Enième intervention militaire française au Tchad

(«le prolétaire»; N° 532; Février - Mai 2019)

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Début février, l’aviation française a volé au secours du dictateur tchadien Idriss Déby en bombardant les colonnes de pick-up des opposants armés de l’UFR (Union des Forces de la Résistance). Ces attaques menées par les Mirages 2000, un drone Reaper et des ravitailleurs C13 tricolores ont détruit une vingtaine de véhicules, chaque véhicule pouvant transporter jusqu’à dix combattants.

 

La « Prusse de l’Afrique »

 

Le Tchad est dirigé depuis 1990 par Idriss Déby qui a eu le triste privilège d’être élu «pire dictateur africain» par The Economist. Il est arrivé au pouvoir en 1990 avec l’aide logistique de la DGSE, les services secrets français.

Le Tchad dispose d’une des plus efficaces armées de la région et il est en tête des dépenses d’armement en pourcentage du PIB. L’armée tchadienne entend jouer un rôle régional, en intervenant en République centrafricaine ou en combattant contre Boko Haram dans le nord du Cameroun. Le Tchad intervient aussi militairement au Mali dans le cadre de la lutte contre le «terrorisme djihadiste». L’état-major de la force «Barkhane» (1) est ainsi située à N’Djamena: au total il y aurait un millier de soldats français stationnés au Tchad; Macron et Le Drian (qui se proclame «ami» de Déby) sont allés leur rendre visite en fin d’année. Idriss Déby agit également main dans la main avec le maréchal Hafter, un des chefs de guerre libyen sponsorisé par Paris. Les troupes de Déby, la Garde nomade nationale, servent aussi pour freiner les flux migratoires qui traversent le Sahara pour atteindre l’Europe via la Libye.

Dans une région sahélienne troublée, le Tchad apparaît comme un élément de stabilité de l’ordre impérialiste, même si cette stabilité semble plutôt précaire.

 

Crise économique et ruée vers l’or

 

Le Tchad est depuis une vingtaine d’années un pays producteur de pétrole; se situant autour du quarantième rang mondial pour ce qui est de la production, avec 170 000 barils par jour et il est devenu exportateur depuis 2003. Cette production n’est donc pas très importante dans l’absolu, mais pour un petit pays comme le Tchad elle représente une source de revenus décisive. Le gouvernement annonce un «second boom» pétrolier dès cette année avec la mise en activité de nouveaux gisements et une remontée des cours du pétrole. Cette richesse engraisse les bourgeois – ceux liés au clan familial corrompu du président ainsi que les firmes internationales ainsi que les sociétés multinationales – alors que la population vit dans une misère terrible: le pays est 186e sur 189 dans le classement de l’ONU basé sur l’indice de développement humain (IDH qui combine revenu par habitants, alphabétisation et espérance de vie).

Mais en fait de boom, la chute des cours du pétrole sur le marché mondial depuis quelques années a mis l’économie tchadienne en grande difficulté: le pays se trouve en «quasi faillite» (2), ayant les plus grosses difficultés pour rembourser sa dette. La réponse à la baisse des recettes pétrolières a été très simple: l’austérité budgétaire dans le cadre d’un accord avec le FMI, dont les fonctionnaires ont été les premières cibles avec une baisse de près d’un tiers de leur salaire. Cette offensive a été stoppée car la résistance des travailleurs s’est traduite par un long mouvement de grève qui a fait reculer le pouvoir.

Le régime pense avoir trouvé une bouffée d’oxygène pour ses finances grâce à la découverte de vastes réserves d’or dans le Tibesti, au nord du pays. Depuis cette découverte, Déby mène une répression féroce contre les orpailleurs clandestins et contre la population locale de la région qui veut obtenir sa part du gâteau. Tous les moyens sont bons, y compris des bombardements contre des civils. Il s’agit de faire table rase des oppositions pour permettre aux multinationales de s’installer dans la région en assurant la sécurité de leurs investissements. L’attaque des avions français s’inscrirait dans la tentative du gouvernement tchadien d’établir son autorité dans cette zone (3).

 

L’impérialisme français, parrain du caïd Déby

 

Idriss Déby peut apparaître comme l’homme fort de la région car c’est un protégé de l’impérialisme français. Non seulement il est arrivé au pouvoir grâce à la France et cette dernière lui a sauvé la mise en 2008 lorsque son palais présidentiel s’est retrouvé encerclé par des rebelles, mais Déby maintient sa dictature avec son aide très intéressée.

La France, via des conventions de financement signées avec l’Agence française de développement en décembre 2018, a prêté 40 millions d’euros au gouvernement pour l’aider à payer les salaires de décembre de 90000 fonctionnaires et des pensions, afin de maintenir la paix sociale mise à rude épreuve par les grèves de ces derniers. Auparavant Paris avait de fait soutenu la nouvelle constitution adoptée au parlement au printemps dernier en dépit des manifestations de l’opposition. Instituant une «IVe République», cette nouvelle constitution renforce les pouvoirs présidentiels et elle permettra à Idriss Déby de briguer un nouveau mandat présidentiel, après 28 ans de règne

Paris apporte surtout un soutien militaire considérable au régime: des «coopérants» intégrés dans l’armée tchadienne, des dons de matériel de guerre et d’équipement de «maintien de l’ordre» à l’armée ou à la Garde nomade nationale, coopération entre la DGSE et les nervis de l’Agence nationale tchadienne de sécurité, des repérages effectués par des drones français, un approvisionnement en carburant de l’armée qui sert aux hélicoptères qui bombardent les civils, des équipes médicales pour soigner les militaires blessés…

Le Tchad est une pièce majeure dans le dispositif impérialiste français en Afrique. Elle est d’autant plus importante qu’outre les menaces de groupes rebelles (tous qualifiés de «djihadistes» pour les besoins de la cause) l’impérialisme tricolore est menacé par la concurrence de ses rivaux, comme en particulier en Centrafrique. Ce pays faisait traditionnellement partie du «pré-carré» français mais aujourd’hui le régime se tourne vers la Russie qui lui fournit des mercenaires.

Au Tchad comme dans d’autres pays, c’est aux appétits chinois que la France est surtout confrontée (4). Plus au nord, les impérialismes français et italien s’affrontent pour savoir qui va faire main basse sur la Libye et ses ressources pétrolières (ce qui explique davantage la crise diplomatique entre les gouvernements que les fausses disputes sur la façon de maltraiter les réfugiés). C’est tout cela qui cause ce regain d’agressivité de l’impérialisme français au Tchad.

 

A bas la France impérialiste !

 

Même si l’impérialisme français a perdu de sa superbe face à ses concurrents, il reste un rapace dangereux pour les prolétaires et les masses exploitées.

L’impérialisme français est un des pires ennemis des masses africaines. Il doit être une cible privilégiée des soulèvements prolétariens. Il est indispensable que la révolte sociale des masses exploitées mette hors d’état de nuire les cliques rivales cherchant à se partager le butin mais aussi les maîtres impérialistes et leurs satrapes locaux.

Face à l’impérialisme et à ses brigandages, le prolétariat des métropoles a objectivement des tâches cruciales. Malheureusement, il manque tragiquement une opposition prolétarienne à la politique de rapine de «notre» impérialisme, reflet et conséquence de l’apathie d’une classe ouvrière anesthésiée et désorientée par le réformisme et la collaboration de classe.

L’absence d’une lutte prolétarienne anti-impérialiste ne peut qu’encourager le développement et le renforcement de l’agressivité militaire de l’impérialisme français.

C’est une raison supplémentaire pour oeuvrer à la reconstitution du parti de classe unissant les prolétaires des métropoles impérialistes et des pays dominés dans une lutte commune.

 

Troupes françaises hors du Tchad et d’Afrique !

Opposition prolétarienne aux menées guerrières des impérialistes !

L’ennemi principal est «notre» propre impérialisme !

A bas la France impérialiste et ses crimes ! Vive la révolution prolétarienne mondiale !

 


 

(1) L’opération «Barkhane» est une opération militaire déclenchée par l’armée française au Sahel en 2014 sous Hollande et continuée sous Macron. Elle compterait aujourd’hui «plus de 4500 soldats» (Le Monde, 4/12/18) répartis principalement au Burkina Faso, Mali, au Niger et au Tchad (sans compter les bases arrière en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Sénégal).

(2) cf Le Monde, 26/5/2017. Premier article de la série «Tchad: la fin du miracle».

(3) Selon l’hebdomadaire Le Point (9/2), les rebelles seraient «tombés dans un piège», le régime tchadien voyant l’occasion de «récupérer les mines d’or de Kouri Bougoudi» en liquidant les rebelles; ceux-ci appartiennent à la même ethnie que celle du président – preuve que les affrontements sont de nature politique et sociale et non interethnique.

(4) Ce sont des entreprises chinoises qui sont maintenant les plus actives dans l’extraction du pétrole tchadien (Total se contentant de commercialiser l’essence), la production de ciment, etc.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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