Venezuela:

Ni Maduro, ni Guaido, mais lutte indépendante de classe !

(«le prolétaire»; N° 532; Février - Mai 2019)

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Quelques semaines après que Juan Guaido se soit auto-proclamé président du Venezuela et qu’il ait été «reconnu» immédiatement comme tel par de nombreux pays, cette initiative semble avoir fait long feu. Au point que l’opposition vénézuélienne, selon le New York Times, soit à la recherche d’un «plan B», car le régime Maduro tient toujours. La visite de Guaido au Brésil ne paraît pas avoir débouché sur des résultats concrets, car l’armée brésilienne serait réticente à un affrontement avec l’armée vénézuélienne avec laquelle elle conserve des liens, d’après le Figaro.fr (28/2). Le 22/2 le quotidien Le Monde a publié une enquête sur «les coulisses de l’ascension de Juan Guaido». Il en ressort que cette initiative a été préparée depuis de nombreux mois par l’administration américaine «obsédée» dès son intronisation par le Venezuela comme par la Corée du Nord et l’Iran. Une «option militaire» aurait été envisagée par Trump mais écartée par ses conseillers militaires pour qui «une invasion militaire serait un désastre». Pendant plusieurs mois des émissaires américains et de l’opposition vénézuélienne s’emploient à convaincre les différents gouvernements latino-américains d’une action contre le gouvernement Maduro. Le gouvernement espagnol de Rajoy (droite) aide à établir des canaux avec les pays européens. En avril 2018 une figure de l’opposition qui fait partie de ces émissaires, s’entretient avec Macron; il affirme que celui-ci «nous a donné son soutien et son engagement à nous aider à résoudre la crise». Bref le ralliement immédiat des pays européens à Guaido ne relève pas du hasard....

Nous publions ci-dessous notre prise de position sur les évènements au Venezuela.

 

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Encore une fois le climat politique et social au Venezuela s’est enflammé. A la veille de la célébration de la date symbolique du 23 janvier 1958 (1) il y a eu des dizaines de manifestations de la population affamée et réprimée par un gouvernement qui parle toujours moins de socialisme et qui est toujours plus répressif. Après la reprise le 23 janvier des marches et des manifestations de l’opposition et des contre-manifestations chavistes, on relevait une trentaine de morts. L’opposition est passée à l’offensive selon un plan prémédité : une tentative de coup d’Etat organisé par la puissance tutélaire américaine contre le gouvernement chaviste de Maduro. C’est ainsi que le député à l’Assemblée Nationale Guaido (2) est apparu sur une place de Caracas pour « autoproclamer » président provisoire de la République du Venezuela. La chose serait insolite s’il n’y avait pas eu immédiatement les déclarations du Département d’Etat (le ministère des Affaire étrangères) des USA, renforcées par les premières déclarations du Parlement européen : elles approuvaient la nomination d’un président par intérim avec la tâche d’établir un nouveau calendrier électoral, mais aussi d’expulser le président élu Maduro du pouvoir.

      

USA, Russie et Chine entrent en lice

 

La situation économique du pays n’a cessé de se détériorer à cause des plans catastrophiques du gouvernement chaviste et aussi à cause du gel des biens des capitalistes vénézuéliens, qui, par l’intermédiaire du système financier international, étrangle pratiquement l’économie du Venezuela. Il n’y a pas de doute que pour le gouvernement Trump comme pour ses prédécesseurs le Venezuela a été une épine au pied, une menace, petite mais réelle, pour la stabilité du capitalisme mondial.

Mais le gouvernement chaviste profite de cette évidente ingérence américaine pour imposer un véritable chantage aux masses pauvres du Venezuela en les appelant à résister et à combattre – l’estomac vide – une éventuelle invasion militaire du géant du nord. Mais cela signifie aussi que les Etats-Unis entrevoient leurs futures difficultés économiques, s’ajoutant à la longue crise des subprimes qui a secoué l’économie mondiale en 2008-2009 et dont les effets se font encore sentir.

Maduro jouit du soutien de la Fédération de Russie et de la Chine (appartenant toutes deux au Conseil de sécurité de l’ONU), mais jusqu’à quel point ces deux puissances peuvent-elles s’engager en faveur du Venezuela ? Il est certain qu’elles veulent protéger leurs investissements dans le pays (pétrole, Coltan, or, etc.) (4) et une solution serait de négocier une paix sociale sans bain de sang. Un scénario conduisant à un affrontement mondial est improbable même si maintenant que la guerre de Syrie est sur le point de se terminer, le Venezuela semble être au centre des tensions inter impérialistes, et que les pays voisins, comme la Colombie, le Brésil ou le Surinam pourraient fournir la chair à canon d’une intervention impérialiste. Toutes les alternatives ont été mises sur la table depuis que le président Trump a condamné le Venezuela au début de l’année. Rien ne peut être exclu, en attendant que les marchés orientent politiquement la région

 

Intervention du Vatican

 

Après avoir joué un rôle clé en 2015 dans la situation à Cuba, cette fois le pape « suit très attentivement la situation vénézuélienne» (5). La voix du pape, comme on sait, est la voix la plus raisonnable de l’impérialisme et il joue son rôle en appelant au dialogue et en se proposant comme médiateur en s’appuyant sur l’Eglise vénézuélienne.

Un nouveau Vietnam, un nouveau bain de sang pour revitaliser le capitalisme vénézuélien ?

Cette alternative brandie continuellement par les autorités du pays est impossible. Les systèmes militaires sont différents aujourd’hui et le scénario réel envisagé par les responsables américains est celui d’une opération de police entraînant la liquidation des principaux dirigeants chavistes « sans dommages collatéraux » Tout un défi technologique militaire…

La presse ce qui est évident : l’armée serre les rangs autour de Maduro et sur le terrain social le chavisme dispose encore d’une marge considérable par rapport à l’opposition dans son ensemble. Le numéro deux du chavisme, Cabella, a dit ironiquement dans son dernier programme télévisé (30/1/2019): « il manque à Guaido deux choses : le peuple et l’armée ». Malgré le soutien des Etats Unis et des pays occidentaux Guaido n’a donc pas pour l’instant une possibilité réelle de remplacer Maduro au pouvoir. Mais on a vu que ses partisans se mobilisent fortement pour essayer d’obtenir un soutien dans l’armée et parmi les masses.

 

Répression des manifestations, attitude de l’armée et réaction de la gauche non chaviste.

 

Etant donné la haute température sociale dans le pays (6), le gouvernement devra renforcer ses liens avec la force qui le maintient au pouvoir : l’armée organisée à la manière chaviste après le coup d’Etat manqué d’avril 2002. Il ne fait pas de doute que les revenus du pétrole ont matériellement assuré la fidélité du haut commandement militaire et en premier lieu de ceux qui sont responsables du contrôle et de la répression des troubles sociaux.

Mais cela ne peut être une solution à long terme alors que la crise économique fait plonger les cours du pétrole, réduit les rentrées fiscales, augmente le mécontentement social avec une production qui chute dans tous les secteurs et une gestion administrative locale désastreuse (7).

Entre temps l’opposition de gauche à Maduro comme Marea Socialista, le politologue Nicmer Evans, ancien maire de Caracas, ainsi que d’anciens ministres qui ont déserté le chavisme, se prononcent en général pour l’organisation d’un référendum afin de décider si Le président doit rester au pouvoir : énième recours au vieil opium électoral. L’alternative que nous défendons depuis toujours est : Non à la farce électorale ! Oui à la lutte de classe !

Et d’ailleurs Maduro lui-même propose la tenue d’élections législatives, confiant dans l’efficacité de cet opium électoral.

Jusqu’ici le gouvernement continue sa politique répressive. Le jour même de « l’auto proclamation » de Guaido, l’armée a imposé un couvre-feu dans les quartiers; elle a disposé des blindés avec des soldats lourdement armés aux entrées des zones anciennement chavistes qui ont abandonné le gouvernement à cause des promesses non tenues, comme le quartier « Jose Felix Rias » dans la zone de Petare, dans la partie la plus orientale de Caracas. Même dans les quartiers qui sympathisaient le plus pour Chavez, mais qui sont désillusionnés par Maduro, cette même nuit se firent entendre des concerts de casseroles (8).

 

Quels sont les intérêts que le prolétariat doit défendre au Venezuela ?

 

Nous ne pouvons prévoir quel scenario va prévaloir à brève échéance. Qui qu’il en soit ceux qui appellent à « défendre la patrie » contre l’impérialisme veulent faire des prolétaires de la chair à canon dans une nouvelle boucherie « anti-impérialiste » où ils n’ont rien à gagner et tout à perdre. Comme dit Le Manifeste Communiste « les prolétaires n’ont pas de patrie, ni rien à défendre dans cette société », il ne leur appartient que les 4 pieds de terre sous lesquels ils seront enterrés.

Les seuls intérêts pour lesquels ils doivent se battre dans cette société sont leurs intérêts exclusifs de classe. Si la classe ouvrière et le prolétariat en général ne réussissent pas à s’organiser en associations économiques indépendantes pour satisfaire leurs revendications ; s’ils ne réussissent pas à se doter d’un parti de classe pour hisser la lutte économique qui est une lutte de classe en soi, à la lutte politique ouverte de classe pour la conquête du pouvoir politique, donc du pouvoir économique social et militaire ; s’ils n’y arrivent pas ils tomberont victimes de l’un des deux camps de la bourgeoisie qui se répartissent les revenus du pétrole, entraînés dans une guerre fratricide, à l’intérieur du pays ou à ses frontières, jusqu’à l’écroulement du pouvoir chaviste.

En bref la situation peut évoluer de différentes façons, chacune correspondant à l’affrontement inter impérialiste par procuration. Mais notre consigne de défaitisme révolutionnaire dans toutes les tranchées de guerre impérialiste, elle, ne change pas.

 

4/2/2019

 


 

(1) Le 23 janvier 1958 le général Perez Jimenez, arrivé au pouvoir après un coup d’Etat, est renversé par un putsch; il réussit à s’enfuir pour se réfugier en Espagne après un vol épique pour l’époque. Le putsch avait été manigancé par les Etats Unis à cause des velléités de Jimenez de faire obstacle aux intérêts américains dans l’extraction pétrolière. Les élections qui suivirent virent l’élection du pro-américain Romulo Betancourt (appelé le père de la démocratie vénézuélienne !).

(2) Membre de «Volonté Populaire», parti adhérent à l’Internationale Socialiste qui s’affirme de centre-gauche, le jeune député Guaido sorti apparemment de nulle part, devient «l’homme du mouvement» après son auto proclamation. Il réussit à galvaniser une masse croissante de supporters et une opposition déchirée par ses oppositions internes.

(3) Les Etats européens se sont quasiment tous alignés sur les Etats Unis. L’exception est l’Italie qui s’est opposée au vote de sanctions européennes contre le Venezuela.

(4) Selon The Economist (1/2/2019), le Venezuela doit rembourser à brève échéance 6 milliards de dollars à la Russie, qui a reporté (« rééchelonné ») le paiement du reste de la dette, soit 17 milliards de dollars. La moitié de cette dette est due à la compagnie pétrolière russe Rosneft qui agit discrètement come courtier du pétrole vénézuélien sur les marchés internationaux. En décembre dernier Maduro est allé à Moscou négocier en personne avec Rosneft l’attribution de gisements pétroliers. Par ailleurs le gouvernement vénézuélien a déposé une partie de ses réserves en or en Russie (la majorité de ses réserves étant déposées auprès de la Banque d’Angleterre, donc à la merci de sanctions américaines) et en Turquie. D’après l’hebdomadaire britannique, Rosneft serait l’un des principaux facteurs déterminant la politique extérieure russe (bien que certains cercles gouvernementaux à Moscou s’inquièteraient du sort des investissements russes dans le pays).

Selon RT (chaîne de télé russe pour l’Occident) la Chine aurait prêté 20 milliards de dollars au Venezuela.

(5) En dépit des appels du pape François à la négociation, en dernière analyse, le Venezuela restera un des facteurs de l’accroissement des tensions inter impérialistes qui conduira tôt u tard à l’option militaire grand format.

(6) Le climat de confrontation sociale est permanent. Selon l’Observatoire Vénézuélien des Conflits Sociaux (OVCS) il y a eu en 2018 12715 conflits, plus de 3000 protestations à propos des services publics (eau, électricité, transports, ramassage des ordures, etc.).

(7) cf http:// www. noticierodigital. com/ 2019/02/ efe-sin-comandante-20-anos-despues-chavismo-se-desmorona/

(8) Les «cacerolazos» sont une forme de protestation populaire répandue dans les pays d’Amérique Latine. Mais les historiens la font remonter aux protestations en 1832 des républicains en France contre la monarchie de juillet.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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