Les marxistes expliquent depuis toujours que la plus démocratique des démocraties ne peut être qu’une façade voilant la dictature de ceux qui possèdent tout (y compris les moyens de façonner l’opinion publique), la classe dominante bourgeoise : tant que celle-ci n’est pas renversée et que le capitalisme n’est pas détruit, l’émancipation des prolétaires et des masses exploitées est impossible.  En donnant l’illusion que, grâce à elle, il est possible de décider en pleine « souveraineté » de leur sort, la démocratie a pour fonction de détourner les prolétaires de la lutte ouverte qui est leur seul moyen de se défendre et de renverser l’ordre établi.

 

Non aux subterfuges démocratiques, oui à la lutte de classe !

 

Les opposants, du FFS aux trotskystes, qui préconisent une « assemblée constituante » entretiennent cette mortelle illusion.  Aucune assemblée constituante, aucune instance démocratique, ne permettront jamais de remédier aux souffrances et aux difficultés sociales de toute espèce causées par le capitalisme ; mais par contre elles peuvent être un moyen pour le capitalisme algérien de sortir sans trop de heurts de la crise politique actuelle. Il faut donc les dénoncer et les combattre comme des impasses, des subterfuges qui ne profitent qu’à la bourgeoisie.

Après des semaines de mobilisation suivies de reculades et demi-reculades du pouvoir, la situation est arrivée à un tournant avec la formation du nouveau gouvernement. Il est douteux que la destitution de Bouteflika suffise à calmer les masses. Elles auront tendance à vouloir augmenter la pression en dépassant le stade des simples manifestations pacifiques pour passer à un niveau supérieur, même si  la menace du recours à la répression, brandie il y a quelques semaines par le pouvoir, n’a pas disparu. L’union interclassiste sera alors condamnée à se fracasser sur la réalité de l’antagonisme entre les classes.

Quoi qu’il en soit, la seule voie non illusoire à suivre est celle de la lutte prolétarienne conte le capitalisme, de la lutte de classe pour en finir réellement avec le système capitaliste et non pas simplement le réformer superficiellement. Mais pour cela le prolétariat doit tout d’abord rejeter les paralysantes illusions petites bourgeoises d’unité populaire,  afin d’entrer en lutte et de s’organiser sur des bases de classe – aussi bien sur le plan des luttes économiques et immédiates que sur le plan de la lutte politique révolutionnaire, en conformité avec le programme historique de la révolution communiste internationale.

Cette perspective de constitution des armes de classe du prolétariat, et en premier lieu de son parti, ne peut se concrétiser du jour au lendemain. Elle peut paraître complètement hors de portée aujourd’hui, mais c’est pourtant la seule réaliste, la seule porteuse d’avenir.

 

1/4/2019


 

(1) Communiqué du 3/3 du groupe Cevital pour décommander une marche de soutien à l’entreprise.

(2) Grève à Métal Structure, dans les environs de Rouiba.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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